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Full text of "Études sur les Évangiles apocryphes"

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I 




il 



6000Q54eiX 





ÉTUDES 



SUR LE8 



ÉVANGILES 

APOCRYPHES 



CHEZ LES MÊMES ÉDITEURS 



QUVRAGES 

DB 

MICHEL NICOLAS 

Format in-8<». 

Des doetrines religleases deb Juifs, pendant les'deux 
siècles antérieurs à l'ère chrétienne, i vol 7 50 

Essais de philosophie et d'histoire religieuse. 1 vol. 7 SO 

Études critiques sur la Bible. Ancien Testament, i vol. 7 50 
Études critiques sur la Bible. Nouveau Testament, i vol. 7 50 



IMPniHERIE L. TOINON ET C«, A S Allf T- 6 ERM A IN. 



ÉTUDES 



SUR LES 



ÉVANGILES 

APOCRYPHES 

p A n 

MICHEL NICOLAS 




PARIS 

MICHEL LÉVY FRÈRES, UBRAIRES ÉDITEURS 

RUE VIVIKNNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, IS 

A LA LIBRAIRIE NOUVELLE 

. 1866 
Tout droits réterré» 



IIO. 6. //V. 



PRÉFACE 



Le christianisme se divisa, dès ses premiers mo- 
ments, en un grand nombre de sectes. On ne sau- 
rait s'en étonner, si l'on considère, d'un côté, les 
circonstances au milieu desquelles il apparut, et, 
de l'autre, les hau|^^r9ifficiles questions qu'il 
soulevait. 7 ' - 



11 en fut de l'efeèlgriemèD^ ^e Jésus à peu près 



"^h 



^^-^- 



comme il en avait ëté^.qùatî'e siècles auparavant, 
de celui de Socrate. Les nombreux disciples qui se 
pressaient autour du philosophe grec, différents 
d'âge, de caractère, de culture, d'opinions, ne 
comprirent pas tous sa doctrine de la même ma- 



▼1 PRÉFACE 

nière. Les uns n'en saisirent que ce qui répondait 
à leurs aptitudes et à la tendance d'esprit particu- 
lière à chacun d'eux, les autres que ce qui pouvait 
servir à fortifier, perfectionner ou réformer, en une 
certaine mesure, leurs propres systèmes*. Le chris- 
tianisme se répandit au milieu d'éléments encore 
plus hétérogènes; il se produisit à une époque de 
fermentation religieuse, ^telle que le monde n'en a 
jamais connue de plus générale et de plus puis- 
sante. 

Les vieux cultes se mouraient ; la philosophie 
épuisée avait fait place à une stérile érudition ; la 
liberté avait disparu ; les mœurs avaient baissé avec 
les caractères ; la décadence était générale. Était- 
ce la fin? Beaucoup le croyaient ^, et tandis que, 

4 . Ritler, Histoire de la philosophie ancienne, t. I, p. 67-71 . 
2. Virgile^ dans ses Géorgiqiies, i, 468, fait allusion à cette 
crainte généralement répandue de son temps : 

Impiaqae aèternàin timuerant ssecula noctera. 

Lueain est plus positif : 

Hos, Caesar, populos, si nunc non asserit ignis, 
Uret cum terris, uret corn gnrgite ponti. 
Communis mundo superest rogus. 

PAar«o/., VIII. 8i2-814. 
Et Ovide dit également : 

Esse quoque in fatis reminiscitur affore tempus 



PHËFAGE tu 

dsfns ce sentiment, les uns tournaient vers le ciel 
des regards qui ne rencontraient plus sur la terre 
que des sujets d'affliction, d'autres, fatigués du 
vide au milieu duquel ils traînaient une existence 
décolorée, se créaient un monde fantastique qui 
leur offrait du moins l'image de la vie, et cher* 
chaient dans les rêves de la théosophie un aliment 
aux besoins de leur cœur et de leur esprit. Quant à 
la foule, toujours superstitieuse au sein môme dé 
rincrédulité, elle demandait à des dieux nouveaux 
pour elle, aux sombres divinités de la Chaldée, de 
la Phrygie, de TÉgypte, des émotions religieuses 
et des consolations qu'elle ne trouvait plus aux pieds 
des autels de la religion nationale *. 

Ce mouvement religieux, ce n'est pas le chris- 
tianisme qui le provoqua ; il ne le précéda môme 
pas. Il suffit, pour s'en convaincre, de remarquer 
que, dès ses premiers pas, il se trouva en présence 
de théosophes qui enseignaient, comme lui, une 

Quo mare, quo tellus^ correptaque regia cœll 
Ardeat, et mundo moles operosa laboret. 

Metamorph., i, 2B6-858. 
4. Benj. Constant, la Religion, i, \, p. 50 et suiv. (dans la 
deuxième édition, p. 44 et suiv.). Du Polythéisme romain, t. II, 
p. 404-428. 



VIII PRÉFACE 

doctrine de la délivrance, et dont la plupart le sa- 
luèrent et l'accueillirent comme une conception 
religieuse analogue à celles qu'ils prêchaient eux- 
mêmes. Dans la Samarie, ce fut le goët Simon ^ 
disciple peut-être des Esséniens des montagnes 
d'Éphraïm; à Antioche, ce furent des disciples de 
Jean-Baptiste qui ne connaissaient encore que la 
régénération par Teau du baptême ^; à Éphèse, à 
Colosse, à Philippe, ce fut une secte juive qui ré- 
pandait des théories spéculatives sur les émanations 
divines, et sur les rapports de Dieu et des hommes 
par des puissances intermédiaires, et qui, après avoir 
entendu les apôtres, donna au Christ une place 
dans son système ^; à Alexandrie, ce furent des 
disciples de Philon qui n'eurent que quelques mots 
à ajouter à leur doctrine ou à y changer pour de- 



1 . ActeSf VIII, 9 et suiv. 

2. Actes, XVIII, 24 et 25; xix, 4-7. Pour les disciples de Jean- 
Baptiste, la rëgënératiou s'opérait par Teau, opinion qui resta 
celle de plusieurs sectes judéo-chrétiennes (voyez plus loin les 
articles relatifs à TËvangile des Clémentines et à l'Évangile des 
Elkésaïtcs); pour les disciples de Jésus, c'était par l'eau et l'es- 
prit. Jean, m, 5. 

3. Colossiens^ ii, 4 et suiv.; PhilippienSy m, 2 et suiv.; Tite, 
ï, 40-46. 



PRÉFACE m 

venir chrétiens, et qui semblent avoir donné à la 
religion nouvelle quelques-uns de ses plus illus- 
tres propagateurs * ; ailleurs, au milieu des païens, 
ce furent des âmes qu'avait touchées le mysticisme 
de quelque Apollonius de Tyane ^. 

Cet état de choses avait pour le christianisme des 
avantages et des dangers. Si, d'un côté, il trou- 
vait des cœurs ouverts au sentiment religieux et 
disposés à Taccueillir comme l'expression saisis- 
sante de leurs propres aspirations vers le divin, 
d'un autre côté, il était exposé à être mal compris 
par des esprits prévenus en faveur d'un système, 
à être interprété dans le sens de leurs spéculations 
par des hommes connus déjà comme chefs d'école, 
en un mot, à être absorbé, à différents degrés, par 
les diverses théosophies de cette époque. En raison 
de sa supériorité, il s'imposait à toutes. Mais y en 



1 . Il faut citer entre autres l'auteur, de l'Épître aux Hébreux, 
dont le langage, la méthode et la forme même de la pensée tra- 
hissent un esprit familier avec les écrits de Philon. Keerl, Die 
Apokryphenfrage, p. 321 et suiv. 

2. Apollonius de Tyane fut à peine de quelques années posté- 
rieur à Jésus-Christ. Bien d'autres mystiques d'une tournure 
d'esprit analogue vécurent à la même époque. 



X PRÉFACE 

aurait-il une seule qui n'eût pas la prétention de le 
rendre semblable à elle -même ? 
♦ Il arriva, en ettet, que, comme le rayon de lu- 
mière auquel les différents milieux qu'il traverse 
font subir des inflexions différentes, la religion 
nouvelle fut diversement modifiée selon les diverses 

préoccupations religieuses de ceux qui l'accep- 
# 
tèrent. 

Ces modifications diverses, quelque étranges 
qu'elles puissent nous paraître, étaient d'autant plus 
faciles que le christianisme primitif ne consistait 
qu'en quelques principes généraux, levain qui de- 
vait faire lever la pâte *• Se détacher du monde 
qui passe, s'appliquer uniquement à la recherche 
des biens spirituels, sacrifier ses passions et ses in- 
térêts à l'acquisition de la vie future qui allait com- 
^ mencer, attester, en recevant le baptême, qu'on 
acceptait ce changement de conduite^ ou, comme 
s'exprimaient les Juifs, qu'on devenait un nouvel 
homme, et, en prenant part à des repas fraternels, 

i . Matth., xm, 33 ; Lue, xiii, 21 . 



PRÉFACE XI 

qu'on persistait dans cette généreuse résolution, tel 
avait été l'enseignement du Christ. Il était suscepti- 
ble de bien des sens divers : on pouvait le prendre à 
un point de vue purement moral , ou bien y voir * 
un ascétisme plus ou moins prononcé, ou encore le 
fondre dans un système mystique. . 

D'un autre côté, il soulevait une foule de ques- 
tions auxquelles on pouvait donner bien des solu- 
tions différentes. Le christianisme était la religion 
définitive, aucun de ses adhérents ne le mettait en 
doute. Mais dans quels rapports était-il avec les 
religions antérieures? Était-il un développement 
du mosaïsme? ou se substituait-il à lui? ou encore 
en était-il une négation ? Était-il une condamnation 
pure et simple de la religion des Grecs et des Ro- 
mains, de celles des divers peuples de l'OrieiMi? 
Repoussait-il toute la culture païenne, en parti- 
culier la philosophie? Zoroastre* en avait cepen- 
dant, à ce qu'on assurait, prédit l'avènement^ et 
Socrate et Platon en avaient pressenti quelques- 
uns des points les plus importants. Ne serait-il pas, 
en définitive, une sorte de conciliatioPi dâ toip^sf tes 



xii PRÉFACE 

bons éléments qui s'étaient produits confusément et 
par fragments dans le passé? 

Quelle place, quel rang fallait-il assigner à son 
fondateur? Jésus avait parlé plus d'une fois de 
lui-même, mais toujours en un langage figuré. 
Quel sens fallait-il donner à ces expressions méta- 
phoriques? Était-ce un prophète? ou quelque être 
surhumain, émané directement du principe divin ? 

Chacun répondait à ces questions, du point de 
vue des opinions religieuses familières à son esprit, 
et dans lesquelles il avait été nourri. Le juif pales- 
tinien, qui embrassait la foi nouvelle, devait né- 
cessairement, sous l'influence des espérances mes- 
sianiques propres à son peuple et à son pays, voir 
dans Jésus le dernier et le plus grand des prophètes, 
et dans le christianisme le parfait épanouissement 
du mosaïsme. C'est sous un autre jour qu'apparais- 
sait la religion chrétienne au juif helléniste qui se 
faisait chrétien. Il était naturellement porté à y 
voir le dernier, mot de la théosôphie philonienne. 
Jésus était à ses yeux la manifestation de ce Logos, 
dont Philon avait fait l'agent de Dieu auprès des 



PRÉFACE xiii 

hommes, et l'Ancienne Alliance une préparation de 
la Nouvelle, comme dans le système du théosophe 
alexandrin, la connaissance rationnelle Tétait de la 
connaissance divine et les vertus ordinaires des 
vertus supérieures. Quant à ceux qui avaient adopté 
les anciennes théories de l'émanation et des êtres 
intermédiaires^ ils ne purent faire autrement , en 
devenant chrétiens, que de considérer Jésus comme 
une émanation d'un ordre plus ou moins élevé, et 
la religion qu'il avait fondée, comme la révélation 
du vrai principe du salut, et par conséquent comme 
une abrogation des religions imparfaites qui l'a- 
vaient précédée. 

Telles étaient, dans leurs traits lés plus généraux, 
les conceptions différentes qu'on pouvait se faire, 
dans ce moment, de l'enseignement chrétien. Dans 
les détails chacune d'elles était susceptible de mo- 
difications presque à l'infini. De là cette foule de 
systèmes divers entre lesquels se partagea le chris- 
tianisme primitif, et par suite cette multiplicité 
d'Églises qui, quoique opposées de sentiments, 
s'accordaient toutes à se dire chrétiennes. 



iiv PRÉFACE 

Chacune d'elles prétendait posséder le véritable 
enseignement de Jésus-Christ, à l'exclusion de 
toutes les autres, et en produisait comme preuve un 
Évangile dans lequel cet enseignement avait été 
arrangé, avec plus ou moins de liberté, d'après les 
croyances qu'elle professait elle-même. Il y eut 
ainsi, presque dès l'apparition de la religion chré- 
tienne, autant d'évangiles que de sectes. 

Il semble que ces écrits auraient dû inspirer une 
juste défiance, en dehors des sectes qui en faisaient 
usage. Il en fut cependant tout autrement, du moins 
pendant la première moitié du second siècle. On est 
bien obligé de croire qu'on les acceptait assez 
indifféremment comme des documents dignes de 
foi, quand on les voit cités par des écrivains chré- 
tiens, auxquels l'Église catholique s'en réfère comme 
à des autorités très-compétentes dans les choses 
religieuses; surtout quand on remarque que ce ne 
sont pas les passages les moins opposés à l'esprit de 
l'enseignement de Jésus-Christ qui sont ainsi invo- 
qués sans le moindre scrupule. 



PRÉFACE XV 

J'en citerai quelques exemples. 

On trouve dans une épître attribuée à Clément 
de Rome, une citation d'un Évangile * qu'on sait 
être celui' selon les Égyptiens, et ce passage, 
comme d'ailleurs les deux autres qui nous restent 
de cet écrit, est en opposition radicale avec l'esprit 
du christianisme et n'a pu être inspiré que par la 
théosophie philonienne ^. 

Un autre Père apostolique^ saint Ignace, cite 
également, sans faire la moindre réserve, des paroles 
de Jésus qui ne sont rapportées que dans l'Évangile 
selon les Hébreux *. On a voulu écarter les consé- 
quences qu'on est en droit de tirer d'une citation 
d'un Évangile apocryphe par un Père de l'Église, 
en soutenant qu'Ignace avait connu ces paroles de 
Jésus par la tradition orale. A la rigueur, ce ne 
serait pas impossible; mais où en est la preuve? 

Enfin on sait que c'est dans ce môme Évangile 
selon les Hébreux que Justin Martyr a pris plu- 

1 . Clément Romain, 2 Epist, ad Corinth., cap. 12. 

2. Voyez la discussion de ces passages dans l'arlicle relatif à 
rÉvangile selon les Égyptiens, p. 112 et suiv. 

3. Ignace, EpUt. ad Smymioi, çap. 3. 



XVI PRÉFACE 

sieurs détails de l'histoire évangélique tout diffé- 
rents de ceux que donnent les Évangiles canoniques. 
Il ne servirait de rien de renvoyer enxîore ici à la 
tradition orale; car ce Père de TÉglise, il 'nous 
l'apprend lui-même, se servait d'un document écrit 
qu'il désigne sous le nom de Mémoires des apôtres. 

Mais il y a plus. Ce n'est pas seulement entre 
les mains-de simples particuliers qu'on trouve plu- 
sieurs de ces anciens Évangiles , on en voit encore 
quelques-uns répandus dans des Églises qui s'en 
servaient comme d'Écriture sainte et qui n'enten- 
daient pas pour cela se ranger du côté des sectaires 
auxquels ces écrits appartenaient en propre. 

A la fin du second siècle, TÉglise de Rhosse en 
Gilicie faisait usage d'un Évangile de saint Pierre. 
Cet Évangile avait été écrit ou arrangé par des Do- 
cètes dans le sens de leur opinion. L'Église de 
Rhosse n'était cependant ni hérétique ni schismati- 
que; elle faisait partiede ce qu'on peut appeler Tan- 
cienne Église catholique. Ce fait est déjà significatif; 
mais voici qui l'est bien davantage. 

Sérapion, nommé évêque d'Antioche en 190, ne 



PRÉFACE XVII 

crut pas devoir interdire l'usage de cet Évangile 
dans l'Église de Rhosse qui était de son res- 
sort. Ce ne fut que plus tard; quand, par suite de 
circonstances qui nous sont inconnues, il en eut 
reconnu le caractère docétique, qu'il le proscrivit, 
en accompagnant cette défense d'une réfutation de 
rhérésie qui y était enseignée*. Voilà donc un 
évêque qui autorise dans une de ses églises un Évan- 
gile dont il ignore, il est vrai, les tendances héré- 
tiques, mais qu'il sait bien n'être pas un des quatre 
dont l'Église catholique à laquelle il appartenait se 
servait de préférence et devait bientôt se servir 
exclusivement. Que conclure de là, sinon qu'on 
n'avait pas alors pour un certain nombre de ces 
Évangiles une répugnance invincible ? 

Bien longtemps encore après, quelques-uns 
étaient répandus dans des communautés chrétiennes 
qui n'avaient pas la moindre intention de faire cause 
commune avec des sectes flétries à cette époque du 
nom d'hérétiques. Théodoret nous apprend qu'il 



4. Eusèbe, Hist. eccles., lib. VI, cap. -12; Théodoret, Fabul. 
hœret.^ lib. II, cap. 2. 



xnn PRÉFACE 

troura dan» son Église plus de dou2e cents exem- 
plaires de l'Évangile de Tatien. Il les supprima 
aussitôt et les remplaça par les Évangiles canoni- 
ques *. Mais on s'en servait dans cette Église proba- 
blement depuis deux siècles, quand on s'aperçut 
pour la première fois du danger qu'ils faisaient 
courir à la foi des fidèles. 

Les choses commencèrent à changer de face, 
quand, vers le milieu du second siècle, quelques- 
unes des Églises, qui avaient conservé la foi pra- 
tique des premiers temps du christianisme, sentirent 
la nécessité de s'unir pour résister avec plus d'effi- 
cace à l'envahissement croissant des sectes théoso- 
phiques. Cet essai d'union, humble à son origine, 
finit par prendre des développements considérables. 
Les rapports, établis d'abord seulement entre quel- 
ques Églises, s'étendirent peu à* peu à d'autres et 
devinrent le principe d'une sorte de confédération 
entre toutes celles qui partageaient à peu près les 
mêmes sentiments ou du moins qui avaient en 
commun une répulsion peut-être plus instinctive 

1. Théodoret, FahuL hœrei., lib. I, cap. 20. 



PRÉFACE XIX 

que raisonnée contre les spéculations de jour en jour 
plus aventurées de la gnose. Cette association qui 
se donna elle-même le nom d'Église universelle, 
^EyxkfiGioL Tutho'kf.xM S partait de cette opinion qu'elle 
seule possédait véritablement la foi chrétienne et 
qu'en dehors d'elle, il n'y avait qu'erreur et perdi- 
tion *. 11 suivit nécessairement de là que les Évan- 
giles conformes au sentiment de l'Église catholique, 
ou les plus répandus parmi les communautés chré- 
tiennes qui en faisaient partie, furent, par un ac- 
cord tacite, tenus pour les seuls bons, les seuls lé- 
gitimes, ou, comme on s'exprima plus tard, pour les 
seuls canoniques, c'est-à-dire les seuls propres à 
régler la foi, et que tous les autres, en usage parmi 
les hérétiques, furent regardés les uns comme im- 
parfaits, les autres comme pleins d'erreur, et dans 



1. Gieseler, Hist. des dogmes, p. 202. 

2. Selon Irënëe, cette Église est le vase dans lequel les apô- 
tres ont déposé la vérité, et la porte d'entrée de la vie. Adv. 
hœres., lib. UI, cap. 4. — Tertullien la compare à Farche de 
Noé, par cette raison que de même qu'à l'époque du déluge il 
n'y avait eu de salut que dans celte arche, ainsi il n'y en avait 
plus désormais que dans l'Église. De Baptùmo^ § 8. Cette 
comparaison devint en quelque sorte classique parmi les écri- 
vains ecclésiastiques des siècles suivants. 



! XX PRÉFACE 

I un cas aussi bien que dans Tautre, comme inca- 

pables de servir de règle dans les choses de la foi. 

I Ces Évangiles, non autorisés par l'Église catho- 

lique, reçurent plus tard le nom d'apocryphes, 
terme que l'usage a consacré, mais qui, pris dans 
son sens étymologique, ne rend pas du tout l'idée 
qu'on y a attachée *. Cette distinction finit par 
prévaloir : mais elle resta longtemps vague et flot- 
tante. On en a pour preuve l'usage qu'on faisait, à 
la fin du second siècle, de l'Évangile de saint 
Pierre dans l'Église de Rhosse en Cilicie, et au 
cinquième siècle, de celui des Encratites dans 
l'Église de Gyr dans la Syrie. 

Il y a encore d'autres Évangiles apocryphes. Ce 
sont des recueils de légendes nées d'une piété peu 
éclairée et pleine de superstitions. Ces Évangiles 
apocryphes se distinguent des précédents sous deux 
rapports. 

4 . Apocryphe, àiroxpucpoç, signifie caché. Les Évangiles apocry- 
phes n'étaient ni plus cachés ni moins connus que les canoni- 
ques. Ce n*est donc pas dans le sens étymologique qu'il faut 
prendre ce mot, et ce n'est pas probablement à Tétymologie 
qu'eurent égard ceux qui l'appliquèrent pour la première fois à 
tous les Évangiles autres que nos quatre canoniques. 



PRÉFACE xxi 

1° Ils n'ont pas de caractère dogmatique; par 
conséquent, ils n'ont pas été écrits dans un intérêt 
de parti; ils ne visent qu'à l'édification /Les autres, 
au contraire, ont été tous composés ou interpolés' 
sous l'inspiration d'idées dogmatiques bien arrêtées. 

2" Ceux-ci étaient pour les sectes qui s'en ser- 
vaient exactement ce que nos quatre Évangiles 
canoniques furent pour Tancienne Église catholique 
et sont restés pour toutes les Églises actuelles, je 
veux dire une Écriture sainte, et par suite une 
règle de foi. Ceux-là avaient de moins hautes pré- 
tentions; ils se bornaient à être les échos des 
croyances, je devrais dire des superstitions de la 
masse des chrétiens et n'appartenaient en propre à 
aucune secte. 

Si l'on tient compte de ces différences, on com- 
prendra que l'ancienne Église catholique n'ait pu 
voir du même œil les uns et les autres. Les Évan- 
giles apocryphes dogmatiques, c'est-à-dire ceux 
qui étaient en usage parmi des sectes rivales, 
étaient pour elle une menace continuelle et met- 
taient son existence en danger. S'ils avaient prévalu ,. 



xxii PRËFAGS 

c'en était fait de nos Évangiles canoniques, et du 
même coup, l'Église catholique disparaissait ou 
n'était plus^ qu'une des mille écoles plus ou moins 
considérables, entre lesquelles se partageait le 
christianisme. Rien de semblable n'était à craindre 
des Évangiles apocryphes légendaires. Loin d'as- 
pirer à remplacer les Évangiles canoniques, ils s'y 
rattachaient et en étaient une sorte de complément, 
soit en développant certains faits qui n'y étaient 
qu'indiqués, soit en en racontant d'autres qui n'y 
' étaient pas contenus. Quant à l'Église catholique, 
ils la servaient et ne la menaçaient point. Ils en- 
traient en effet dans le courant de ses sentiments et 
de ses croyances et enregistraient toutes les nou- 
velles superstitions qui y naissaient. 

Aussi, tandis que l'Église semble avoir détruit 
systématiquement les Évangiles apocryphes dog- 
matiques, livres qui d'ailleurs devaient disparaître 
par la force même des choses avec les sectes aux- 
quelles ils appartenaient, elle n'a jamais manifesté 
la moindre intention de supprimer les Évangiles 
apocryphes légendaires. Elle les a mis, il est vrai. 



PREFACE xxiu 

au nombre des écrits apocryphes , mais ils ont été 
constamment en faveur. Dans certaines Églises de 
rOrient plusieurs faisaient partie des offices reli- 
gieux, et dans l'Occident on a plusieurs fois exprimé 
le regret de les voir bannis du culte public. 

Pourquoi donc furent-ils déclarés apocryphes ? 
Tout simplement parce que la plupart sont posté- 
rieurs aux Évangiles canoniques; qu'aucun des 
plus anciens n'eut dans les trois premiers siècles la 
même notoriété que ceux-ci, et qu'il n'en est pas un 
seul qui embrasse dans son cadre l'ensemble de la 
vie de Jésus-Christ. On ne saurait en donner d'au- 
tres raisons, quand on voit l'avidité avec laquelle 
furent accueillies de très-bonne heure les légendes 
qui y sont recueillies. En réalité, ils sont tous,' sans 
exception, infiniment au>dessous, sous tous les rap- 
ports, des Évangiles canoniques. Mais il est permis 
de douter qu'on en eût le sentiment dans une Église 
qui dégénéra si rapidement et oublia si vite le spi- 
ritualisme du Maître. 

C'est sur ces anciens documents que je viens ap- 
peler l'attention du lecteur. 



XXIV PBKFAGK 

Je crois superflu de faire ressortir l'intérêt et Tu- 
tilité qu'en présente l'étude. Un seul mot suffit ici. 

Les Évangiles apocryphes dogmatiques nous 
apprendront quelles furent, à côté de la conception 
chrétienne qui a triomphé dans l'ancienne Église 
catholique, et par suite dans toutes les Églises ac- 
tuelles, celles qui furent adoptées dans un très- 
grand nombre de communautés chrétiennes des 
premiers siècles, mais qui, par la marche même 
des idées et des événements, ont été écartées comme 
incapables de réaliser l'idéaV chrétien. • 

Les Évangiles apocryphes légendaires nous en- 
seigneront comment s'est formé et développé ce 
qu'on serait tenté d'appeler la mythologie du chris- 
tianisme, et en même temps ils nous prouveront, 
par l'influence immense qu'ils ont exercée, que la 
légende joue, dans les choses religieuses, un rôle 
bien plus considérable qu'au premier abord on 
serait disposé à le croire. 



ÉTUDES 



SUR LES 



ÉVANGILES 

APOCRYPHES 

INTRODUCTION 



Les premiers siècles de l'ère chrétienne virent 
naître un grand "nombre d'écrits relatifs à la vie et 
à l'enseignement de Jésus-Christ. Quatre seulement' 
ont été admis dans le recueil des livres sacrés de la 
Nouvelle Alliance, c'est-à-dire dans le recueil des 
livres destinés à servir de règle à l'Église chré- 
tienne et appelés par cela même canoniqries. Tous 
les autres, sans exception, sont désignés sous le 
nom d'Évangiles apocryphes *. 

4. Muiti conati sunt scribere Evangelia^ sed non omnes re- 
cepti... non solum quatuor Evangelia, sed plurima esse con- 

1 



2 ÉTUDES SUH LE^ ÉVANGILES 

Dix OU douze de ces Évangiles apocryphes sont 
parvenus jusqu'à nous. Les autres ont péri depuis 
longtemps. Quelques-uns cependant, et l'on peut 
croire avec quelque vraisemblance que c'étaient les 
plus considérables, n'ont pas disparu complète- 
ment. Plusieurs anciens écrivains ecclésiastiques 
en parlent ; ils citent môme des fragments plus ou 
moins étendus de la plupart d'entre eux. Cela suflSit 
à la rigueur pour en donner, sinon une idée com- 
plète, du moins une idée générale, et pour nous en 
faire connaître les tendances. 

Ce serait une erreur d'attribuer au hasard la 
perte des uns et la conservation des autres. 

Ceux qui sont arrivés jusqu'à nous ne contien- 
nent rien qui soit en opposition directe avec les 
croyances de l'Église. Les légendes qui y sont rap- 
portées se retrouvent pour la plupart dans les écrits 
de presque tous les docteurs de l'Église, principa- 
lement a partir du iv® siècle. Les croyances qui y 
sont supposées ne sont pas toujours conformes à 
celles du christianisme primitif; mais ou elles 
étaient devenues populaires déjà au iv* siècle, ou 

scripta, e quibus haec qusô habemus electa sunt et tradita eccle« 
siis. Origène, Homil. I in Luc, Pljures fuisse qui Evangelia 
scripserunt...perseverentia usquead prœsens tempus monimenta 
déclarant; qoae a diversis auctoribus édita dîversarum haereseon 
fuere priticlpia. Jérôme, Pripf, in Matth, 



IXTRODUCTION 3 

elles le devinrent bientôt après. La doctrine d'ail- 
leurs y tient peu de place; ce sont les légendes 
qui y dominent, et ces légendes ont été pour la 
plupart adoptées par l'Église catholique. 

Ces Évangiles n'ont jamais inspiré de sérieuses 
inquiétudes aux conducteurs des Églises. Dans les 
premiers siècles, les légendes qui y sont rappor- 
tées eurent pour plusieurs d'entre eux des charmes 
infinis; ils les croyaient propres à Fédification des 
fidèles ; les prédicateurs en ornaient leurs discours, 
peu importe pour le moment qu'ils les emprun- 
tassent à des Évangiles déjà écrits ou à la tradition 
orale qui les répandait on tous lieux. Au moyen 
âge, elles firent les délices de la chrétienté tout 
entière; elles furent citées, par les prédicateurs 
de cette époque, plus fréquemment encore que 
par ceux des temps antérieurs; elles remplirent les 
livres d'édification; elles prirent place dans la 
Légende dorée. Plusieurs des Évangiles dans les- 
quels elles sont racontées, traduits en langues 
vulgaires, étaient dans toutes les mains, tan- 
dis que les Évangiles canoniques n'étaient connus 
que dans le cercle très-restreint des savants et des 
théologiens. En plusieurs églises de POrient, on 
en lisait à certaines fêtes les passages qui se rap- 
portaient soit à Tévénement dont on célébrait la 



4 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

commémoration, soit au personnage évangélique 
qui était le saint du jour. Quelques-uns même pa- 
raissent avoir été composés tout exprès pour ces 
solennités. Dans TOccident, des hommes aussi 
considérables que Fulbert^ évoque de Chartres, au 
XI® siècle, et Vincent de Beauvais au xiii®, ne peu- 
vent s'empêcher de manifester des regrets que Tin- 
terdiction dont l'Église les avait frappés, ne permît 
pas d'en faire la lecture dans le culte public ; mais 
ils s'en dédommageaient en en citant de longs 
fragments dans leurs^ sermons et dans leurs 
écrits. 

Ces Évangiles apocryphes en possession de la 
faveur publique, tolérés, pour ne pas dire favo- 
risés, par les conducteurs des Églises, depuis 
le rv® siècle jusqu'au moment où, à la renaissance 
des lettres, ils tombèrent dans l'oubli, furent multi- 
pliés par de nombreuses copies. C'est à cette cir- 
constance qu'ils ont dû de parvenir jusqu'à nous. 

Ceux qui ont péri se trouvèrent dans d'autres 
conditions. Ils appartenaient tous à des Églises dis- 
sidentes ou à des sectes repoussées et condamnées 
par l'Église catholique comme infestées d'hérésie. 
Les uns étaient en usage parmi les chrétiens judaï- 
sants et les autres parmi ceux des gnostiques qui 
étaient à un degré quelconque anti-judaïsants. Au- 



INTRODUCTION 5 

cun d'eux n'eut jamais cours en dehors de la secte 
qui s'en servait. 

Les auteurs des Évangiles apociyphes de la pre- 
mière catégorie, je veux parler de ceux qui se sont 
conservés jusqu'à nous, avaient bien sans doute, en 
les attribuant à des apôtres, le dessein de revendi- 
quer pour eux une autorité égale à celle des Évan- 
giles canoniques, et c'est bien dans ce sens que la 
foule des fidèles les a pris jusqu'à la fin du moyen 
âge. Mais l'Église catholique n'a jamais sanctionné 
ces prétentions, et si elle les a tolérés tacitement 
comme des ouvrages qui pouvaient contribuer à 
Tédification, elle ne les a jamais mis sur la môme 
ligne que les Évangiles canoniques, et encore moins 
elle n'a entendu les substituer à ceux-ci. Les 
Évangiles apocryphes des judaïsants, comme ceux 
desanti-judaïsants, étaient, au contraire, ou associés 
aux Évangiles canoniques ou mis à leur place, de 
telle sorte que chacun d'eux constituait pour la 
secte qui en faisait usage, une véritable Écri- 
ture sainte. Cette circonstance explique comment 
l'Église catholique, indépendamment des doctrines 
qui les lui rendaient odieux, dut les combattre à 
outrance et déployer contre eux une rigueur que 
les autres ne lui paraissaient pas mériter, 

A-t-elle aidé à leur anéantissement? C'est pos- 



6 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

sible *; mais en réalité cela n'était pas nécessaire. 
Ils étaient forcément condamnés à partager le sort 
des sectes auxquelles ils appartenaient en propre. 
Il suffisait qu'ils ne fussent plus reproduits par de 
nouvelles copies pour disparaître en peu de temps, et 
une fois que les sectes qui en faisaient usage furent 
éteintes, personne n'eut plus intérêt à les transcrire. 



II 



On ne peut méconnaître que la distinction que 
les docteurs catholiques établissent en général en- 
tre les Évangiles apocryphes qui sont parvenus 
jusqu'à nous et la plupart de ceux qui ont péri, ne 
soit fondée en un certain sens. Elle ne saurait aller 
toutefois jusqu'à amnistier les auteurs des premiers 
et à condamner sans appel les auteurs des seconds. 
Si la plupart des Évangiles qui ont péri sont, pour 

4. Les écrivains catholiques vont plus loin que nous. « Les 
évoques orthodoxes, dit l'un d'eux, les saints Pères, les Pape&, 
mirent, dès le principe, beaucoup d'ardeur à dévoiler les ma- 
chinations de l'erreur et du mensonge et à en détruire les mo^ 
nuraenls : leur zèle a souvent réussi. Il nous reste, en effet, très- 
peu de ces apocryphes systématiques, et de ceux qui ont 
survécu, aucun que nous sachions, ne nous est parvenu intégra- 
lement. » Dictionnaire d-es apocryphes^ publié par l'abbé Migne, 
t. 1, préface, p. xxvi. 



INTRODUCTION 

me servir des expressions d'EUies Dupin, « des 
écrits supposés par les hérétiques, pour autoriser 
leurs erreurs S » les autres sont certainement des 
écrits supposés par des orthodoxes, pour autoriser 
des légendes, et il resterait à décider si on ne 
défigure pas autant le christianisme en le sur- 
chargeant de légendes qu'en en expliquant les 
doctrines dans un autre sens que les orthodoxes. Il 
est impossible que de nouvelles légendes n'engen- 
drent pas à la fin de nouveaux dogmes, et, en effet, 
il ne serait pas difficile de montrer que le culte des 
saints, celui de la sainte Vierge et bien d'autres 
doctrines-étrangères au christianisme primitif, ont 
leurs racines dans les légendes recueillies dans ces 
Évangiles, ou du moins y trouvent leur justifi- 
cation. 

Mais quelles que soient les distinctions qu'on 
veuille établir entre ces écrits, il n'en reste pas 
moins que, sauf l'Évangile selon les Hébreux, qui, 
dans sa forme primitive du moins, ne parait avoir 
différé que dans des détails insignifiants de notre 
Évangile de Matthieu, et celui de Marcion qui n'est 
qu'une révision de celui de Luc, ainsi que ceux 
qui ont dérivé soit de l'un soit de l'autre, 

4 . Ellies Dupin, Dissertations préliminaires ou Prolégomènes 
iur la BibUy t. II, p. S7 de Tédit, in-4o. 



8 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

tous les autres sont sans exception des pièces sup- 
posées, j'entends qu'ils ne sont pas des personnages 
bibliques dont ils portent les noms, et n'ont pas 
Torigine qu'ils s'attribuent eux-mêmes. Sous ce 
rapport ils ne se distinguent en rien les uns des 
autres. 

Est-ce à dire que ce soit des écrits de mauvaise 
foi ? Qu'ils n'aient été composés que dans le dessein 
de tromper le lecteur ? Sans doute, à un point de 
vue absolu, les auteurs de ces livres sont des faus- 
saires. Ce serait cependant commettre une erreur 
énorme que de les juger avec cette rigueur. Il faut 
se placer à un autre point de vue, si l'on ne veut se 
condamner à n'avoir que des idées entièrement 
fausses des origines et du caractère de ces écrits, 
des circonstances au milieu desquelles ils se sont 
produits, en un mot, de l'histoire de l'époque qui 
les a vus naître. 

Il est nécessaire ici d'entrer dans quelques dé- 
tails et de considérer à part chacune des différentes 
catégories de ces Évangiles apocryphes. 

Prenons d'abord ceux qui sont parvenus jusqu'à 
nous. Ces Évangiles sont tout simplement des re- 
cueils de légendes sur Jésus -Christ et sur sa fa- 
mille. 

Si l'on excepte celles qui ont été empruntées aux 



INTRODUCTION 9 

Évangiles canoniques, il n'en est probablement pas 
une seule qui ait la moindre valeur historique *. 
Elles sont le produit d'une piété puérile, peu 
éclairée, qui se plaisait à broder des arabesques 
sans fin sur le thème de l'histoire évangélique. Et 
cependant ces fables ne sont pas, à proprement 
parler, des fraudes pieuses. Elles ne sont pas nées 
de quelque projet de substituer l'erreur à la vérité, 
ni môme de surcharger l'histoire évangélique de 
récits mensongers. L'admiration pour Jésus- 
Christ n'avait pas de bornes; on ne trouvait rien 
d'extraordinaire à ses nombreux miracles ; sa vie 
était une série de prodiges; en y en joignant quel- 
ques-uns déplus, on rendait seulement au Seigneur 
ce qui lui appartenait. SMl n'avait pas opéré les 
miracles nouveaux, il aurait bien pu les faire; 
de là à les lui attribuer, il n'y avait qu'un pas. 

Tertullien nous apprend qu'un prêtre d6 l'Asie 
avait composé sur saint Paul un écrit apocryphe, 
plein de prodiges dont la plupart étaient bizarres^. 

i . Les écrivains catholiques le reconnaissent eux-môcnes. «c II 
se peut que ce que ces livres, dit l'un d'eux, nous racontent de 
la sainte Vierge et de ses parents, de Jésus et de ses apôtres, ne 
soit point très- exacte cela même est probable... Évidemment ils 
prêtent aux personnages sacrés des discours qu'ils n'ont jamais 
tenus. » Dictionnaire des apocryphes, 1. 1, préf., p. xxvi. 

2. C'est probablement les Actes de saint Paul et de sainte 
Thècle. 



10 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

On le déposa pour ce fait. Mais l'auteur de cet 
ouvrage n'avait pas cru commettre un faux, bien 
loin de là ; il n'avait agi, dit-il lui-même, que 
par amour pour l'apôtre, idfecisse amore Pauli *. 
Ce fut aussi par amour pour le Seigneur que les 
l^endes dont je parle furent imaginées. 

On peut se faire une idée de Torigine de ces 
contes et de la faveur avec laquelle ils furent ac- 
cueillis par les chrétiens des premiers siècles, par 
ceux que nous avons vus se produire parmi nous. 
Nous ne vivons certes ni dans un temps ni dans un 
pays ouverts à la légende. Combien d'anecdotes 
apocryphes ne sont-elles pas nées cependant sur 
Napoléon P% depuis cinquante ans? On se les ra- 
conte dans les ateliers et dans les fermes ; on n^ ©n 
a jamais mi» en doute la vérité. Si quelques-unes 
des grandes histoires de l'Empire y arrivaient, on 
s'étonnerait fart de ne pas y trouver ces légendes 
si populaires sur l'empereur, et on en jugerait les 
auteurs mal informés ou peu exacts. Où ont-elles 

4. TerittUien^ de Baptûmo» § 47. Malgré cette déclaration, 
l'Église continua, comme le foit remarquer M. Strausa, de faire 
usage de son livre et institua sans autre fondement une fête en 
Fhonneur de la sainte. Telle était en pareille matière l'indulgence 
de ce temps. L'antiquité entière, surtout à son déclinj n*a guère 
été plus sévère. De là vient que nous avons tant de livres, et de 
fort respectables, dont les vrais auteurs *ont emprunté des noms 
célèbres. Nouvelle vie de Jésus, 1. 1, p. 444. 



IJSTRODUGTION li 

pris naissance? Quels en ont été les auteurs? Qui 
le sait ? Des événements extraordinaires avaient 
frappé les esprits : chacun en parlait à sa ma* 
nière; on ne croyait jamais en dire assez, et il 
s'est formé ainsi une foule de récits, dont la plu- 
part n'ont pas la moindre vraisemblance, sans que 
le plus léger doute se soit jamais élevé sur leur 
authenticité dans le milieu dans lequel ils cir- 
culent, et surtout sans qu'on ait le moindre motif 
d'en attribuer l'invention à quelque désir d'alt&rer 
la vérité historique et d'en faire accroire à la foule 
crédule. Tout cela s'est fait par amour pour le 
grand empereur, comme le prêtre d'Asie avait 
écrit les Actes apocryphes de saint Paul par amour 
pour le grand Apôtre. 

Telle est aussi Torigine des légendes sur Jésus- 
Christ et sur la sainte Famille qui remplissent ceux 
des Évangiles apocryphes qui sont parvenus jusqu'à 
nous. On se racontait parmi les chrétiens des pre- 
miers siècles les prodiges du Seigneur tels que les 
rapportent les Évangiles canoniques ; on les em« 
bellissait de traits nouveaux, on les étendait à 
d'autres époques de sa vie, on les complétait par 
des récits qui offraient avec eux plus ou moim^ 
d'analogie. On se dit d'abord que dans son enfance 
Jésus n'avait pas dû faire moins de miracles que 



12 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

dans son âge mûr ; bientôt on se persuada qu'il 
les avait réellement opérés, La légende ne se 
forme pas autrement ; elle affirme comme réel ce 
que dans le principe on avait cru vraisemblable ou 
seulement possible. Danç ces développements tout 
est le fruit de l'imagination et jamais le produit 
d'une erreur volontaire et calculée. Ces légendes 
circulaient en tous lieux parmi les chrétiens, quand 
les auteurs des Évangiles apocryphes qui les ?:ap- 
portent, les recueillirent comme des faits généra- 
lement admis, dont ils n'étaient pas plus disposés 
que tous leurs contemporains à mettre eu doute la 
réalité historique. 

Il n'y a pas plus de traces de mauvaise foi et de 
dessein préconçu d'altérer l'histoire évangélique 
dans ceux des Évangiles apocryphes qu'on peut re- 
garder comme des remaniements du premier de nos 
Évangiles canoniques. L'Évangile hébreu de Mat- 
thieu, répandu parmi les chrétiens de la Syrie, qui 
restèrent presque constamment sans communica- 
tion avec ceux de leurs coreligionnaires parlant la 
langue grecque ou la langue latine, se trouva ex- 
posé par cela même à des altérations de plus d'un 
genre. Mais ces altérations ne furent ni le résul- 
tat d'erreurs volontaires ni le fait de quelque 
désir d'accommoder la vie et les enseignements du 



INTRODUCTION 13 

Seigneur à un système préconçu. J'y verrais bien 
plutôt des marques sensibles de la tendance alors 
si fortement prononcée d'élever de plus en plus la 
personne de Jésus-Christ. 

Si en certaines Églises en possession de l'Évan- 
gile hébreu de Matthieu, on en retrancha quelques 
parties, entre autres les deux premiers chapitres, ce 
fut certainement parce qu'il semblait que le Sei- 
gneur y était, rabaissé à la taille commune de la 
faible humanité. Si dans d'autres de ces Églises, on 
y ajouta quelques détails empruntés à la tradition 
orale qui prit si vite les plus larges proportions au 
milieu d'hommes doués de plus d'imagination que 
de sens historique, ce fut pour enrichir la vie du 
Seigneur de quelques nouveaux détails extraordi- 
naires. Si ailleurs on y intercala quelques philo- 
sophèmes d'une profondeur en réalité fort dou- 
teuse, mais de grande apparence , ce fut parce 
qu'ils parurent dignes du divin fondateur du 
christianisme. Toute grande pensée, grande du 
moins au jugement des croyants de cette époque, 
devait venir de lui; elle ne pouvait pas avoir une 
autre origine. 

Quand Marcion, ou tout autre gnostique avant 
lui, remaniait l'Évangile de Luc et les épîtres de 
Paul, il était persuadé qu'il ramenait les textes de 



U ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

ces écrits à leur pureté primitive, et qu'il en écar- 
tait tout ce que Terreur y avait ajouté. L'apôtre 
saint Paul n'avait enseigné que ce qu'il ensei- 
gnait lui-même; comment aurait-il pu introduire 
dans ses épltres des conceptions opposées à ce sys- 
tème? S'il s'y en trouvait, elles n'étaient pas de 
loi; une main étrangère, ennemie ou ignorante y 
les y avait insérés; il fallait se hâter de les en 
faire disparaître. En pratiquant ces altérations, 
bien loin de se croire un faussaire, Marcion s'ima- 
ginait déjouer une fraude pieuse. 

Il n'est pas jusqu'à ceux des Évangiles apocry- 
phes qui s'écartent le plus de la simplicité de la 
foi chrétienne primitive et qui ont été conçus ou ar- 
rangés d'après quelque système théosophique, dont 
la composition ne doive s'expliquer autrement que 
par des « machinations de l'erreur et des men- 
songes*. * Les gnostiques qui en sont les auteurs, 
soutenaient des idées absurdes; mais ils les pre- 
naient pour la vérité môme; ils se trompaient, 
mais ils ne croyaient pas propager des erreurs; 
leurs systèmes étaient mauvais, leurs intentions ne 
l'étaient pas. 

Il est vrai qu'en mettant leurs propres oonoep- 

^. Dit!tiùfmaire des ttpotryptm, préf., p. xxvf. 



IXTHUDLCTFON 15 

tions dans la bouche des apôtres, ils les donnaient 
pour ce qu'elles n'étaient pas et leur attribuaient 
une origine qu'elles n'avaient pas, mais ils étaient 
bien loin de s'en douter. Ils étaient au contraire 
convaincus que Philippe et les autres apôtres sous 
les noms desquels ils composaient des Évangiles, 
avaient tenu, sinon tout à fait le langage qu'ils 
. leur prêtaient, du moins un langage entièrement 
analogue et dans tous les cas avaient prêché le 
christianisme dans le même sens qu'ils l'enten- 
daient eux-mêmes. Et ce qui le prouve, c'est qu'il 
n'est pas un seul Évangile gnostique anti-judaïsant 
qui porte le nom d'un apôtre judaïsant. Ils restaient 
dans ce qu'Us s'imaginaient être la vérité historique. 
En se plaçant à leur point de vue, on n'est pas plus 
autorisé à les traiter de faussaires pour avoir fait 
parler un apôtre anti-judaïsant comme ils croyaient 
qu'il avait dû le faire, que Tite-Live ou tout autre 
historien pour avoir mis dans la bouche des per- 
sonnages dont ils racontent la vie, des discours 
qu^ils n'ont certainement pas prononcés. 

Ajoutez qu'ils vivaient à une époque où ces 
fraudes pieuses se commettaient sans le moindre 
scrupule dans tous les partis et dans toutes les 
sectes. Les deux siècles qui précédèrent l'avéne- 
ment du christianisme et les cinq ou six siècles 



i6 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

qui les suivirent virent naître de tous les côtés un 
nombre presque infini de pièces supposées. Les 
Juifs de la Palestine comme ceux d'Alexandrie , 
les chrétiens orthodoxes aussi bien que les judaï- 
sants et les gnostiques anti-judaïsants, les philo- 
sophes païens, tous donnèrent également dans ce 
travers * . C'était la maladie de cette époque 2. On ne 
saurait s'en étonner quand on regarde au fond des 
choses. Dans un temps où une idée ne pouvait se 
faire valoir qu'en s' attribuant une origine divine, 
il était bien difficile de résister à la tentation de la 
mettre sous le patronage de personnages vénérés 
et inspirés du cieL 



4. On n'y trouvait alors rien à redire, bien loin de là. 
M. Strauss rappelle un fait qui est très-propre à nous donner la 
juste mesure de ce qu'on pensait à cette époque de ces fraudes 
pieuses. Les nëopythagoriciens du dernier siècle ayant Jésus- 
Christ firent paraître plus de soixante ouvrages sous le nom de 
Pythagore ou de ses plus anciens disciples, afin de faire passer 
sous cette étiquette de nouvelles théories philosophiques, qu'ils 
regardaient toutefois comme de légitimes développements de 
l'ancienne doctrine pythagoricienne. Le néopythagoricien qui a 
écrit la vie de Pythagore n'a garde de les blâmer; il les loue au 
contraire d'avoir renoncé à toute ambition de gloire personnelle 
et d'avoir attribué au maître leurs propres œuvres. Nouvelle 
vie de Jésus, 1. 1, p. 4 44. 

2. Tennemann, Geschichte der Philosophie, t. vi, p. 438-480. 



INTRODUCTION 17 



III 



Quoi qu'il en soit des sentiments qui ont présidé 
à la composition de ces Évangiles, il n'est pas 
un seul de ces écrits qui puisse un instant trom- 
per la critique et qui ne porte en lui-même des 
marques manifestes qu'il est une pièce supposée. 
Leur non-authenticité n'a pas besoin d'être prou- 
vée ; elle est évidente. Chacun d'eux trahit suffi- 
samment l'époque et le milieu dans lesquels il a 
pris naissance. Il suffit pour le voir d'apporter à 
cette étude un esprit libre de tout parti pris. 

En suivant les indications qu'ils nous donnent 
eux-mêmes, on est conduit à les diviser en trois 
classes bien distinctes. 

Les uns portent l'empreinte manifeste de l'es- 
prit judaïsant. Le christianisme n y est présenté que 
comme une rénovation ou un perfectionnement 
de l'Ancienne Alliance. Les tendances pratiques y 
dominent ; et si dans la plupart d'entre eux on ren- 
contre un certain nombre de propositions théoso- 
phiques, on peut se convaincre qu'elles ne faisaient 

2 



18 ÉTUDES SIH LES ÉVANGILES 

pas partie du texte primitif, et qu'elles y ont été 
insérées quand le judéo-christianisme se fut laissé 
pénétrer par la^ gnose. 

Ces Évangiles n'étaient répandus que dans les 
Églises judaïsantes, parmi les Nazaréens, les Ébio- 
nites, les disciples de Gérinthe. Ils étaient peu 
connus en dehors de ces communautés, dont plu- 
sieurs restèrent presque constamment isolées et 
sans relation avec les autres Églises chrétiennes. 

D'autres ont une tendance anti-judaïsante plus 
ou moins prononcée. Le judaïsme est considéré 
daiis les moins hostiles comme une forme reli- 
gieuse imparfaite^ c'est-à-dire comme un mé- 
lange d'erreurs et de vérités , et dans ceux qui 
lui sont le plus oppdsés, comme le produit d'tm 
esprit de ténèbres» 

Ces Évangiles appartenaient à celles deS sectes 
gnostiques qui prétendaient s0 rattacher à saiilt 
Paul, mais qui tiraient de ses principes des con- 
séquences que l'âpôtre des Gentils aurait éhfer-» 
giquement désavouées. Ils formaient une partie do 
l'Écriture sainte des Marcionites, des Valentiuiens> 
des Ophites Séthlens et de bien d'autres sectes 
semblables. Les anciens écrivains ëcclésiasti(|aes 
les' ont bien mieux connus en général que ceux de 



INTRODI^CÎIUX l.j 

la catégorie précédente, et cela se Comprend; 
ils ftirent presque constamment en lutte avec ces 
divers partis gnostiques. 

Enfin il en est d'autres qui ne porteût pas de 
caractère sectaire. Recueils de légendes qui avaient 
cours dans presque toutes les Églises, ils n'ont pas 
de tendance dogmatique bien marquée; ils suivent 
simplement le flot de la superstition qui monte 
toujours plus haut au milieu de la masse des 
chrétiens. 

Quoiqu'ils ne soient pas tous nés dans le sein du 
parti chrétien qui revendiquait le titre d'orthodoxe 
et qui forma ce qu'on appelle l'ancienne Église 
catholique, les ÉvangÛes de cette dernière classe 
y ftirent en général reçus de bonne heure; non sans 
doute qu'on les y ait janiais mis sur la même ligne 
que les canoniques ; mais on en trouvait les légendes 
édifiantes, et ces légendes, où finit par les prendre 
pour des faits historiques. A partir du iv® siècle, la 
plupart des écrivains ecclésiastiques en parlent 
comme d'événements dont la vérité et la réalité ne 
sont nullement mis en doute. 

Tous les Évangiles apocryphes qui sont parve- 
nus jusqu'à nous appartiennent à cette catégorie, 
et cette circonstance prouve qu'ils n'excitaient pas 



20 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

la moindre défiance, puisqu'on les reproduisait 
constamment par de nouvelles copies. Ceux des 
deux catégories précédentes ont, au contraire, péri 
et ne nous sont connus que par ce que les anciens 
ecclésiastiques en disent et par les quelques frag- 
ments qu'ils en rapportent. 

Je suivrai cette division qui me paraît fondée sur 
la nature des choses. J'appellerai les Évangiles 
apocryphes de la première catégorie les Évangiles 
apocryphes judaïsants; ceux de la seconde les 
Évangiles apocryphes anti-judaïsants, et ceux de la 
troisième les Évangiles apocryphes orthodoxes. Ces 
dénominations me semblent indiquer avec net- 
teté les caractères respectifs de ces trois classes 
d'écrits. 



PREMIÈRE PARTIE 
ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 



Quand, à la suite du mouvement national qui 
éclata dans la Palestine, Jérusalem fut assiégée 
par les légions romaines, ceux des Juifs de cette 
ville qui avaient embrassé le christianisme et qui 
étaient désignés sous le nom de Nazaréens * se 
retirèrent à Pella, dans la Décapole *, soit qu'ils 
ne voulussent pas prendre parti pour leurs anciens 
coreligionnaires qui les persécutaient, soit plutôt 
pour se préparer en paix au second avènement du 
Christ, dont les troubles qui agitaient leur patrie 
leur semblaient le prélude et l'annonce certaine. 
Cette communauté s'étendit rapidement; mais 
comme ce ne fut guère que parmi les Juifs qui 
formaient le gros de la population de cette con- 

4. Actes, XXIV, 5. Le nom de Chrétien fut pris, au contraire, 
par ceux des partisans de la doctrine nouyeile qui rompirent en- 
tièrement avec le judaïsme. Actes, xi, 26. 

3. Épiphane, Hœres,^ xxx, § 2f 



22 ÉTUDES Sru LES ÉVANGILES 

trée, le caractère judaïsant qui la distinguait ne 
subit pas la moindre modification. Les nouveaux 
fidèles n'entendaient pas plus que ceux qui étaient 
venus de Jérusalem, perdre leur titre d'enfants 
d'Abraham, en embrassant la foi chrétienne*. 
La Syrie se peupla ainsi de Nazaréens, 

Repoussés à la fois par les Juifs qui les regar- 
daient comme des traîtres et des apostats ^ et par 
les chrétiens d'origine païenne qui avaient peine 
à reconnaître des frères dans ces hommes qui, tout 
en se réclamant du nom du Christ, pratiquaient la 
plupart des cérémonies mosaïques % les judéo-chré- 
tiens ne laissèrent pas, nialgrô cette fausse posi-» 
tion, de se diviser en plusieurs sectes. Chacune eut 
son Évangile, mais tous ces Evangiles ont un air 
de parenté bien marqué; on dirait qu'ils ne sont 

4. Il se fit aùjsei des conversions parmi les Samaritains. Mais 
ceux- ci ne tenaient pas moins que les Israélites à Tobservatiou 
des prescriptions niosaïques. Winer, Bibl, Realworterb, au mot 
Samaritanev, 

%. It^ Sflnliëdrin, qui, après I4 ruine de Jérusalem, s'était re- 
tiré à Jafné, lança l'excommunicalian contre les Minims (C3^;i^^); 
c'est sous ce nom que les chrétiens sont désignés dans le Talmud. 
On le traduit par hérétiques. Gieseler, Lehrbuch der Kirohen- 
geiichicht0, t. I, p, 444, note a; Buxtorf, Lexion chai, talmud, 
col. 4499-4202. 

3. Il est probable que de bonne heure les chrétiens leur re- 
prochèrent, comme le fit Jérôme au iv^ siècle, de n'être ni juifs 
ni chrétiens, en voulant être à la fois l'un et l'autre, c Dum volunt 
et Judœi esse et chrisUani, nec Judœi sunt nec christiani. » 
Jérôme, Epist, 89, ad Augustin. 



ÉVAiNGlLES APOCRYPHES JUDAISANTS Î3 

que deis recensions diverses d'un mêma ouvr^gjp, 
Eu définitive ilg trahissent tous une origine com» 
mune, comme le fait remarquer M. Ublhorn *. 
C'est pe que nous montrera Texamen auquel nous 
allomsi soumettre les fragments qui nous en restant. 
Selon toutes les vraisemblances, chacune des sectes 
judaïsantes, en se séparant du tronc commun, em- 
porta avec elle l'Évangile en usage parmi les ju^ 
déo-chrétiens primitifs, et le modifia dans le sens 
de ses principes particuliers. 



Le plus connu, le plus considérable, comme 
aussi le plus ancien des Évangiles apocryphes ju» 
daïsants, celui qu'on peut regarder avec quelque 
vraisemblance, sinon comme la source première 
de presque tous les autres, du moins comme celui 
qui en est le plus près, était écrit en syro-chal- 
déen ^ et était répandu parmi les chrétiens ju- 
daïsants de la Syrie ^ qui s'en servaient comme d'un 

4. Uhlborn, Die Homilien und die Recognitionen, p. 436. 

2. Qaod Chaldaico quidem Syroque sermone, sed Hebraicis 
litteris scriptum est. Jérôme, Adv. Pelagian,, lib. III, c»p. 4. 

3. In Evangelio quod juxla HebreBos Nazaraei légère consue- 
verunt. Origène, Comm, in Ezech., xxiv, T. In Evangelio juxta 
Hebraeos quo utunlur usque hodie Nazareni. Jérônae, Adv, Pela* 



24 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

livre sacré. C'est à ces deux circonstances qu'il 
doit le nom d'Évangile selon les Hébreux, sous 
lequel les Pères de l'Église le désignent *. 

Jérôme, qui en vit d'abord un exemplaire dans 
la bibliothèque formée à Gésarée par Pamphile le 
martyr et qui, plus tard, obtint des Nazaréens de 
Bérée la permission de prendre une copie de cet 
ouvrage, le traduisit à la fois en grec et en latin '. 
Cet Évangile n'était pas cependant resté jus- 
qu'alors inconnu en dehors du cercle étroit des 
Églises judaïsantes. 11 est cité par quelques écri- 
vains ecclésiastiques antérieurs à Jérôme, entre 
autres par Clément d'Alexandrie et par Origène, 
et, comme tous ne connaissaient pas la langue 
dans laquelle il était écrit, il faut supposer qu'il 
en avait été fait de bonne heure des traductions 
grecques, traductions qui n'avaient pas dû se ré- 
pandre au loin ou qui étaient devenues assez rares 
pour rester inconnues à Jérôme, 

Cet Évangile n'est pas parvenu jusqu'à nous," 
mais il nous en reste d'assez nombreux fragments, 
cités par quelques anciens écrivains ecclésiastiques, 

gium, lib. III^ cap. 4 . Cet Évangile, dit Eusèbe^ est en grande 
faveur auprès des Juifs qui ont reçu la foi. Hist, eccL, lib. III, 
cap. 25. 

1. 'Eott-jfYftXiov îca6'*Eêpai&uç, Evangelium juxla Hebraecs. 

2. Jérôme, Catalog. script* ecclesiast,, § 3, Commentar. in 
Esaiam, xi, 3; xl, 14 ; Comm. in Ezech.^ xviii, 7; Adv. Pela- 
gianos, lib. III, cap. 4, 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 25 

et ces fragments nous permettent, jusqu'à un cer- 
tain point, de nous faire une idée de sa tendance 
et de son caractère. 

Disons, d'abord, qu'à en juger par la manière 
dont les anciens écrivains ecclésiastiques le citent, 
ils n'avaient pas la moindre prévention contre sa 
valeur liistorique ; bien loin de là, ils semblent 
tous le tenir pour une bonne source d'information 
sur la vie et sur la doctrine de Jésus-Christ. Jérôme 
lui-même, qui vivait à une époque où la notion de 
canonicité était bien établie, en rapporte des frag- 
ments considérables, sans élever aucun doute sur 
la vérité des faits qui y sont racontés. 

Ignace en a intercalé, dans son Épître aux 
Smyrniens *, un fragment relatif à l'apparition de 
Jésus à ses apôtres après sa résurrection ; il n'irf- 
dique pas l'origine de ce passage, il ne dit pas 
même qu'il l'emprunte à quelque ouvrage alors 
existant 2 : mais en citant le fait qui y est rapporté 
comme certain, il montre qu'il n'avait pas le 
moindre doute sur la valeur historique de cet écrit. 

Clément d'Alexandrie en parle dans les mômes 
termes que des écrits de saint Paul et des livres de 
l'Ancien Testament. J'en fais juge le lecteur. 

4 . Ignace, Épist. ad. Smymios, cap. 3. 

t. On sait que .ce, passage appartient à rËvangile des Hébreux, 
par Jérôme qui nous apprend qu'Ignace Ty avait puisé. Cotai, 
êcriptor. ecclesiast.f § 16. 



?6 ÉTUDES SUR I,ES l5VANGIi.KS 

Après avoir rapporté ce mot de Platon dans le 
Théetôte: « Le commenoement de la vérité (ou 
mieux de la recherche de la vérité) est Tadmira- 
tipn » (o'est-à-dire l'étonnepaent qu'éprouve l'esprit 
çn présence d'un fait considérable), il ajoute : 
¥ lEtt Matthias, en nous disant dans ses traditions : 
Admirez ce qui est devant vous, établit que l'ad- 
miration ast le premier degré pour s'élever ensuite 
^ la connaissance. C'est pourquoi il est écrit pa-^ 
reillament dans l'Évangile selon les Hébreux: 
Gflul qui aura admiré régnera, et celui qui aura 
régné s© reposera *. » 

Origène, qui rapporte aussi quelques passages 
d^ cet Évangile 2, ne paraît pas, il est vrai, le 
plaQ0P mv h même ligne que les Évangiles cano^- 
niques. On voit cependant qu'il en fait grand cas 
^t qu'un grand nombre de chrétiens de .son temps 
l'avaient en haute estime ^ Dans une de ses ho^ 
mélm ^ur saint Jean ^, il se donne JuiTmôme 
biaueoup de mal pour trouver un sens acceptable 
â[ une parole fort singulière de Jésus ^ rapportée 



4. Qlémmi 4'A|âx., Strom,, lit). U, cap. 9, S të. 

2. Qrigèae, dit Jérôme, se sert souvent (]e eet 
Catal. scriptor, ecelesiast,, § 2. 

3. Oa peut le conclure de la manière dont il en parle. 
HomiL XV in Jerem.f dans OrigenU opéra, é^. Huet, t. I, 
p. 448 et t. II, p. 58. 

4. Origenis opéra, t. II, p. 58, elibid,, t. î, p. 448. 

5. Fabricius, Codex apocrypkus N. T., pars 4, p. 364-363. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUÛAISANTS t7 

dans cet Évangile^ ce qu'il n'aurait certainement 
pas fait si ce livre n'avait eu aucune autorité. 

Au IV* siècle, on n'était pas encore d'accord Bur 
la valeur ecclésiastique qu'il convenait de lui recon« 
naître. Eusèbenous apprend qu'il y avait des person-? 
nés qui le plaçaient parmi les antilégomènes, c'est-à-^ 
dire parmi les livres sûr lesquels on n'était pas encore 
fixé et qui flottaient entre les livres canoniques 
et ceux qui étaient tenus pour hérétiques*. 

L'antiquité Me cet écrit ne saurait donc être 
mise en doute. Les citations qu'en font Clément 
d'Alexandrie et Origène ^ prouvent qu'il existait 
au II* siècle, et il faut le faire remonter plus haut, 
si, comme l'assure Épiphane ^ et il n'y a pas lieu 
de récuser son témoignage, il était adopté comme 
Écriture sainte par les disciples de Cérinthe, qui 
le tenaient sans doute de leur maître. Si cet Évan»- 
gile, dont la langue indique une origine palesti« 
nienne, était connu dans l' Asie-Mineure à la fin 
du i*f siècle, on peut en toute assurance en placer 
le moment de la composition vers Tépoque de la 
destruction de Jérusalem, et ce ne serait pas peut- 
être une supposition hasardée que d'adnaettre que 

4. Ëuêèbe, Hist. ecfiles., lib. III, cap. S5. 

i. Je lais^ de c6ië la citation qui en est faite daas l'ëpitra 
d'Ignace aux gnaymiens, l'authenticitë de la plupart des ëeritg 
qui portent le nom de ce Père apostolique étant fortement con- 
testée. 

5. Épiphane, Hœres., nxx, g 3. 



28 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

les chrétieûs, qui peu de temps avant la ruine de 
la cité sainte se retirèrent au delà du Jourdain, 
remportèrent avec eux dans leurs nouveaii?: éta- 
blissements, et le transmirent à leurs enfants 
comme un écrit digne d'être placé à côté des livres 
de l'Ancienne Alliance. 

Si maintenant l'on considère que, d'après une 
tradition très- accréditée dans les premiers siècles 
de l'Église, Matthieu écrivit son Évangile en syro- 
chaldéen *, et que, sur des inductioîis fondées sur 
certains passages de cet Évangile, on est autorisé 
à en placer la rédaction à un moment de quelque 
peu antérieur à la ruine de Jérusalem, on ne 
pourra s'empêcher de soupçonner que notre pre- 
mier Évangile et TÉvangile selon les Hébreux ont 
été, dans le principe, un seul et même ouvrage. 
T^lle . était l'opinion de Jérôme et d'un grand 
nombre de chrétiens de son temps ^. 

Ce Père de l'Église désigne à plusieurs reprises 
l'Évangile selon les Hébreux comme Toriginal 
hébreu de notre premier Évangile canonique *. 

4. Eusèbe, Hist. eccles.y lib. III,. cap. â5 et 40; Ëpiphane> 
Hœres.y xxx, § 3. 

2. Ut plerique aututnant juxta Matthseum. Jérôme, Adv. 
Pelagian., lib. III, cap. 4 ; quod vocatur a plerisque Matthaei 
authenticum, Jérôme, Comm. in Matth,, xii, 43. 

3. Matthsdus, qui et Levi ex publicano apostolus primus in 
Judaea propter eos qui ex circumcisione crediderunt, Evange- 
lium Christi hebraicis litteris verbisque composait, quod qvis 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS fê 

On prétend, il est vrai, que, mieux instruit plus 
tard, il fut moins afflrmatif . On en donne en preuve 
que, dans sa lettre à Hédibie, écrite vers 407, il 
n'indique cet ouvrage que par les mots : « l'Évan- 
gile écrit en hébreu ; >» et on conclut de là qu'il 
n'était plus aussi convaincu qu'autrefois de Tori- 
gine apostolique de cet Évangile. C'est là à mon 
avis une conclusion erronée qui n'est pas du tout 
contenue dans l'expression employée par saint 
Jérôme poar désigner cet ouvrage. Quiconque 
voudra se donner la peine de lire le passage de la 
lettre de ce Père de l'Église, dans lequel il parle 
de cet Évangile « écrit en hébreu, » restera con- 
vaincu que ce qu on veut lui faire dire ici n'est nul- 
lement dans sa pensée. 

Saint Jérôme veut tout simplement faire remar- 
quer que les deux Évangiles de saint Matthieu, celui 
qui est écrit en hébreu et celui qui est en grec, ne 
s'accordent pas sur un fait qui se passa à la mort 
de Jésus-Christ; celui-ci dit que le voile du temple 
se déchira, et celui-là que la pierre du dessus de la 
-porte d'entrée était tombée *. Jérôme ne décide pas 

postea in grsecum transtulerit non satis certum est. Porro ipsum 
Hebraicum babet usque hodie in Gsesariensi bibliotheca quam 
Pamphylus Martyr studiosissime confecit. Jérôme, Catalog. 
scriptor. ecclesiast., § 3. 

4. In Evangelio autem quod hebraicis litteris scriptum est 
legimus non vélum templi scissum, sed superliminare templi 
inagnae magnitudinis corruisse. Epistola ad Hedib.y § 8. 



90 ETUDES AUA LES liVANâlLE:» 

si Tuno de ces deux versions doit être préférée à 
l'autre ; il les explique toutes les deux. S'il désigne 
ici rÊvangile des Nazaréens sous le nom d'Évan- 
gile écrit en hébreu^ c'est parce qu'il le met en 
préfience de l'Evangile de Matthieu écrit en grec^ 
où du moins que, de son temps, on avait dans 
cette langue. Loin de contenir ce qu'on veut y voir> 
dô passage dit donc le contraire ; il nous montm 
clairement que pour saint Jérôme l'Évangilô de 
Matthieu existait à la fois en hébreu et en grec^ 
malgré quelques différences de détail qui se trou<- 
valent entre eux. 

Cette opinion n'est pas particulière à Jérôme. 
Êplphane, dont l'horreur pour tout ce qui tient de 
près ou de loin à Thérésie est bien connue, est 
assez disposé à admettre que les Nazaréens ne sont 
pas dans l'erreur en attribuant leur Évangile à 
l'apôtre Matthieu. « Nous pouvons affirmer comme 
un fait certain, dit-il, que, seul de tous les écri- 
vains du Nouveau Testament, Matthieu a exposé 
l'histoire et la prédication évangélique en hébreu 
et en lettres hébraïques *. » Ailleurs, il est encore 
plus explicite : « Les Nazaréens, dit-il, ont l'Évan- 
gile complet de Matthieu en hébreu, tel qu'il fut 
écrit primitivement. Il est oncore conservé, chez 
eux, en caractères hébraïques. Mais j'ignore s'ils 

\. Épipliane, //<nvs., \\x, ^ 3. 



ÉVAXOILES APOCHVPHKS JIDAISANTS 31 

CD ont retraiiclîé les généalogies qui Tonl 
d'Abraham jusqu'au Christ *. w 

Ces dernières paroles d'Épiphane indiquent évi- 
demment qu'il ne parlait de l'Évangile des Naza** 
réens que d'après ce qu'on lui en avait rapporté^ 
et qu'il ne l'avait ni vu ni^ par conséquent, comparé 
aVec notre premier Évangile canonique, qui étftit 
bien certainement pour lui une traduction exacte 
de l'ouvrage hébreu de Matthieu, ('es deux Évan- 
giles n'étaient pas, en effet, de tous points iden- 
tiques. Il n'est pas possible d'en douter, quand on 
voit que des passages du premier, cités par des 
anciens écrivains ecclésiastiques, la plupart ne se 
retfouvent pas dans le second, et que les autres 
diffèrent, soit dans les détails, soit dans l'ensemble 
de la rédaction, des passages correspondants de 
notre Évangile de Matthieu. La différence entre 
les deux ouvrages s'éteudait-elle plus loin? On nô 
saurait donner une réponse positive à cette question, 
ptdsque nous ne connaissons de l'Évangile àeê 
Nazaréens que les passages cités par des anciens 
écrivains ecclésiastiques, et que ces passages diffé*- 
rent en tout ou en partie du premier de nos Évan- 
giles canoniques. Il y a cependant quelque vrai* 
aemblance qu'ils ne différaient guère entre eux 
que dans ces passages. On ne comprendrait 

4. Êpipbane, Hœres,^ xiit, § 9. ' 



32 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

pas, en eifet, comment Jérôme, qui les avait 
tous les deux sous les yeux, aurait pu prendre 
Tun pour l'original hébreu et l'autre pour la tra- 
duction grecque, si ces écrits n'avaient pas pré- 
senté une ressemblance frappante ; et, d'un autre 
côté, on s'explique facilement que les écrivains 
ecclésiastiques n'aient cité du premier que les pas- 
sages dans lesquels il différait du second; ils 
n'avaient pas des motifs d'en rapporter ceux dans 
lesquels il était identique à ce dernier. 

Peut-on conclure de là que, sauf un certain 
nombre d'interpolations et de modifications intro- 
duites dans le texte primitif, l'Évangile hébreu 
des Nazaréens était l'écrit original, mithenficum^ 
comme dit Jérôme, dont le premier de nos Évan- 
giles canoniques est une traduction grecque? En 
l'absence de ce document important, il serait témé- 
raire d'aller jusque-là ; mais on est du moins auto- 
risé, ce me semble, à placer dans une même classe 
l'Évangile selon les Hébreux et notre Évangile de 
Matthieu, et à les faire descendre l'un et l'autre 
d'une origine commune. Je ne saurais dans tous 
lés cas me ranger à l'opinion de M. Tischendorf, 
qui pense qu on peut soutenir avec une égale vrai- 
semblance, soit que les passages dans lesquels 
l'Évangile des Nazaréens diffère de notre Évangile 
de Matthieu sont des interpolations, soit que les 
passages dans lesquels le premier se rapprochait 



ÉVANGILES APOCRYPHES JIDAISANTS 33 

da second, étaient des empronts faits plus tard à 
celui-ci * ; et la raison sur laquelle je m'appuie, 
c'est que les passages de FÉvangile selon les Hé- 
breux analogues à notre premier Évangile cano- 
nique, devaient, si le jugement do Jérôme et de 
tous ceux qui pensaient comme lui au sujet de cet 
écrit, a quelque sens, former le fond même de cet 
Évangile. Ces deux Évangiles, quoi qu'en dise 
M. Tischendorf, se ressemblaient plus qu'ils ne 
différaient ; autrement, on ne saurait trop le répé- 
ter, on ne comprendrait pas comment les chrétiens 
du IV* siècle, qui pouvaient les comparer, ont pu les 
prendre pour un même ouvrage, quand ils n'avaient 
pas le moindre intérêt à retrouver dans un écrit 
appartenant à une secte hérétique l'œuvre même 
de l'apôtre Matthieu. 

Examinons maintenant les principaux fragments 
qui nous en restent. 



II 



Des vingt passages qu'en citent les anciens écri- 
vains ecclésiastiques, il en est deux qui s'écartent 

4. Hschendorf, de Evangdiorum apomfpkorum origine et 
«m» p. 7. 

3 



34 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

complètement du ton général cle notre premier 
Évangile canonique. 

L'un est celui dans lequel Jésus nomme le Saint- 
Esprit sa mère *. « Dernièrement, dit-il, le Saint- 
Esprit, ma mère, me porta et me mena sur la 
grande montagne du Thabor » ^. Que signifie cette 
expression extraordinaire ? C'est facile à expliquer, 
dit Origène ; quand Jésus appelle son frère, sa sœur 
et sa mère quiconque fait la volonté de son Père 
qui est dans le ciel, il n'y a rien d'étrange qu'il 
puisse à plus forte raison appeler le Saint-Esprit sa 
mère. Cette explication, il faut bien le reconnaître, 
n'a pas grand sens. Celle que propose Jérôme ne 
me paraît pas meilleure. Au moment du baptême 

4 . Dans un livre des Elkësaïles, le Saint-Esprit était égale- 
ment représenté comme un principe féminin, -nr.v ^e ôniXeiav 
xaXsioÔai â-yiov irveupta, Hippoliti 7'efutationes omnium hœresium, 
lib. IX, § 43, éd. Dunker, p. 462. Épiphane le dit également : 
iTvai ^1 xai To à-ytov irveufxa xal auTO ÔïiXeiav. Hœres., XIX, § 4, et 
un, § 1 . D'après Théodoret, il en était de même dans la secte 
des Ophites, ôriXu ^è rb 7uv£uji.a xaXouai, Hœret. fabul.^ lib. I, 
cap. 44. Mais c'était certainement chez les uns et chez les 
autres pour d'autres motifs que dans l'Évangile des Hébreux. Les 
Eikésaïtes appelaient le Saint-Esprit la sœur du Christ : to à-ytcv 
rrveuaa àM^Yiv aùrou. Épiphane, Hœres., Lin, § i. 

2. "Apri sXaêe p.é % [xiÎTYip (xoS to à-^iov Trvsuaa, xai àviQVê'yxE pi eîç 
TO opo; TO p.6-ya 0*€&)p. Origène, Homil. XV in Jeremiam, Dans 
un autre de ses écrits, Origène cite ce passage avec cette addi- 
tion après les mots rh à-Ytov irveujxa èv p.iâ twv Tpixâv [loo. In 
Jok^n, Dans Origenis opéra, éd. Vence, II, p. 58. Et c'est ainsi 
quel e cite Jérôme : Modo tulit me mater mea Spiritus Sanctus 
in uno capillorum meorum. Lib. H Comment, in Mich., vu, 6. 



ÉVANGILES APUCBVPHES JIDAISANTS 35 

(le Jésus, fait observer ce Père, le Saint-Esprit qui 
descendit sur lui l'appela son fils, son fils pre- 
mier-né. Il était donc tout simple que Jésus, en 
parlant du Saint-Esprit qui l'appelle son fils, l'ap- 
pelât de son côté sa mère, le terme par lequel le 
Saint-Esprit est désigné en hébreu étant féminin *. 

On entre bien mieux dans l'esprit de cet Évan- 
gile et des chrétiens au milieu desquels il était 
répandu, en prenant cette expression dans un sens 
figurjé. Les Judéo-chrétiens ne connaissaient pas 
la naissance surnaturelle de Jésus-Christ; ils le 
tenaient pour le fils de Joseph et de Marie ; mais 
ils regardaient sa haute sagesse, sa supériorité sur 
tous les autres hommes et même sur les prophètes, 
comme le résultat d'une influence divine, et c'est 
ce qu'ils exprimaient en disant que le Saint-Esprit, 
mot féminin en hébreu, avait été sa mère ^. Cette 
locution fut ensuite mise tout naturellement dans 
la bouche de Jésus-Christ lui-même dans le pas- 
sage dont il est ici question. 

Il est toutefois vraisemblable que c'est par suite 
de quelque influence des Elkésaïtes sur les Naza- 
réens que ceux-ci considéraient le Saint-Esprit 



4. Jérôme, /i6. IX Comment, in Es., xl, H, et lib. IV 
Comment, in Es,, xi, 2. Fabricius, Codex apoeryphtu N, T., 
pars 4 ♦p. 361-364. 

t. La divinité de Jésus-Christ^ par Aib. Rêvilie, dans la Revue 
germanique^ t. XXX, p. 18. 



36 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

comme un principe féminin. Mais l'emprunt ne 
fut que partiel. Les Elkésaïtes avaient fait proba- 
blement du Saint-Esprit un principe féminin , 
parce qu'ils le tenaient pour le second terme, le 
terme féminin d'une syzygie dont le Christ était le 
terme premier et masculin. Les Nazaréens qui n'a- 
doptaient pas la théorie des syzygies, trop métaphy- 
sique pour eux, prirent ce principe féminin, non pour 
la sœur du Christ, mais pour la mère de Jésus. 
Le second de ces deux passages est celui que 
.rapporte Clément d'Alexandrie, en le comparant 
avec une parole de Platon dans le Théétète. 
«c Celui qui admirera, aurait dit le Seigneur, ré- 
gnera, et celui qui régnera se reposera*. » Que 
ces paroles niaient rien de commun avec celles du 
philosophe grec, c'est ce qui ne peut pas même 
être mis en question ; mais en l'absence de ce qui 
les amenait et de ce qui les suivait, on ferait de 
vains efforts pour en déterminer le sens. 

Ces deux passages sont des interpolations évi- 
dentes, quoique aucun des trois anciens écrivains 
ecclésiastiques qui les citent, n'en mette en doute 
l'authenticité. A quelle époque ont-ils pu être in- 
troduits dans TÉvangile selon les Hébreux? Le pre- 
mier peut-être de bonne heure, et le second, qui a un 
certain reflet gnostique, au moment où la gnose 

4 . *0 Oaupiaooiç paoïXeuoii, '^l'^pàirrat, ma 6 PaoïXiuaa; wtoL^noLÙotrai, 
'élément d'Alex., Strom,, lib. I, cap. 9, § 45. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 37 

pénétra parmi les Nazaréens, probablement vers le 
miliea du second siècle. 

Deux ou trois autres passages ne se trouvent 
pas non plus dans notre Évangile de Matthieu ; 
mais ils se distinguent des précédents par un ca- 
ractère pratique bien marqué ; ils rentrent par là 
dans Tesprit général de notre premier Évangile 
canonique. D'après l'un de ces passages, Jésus 
aurait déclaré que contrister l'esprit de son frère 
est un des plus grands crimes *, et, d'après un 
autre, il aurait recommandé à ses disciples de 
n'être satisfaits qu autant qu'ils regardaient leurs 
frères avec charité ^. Ces préceptes sont en par- 
faite harmonie avec l'enseignement du Seigneur. 
11 n'y a, par conséquent, point d'inconvénient à les 
lui attribuer. La tradition avait pu en conserver le 
souvenir ; les Nazaréens crurent convenable de les 
insérer dans leur Évangile. 

D'autres passages de cet Évangile contiennent des 
détails inconnus à l'Évangile de Matthieu. Dans l'un 
d'eux il était rapporté que l'homme dont la main atro- 
phiée fut rendue saine par Jésus ^, était un maçon *, 

4 . Inler maxima ponitur crimina qui fratris sui spiritum con- 
tristaverit. Jérôme, Comm, in Ezeeh., xwi, 7. 

2. Nunquam laeti sitis nisi cum fratrem vestrum videritis in 
charitale, Jérôme, Comm. in Ephes., v, 4. 

3. Matth.,\\ni, 46. 

4. Homo iste qui aridam habet manum in Evangelio qao 
utuntur Nazaraei cœmentarius soribitur, Jérôme. Comm, in 



3îî ËTIIDES SIK LES ÉVANGILES 

et dans un autre, que Barrabas S que l'Évan- 
gile de Matthieu (xxvii, 16) se contente de pré- 
senter comme un prisonnier insigne, avait été 
condamné pour sédition et homicide ^, ce qui nous 
montre en lui un de ces Israélites exaltés qui 
avaient levé l'étendard de la révolte contre la do- 
mination romaine, et nous explique en même temps 
l'intérêt des Juifs en sa faveur. On peut encore 
ici admettre que ces détails, conservés piar la tra- 
dition, étaieût conformes à la vérité historique. 

Mentionnons encore parmi les passages de 
l'Évangile selon les Hébreux, qui ne font pas 
partie de notre premier Évangile canonique, 
« l'histoire d'une femme accusée auprès du Sei- 
gneur de plusieurs crimes, » ce sont les expres- 
sions d'Eusèbe ^. Quelle était précisément cette 
histoire ? On n'en sait rien, ce passage n'étant cité 

Matth.^ xu, 13. Cet Évangile rapporte le discours par lequel cet 
homme invoqua la compassion du Seigneur. 

1 . Cet Évangile donne l'explication étymologique du nom de 
Barrabas : Filius magistri eorum intrepretatur, Jérôme, ibid., 
xxvn, 16. Cette explication était probablement dans le principe 
une glose marginale qui passa ensuite dans le texte. Sur Ja valeur 
de cette étymologie, voy. Hilgenfeld, Zeitsch. der wissensch, 
Theolog., 1863, p. 369 et 370. 

S. Qui propter seditionem et homicidam fuerat condemnatus, 
Jérôme, Comm. in Matth:, xxvii, 16. 

3. Eusèbe raconte que Papias avait exposé l'histoire d'une 
femme qui avait été accusée auprès du Seigneur de plusieurs 
crimes. Cette histoire, ajoute-t-il, se trouve dans l'Évangile selon 
les Hébreux. HîM. ecdes,, lib. III, cap. 40. 



LVANliiLES APOCKYPHES JUDAISANTS 39 

textuellement par aucun des anciens écrivains ec^ 
clésiastiques; mais on suppose généralement qu il y 
était question de la femme adultère, dont il est parlé 
dans l'évangile de saint Jean (viii, 3-11), et un 
grand nombre de critiques admettent même que ces 
neuf versets qui ne faisaient pas partie primitive- 
ment de notre quatrième Évangile canonique et qui 
paraissent y avoir été ajoutés au iv® ou au v® siècle, 
furent empruntés à l'Évangile selon les Hébreux. 
Ce n'est là toutefois qu'une conjecture, mais elle 
n'est pas sans quelque vraisemblance. 

Les passages communs à l'Évangile des Naza- 
réens et à l'Évangile dé Matthieu ne sont jamais 
entièrement identiques. Quelques-uns ne dijffèrent 
que par quelques mots qu'on peut prendre pour des 
variantes ; d'autres se distinguent par la forme 
même de la rédaction. 

Pour les premiers, il se présente cette particula- 
rité fort remarquable, que les leçons de l'Évangile 
selon les Hébreux sont en général préférables à , 
celles de notre premier Évangile canonique. Tel est 
le sentiment de Richard Simon. Jérôme semble 
en avoir jugé de même. En voici deux exemples. 

Le verset 1 1 du chapitre vi de saint Matthieu a 
été traduit par la Vulgate : « Panem nostrum su- 
persubstantialem da nobis hodie. » (Donne-nous 
aujourd'hui le pain nécessaire à notre existence). 
« Ce que nous exprimons, dit Jérôme, par super-" 



iO ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

suhstantialem est exprimé en grec par èTctoudtov, > 
mot obscur, fait observer, non sans raison, Ri- 
chard Simon. Dans l'Évangile selon les Hébreux 
se trouvait, au rapport de Jérôme, un mot syro- 
chaldaïque qui signifie « du lendemain. » En 
adoptant cette leçon, on aurait ici : ^ Donne-nous 
aujourd'hui notre pain du lendemain, » c'est-à-dire 
de chaque jour * ; c'est ainsi qu'avait traduit l'an- 
cienne Vulgate; les versions françaises protes- 
tantes ont également : « Donne -nous aujourd'hui 
notre pain quotidien 2. » 

Dans Matthieu, xxiii, 35, Jésus-Christ repro- 
chant aux Juifs les maux dont ils ont accablé 
les prophètes, les déclare responsables « du 
sang répandu depuis Abel jusqu'à Zacharie, 
fils de Barachie, qui fut tué entre le temple 

4. Quod nos supersubstantialem expressimus, in graeco habe- 
tur ÈTTiouatov... In Evangelio quod appellatur sécundura Hebrseos, 
prosupersubstantialipanereperi inD quoddiciturcrastinum, id 
est, futurum da nobishodie. Jérôme, Comm. in Matth,, i, 6. Ricb. 
Simon, Hist, critiq. du texte du Nouveau Testament, p. 76-77. 

2. « Noire pain quotidien » n'est pas certainement une tra - 
duction exacte de tôv àpxov inp.wv tôv êwioomov. Sans s*en douter, 
les traducteurs protestants ont suivi la leçon qui paraît la meil • 
leure. Pourquoi l'auteur de la traduction grecque de Matthieu, 
qui forme le premier de nos Évangiles canoniques, a-t-il rendu 
inD crastinum par tov ewicûaiov? probablement par suite de quel- 
que fausse vue spiritualiste. Se souvenant de la déclaration du 
Seigneur que Thomme ne vit pas de pain seulement, il aura cru 
que Jésus-Christ avait enseigné à ses disciples, non pas à de- 
mander à Dieu la nourriture corporelle, mais à Timplorer pour 
la nourriture spirituelle^ supersubstantielle. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 41 

et Tautel. > Qui est ce Zacharie, fils de Ba- 
rachie? Si ces derniers mots ne sont pas une 
interpolation, il ne saurait être question de ce Za- 
charie, fils de Baruch ou Barachie, que les 
zélotes, emportés par leur fureur religieuse, mas- 
sacrèrent dans le temple ', peu avant le siège de 
Jérusalem. C'est donc au prophète Zacharie, men- 
tionné dans 2 Chroniq.^ xxiv, 20, que pensait 
Jésus-Christ ^ ; mais ce Zacharie était fiOis, non de 
Barachie, mais de Jojada. Et c'est précisément de 
Zacharie, fils de Jojada, qu'il est question, d'après 
le -témoignage de Jérôme, dans l'Évangile selon 
•les Hébreux ^ Cette leçon, dit Richard Simon, est 
confirmée par ce qui est rapporté de ce person- 
nage dans le Vieux Testament *. 

II faut également reconnaître que pour deux 
des passages de la seconde catégorie, c'est-à-dire 
des passages qui nous présentent les mêm^s faits, 
mais dans des rédactions différentes, la supério- 
rité du récit -et peut-être aussi la vraisemblance 
des détails ne sont pas du côté de l'Évangile cano- 



4. Josèphe, de Bello judako^ lib. iv, cap. 5, § 4. 

2. A. moins qu'on ne préfère admettre avec Hug que Jésus 
parlait ici, par prophétie, d'un événement futur, Hug. Einleit^ 
in dos N. T., 1. 11^ p. 44 et suiv. 

3. In EvangeHo quo utunturNazareni,pro filio Barachiae, filium 
Jojadae reperimus scriptum, Jérôme, Comm. in Matth.^ xxiii, 
35. 

4. Rich. Simon, HisU critiq, du texte du N. T., p. 85. 



42 iiïUDKS SUR LES ÉVANGILES 

nique. Pour en faire juge le lecteur, je vais rap- 
porter ces deux fragments, en les mettant en re- 
gard des passages correspondants de Matthieu. 

MATTHIEU, XVU, ti ET SISI. EVANGILE SELON LES HÉBREUX^* 

Alors Pierre s'approchant lui Si ton frère a péché en pa- 

dit : Seigneur, jusqu'à combien rôles conlre toi et qu'il te donne 

de fois mon frère péchera-t-il satisfaction, pardonne-lui sept 

contre moi et lui pardonnerai- fois par jour. — Sept fois par 

je ? Sera-ce jusqu'à sept fois? jour! lui dit Simon, son dis- 

Et Jésus lui répondit : Je ne ciple. — Le Seigneur répondit 

dis pas jusqu'à sept fois, mais en disant : Je te dis môme jus- 

jusqu'à sept fois soixante-dix qu'à soixante fois dix-sept fois '^ 
fois*. 

Le récit de l'Évangile apocryphe a certaine- 
ment plus de vivacité et de naturel que celui de 
rÉvangile canonique; il est vrai que le précepte y 
a moins d'élévation, par suite de ces deux restric- 
tions, qu'il n'est question dans le premier que des 
offenses, en paroles et non pas des offenses de 
toutes sortes -comme dans le second, et qu'il y est 
supposé que le préjudice porté à l'offensé est ra- 
cheté déjà par une réparation. 11 ne serait pas im- 
possible, toutefois, que les mots « en paroles » et 
« te donne satisfaction > ne fussent des additions 
au texte primitif. 

1. Jérôme, Adv, Pelag., lib. ï^ cap. 3. 

2. Le récit parallèle de Luc, xvii^ 3 et 4, est plus coulant et 
plus naturel, mais moins accentué que celui de Matthieu. 

3. Voyez dans l'appendice n» 1 . 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUûAlSAxXTS 



43 



MATTHIEU, XIX, 16-24. ÉVANGILE SELON LES H JÉBREUX*. 



Voici que quelqu'un s*appro- 
chanl lui dit : Maître qui es bon, 
quel bien ferai-je pour avoir la 
vie éternelle ? 11 lui répondit : 
Pourquoi m'appelles -tu bon? 
Dieu est le seul Maître qui soit 
bon. Que si tu veux entrer dans 
la vie, garde les commande- 
ments. Il lui dit : Lesquels ? Et 
Jésus lui répondit : Tu ne tueras 
point ; tu ne déroberas point; tu 
ne commettras point adultère; 
tu ne diras point de faux témoi- 
gnage; honore ton père et ta 
mère, et tu aimeras ton pro- 
chain comme toi-môme. Le 
Jeune homme lui dit : J'ai gardé 
toutes ces choses dès ma jeu- 
nesse. Que me manque-t-il en- 
core ? Jésus lui dit : Si tu veux 
être parfait, va, vends ce que 
tu as et le donne aux pauvres, 
et tu auras ton trésor dans le 
ciel ; puis, viens et me suis. 

Mais quand le jeune homnfe 
eut entendu cette parole, il s'en 
alla tout triste, parce qu'il avait 
de grands biens. Alors Jésus 
dit à ses disciples : Je vous dis 
qu'un riche entrera difficile- 
ment dans le royaume des 
cieux. Je vous le dis encore : il 
est plus aisé qu'un chameau 



Un autre homme lui dit : 
Maître, que dois-je faire pour 
vivre? Il lui dit : Homme, ac- 
complis la Loi et les Prophètes. 
Celui-ci lui répondit : Je les ac- 
complis. Il lui dit : Va, vends 
ce que tu possèdes, distribue- 
le aux pauvres, puis viens et 
suis-moi. 

Le riche se mit alors à se 
frapper la tète, car cela ne lui 
plaisait pas. Et le Seigneur lui 
dit : Gomment dis-tu que tu 
accomplis la Loi et les Pro- 
phètes? Il est écrit dans la Loi : 
Tu aimeras ton prochain comme 
toi-même, et voici un grand 
nombre de tes frères, fils d'A- 
braham, gisant dans la pous- 
sière et mourant de faim, tan- 
dis que la maison regorge de 
biens et qu'il n*en sort rien 
pour eux. 

Et, se tournant, il dit à Si- 
mon, son disciple, assis auprès 
de lui : Simon, fils de Jean, il 
est plus facile à un chameau de 
passer par le trou d'une aiguille 
qu'à un riche d'entrer dans le 
royaume des rieux ^. 



1. Origène, Homil. VIIl in MattL^ dans Origenis opéra, 
I. m, p. 21. 
S. Voyez dans l'appendice n» 2. 



44 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

passe par le trou d'une aiguille, 
qu'il ne l'est qu'un riche entre 
dans le royaume de Dieu. 

La comparaison de ces deux récits n'est pas fa- 
vorable à -celui de l'Évangile canonique. Celui-ci 
contient plus d'un trait qu'on pourrait accuser de 
manquer de vraisemblance historique. Il n'est nul- 
lement probable qu'il y eût un seul Juif qui eût 
besoin de demander,^ comme le fait ici le jeune 
homme riche, quels commandements il avait à 
observer pour avoir la vie éternelle. Le Décalogue 
était dans la mémoire de tous les enfants d'Israël. 
Le récit de l'apocryphe est en outre bien mieux 
enchaîné. Le reproche motivé que le Seigneur 
fait au riche est très-propre à lui faire sentir qu'il 
s'abuse lui-même en croyant observer la Loi, et 
amène fort naturellement la déclaration sur la 
diflSlculté du salut pour les riches. Enfin, en fai- 
sant adresser cette déclaration à Simon, dans une 
sorte d'aparté, ce récit se colore d'une teinte de 
douceur en harmonie avec le caractère de Jésus et 
tranche avec le ton de rudesse qui, dès les pre- 
miers mots, se remarque dans les paroles que Mat- 
thieu met dans la bouche du Seigneur. 

Il faut enfin citer trois autres passages de 
l'Évangile selon les Hébreux qui, tout en se rat- 
tachant par le fond à la tradition des Évangiles 
synoptiques, s'en écartent dans des détails impor- 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 45 

tants. Le premier et le second rapportent des appa- 
ritions de Jésus ressuscité, l'une à Jacques et l'au- 
tre aux apôtres réunis ; le troisième est relatif au 
baptême de Jésus par Jean-Baptiste. 

Voici le premier tel que le rapporte Jérôme : 
« Lorsque le Seigneur eut remis son suaire au 
serviteur du prêtre, il alla vers Jacques et lui ap- 
parut. Jacques avait fait serment de ne plus man- 
ger du pain, du moment qu'il avait bu la coupe 
du Seigneur, jusqu'à ce qu'il le vît ressuscité des 
morts. Apportez la table et le pain , dit le Sei- 
gneur. Puis il prit le pain, le bénit, le rompit et 
le donna ensuite à Jacques le Juste, en lui disant : 
Mon frère, mange ton pain, puisque le Fils de 
l'Homme est ressuscité du milieu de ceux qui 
dorment * » 



4. Jérôme, Catal. scriptor, ecclesiast.f § S. La Légende dorée 
reproduit ce passage presque Uttéralement. « Après la passion 
du Seigneur, y est-il dit, Jacques fit vœu de ne pas manger jus- 
qu'à ce qu'il eût vu son maître ressuscité d'entre les morts, et 
le jour de la résurrection, comme il n'avait jusque-là pris aucune 
nourriture, le Seigneur lui apparut, et il dit à ceux qui étaient 
avec Jacques : « Dressez la table; et prenant ensuite un pain, il 
le bénit et le donna à Jacques le Juste, disant : Lève*toi^ nron 
frère, et mange, car le Fils de Thomme est ressuscité d'entre 
les morts : » La Légende dorée par Jacq. de Voragine, trad. par 
Gust. Brunet, t. H, p. 400. Le récit de cette apparilipn de 
Jésus-Christ ressuscité à Jacques le Juste, est rapporté par 
Grégoire de Tours, HisL eccles. Francorum, lib. I, cap. 24, et 
par bien d'autres écrivains ecclésiastiques latins. Je ne crois pas 
qu'il ait été connu des Grecs. 



46 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Il s'agit ici, non pas de Jacques Tapôtre, frère 
de Jean, mais, comme le fait remarquer Jérôme 
et comme d'ailleurs le récit l'indique lui-même, de 
Jacques, le frère du Seigneur. La tradition des 
chrétiens judaïsants le mettait au-dessus des 
apôtres. Dans les Clémentines, il est appelé le 
Prince des Évêques, l'Archevêque ^ . Il avait été 
surnommé le Juste. Hégésippe, qui était lui- 
môme un judaïsant, nous montre en lui le mo- 
dèle achevé des ascètes. Il se tenait presque con- 
tinuellement dans le temple, jeûnant fréquemment, 
priant presque sans cesse ^. Il n'est pas douteux 
que cette légende n'ait été insérée dans l'Évan- 
gile des Nazaréens, pour honorer sa mémoire. 
Mais d'un autre côté il est incontestable qu'elle 
remonte aux premiers temps du christianisme. 
C'était un fait universellement admis parmi les 
chrétiens, déjà du temps de saint Paul, que le Sei- 
gneur, après sa résurrection, était apparu à Jac- 
ques, avant de se montrer à ses Apôtres ^. 

Le second de ces passages est un récit de la pre- 
mière apparition de Jésus-Christ ressuscité à ses 
apôtres réunis. « Quand il fut venu près de ceux 
qui étaient avec Pierre, il leur dit : Prenez, tou- 

1. Episcoporum princeps, archiepiscopus, Recognitiones, 
lib. I, cap 45, 58,-73; lib. IV, cap. 35; HomiL XI, § 35. 

2. Jérôme, ihid., § 2; Eusèbe, Hist, eccles.y lib. Il, cap. 23; 
lib, IV, cap. 22. 

3. 1 Corintli., xv, 7. i 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 47 

chez-moi, et voyez que je ne suis pas un esprit 
incorporel. Et aussitôt ils le touchèrent et ils cru- 
rent * . » Ignace, qui rapporte ces paroles, ne dit 
pas à quelles sources il les prend ; mais Jérôme 
nous apprend qu'elles se trouvaient dans l'Évan- 
gile des Hébreux. Saint Matthieu ne raconte rien 
de semblable; mais Luc rapporte ce fait, quoique 
avec des différences considérables. Le Seigneur 
ayant paru au milieu de ses disciples, ceux-ci 
s'imaginèrent voir un esprit. Jésus leur dit alors : 
« Pourquoi vous troublez- vous? et pourquoi s'é- 
lève-t-il tant de pensées dans votre esprit? Voyez 
mes mains et mes pieds; c'est moi-même. Tou- 
chez-moi et regardez-moi bien. Un esprit n'a ni 
chair ni os, comme vous voyez que j'en ai 2. » Évi- 
demment ce récit, plus complet e1^ mieux suivi que 
celui de l'Évangile des Hébreux, lui est posté- 
rieur; mais il dérive d'un autre courant de la 
tradition ; car, tandis que, dans cet Évangile, 

1 . Kai ÔTt «poç Toùç ffgpi OeTÇov -JXÔev Içyi aùroiç* Xàêere, ^Xa^art 
U.E, xat i^ers, ^ti eux tly.i S'aifi.ovicv àtrcd^arov. xal eu6ù; aùrcu ri^OLYço jcat 
tirioreûffav. Ignace. EpistoL ad Smyrn., cap. 3. Jérôme rapporte 
ce passage en ces termes : Et quando venit ad Petrum et ad eos 
qui cum Petro erant, dixit eis : Ecce palpate me et videle quia 
non sum daemonium incorporale. Et statim teligerunt eum et 
crediderunt. U dit que ces paroles rapportées par Ignace sont 
prises de Evangelio quod nuper a me translalura est. De Script, 
ecclesiast.^ § 16. Eusèbe, Hist. eccles., 1 b. III, cap. 37, cite 
ces passages d'après Ignace. 

2. Lwc, XXIV, 36 40. 



48 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

les apôtres sont immédiatement convaincus, d'après 
Luc, ils ne crurent pas encore et eurent besoin , 
pour se persuader qu'il n'était pas un esprit, de le 
voir manger . 

Le troisième passage est encore plus digne d'at- 
tention. Tandis que l'Évangile de Matthieu dit 
seulement que « Jésus vint alors de Galilée au 
Jourdain vers Jean, pour être baptisé par lui 2, » 
l'Évangile selon les Hébreux, plus explicite en- 
core, raconte, de la maniera suivante, une scène 
qui aurait précédé cet événement. 

« Voici, la mère et les frères du Seigneur lui 
dirent : Jean-Baptiste baptise en rémission dés 
péchés ; allons nous faire baptiser -par lui. ' 
Mais il leur dit : Quel péché ai-je commis pour 
aller me faire baptiser par lui, à moins peut-être 
qu'en vous disant cela je ne sois dans l'igno- 
rance^? » 

Gomment l'Évangile selon les Hébreux expli- 
quait-il que Jésus, après cette déclaration formelle, 
avait pu se décider à aller recevoir le baptême de 
Jean? on l'ignore; mais il est probable qu'il le faisait 
enfin céder aux sollicitations de sa mère; telle 
est du moins la tradition que rapporte un autre 
écrit apocryphe, connu sous le nom de Prœdicatio 

4. Luc, XXIV, 44-43. 

3. Jérôme. Adv, Pelagianos, lib. III, cap. %. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 49 

PauU, la Prédication de Paul *. On peut, dans tous 
les cas, se rendre compte de l'origine de cette lé- 
gende . Lespremiers chrétiens durent trouver étrange 
que Jésus, dans lequel il n'y eut jamais l'ombre même 
d'un péché 2, quisolus omnino nihil deliquit, comme 
dit Cyprien, se fût soumis au baptême de Jean qui 
était administré uniquement pour la rémission des 
péchés. Ils craignirent peut-être que les adversaires 
du christianisme ne découvrissent là quelque pré- 
texte de mettre en question la complète impecca- 
bilité du Seigneur; peut-être même les Juifs 
avaient-ils déjà fait usage de cet argument contre 
un des points essentiels de la foi chrétienne. On 
crut faire disparaître toutes les difficultés, en racon- 
tant que Jésus ne s'était soumis au baptême de la 
rémission des péchés que par condescendance pour 
sa mère et qu'après avoir solennellement déclaré 
que d'ailleurs il n'en avait pas besoin. 



III 



L'Évangile selon les Hébreux n'était pas connu 
sous ce nom des chrétiens judaïsants qui en fai- 

1. Ad accipiendum Joannis baptisma psene invitum a Matre 
sua Maria esse compulsum. Cypriani opera^ éd. Rigalt, p. 142. 

2. 2 Corinth., v, 21 ; Hébreux, iv, 15; i Pierre, 11, 22. 

4 



80 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

saient usage. Il lui fut donné par Clément d'A- 
lexandrie, par Origène, par Jérôme, en général 
par les écrivains ecclésiastiques. Ils le désignèrent 
de ce nom, parce qu'il n'avait cours que dans les 
Églises chrétiennes composées des descendants des 
Hébreux qui avaient, dans les premiers temps, 
embrassé le christianisme. Ceux-ci le désignaient 
sous le titre d'Évangile selon les apôtres, EùaYyiXiov 
îcaTà Toù^ âTcooTToXouç, ou l'Évangile selon les douze, 
Eùayy^iov xaxk toùç ^wSejca ^ . « Lessing, le pre- 
mier, fit remarquer que, d'après les autorités pre- 
mières dont on croyait qu'il reproduisait les récits, 
il était appelé l'Évangile des apôtres, et d'après 
les premiers lecteurs auxquels il avait été destiné. 
Évangile des Nazaréens ou des Hébreux, deux 
noms qui reviennent sans cesse sous la plume des 
plus anciens Pères pour désigner un seul et même 
écrit 2. » Saint Jérôme affirme d'ailleurs ce fait. 
« L'Évangile dont se servent les Nazaréens est 
aussi appelé, dit-il, l'Évangile selon les apôtres^. » 

4 . Ce titre n'était pas inconnu aux anciens écrivains ecclésias- 
tiques : Aliud juxta duodecim apostolos. Origène, HomiL I in 
Luc. Evangelium duodecim apostolorum. Jérôme, Proœm. in 
commsntarm $up, Matth. 

â. Strauss, Nouvelle vie de Jésus, trad. franc., t. I, p. 402; 
Hilgenfeld, Zeitschrift fur wissenschaftl. Théologie, 1863, 
p. 352. 

3. Jérômç, Advêrs. Pelagîanos, lib. III, cap. 4 ; Théophifeste, 
Ad S. Lucam proœmium; Fabricius, Codex apocryph* novi Tes- 
tam,, pars 1, p. 339 et 340. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 5i 

Cet Évangile des apôtres ne S6rait«îl pas celai 
que Justin Martyr cite sous le nom de Mémoires 
ou Mémorables des apôtres ^ ? L'analogie des titres 
pourrait déjà le faire croire ; ce serait peu cepen- 
dant, si des faits qu'on ne peut contester ne venaient 
changer cette présomption presque en certitude. 

Sur plusieurs points de l'histoire évangélique, 
Justin Martyr s'écarte des textes des Évangiles 
canoniques. On a prétendu, il est vrai, que ces di- 
vergences pouvaient s'expliquer par la 'supposi- 
tion que cet écrivain citait de mémoire les livres 
sacrés. Rien n'est moins certain toutefois. On peut 
remarquer, en effet, que deux ou trois de ces pas- 
sages dans lesquels il diffère de nos Évangiles 
canoniques, reviennent plusieurs fois dans ses 
écrits et toujours sous lar môme forme ^. Ne se- 
rait-il pas bien étrange que la mémoire lui eût 

4. Par analogie des Mémorables de Socrate par Xënophon, 
Justin Martyr emploie les mômes termes que 1 écrivain grec. 

À?7cp.vViU.cv6U{ji.aTa tûv ÀiroarcoXuv, dit l'un; kiïO\urfi^%ù\Mf.T9, SttXfflc- 

Tou;, dit Tautre. L'Évangile dont se sert Justin Martyr ne portait 
pas certainement ce titre. Il dit lui-môme- qu'il s'appelait un 
Évangile ou des Évangiles : Év tcI; ^6vo(jLsvaç (m* aitxm «irG{i.vYi[xovE6- 
(xaciv, â îcaXsÎTai Eùa-Y^éXia. Justini Martyris opéra, p. 98, A. 
Mais parlant à des païens auxquels ce mot d'Évangile n'était pas 
familier et ne présentait pas d'idée précise, il se servit, sans le 
moindre doute^ à l'imitation de Xénophon, du mot d'àiTopTi|Ao- 
ve6p.aTa, qui leur était connu, pour leur faire comprendre qu'il 
s'agissait- du livre dans lequel était exposée l'histoire évangé- 
lique telle que les apôtres l'avalent racontée. 

2. Justin Martyr, Opéra, éd. de Cologne : 2« Apol, p. 64, et 
Dialog, cum Tryph., p. 301. — - Dialog, mm Tryph,, p. Î53, et 



5S ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

fait défaut chaque fois sur ces passages, et toujours 
de la môme manière ? 

Admettons cependant qu'il ait cité de mémoire 
les documents sacrés qu'il possédait. L'explication 
qu'on prétend tirer de ce fait n'y gagne rien. Les 
différences qui se remarquent entre les citations 
de Justin Martyr et les Évangiles canoniques, 
portent les unes simplement sur des mots, les au- 
tres sur des faits. Les premières, les différences 
de mots, peuvent bien s'expliquer par une défail- 
lance de la mémoire; il n'en est pas de même des 
secondes. On comprend, en effet, qu'en citant de 
mémoire un auteur^ on emploie d'autres expressions 
que celles dont il s'est servi. Mais si Ton rapporte 
d'autres faits que ceux dont il parle, ou si l'on 
ajoute à des faits qu'il a mentionnés, des détails 
nouveaux dont il ne dit rien, il ne peut plus être 
question d'un défaut de mémoire-; il faut nécessai- 
rement admettre qu'on a puisé autre part. Et c'est 
le cas pour Justin Martyr. 

Quand Matthieu et Luc racontent que Jésus est 
né à Bethléhem, que ce dernier, plus précis, dit 

2e Apol, p. 64. — Didog. cum Tryph., p. 326, et 2» ApoL, 
p. 95 et 96. — Justin Mafrtyr dit cinq ou six fois que les mages 
étaient de TArabie : Oî eÇ Àpaêîaç i^a-yot ou (jwx-yoi àwb Àpaêîa;, Dia' 
log. cum Tryph,^ p. 303, 315, 328, 330, 334, etc. Dans Mat- 
thieu, le seul des évangélistes canoniques qui en parle, il est dit 
en termes plus vagues qu'ils étaient de l'Orient : Mà^oi àTPo àva- 
ToXwv, itfaWfe., II, 1. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 83 

que ce fiit dans une hôtellerie de cette ville, et que 
Justin Martyr rapporte que le Seigneur est né dans 
une caverne aux environs de Bethléhem, on se 
trouve en présence d'une divergence qui ne saurait 
s'expliquer par une défaillance de mémoire et qui 
trahit des sources historiques diiFérentes. 

Quand l'écrivain ecclésiastique nous apprend 
qu'au moment où Jésus, après son baptême, sortit 
de l'eau, il se montra une grande lueur, et que les 
écrivains sacrés ne disent rien de ce fait, trop re- 
marquable sans doute pour qu'ils n'en eussent 
pas parlé s'ils l'avaient connu, il y a là encore une 
divergence dont aucune défaillance de mémoire ne 
saurait rendre compte. 

Si Justin Martyr avait dit moins ou en d'autres 
termes que les Évangiles canoniques, j'admettrais 
que, quoiqu'il s'en écarte, il les cite néanmoins. 
Mais quand il dit plus, quand il rapporte d'autres 
circonstances, il ne reste qu'à reconnaître qu'il 
puisait ses informations à d'autres sources, et tous 
les doutes disparaissent, quand on voit que des do- 
cuments anciens, que Justin Martyr a certainement 
connus, rapportent les faits sur lesquels il s'écarte 
des Évangiles canoniques, exactement comme il 
les raconte lui-même. 

Ces livres sont les Évangiles judaïsants et en 
particulier l'Évangile des apôtres. 

Je viens de dire que, d'après Justin Martyr, 



54 ÉTUDES SUR LES ÉVAxNGlLES 

Jésus naquit dans une caverne aux environs de 
Bethléhem ^ Nous n'avons pas le passage de 
l'Évangile des apôtres relatif à cet événement ; 
mais on est fondé à croire que c'est dans une ca* 
verne, auprès de Bethléhem, que Jésus naquit, 
d'après cet Évangile. Cette légende, en effet, très- 
répandue dans les premiers siècles de l'Église, et 
recueillie dans la plupart des Évangiles de l'En- 
fance ^, ne s'est formée ni dans le parti moyen ni 
dans le parti anti-judaïsant. Le premier avait un 
autre récit de la naissance du Seigneur ; c'est celui 
qui est consigné dans les Évangiles de Mat- 
thieu et de Luc, et d'après lequel Jésus naquit à 
Bethléhem même, dans une hôtellerie de cette 
ville ^. Le second, par suite de ses opinions théo- 
sophiques qui lui faisaient voir dans la matière la 
cause ou la source du mal, faisait du Christ une 
sorte d'être métaphysique, en écartait tout ce qui 
l'aurait rattaché aux conditions ordinaires de 
l'existence humaine et en conséquence ne parlait 
pas de sa naissance. On arrive ainsi par élimina* 
tion à regarder cette légende comme particulière 
aux chrétiens judaïsants. 

1 . E¥ aiTYiXaîw nvl oûve-pfoç ttç xwjAyiÇ xaTsXuoe. Dialog. cum 
Tryph,, § 78. Justini Martyris opéra, p. 303 et 304. 
^ 2. Protèvang,^ chap. 48. Évang, arabe de V Enfance^ chap. 2. 
Évangile de la naissance de la Vierge et de V enfance du Sauveur 
chap. 13. 

3. Matth., Il, 48; Luc, ii, 4-7. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 55 

C'est parmi eux, en effet, qu'on la trouve ré- 
pandue. Elle fait partie des traditions recueillies 
dans les Évangiles de l'Enfance, et ces traditions, 
originaires de la Syrie, s'étaient formées au 
milieu des judéo-chrétiens. 11 n'est pas difficile' 
d'ailleurs d'en découvrir l'origine. Elle est une 
imitation évidente d'une légende semblable rela- 
tive à Abraham. D'après les traditions juives, ce 
patriarche était né dans une caverne ^ Les ju- 
déo-chrétiens firent naître aussi Jésus-Christ dans 
une caverne, voulant ainsi mettre en parallèle 
la naissance du Père des chrétiens et celle du 
Père des croyants \. Cette légende était-elle rap- 
portée dans l'Évangile des apôtres? C'est probable. 
Dans tous les cas, elle était répandue parmi les 
judéo-chrétiens, et c'est par eux que Justin Martyr 
avait été initié au christianisme. 



1. Beer, Lehen Abraham*s nach Auffasmng der judischen 
Sagen, p. 2 et 3. 

2. Ce n'est pas la seule tradition chrétienne qui offre des res- 
semblances avec les légendes juives relatives à Abraham. L'en- 
fance de ce patriarche fut entourée des mêmes périls que celle 
de Jésus-Christ. Nemrod, ayant lu dans les astres qu'il allait 
naître un homme qui détruirait sa religion et sa puissance, fît 
mettre à mort tous les petits enfants, comme le fit plus tard Hé- 
rode^ dans l'intention de conjurer les dangers dont le menaçait la 
naissance du Messie. La femme de Térach courut se cacher dans 
une caverne, et c'est là qu'elle accoucha d'Abraham. On montre 
encore aujourd'hui cette caverne à Orfa, l'ancienne Ëdesse, 
que Ton croit être TUr des Chaldéens. Cinq années de voyage 
en Orient, p. 32. D'Herbelot, Bihlioth. orient., t. I, p. 94 et 96. 



m ÉTUDES SUH LES ÉVANGILES 

J'ai parlé aussi de la clarté qui illumina le 
Jourdain au moment où Jésus, après son baptême, 
sortait de Teau. Ce fait, raconté par l'écrivain chré- 
tien S n'est pas mentionné dans les Évangiles ca- 
noniques ; mais il l'est dans un des passages de 
l'Évangile des Ébionites, qui nous ont été con- 
servés ^. Et, comme cet Évangile n'était qu'une 
révision de celui des apôtres^ on ne peut douter 
que ce fait ne se trouvât aussi dans celui-ci. 

D'après Justin Martyr, la voix qui se fit en- 
tendre du ciel, après le baptême du Seigneur, 
prononça ces paroles : « Tu es mon fils ; je t'ai en- 
gendré aujourd'hui \ » Ces paroles ne sont rappor- 
tées ni par saint Matthieu ni par saint Luc, mais 
elles se trouvent dans l'Évangile des Ébionites *, 
et elles étaient certainement dans l'Évangile des 
apôtres. 

On ne peut pas comparer les autres citations 
dans lesquelles Justin Martyr s'écarte des Évan- 
giles canoniques, avec les passages correspondants 
de l'Évangile des apôtres ou de quelque autre 
Évangile judaïsant. On n'a plus de ces Évangiles 

- 4 . Kal TTup àvTi^ôYj £v tw 'lop^oévT:. Justin Martyr, Dialog. cum 

■ 2. Kal eù6u; irept8Xapt,i^£ tov toitûv ^wç (xe-Ya, dans Épiphane, Hœ- 
res., XXX, §13. 

3. ïtoç |iL6u El ou* i'^iù aTfiu.8pov -ye-^svvyixa as, Dictlog, cum Tryph.t 
§88 et §403. 

• 4. È^w <nifx*pov '^i'^irniAx ai, dans Épiphane, Hœres.^ xxx, § 13. 



ÉVANGILES APOCKYPHES JUDAISANTS »7 

que quelques fragments. Mais quand on en trouve 
trois en parfaite harmonie avec ces écrits apocry- 
phes, on peut bien, sans trop de témérité, supposer 
que l'accord ne se bornait pas là. 

D'autres considérations viennent se joindre aux 
précédentes pour mettre en évidence que les Mé- 
morables des apôtres étaient le même écrit que 
rÉvangile des apôtres. 

On a fait remarquer bien souvent que c'est 
avec l'Évangile de saint Matthieu que s'accorde le 
mieux ce que rapporte Justin Martyr de l'histoire 
évangélique. Cela s'explique très bien dans l'opi- 
nion que je soutiens. L'Évangile des Nazaréens 
ressemblait, en effet, à celui de saint Matthieu, au 
point que la plupart de ceux qui connaissaient l'un 
et l'autre les prenaient pour le môme ouvrage. 

Si maintenant on considère que Justin Martyr 
était originaire de la Samarie, on sera porté à 
croire qu'il avait connu le christianisme par la" 
fréquentation des tîhrétiens de la Syrie. Ces chré- 
tiens n'avaient pas d'autre Évangile que celui qui 
nous est signalé par les anciens écrivains ecclé- 
siastiques sous les titres d'Évangile selon les Hé- 
breux, d'Évangile selon les Douze, ou d'Évangile 
selon les apôtres. 

Ajoutez qu en plusieurs points ce Père de l'Église 
partage les sentiments, on peut même dire les 
préventions religieuses de3 Nazaréens. Je ne par- 



58 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

lerai pas de sa doctrine, qui, à part sa théorie du 
Aoyoç, née de sa culture philosophique, ne diffère 
presque en rien de celle des judaïsants du com- 
mencement du II® siècle. Mais je puis en appeler à 
ce fait bien souvent constaté et qui ne sera pas 
récusé, qu'il ne cite pas une seule parole de saint 
Paul S qu'il ne prononce même jamais le nom de 
cet apôtre. Que conclure de ce silence, certaine- 
ment systématique, sinon qu'il partageait les pré- 
jugés des judaïsants contre le grand propagateur 
du christianisme ? Si, avec les judaïsants, il se re- 
fusait à reconnaître saint Paul pour un apôtre, 
n'ëst-il pas vraisemblable qu'il n'avait aussi, comme 
eux, d'autre Évangile que celui des Hébreux, ou, 
comme ils l'appelaient, selon les apôtres ^ ? 

Bien d'autres traits encore rapprochent Justin 
Martyr des judaïsants, celui-ci entre autres dont 
on parle peu et qui me paraît cependant caractéris- 
tique. Les Nazaréens et les Ébionites se plaisaient, 
nous dit Irénée, à rechercher avec un soin exagéré 
les prophéties qui se rapportent au Messie : Quœ 
autem sunt prophetica, curiosius exponere nituri'- 

4. On a prétendu trouver dans ses écrits, sinon des citations 
des épîtres de saint Paul, du moins des allusions à quelques-unes 
de ses paroles. C'est là une erreur qui a été maintes fois réfutée. 
Eichhorn^ Repertonum, t. I, p. 34, note d, 

5. Solo autem quod est secundum Matthaeum Evangelio utun- 
tur (Ebionœi), et apostolum Paulum récusantes, apostatum eum 
legis dicentes. Irénée, Adv. hœres., lib. î, cap. 26. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 59 

tur * Il suffit d'avoir jeté un coup d'œil sur les 
écrits de Justin Martyr, ainsi que le fait remarquer 
Stroth 2, pour voir quelle importance il attache aux 
prophéties messianiques. C'est pour lui la grande 
preuve, je dirais presque l'unique, de la divinité 
du christianisme. Qu'il Tait employée en s'adres- 
sant aux Juifs, cela se conçoit. Les Juifs admet- 
taient l'autorité de l'Ancien-Testament, et, comme 
lui, ils y voyaient des prophéties messianiques. Mais 
il n'en fait pas un moindre usage dans sa première 
apologie, écrit destiné cependant aux païens qui 
ne connaissaient pas TAncien-Testament et qui 
devaient être peu touchés de ce qu'on leur, disait 
des prédictions du Christ qui y sont contenues ^. 

Tous ces faits, qui concourent à nous montrer 
dans Justin Martyr un chrétien judaïsant, contri- 
buent aussi à nous affermir dans l'opinion que 
l'Évangile dont il se servit était un de ceux qui 
avaient cours parmi les Nazaréens de la Syrie; et le 
titre de âTrojxvTijjLoveujjLaTa tôv âicodToXwv sous lequel il 
le désigne lui-même, nous fait penser naturellement 
à l'Évangile selon les Douze ou selon les apôtres. 

Tout ce qu'il rapporte de l'histoire et des discours 
de Jésus-Christ, est-il emprunté uniquement à ce 
document ? Je, suis disposé â le croire. Justin Mar- 

1. Irénëe, Adv, hœres,^ lib. I, cap. 26. 

2. Eichhorn, Repertorium, p. 35, note e. 

3. Justin Martyr, Apologie I, § 30-53. 



60 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

tyr ne semble pas avoir eu à sa disposition plu- 
sieurs Évangiles ; il est certain du moins qu'il n'en, 
appelle à aucun autre qu'aux Mémorables des 
apôtres ; et il parle de ces Mémorables des 
apôtres, non comme d'une collection d'Évan- 
giles, mais comme d'un seul Évangile ^ 



IV 



Un Évangile apocryphe judaïsant aussi célèbre 
que le précédent est celui des Ébionites. Qu'était 
cet ouvrage? Ils l'appelaient eux-mêmes l'Évan- 
gile hébreu ^, et, s'il faut s'en rapporter aux 
Pères de l'Église qui parlent de ces sectaires, 
leur Évangile aurait été le môme que celui 
des Nazaréens, c'est-à-dire l'Évangile hébreu de 
Matthieu ^ ou l'Évangile selon les Hébreux *. 

4 . a Je trouve dans le livre que vous appelez Évangile, » fait- 
il dire à Tryphon ; iv tw Xe-yop'vw EùaYY»>.t«?. Dialogue avec Try^ 
phon, § 11; Justin Martyr, Opéra, p. 227, B. Voyez pour les 
citations qu'il fait des Mémorables des apôtres, Eichhorn, Reper- 
torium, t. I, p. 41-59; Emmerich, Dissert, de Evangeliis 
secundum Ebrœos, JSgyptios atque Justini Martyris; De Wette, 
Einkit. in die Bûcher der Neuen Testam,, § 66. 

2. ÈSpaucov ^à TouTo xaXouai. Épiphane, Hœres., xxx, § 13. 

3. Ebionœi eo Evangelio quod est secundum Matthaeum solo 
utentes. Irénée, Âdv, hœres.^ lib. I, cap. 26; lib. III, cap. 4* 
Épiphane, Hœres.^ xxx, § 13. 

4. Eusèbe, Hist. eccles,, lib. 111^ cap. 27; Movov ^à to xatà 
È6p«louç EO«-fY*^^*^ ^i^ovrai, Theodoret, Hœres4 fabul.yMb. II, cap. 1 • 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAÏSANTS 61 

On peut conclure de là que, en somme, Tun dé- 
rivait de Tautre. L'Évangile des Ébionites ne lais- 
sait pas cependant que de différer en plusieurs 
points essentiels de celui des Nazaréens, ce qui 
était sans doute la conséquence des opinions 
dogmatiques par lesquelles les premiers se distin- 
guaient des seconds, et peut-être aussi de quelques 
emprunts faits au second et au troisième de nos 
Évangiles canoniques. 

Cet Évangile n'avait ni le tableau généalogique 
par lequel commence notre Évangile de Matthieu 
et par lequel commençait aussi probablement 
rÉvangile selon les Hébreux, ni l'histoire de la 
conception miraculeuse de Marie, ni celle de l'ar- 
rivée et de l'adoration des mages, ni le récit de la 
fuite de la sainte famille en Egypte et de son retour 
dans la^Galilée. D'après Épiphane, il débutait par 
ces mots: « Il arriva dans les jours d'Hérode, roi de 
Judée, Caîphe étant souverain sacrificateur, qu'un 
homme du nom de Jean, » et la suite comme au 
chapitre troisième de notre premier Évangile 
canonique*. 

On ne saurait s'étonner que les Ébionites eussent 
retranché de leur Évangile les divers faits contenus 
dans les deux premiers chapitres de notre Mat- 
thieu ; car, après avoir dans le principe considéré 
Jésus comme un prophète et comme le Messie, 

4. Épiphane, Hœres., xxx, § U. 



tt2 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

mais issu réellement de Joseph et de Marie, ils 
avaient ensuite modifié leur christologie dans un 
sens idéaliste qui ne pouvait pas s'accorder avec ce 
que rÉvangile de Matthieu rapporte de la généa- 
logie, de la conception et de la naissance du Sei- 
gneur. Les uns voyaient en Jésus, Adam, tel qu'il 
sortit des mains du Créateur ; d'autres, un esprit 
céleste, supérieur aux anges, antérieur à tout le 
reste de la création, et qui, après avoir apparu à 
diverses reprises aux patriarches et à d'autres per- 
sonnages de r Ancienne Alliance^ était enfin venu 
sur la terre comme le Messie ; d'autres enfin soute- 
naient que cet esprit céleste, qui est le Christ, ne 
s'était joint à Thomme Jésus qu'au moment du 
baptême de celui-ci par Jean * . Ces trois opinions 
sur la christologie étaient également opposées aux 
deux premiers chapitres de Matthieu; ces deux 
chapitres furent supprimés. 

La troisième de ces opinions fit introduire quel- 
ques modifications dans le récit du baptême de 
Jésus par Jean. Ce récit présente^ au reste, dans 
l'Évangila des Ébionites, quelques particularités 
remarquables. Il nous a été conservé par Épiphane. 
Je crois utile de le rapporter ici, en le mettant en 
présence du passage correspondant de notre Évan- 
gile de Matthieu. 

1. Épiphane, ibid., xxx, §3. 



ÉVANGILES AFUCUYPHES Jl'DAISAXTS <« 



ÉVANGILE DES ÉBIONITKS *. MATTHIEU, III, 43-47. 

Le peuple ayant ëtë baptisé ^, 13. Alors Jésus vint de Ga- 

Jésus vint aussi et fut baptisé par lilée au Jourdain^ vers Jean, 

Jeau. Comme il sortait de Teau^ pour être baptisé par lui. H. 

les deux s'ouvrirent, et il vit Mais Jean l'en empêchait, en 

TËsprit-Saint de Dieu descendre lui disant : J'ai besoin d'être 

sous la forme d'une colombe et baptisé par toi , et tu viens 

entrer en lui. Et une voix se fit vers moi I 45. Et Jésus, répon- 

entendre du ciel en ces termes : dant, lui dit : Laisse pour le 

<t Tu es mon fils bien-aimé; j'ai moment; car c'est ainsi qu'il 

mis en loi mon affection 3. » Et nous convient d'accomplir 

de nouveau : « Je t'ai engendré tbute justice. Alors il le laissa 

aujourd'hui. » Et aussitôt une faire. 46. Et quand Jésus eut 

grande lumière brilla en ce lieu, été baptisé, il sortit aussitôt 

A cette vue, Jean lui dit : c Qui de l'eau, et voilà que les cieux 

es-tu, Seigneur? » La voix se fit s'ouvrirent à ses yeux, et il vit 

entendre encore du ciel : a C'est l'Esprit de Dieu descendre 

mon fils bien-aimé, dans lequel comme une colombe et venir 

j'ai mis mon affection. » Là-des- sur lui. 17. Et voilà une voix 

sus, Jean, tombant à ses pieds, du ciel disant :. Celui-ci est 

lui dit : « Je t'en prie, Seigneur, mon Fils bien-aimé, en qui j'ai 

baptise-moi toi-même. » Mais il mis mon affection, 
refusa, disant : « Laisse, car c'est 
ainsi qu'il convient que tout s'ac- 
complisse. » 



Qu'on remarque d'abord ces paroles prononcées 
par la voix du ciel : « Je t'ai engendré aujour- 

4. Épiphane, Hœres.^ xxx, § 4 3.' Voyez lès textes grecs dans 
l'appendice no 3. 

2. Ces mots ne sont ni dans Matthieu ni dans Marc, mais ils 
se trouvent dans Luc, m, 24 . 

3. Ces mots ne sont sous cette forme que dans Marc^ i, 44, et 
dans Luc, ii, t% 



fti ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

d'hui, » paroles qui ne se trouvent pas dans Mat- 
thieu, et qui sont destinées à exprimer l'opinion 
ébionite que Jésus ne fut le Messie que du moment 
que l'Esprit fut entré en lui. Qu'on remarque en- 
suite que l'ordre des faits n'est pas le même dans 
rÉvangile des Ébionites que dans Matthieu S qu'il 
est en quelque sorte renversé^ les versets 14 et 15 
de Matthieu^ modifiés toutefois en uii point im- 
portant, ne venant, dans l'Évangile des Ébionites, 
qu'après ce qui est raconté dans les versets 16 et 17, 
Sous cette forme nouvelle, l'histoire du baptême 
de Jésus offre bien plus de naturel et de vraisem- 
blance, à la condition cependant d'admettre que 
Jésus et Jean ne se connaissaient pas auparavant. 
C'est évidemment ce que suppose l'Évangile des. 
Ébionites, et, à vrai dire, cette supposition est bien 
autrement satisfaisante que celle de leur parenté ^ 
et ne soulève pas, dans tous les cas, les nombreuses 
et presque inextricables difficultés qui sont la con- 
séquence de celle-ci ^. 

11 est un autre point bien plus important encore, 
sur lequel l'Évangile des Ébionites s'écarte du pre- 
mier de nos Évangiles canoniques, et aussi, selon 

4. Ni dans les passages parallèles de Marc, i, 9-ii, et de Luc, 
ni, 24-23. 

2. Luc seul parle de la parenté de Jésus et de Jean. Luc, i, 
5-25 et 39-56. 

3. Hilgenfeld, Zeitschrift fiir wissetmhaftl Theologkj 1863, 
p. 380-381 . 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 65 

toutes les vraisemblances, de TÉvangile selon les 
Hébreux. Cette différence, dont Fétude me paraît 
devoir conduire à une plus juste appréciation de 
l'origine et de la nature de cette secte, porte sur 
une déclaration de Jésus-Christ dans le discours 
sur la montagne. Je mets encore ici en regard le 
passage de l'Évangile des Ébionites et le passage 
correspondant de notre Évangile de Matthieu, avec 
lequel s'accordait bien certainement sur ce point 
rÉvangile des Nazaréens. 

ÉVANGILE DES ÉBIONITES. MATTHIEU, V, 17. 

Je suis venu ^ abroger les sa- Ne pensez pas que je sois venu 

orifices; si vous ne cessez de abolir la loi et les prophètes; je 

sacrifier, la colère de Dieu ne suis venu, non pour les abolir, 

cessera pas de peser sur vous s. mais pour les accomplir. 

On ne saurait douter un seul instant que le texte 
de Matthieu ne présente les paroles véritablement 
prononcées par Jésus et, par conséquent, qu'elles 
ne soient complètement défigurées dans l'Évangile 
des Ébionites. Mais quel motif a pu porter ceux-ci 
à mettre dans la bouche du Seigneur précisément 
le contraire de ce qu'il avait dit ? Gomment, dans 
un Évangile judaïsant, a-t-on pu faire déclarer à 
Jésus qu'il était venu abolir les sacrifices? Par 
quelles raisons une secte qui pratiquait la circojaci- 
sion, qui observait le sabbat et bien d'autres prescrip- 

1. C'est Jésus-Christ qui parle. 

2. 'EXOov xaToXuoai toç Ouoiaç, xai lav ^vn 7rauoao6E tou Ouslv, ou i*au- 

otiat àf ' t){fcâv -h 6^. Ëpiphane, Hœres,y xxx, § 16. 

5 



6a ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

tiûM mosaïques S avait-elle rompu, sur ce point 
important, avec la tradition de la synagogue ? C'est 
une explication bien insuffisante, ce me semble, que 
de prétendre que cet Évangile, écrit après la des- 
truction du temple, n'avait pas à tenir compte des 
sacrifices qui ne pouvaient plus avoir lieu ^. Ce n'est 
pas parce que les sacrifices n'étaient plus possibles, 
c'est pour en combattre la pratique, pour les con- 
damner en thèse générale, que ces paroles ont été 
mises dans la bouche de Jésus ; elles ont une inten- 
tion polémique ; elles sont inspirées par une cer- 
taine théorie religieuse, opposée à celle des Juifs. 
Ce changement s'explique, au contraire, d'une 
manière satisfaisante, si l'on regarde les Ébionites 
comme issus d'une secte juive condamnant et re- 
poussant les sacrifices sanglants, c'est-à-dire 
comme d'anciens Esséniens convertis au christiar 
nisme, qui avaient apporté dans leur foi nouvelle 
les idées particulières à cette association théoso- 
phique et ascétique. Et l'on ne saurait douter de 
cette origine, quand on voit que, comme les Essé- 
niens , ils avaient en horreur toute nourriture 
animale ^, et qu'ils^ tenaient l'usage des bains 
quotidiens pour une pratique religieuse *. 

4 . 'HXÇai iTfyoM.fSK jiev tou É^icavoç tw irEptTOfi.Yiv xai to aàêêaTov xat 
T^ «lu. Éplpbane, Hœres., xxx, § 17. 

2. Hilgenfeld, ibid,, p. 382. 

3. Épiphane, Hœres., wx, §15. 

4. Épiphane, ibid. 



ÉVANGILES APUCIIVPIIES JUDAISAxXTS 67 

On est confirmé dans celte opinion par quelques 
autre» particularites.de l'Évangile des ÉbioniteB, 
qui témoignent de leur aversion pour les sacrifices 
sanglants et pour l'usage de la chair des animaux. 
Quand les disciples demandent à Jésus où il veut 
qu'on prépare la Pâque, il ne leur répond pas, 
comme dans l'Évangile de Luc (xxii, 15), qu'il a 
désiré vivement de manger l'agneau de Pâques avec 
eux, avant de souifrir; il repousse, au contraire,^ 
leur proposition en ces termes : « Ai-je donc bien 
désiré de manger la chair de l'agneau de Pâques 
avec vous *? » En changeant, « par une fraude 
criminelle, » dit Épiphane, une phrase positive en 
une phrase négative ^, lés Ébionites avaient voulu 
mettre dans la bouche de Jésus une protestation et 
contre les sacrifices sanglants et contre l'usage de 
manger la chair des animaux. C'est encore dans la 
même intention que cet Évangile donne pour nour- 
riture à Jean-Baptiste uniquement du miel sau- 
vage, éyx^ptâa;, et non à la fois des sauterelles 

Épiphane, Hœres., xxx, %%. Dans Luc, xxn, i5, Jésus dit : Èm- _ 
6'j{ji.ia è-TrÊÔupLyiaa touto to Tcào^a ^a-^sîv [/.eô* upt-wv. Par la nëgatîon fAifi 
qu'ils ont ajoutée, les Ébionites ont changé le sens de la phrase, 
et, pour qu'il n'y eût pas le moindre doute sur leur intention, iFs 
y ont introduit le mot xpsaç. 

2. C'est la phrase de Luc qui est ici simplement modifiée par 
une négation ; cela prouve clairement que l'Évangile de Luc était 
connu des Ébionites ; on en a une autre preuve dans le récit du 
baptême de Jésus par Jean^ dans lequel on trouve aussi une 
phrase de l'Évangile de Luc, comme je l'ai fait remarquer. 



«8 ETUDES SUR LES ÉVANGILES 

ixfi^oLç, et du miel sauvage, ^Liki otyptov, comme le 
disent Matthieu (m, 4) et Marc (i, 6), modifica- 
tion qu'Épiphane ne manque pas de faire remar- 
quer, en la blâmant, mais sans en saisir le véri- 
table but*. 

Ce n'est pas cependant des Esséniensde la Judée 
que descendaient les Ébionites. Il faut placer leur 
origine dans les associations esséniennes de la 

^ Samarie. Ce qui le prouve, c'est que, comme tous 
les Samaritains, ils n'admettaient, des livres sa- 
crés de l'Ancienne Alliance, que le Pentateuque *. 
Et cette preuve est corroborée par l'accusa- 
tion qu'Épiphane leur adresse d'être infectés des 
superstitions des Samaritains ^; ce qui indique 
évidemment que les traditions théosophiques et 
ascétiques et peut-être aussi les pratiques tbéur- 

giques s'étaient maintenues parmi eux *. 

4. Êpiphane, Hœres,, xxx, § 13. 

2. Épiphane, ihid.^ xxx, § i5. 

3. 2a[xaç&iTti>v (ùv i^ti to ^^eXupov. Ëpipbane, Hœres,, xxx, § 4. 

4. Richard Simon donne aussi une origine samaritaine aux 
Ébionites, et en môme temps il fait justice, avec autant d*esprit 
que de tact historique, de l'opinion répandue parmi les anciens 
écrivains ecclésiastiques, qui les faisaient descendre d'un person- 
nage nommé Ébion. Après avoir fait remarquer que le mot 
Ébionite signifie pauvre, et que, comme nous l'apprend Êpiphane» 
jes Ébionites se glorifiaient de ce nom, se vantant d'être pauvres 
à l'imitation des apôtres, il ajoute : < Saint Épiphane veut qu'il 
y ait eu véritablement un homme appelé Ébion, d'où sont sortis 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS W 



L'Évangile des Clémentines * est également un 
apocryphe judaïsant. Nos Évangiles canoniques 
ne sont pas cités dans les divers ouvrages qu'on dé- 
signe sous ce nom générique. Telle n'est pas, il est 
vrai, l'opinion généralement reçue. On reconnaît 
bien que presque toutes les citations évangéliques 
qu'on y rencontre s'accordent en somme avec 
notre Évangile de Matthieu, et peuvent, par con- 
séquent , avoir été prises dans quelqu'un de ces 
Évangiles judaïsants qui offrent de si grandes ana- 
logies avec notre premier Évangile canonique; 
mais on signale dans les Homélies clémentines ^ 

les Ébionites, et qui vivait en même temps que les Nazaréens et 
les Gérinthiens. Il sb pourrait bien faire que ce Père et tous les 
autres qui ont cru qu'il y a eu en effet un homme nommé Ébion» 
auteur de la secte des Ébionites, n'aient pas été mieux fondés 
pour établir cet Ëbion qu'un certain historien espagnol, qui a 
écrit l'histoire des papes en sa langue, l'a été pour inventer un 
homme de sa façon appelé Hugo^ hérésiarque sacramentaire, de 
qui les hérétiques de France ont été nommés huguenots. » His- 
toire critique du texte du Nouveau-Testamentf p. 88 et 89. 

4 . On désigne sous le nom de Clémentines un certain nombre 
d'écrits apocryphes qui se rattachent au nom de Clément Ro- 
main. Les deux principaux sont les Homélies et les Récogni- 
tions. 

2. On ne peut tenir compte pour les citations évangéliques 
que des Homélies, parce qu'on a quelques raisons de croire 
que dans les Récognitions, que nous n'avons t{ue dans une 



70 KTIOES SLH i.ES lîVAXGILKS 

deux citations de l'Évangile de saint Jean (m, 5; 
IX, 2 et 3) et quatre de l'Évangile de saint Luc 
(VI, 36 et 46; xvii, 1 ; xxiii, 34). 

Je ne m'arrêterai pas à faire ressortir combien 
il serait étrange qu'un écrivain religieux qui au- 
rait eu entre les mains nos quatre Évangiles cano- 
niques, n'eût trouvé dans les deux derniers * que 
cinq passages à citer, et pas un seul dans le second, 
quand il en cite au moins une centaine du pre- 
mier. Je vais droit au fait, et je vais essayer de 
prouver que l'auteur des Homélies clémentines, 
n'a pas emprunté^ ces six citations à saint Jean 
et à saint Luc. 

Le fait me paraît manifeste pour le passage de 
l'homélie IIP, § 57, dans lequel on veut voir 
une citation de Luc^ vi, 36, et qui est bien plutôt 
une citation 'de Matthieu y v, 44-46. Que le 
lecteur juge en lui-même ; jtb mets les passages 
sous ses yeux. 

Homélie III, § 57 : « Soyez bons et miséricor- 
dieux, comme votre Père qui est dans les eieux, 
lequel fait lever son soleil sur les bons et les mé- 
chants et envoie la pluie aux justes et aux in** 

traduction latine due à Rufin, ces citations ont été, peul-étpe 
à dessein, peut-être aussi seulement par un effet de Thabitude 
des Évangiles canoniques, soi t^ rapprochées des textes de ces 
Évangiles, soit remplacées par ces textes mêmes. 

i. On ne trouve pas la moindre trace de citations se rap- 
prochant du texte de saint Marc. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 71 

justes. » — LuCy VI, 36 : « Soyez donc miséri- 
cordieux, de même que votre Père est miséricor^ 
dieux. » — Et Matthieu , v, 44-46 : « Aimez vos 
ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, 
faites du bien à ceux qui vous haïssent, prie2 pour 
ceux qui vous maltraitent et qui vous persécu- 
tent, afin que vous soyez les fils de votre Père qui 
est dans les cieux, lequel fait lever son soleil sur 
les bons et les méchants et envoie la pluie aux 
justes et aux injustes. » L'auteur des Homélies 
clémentines a tout simplement résumé les divers 
préceptes qui précèdent le verset 46 de Matthieu 
dans les mots : « Soyez bons et miséricordieux, >» 
et il n'avait pas besoin pour le faire du passage de 
Luc (VI, 36). 

Le second passage, qu'on tient pour une cita* 
tion de Luc, vi, 46, se trouve dans l'homé- 
lie VIII, § 7, La phrase est certainement la même 
dans les deux écrits, quoique un peu différemment 
rédigée. Il y a dans Luc : « Pourquoi m'appelez^ 
vous : Seigneur, Seigneur, et vous ne faites pas 
ce que je dis ; » et dans l'homélie : « Pourquoi me 
dis-tu : Seigneur, Seigneur, et tu ne fais pas , ce 
que je dis ^ * La différence est sans doute bien peu 

i. Dans le texte original': 

LUC, VI, 46. HOMÉLIE VIII, g 7. 

Tî Ifi [f.i xoXeÎTS * xu^ts^ xupu, Ti pie Xé'yeiç * xupis, K{(^(e, Xat 

xai oô iroieÎTB é, Xs-yw. où woisîç à Xé-y©. 



72 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

considérable. Le singulier d^un côté et le pluriel 
de Tautre, et le mot dire au lieu du mot appeler, 
voilà tout. Mais plus elle est légère, et moins elle 
est motivée ; et Ton se demande en vain pourquoi, 
si Fauteur des Homélies avait TÉvangile de Luc à 
sa disposition, il ne Ta pas cité textuellement. 
Dira-t-on qu'il l'a cité de mémoire? C'est bien pos- 
sible ; mais n'est-il pas possible aussi qu'il ait cité 
de mémoire une parole transmise par la tradition, 
ou qu'il avait lui-même entendue citer? 

Le troisième passage de Luc, qu'on croit cité 
dans les Homélies, comprend les paroles que Jésus- 
Christ prononça sur la croix. Ces paroles sont 
dsins Luc y xXiii, 34 : « Père, pardonne-leur; ils 
ne savent ce qu'ils font ; » et dans l'homélie XI, 
§ 20 : « Père, pardonne-leur leurs péchés ; ils ne 
savent ce qu'ils font *. » 

11 n'y a pas à s'arrêter à la différence insigni- 
fiante du mot a dans l'homélie et du mot Tt dans 
l'Évangile. Mais qui ne voit que l'addition des 
\ mots' « leurs péchés * dénature complètement la 

pensée du Sauveur? C'est l'acte injuste et impie 
que les Juifs viennent de commettre en le cruci- 
fiant, et non leurs péchés en général, que Jésus- 

4 . Dans le grec : 

LUC, XXIII, 34. HOMÉLIE XI^ § SO. 

nscTE^y ai(fii aÙTCÏ; • où ^àp oi- IlfltTep, à^t; aÙTOÏ; Ta; àp.oipTia; 
^%(ji TÎ TTOtoûoi. *Otmv, cO fàp Gi^aoïv A roicuatv. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 73 

Christ demande à Dieu de leur pardonner. Ces 
mots ne modifient pas seulement la pensée, ils 
en représentent une autre d'un ordre inférieur ; 
ils n'auraient pas été introduits dans ce texte, 
si l'auteur des Homélies avait eu sous les yeux un 
Évangile de Luc, si même^ sans l'avoir alors sous 
la main, il avait été familier avec cet Évangile. Ce 
n'est pas certainement d'après ce document sacré 
que les paroles du Seigneur sont rapportées ici; elles 
ont été empruntées à la tradition *. Elles étaient 
certes assez remarquables pour s'être conservées 
parmi les chrétiens, sans le secours d'un texte 
écrit, et d'un autre côté la présence de ces mots 
« leurs péchés, » qui, en en modifiant le sens, en 
affaiblissent l'énergie, prouve qu'elles viennent bien 
de la tradition, qui a pour effet constant d'émous- 
ser les pensées les plus fortes et de couvrir les 
plus originales d'une teinte de trivialité. 

On trouve dans l'homélie XII, § 29, une ci- 
tation qui semblerait, à plus juste titre que les pré- 
cédentes, indiquer un certain usage de notre 
troisième Évangile canonique. Elle semble, au 
premier abord , une combinaison d'un passage de 
Matthieu (xviii, 7) et du passage parallèle de Luc 
(XVII, 1). Elle est précédée dans l'homélie d'une 

4 . Je ne veux pas dire par là que Tauleur des Homélies les ait 
citées d'après la tradition , mais qu'elles étaient passées de la 
tradition dans l'Évangile dont il se servait. 



74 KTUDES SUR LES ÉVANGILES 

phrase qui ne se trouve pas dans les Évangiles ca- 
noniques, mais qui est donnée, aussi bien que celle 
qui la suit, pour une déclaration du Seigneur. 
Peut-être a-t-elle été prononcée par Jésus-Christ; 
mais il se peut aussi qu'elle n'ait été insérée dans 
l'Évangile judaïsant que comme une sorte d'anti- 
thèse propre à mieux faire ressortir le sens des pa- 
roles suivantes. Quoi qu'il en soit, voici les trois pas- 
sages en regard : 



HOMÉLIE, XII, § 19. 

Il faut qu'il arrive 
des biens, et bien- 
heureux est celui 
par qui ils arrivent. 
De môme, c'est une 
nécessite qu'il ar- 
rive des maux, mais 
maHieur à celui par 
qui ils arrivent. 



MATTHIEU, XVIII/ 7. 



C'est une néces- 
sité qu'il arrive des 
scandales, mais mal- 
heur à l'homme par 
qui le scandale ar* 
rive. 



LUCï XVII, 1. 



Il est impossible 
qu'il n'arrive des 
scandales, mais mal- 
heur à celui par qui 
ils arrivent*. 



Faut-il admettre qu on ait préféré ici, après les 
avoir comparées, la rédaction de Luc à celle de 
Matthieu? Mais quelle apparence que, dans un 



4. Les rapports sont plus sensibles dans les textes originaux. 
Ta dt-yadàiXOliv^eî, 






ôetv rà GDcàv^aXa, 
TtXYiv oC>at Tô âvftpfdtrcd 

Xgv epx^Tai. 



Àviu^exTo'v êoTi To5 
(AT) éXôetv rà «Mtv^aXa, 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISAiNTS 75 

livre spécialement consacré à combattre saint 
Paul, on ait eu recours à un Évangile qui pas- 
sait pour avoir été écrit, sinon sous sa dictée, du 
moins sous son inspiration? Avant d'admettre une 
explication aussi pleine d'invraisemblance, il fau- 
drait avoir épuisé toutes les hypothèses possibles, 
et dans un sujet où Ton ne peut guère procéder 
que par conjecture, le nombre en serait grand. Je 
serais, pour ma part, disposé à expliquer les trois 
ou quatre ressemblances qui se remarquent entre 
l'Évangile dont s'est servi l'auteur des Homélies 
et notre troisième Évangile canonique, en suppo- 
sant qu'on avait introduit dans le premier quel- 
ques passages d'un des documents employés ou 
consultés par saint Luc. Qui sait même si, parmi 
ces documents, il ne se trouvait pas quelque an- 
cienne traduction grecque de l'Évangile des apô- 
tres, et si cette ancienne traduction n'a pas été le 
thème premier des Évangiles grecs des sectes ébio- 
nites et des sectes voisines * ? 

Une citation de l'Évangile de saint Jean dans les 
Homélies clémentines ne serait pas un fait moins 
surprenant qu'une citation de l'Évangile de saint 
Luc. Examinons celles qu'on assure y trouver. C'est 

4. Il ne faut pas oublier que ces sectes se servaient, non 
comme leç Nazaréens de la Syrie, de l'Ëvangile écrit en bëbreu, 
maie d'Évangiles grecs qui étaient évidemment des traductions 
de celui-ci, plus ou moins modifiées. 



76 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

d'abord le passage Jean, m, 5 ; il est cité, dit-on, 
dans la XP homélie, § 26. Voici ce qu'on y lit : 
« En vérité je vous dis que si vous ne renaissez pas 
de Teau de vie (ou de l'eau vivifiante), au nom du 
Père, du Fils et du Saint-Esprit, vous n'entrerez 
pas dans le royaume des cieux *. » On trouve éga- 
lement ce passage dans les Récognitions, mais dé- 
gagé de deux des détails de la citation précédente. 
Il y est présenté en ces termes : « Je vous dis en 
vérité que, si l'on ne renaît d'eau, on n'entrera pas 
dans le royaume des cieux ^. > Enfin il est cité 
par Justin Martyr sous cette forme encore plus 
simple : « Le Christ a dit : Si vous ne renaissez, 
vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux ^. » 

De ces trois rédactions, la plus ancienne est 
certainement celle qui est la moins explicite. On 
peut se rendre compte comment les deux autres en 
sont dérivées ; le contraire ne se comprendrait pas. 

La renaissance ou la régénération dont il est ici 



4. Àfi.iQv X6*]f<ii> Op.ïv, èàv [iifj àva-YevvYiÔTiTs uS'aTt ÎJwti; (ou, d'après 
une autre leçon, u^an î^ôvti), eiç ovopta Trarpbç, uîoO xai â'^Uu 
TrveupATOc, où p.T) EioeXOçTS sic ty<v ^aiXeîav tûv oOpavûv. Homil. 
XI, § 26. 

2. Amen dico vobis nisi quis denuo renatus fuerit ex aqua, 
non introibit in régna cœlorum. Reœgnit^ cap. vi, § 9. Cette 
traduction suppose ce texte grec : if^viv Xt-yu u)mv, iw* f^^ nç 
àva'^EWYiOvi â^art, où [ayi ct9éX6n tiç ttiv paaiXctav tûv oùpavûv. 

3. Kat ^àp é XpioToç tl'irtv * &v p.iQ àvft'^tvwiô^e, où (xv) ttatXOvirt 
lîç vh PttotXttav Twv oùpavMv. Apolog. 1, §64, dans Justini 
Martyris opéra, p, 94, A, 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 77 

question désigne le changement qui s'opère dans 
le néophyte qui, de juif ou païen qu'il était d'a- 
bord, devient chrétien par le baptême. C'est ce 
que nous apprend Justin Martyr. Voulant expli- 
quer aux païens comment on est admis au nombre 
des chrétiens^ il leur dit que quiconque admet la 
vérité de ce qu'enseignent ceux-ci et prend la réso- 
lution de s'y conformer dans sa vie^ est^ conduit, 
après qu'on a jeûné et prié pour la rémission de ses 
péchés, au lieu où se trouve l'eau du baptême, 
que là il est régénéré comme le sont tous les autres 
chrétiens et qu'il est purifié par l'eau, au nom du 
Père, créateur et maître de toutes choses, du Sau- 
veur Jésus-Christ et du Saint-Esprit, « car, ajoute- 
t-il, le Christ a dit : Si vous n'êtes régénérés, 
vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux *. » 
L'auteur des Récognitions inséra dans ce pas- 
sage les mots u^aTi « par l'eau^ » ex aquâ, comme 
a traduit Rufin 2. Ce terme n'ajoutait rien au sens, 
ni ne l'altérait en rien, puisque c'était bien par 
l'eau du baptême que s'accomplissait la régénéra- 
tion, du moins dans l'idée de Justin Martyr, et de 
ceux qui ont composé ou arrangé les Clémen- 



4. Justin Martyr, Opera^ p. 93 et 94. 

2. J'adopte l'hypothèse qui place la composition des Réco- 
gnitions avant celle des Homélies. Hilgenfeld, Die clementinis^ 
chen Recognitionen und Homilien, p. 49 et suiv. — Ritschl , Die 
Enstehung der alten katholischen Kirche. 4850, p. 453 et suiv. 



78 KTlDj^S Sl'H LES ÉVAMGILKS 

lines; mais il le rendait plus clair *, et le mettait 
d'ailleurs en harmonie avec le système de cette 
secte, système dans lequel l'eau joue un rôle des 
plus importants ^. On pouvait désormais citer cette 
déclaration du Seigneur, sans avoir, besoin, pour en 
faire comprendre le sens, d'entrer dans les expli- 
cations que l'absence de ce terme rendait néces- 
saires et que Justin Martyr n'avait pas manqué 
d'en donner. 

L'auteur des Homélies clémentines crut devoir 
à son tour ajouter un mot nouveau % pour bien 
marquer que l'eau du baptême par laquelle on 
était régénéré, était une eau vivifiante, et en même 
temps il lui sembla utile de joindre à cette indica- 
tion la formule employée dans la cérémonie du 
baptême, qui se conférait,- comme on sait, au nom 
du Père, du Fils et du Saint-Esprit. 

Par ces additions appelées, pour ainsi dire, par 
la nature même des choses, le passage cité par Jus- 
tin Martyr prit la forme sous laquelle il se présente 
dans les Homélies clémentines. 

Il est de la plus grande vraisemblance que ce 

i. Ce terme « par l'eau » venait ici si naturellement, que 
le traducteur français de Justin Martyr Ta introduit dans la 
citation faite par ce Père, quoiqu'il ne soit pas dans le texte 
grec. Leê Pères de l'Église trad, par de Genoude, t. I, p. 418. 

S. Ublhorn^ Bie Homilien nnd Recognitionen, p. 214 et 245, 
254 et %&%. 

3. zôvTt OH î;«w^^ 



ÉVANGILES AlMXaiVJMIES JUDAISAXTS 7« 

passage tel qu'il est rapporté par Justin Martyr, 
se trouvait dans les Mémorahles des apôtres, 
c'est-à-dire dans l'ancien Évangile , à l'usage des 
communautés chrétiennes judaïsantes de la Syrie. 
Est-ce aussi sous cette forme qu'il était dans l'Évan- 
gile dont se servit l'auteur des Récognitions? C'est 
peu probable ; on peut croire qu'il y était rédigé 
dans les mêmes termes que nous le trouvons dans 
ce dernier ouvrage. Sous pette forme, qui est une 
sorte de moyenne entre celle qu'il a dans la pre- 
mière apologie de Justin Martyr, et celle dans la- 
quelle il est cité dans la XP homélie, il offre avec 
Jean, m, 5, une analogie encore plus frappante 
que sous les deux autres. Prenons-le donc tel qu'il 
est dans les Récognitions pour le comparer avec le 
passage correspondant du quatrième Évangile ca- 
nonique. Si nous trouvons qu'il ne vient pas de 
celui-ci, nous pourrons conclure à fortiori que les 
autres en sont également indépendants. 

Mettons d'abord les deux passages en re- 
gard : 

RÉCOGNITIONS, VI, 9. JEAN, UI, 5 1. 

En vérité, je vous dis que En vérité, je vous dis que si- 
si l'on ne renaît d'eau, on n'en- Ton ne renaît d'eau et d*es- 

4. Ce verset & est Fexplicsftion du 3^, dans lequel Jésus- 
Christ avait dit à Nicodème : « En vérité, je te dis que per- 
sonne ne peut voir le royaume de Dieu, s'il ne naU de nou- 
veau. » 



# 



80 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

trera pas dans le royaume des prit, oii n'entrera pas dans le 
deux. royaume de Dieu *. 

Le passage de l'Évangile ébionite a-t-il été em- 
prunté à l'Évangile de saint Jean? Quand on con- 
naît la profonde aversion des judéo-chrétiens pour 
les anti-judaïsants, on est fort peu disposé à le 
croire. On ne saurait se rendre qu'à des faits po- 
sitifs, et on ne peut en citer un seul. On ne peut 
en appeler qu'à la ressemblance des deux pas- 
sages, et cette ressemblance n'est pas même une 
preuve que l'un dépende de l'autre, car ils pour- 
raient venir d'une source commune. Si Ton vou- 
lait à tout prix que l'un dérivât de l'autre, ce ne 
serait pas en faveur de la priorité de celui de 
saint Jean que serait le plus grand degré de vrai- 
semblance. 

Ce passage, en effet, contient un élément de plus 
que celui de l'Évangile ébionite, et dans l'ordre 
naturel des choses, c'est toujours le plus riche qui 
doit être considéré comme un développement de 
celui qui l'est moins. Tandis que, d'après TÉvan- 

i. Et dans les textes originaux, en rétablissant en grec la 
traduction latine du passage des Récognitions : 

RÉCOGNITIONS, VI, 9. JEAN, III, 5. 

kiL'kt Xi'^tA 0|i.tv • lav [Ali Ti; Àp-w Xt-Y» aoi • lav fx-n n; ^vi~ 

àva']^tvw]0^ u^ATt, où u.t| eîaéXOy) vnOii i^ S^aroç xat icveufxaToç, ou 
ziç rkt ^acnXtîav tûv cupavâv. ^v%Tat eiveXôeXv et; rnv ^aatXetxv 

TOU 6tou. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 81 

gile ébionite, la régénération est produite par 
Teau du baptême, le quatrième Évangile cano- 
nique enseigne qu'elle esf le résultat de Teau et 
de Tesprit, JLie simple fait du sacrement suffisait 
aux judéo-chrétiens pour expliquer le changement 
moral du nouveau chrétien ; l'Évangile de saint 
Jean déclare qu'il faut y joindre l'action de l'Esprit- 
Saint. Évidemment cette dernière doctrine de la 
régénération est un amendement, un perfectionne- 
ment, si l'on veut, de la première. Elle lui est par 
conséquent postérieure, et le passage de l'écrit ébio- 
nite représenterait un ordre plus ancien de croyances 
que celui du quatrième Évangile canonique. 

Ne serait-il pas possible, cependant, que les judaï- 
sants eussent éliminé le terme que contient en plus 
l'Évangile canonique, le teaant pour inutile dans 
leur théorie de la régénération par le baptême? 
Il me paraît difficile de le croire et voici pourquoi. 

Une élimination de ce genre supposerait néces- 
- saîrement une polémique sur la doctrine de la ré- 
génération par le baptême, et on ne trouve pas la 
moindre trace d'une polémique de ce genre ni dans 
les Homélies ni dans les Récognitions. La théorie 
du baptême est fort vague dans ces écrits ; elle ne 
tient logiquement à aucun des traits essentiels du 
système général qui y domine ' ; il n'y avait au- 

4. Ublhorn, Die Homilien und Recognitionen, p. 243 et suiv., 
250 et suiv. 

6 



82 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

cune raison de nier sur ce point la doctrine sup- 
posée par le passage du quatrième Évangile cano- 
nique. Il n'est peut-être pas inutile d'ajouter que 
dans la onzième homélie, comme dans le passage 
correspondant des Récognitions (vi, § 9) le 
discours s'adresse, non à quelque parti chrétien 
dans une vue polémique, mais aux divers philoso- 
phes païens, dans une intention apologétique, 
dans le dessein de les convertir au christianisme *. 
De quelque côté qtf on regarde, on ne saurait voir 
quel intérêt les judaïsants auraient eii à tronquer un 
texte de l'Évangile de saint Jean et à l'insérer sous 
cette nouvelle forme dans un de leurs Évangiles. 
J'aimerais mieux cependant admettre que le 
passage de- l'Évangile des Ébionites et celui de 
notre quatrième Évangile canonique ont l'un et 
l'autre leurs racines dans une déclaration du Sei- 
gneur, comprise ici d'un point de vue purement 
moral, et là dans un sens inystique. Les paroles de 
Jésus-Christ en expliqueraient la ressemblance 
frappante, et le sens différent dans lequel on les 
entendit de part et d'autre la légère différence qui 
les distingue. Gomment ces paroles ne se trouvent- 
elles pas dans les Évangiles synoptiques? Je ne 
sais ; mais on a bien des raisons de croire que tous 
les discours du Seigneur n'y sont pas rapportés. 

4. Hilgenfeld, Die clemmtin. Recognitionen und HomUien, 
p. 224-225. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS H3 

Gomment, n'étant pas dans l'Évangile de saint 
Matthieu, se trouvent-elles dans l'Évangile des 
apôtres S et par suite dans celui des Ébionites? 
Gomme bien d'autres, sans doute, elles furent em- 
pruntées à la tradition. 

Je ne vois pas la nécessité de faire dériver la 
doctrine de la renaissance d'un passage de Luc 
combiné avec un autre de Matthieu, comme le fait 
M. Volkmar. Sans doute, il n'aurait pas été im- 
possible que l'idée de la nécessité d'une régéné- 
ration fût sortie par voie de déduction de ces 
paroles du Seigneur : « Quiconque ne recevra pas 
le royaume de Dieu comme un enfant, n'y entrera 
pas *. » On aurait pu se dire : s'il faut avoir les 
sentiments et la pureté d'un enfant pour avoir 
accès dans le royaume de Dieu, nous ne pouvons 
espérer d'y entrer qu'en naissant de nouveau 3. 
Mais à quoi bon cette hypothèse, quand on sait 
que, pour être une doctrine essentielle du chris- 
tianisme, l'idée de la régénération n'en est pas 
moins une doctrine qui lui est antérieure. Les Juifs 
palestiniens la connaissaient aussi bien que les 

4. Il ne faut pas oublier que Justin Martyr connaît ces pa- 
roles de Jésus-Christ. Elles étaient, par conséquent, dans l'Évan- 
gile dont il se servait et qui était celui des chrétiens judaïsants 
de la Syrie. 

2. Luc, XVIII, 46 et 17, etMatth., xix, 14. 

3. Volkmar, Ueber Justin den Martyrer und sein Verhalt- 
niss zu unsem Evangelien, p. 4 2 et suiv. 



84 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Juifs alexandrins, avant que Jésus-Christ Teût 
enseignée. A Jérusalem, les pharisiens appelaient 
un prosélyte une nouvelle créature *, et Philon 
tient pour un homme nouveau celui qui passe des 
vertus inférieures aux vertus supérieures ^. 

La seconde citation de notre quatrième Évangile 
canonique, signalée dans les Homélies clémentines, 
se trouve dans l'Homélie XIX, § 22. Je mets en- 
core ici les deux passages en présence. 

Jean, ix, 2 et 3. homélie xix, § t%. 

Et ses disciples Tinterrogè- Notre maître répondit à ceux 
rent en ces termes : Maître, qui qui lui demandaient au sujet de 
est-ce qui a péché? Est-ce Taveugle de naissance, auquel 
cet homme, ou son père, ou sa il rendit la vue, si c'était lui ou 
mère, pour qu'il soit né aveu* ses parents qui avaient péché 
gle? Jésus répondit : Ce n'est pour qu'il fût né aveugle : Ce 
point qu'il ait péché, ni ses pa- n'est point qu'il ait péché en 
rents; mais c'est afin que les quelque chose, ni ses parents; 
œuvres de Dieu soit manifestées mais c'est afin que par lui fût 
en lui. manifestée la puissance de Dieu 

qui guérit les péchés d'igno- 
rance 3. 

i. Lighlfoot, Horœ hebr, sur Jean, ni, 3. 

2, Philon assure que le père des croyants devint un autre 
homme en s'élevant de la connaissance rationnelle à la connais- 
sance mystique, et que, comme marque de cette régénération^ 
il reçut un autre nom. Il se nommait d'abord Abram; il fut 
depuis appelé Abraham. Ajoutons que quand saint Paul prit un 
nouveau nom après sa conversion au christianisme, il ne fit que 
suivre une coutume générale parmi les Juifs. Un honome qui 
changeait de sentiments religieux devenait une nouvelle per- 
sonne, et devait^ par conséquent, être désigné par un nouveau 
nom. 

3. Voyez les textes grecs dans l'appendice no 4 . 



ÉVANG LES APOCRYPHES JUDAISANTS 8» 

La ressemblance est frappante. Faut-il en con- 
clure que le passage de la XIX® homélie est né- 
cessairement une citation de Jean , ix, 2 et 3? Je 
ne le pense pas. 

Qu'on remarque d'abord que le texte de Tho- 
mélie est plus explicite que celui de notre quatrième 
Évangile. Il indique quelle est l'espèce d'œuvres 
que la puissance divine doit opérer en cetfe circon- 
stance : c'est de guérir les péchés d'ignorance, et 
c'est par suite d'un péché d'ignorance commis par 
le père et la mère de Taveugle que celui-ci est né 
avec cette infirmité. Rien de semblable dans le 
texte de saint Jean. Si cet homme est né aveugle, 
c'est tout simplement, d'après l'Évangile canoni- 
que, afin de donner à Jésus-Christ l'occasion de 
manifester sa puissance divine. 

Si l'on tient compte de cette différence, on ne 
pourra s'empêcher de croire que le contexte des 
paroles du Seigneur n'ait été autre dans l'Évangiie 
cité par l'auteur de la XIX® homélie, que dans 
notre quatrième Évangile canonique. Saris cela, les 
derniers mots de ce passage t^ç âyvoiaç itùidyf'fi toc 
à(jLap'nf(ji.aTa (qui guérit les péchés d'ignorance) se- 
raient incompréhensibles, et présenteraient une 
énigme indéchiffrable*. 

i . Si Ton n'avait, pour s'éclairer, ce qui amène cette citation 
dans la \ix^ homélie, § ^t, on ne se douterait jamais de la 
violation de quelle prescription mosaïque les parents de l'aveugle 
se sont rendus coupables. 



86 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Dans tons les cas, si ces paroles se lisaient réel- 
lement dans rÉvangile cité dans cette homélie, et 
ne sont pas une addition de l'auteur de ce dernier 
écrit, on est bien obligé de reconnaître que cet 
Évangile n'était pas celui de saint Jean, dans le- 
quel elles ne se trouvent pas. 

Supposons toutefois qu'elles aient été ajoutées par 
l'auteur de la XIX® homélie, qui aura voulu ex- 
pliquer de quelle manifestation de la puissance de 
Dieu Jésus-Christ avait entendu parler? Les deux 
passages deviennent alors presque entièrement 
identiques. Les deux légères dilférences par les- 
quelles ils se distinguent l'un de l'autre ne valent 
pas la peine qu'on s'y arrête. Cette identité nous 
oblige-t-elle à voip dans le passage de la XIX® 
homélie une citation de Jean, ix, 2 et 3? Non, car 
rien ne nous prouve que ce récit, tel qu'il est dans 
notre quatrième Évangile canonique, ne se trouvât 
aussi dans un ou plusieurs des nombreux Évangiles 
qui circulaient à cette époque parmi les chrétiens 
de toutes dénominations. 

Il est assez étrange que, quand il existait dans 
les premiers siècles tant d'Évangiles, on. raisonne, 
chaque fois qu'il est question d'un acte ou d'une 
parole de Jésus-Christ, comme s'il n'y avait eu 
alors que nos quatre Évangiles canoniques. La plu- 
part des faits et des enseignements rapportés dans 
ceux-ci pouvaient, devaient même, se rencontrer 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 87 

dans bien d'autres encore, et quand il s'agit d'écrits 
antérieurs au m® siècle, et surtout d'écrits appar- 
tenant à des sectes dissidentes, on ne saurait jamais 
affirmer avec certitude, à moins d'indications pré- 
cises, que des citations de paroles du Seigneur, 
même conformes à des textes des Évangiles cano- 
niques, aient été prises dans ces Évangiles. 

Dans cet état de choses, et pour qui connaît les 
dissentiments profonds qui existaient entre les di- 
vers partis chrétiens du ii® siècle, rien n'est moins 
probable. qu'une citation de l'Évangile de saint Jean 
dans un ouvrage tel que les Homélies clémentines. 
Quand le récit de la guérison de l'aveugle de nais- 
sance pouvait être rapporté dans plusieurs Évan- 
giles, quelle apparence qu'un judaïsànt fanatique 
et exalté eût été l'emprunter précisément à celui 
qui est la condamnation la plus formelle du judéo- 
christianisme? 

Des considérations que je viens de présenter^ je 
crois pouvoir conclure que les auteurs des Clémen- 
tines, et avec eux la fraction des Ébionites à 
laquelle ils appartenaient, ne faisaient pas le 
moindre usage de nos Évangiles canoniques et se 
servaient d'un Évangile qui leur était particulier. 
Que cet Évangile eût les plus grandes analogies 
avec celui de saint Matthieu, c'est ce qui ne peut 
pas même être mis en question. Toutes les citations 
qui en sont faites dans les Homélies clémentines, 



88 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

sauf huit qui ne se retrouvent d'ailleurs dans 
aucun écrit canonique, s'accordent avec notre pre- 
mier Évangile, sinon toujours textuellement, du 
moins dans les traits essentiels. Mais ce n'était pas 
cet Évangile canonique, puisqu'il renfermait des 
passages qui ne se trouvent pas dans celui-ci et 
qu'il en différait parfois dans la rédaction. 

L'Évangile des Clémentines était-il l'Évangile 
des Hébreux, comme on le suppose généralement ? 
Je ne saurais le croire. Sans doute il en dérivait ; 
il appartenait à cette nombreuse famille d'Évan- 
giles qui en sont sortis ; mais il s'en distinguait 
peut-être par des omissions, et à coup sûr par 
des additions^ Je n'ai pas à en chercher bien loin 
la preuve. Le passage cité dans les Récognitions, 
VI, 9, dans lequel on a voulu voir, à tort, comme 
je l'ai montré, le passage de l'Évangile de saint 
Jean, m, 5, diffère de ce même passage cité dans 
la première Apologie (§61) de Justin Martyr, par 
le mot SJaTt qui y a été ajouté. Or la citation de 
Justin Martyr reproduit le texte de l'Évangile des 
Hébreux, et par conséquent ici l'Évangile des 
Clémentines ne lui était pas parfaitement identique. 

La différence entre les deux Évangiles se bor- 
nait-elle là ? Ce n'est certes pas croyable. Quand 
sur les trente phrases, ou membres de phrases, qui 
nous restent de l'un et de l'autre, et sur lesquels 
nous pouvons les comparer, nous les trouvons dif- 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 89 

férant une fois, la vraisemblance veut que nous 
établissions une semblable proportion de diver- 
gences sur un millier, au moins, d'autres passages 
qui nous sont inconnus. 

A la preuve précédente, qui me paraît positive, 
j'en ajouterai une autre qui n'a pas, il est vrai, 
le même degré de certitude, mais qui me semble 
des plus probables. Cette parole de Jésus-Christ, 
« Soyez des banquiers éprouvés >, si souvent ré- 
pétée par les Pères de TÉglise, et citée également 
et à plusieurs reprises dans les Homélies clémen- 
tines * et dans les Récognitions^, ne se trouvait 
pas, d'après toutes les vraisemblances, dans l'Évan- 
gile des Hébreux. Je ne voudrais certes pas le 
conclure du silence de Justin Martyr ; s'il ne la 
cite pas, c'est peut-être parce qu'il n'a pas eu 
l'occasion de le faire. Mais saint Jérôme, qui con- 
naissait l'Évangile des Hébreux, puisqu'il le tra- 
duisit en grec et en latin, la cite comme étant du 
Seigneur ^, sans faire remarquer qu'elle était dans 
cet. Évangile, comme il le fait pour d'autres qui 
ont comparativement une moindre importance. Il 
y a plus ; parmi les nombreux passages de cet 
Évangile, dont il fait mention et qui paraissent 
ceux par lesquels il diiférait essentiellement de 

1. HomiL II, § 51; m, § 50; xviii. § 20. 

2. Recognit, ii, 51. 

3. Jérôme, Opéra, éd. Martianey, t. IV, col. 320, Epiêtola 
ad Minervium et Alexandrum, 



90 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

notre premier Évangile canonique, celui-ci n'est 
pas indiqué. Ce précepte de Jésus-Christ est ce- 
pendant tellement remarquable, qu'on ne s'ex- 
plique guère comment cet écrivain ecclésiastique 
qui parle si souvent de [l'Évangile des Hébreux, 
qui n'est pas éloigné, comme on l'a vu, de le 
tenir pour l'original hébreu de notre Évangile de 
Matthieu, aurait pu le passer sous silence, quand 
d'ailleurs il est convaincu qu'il a été donné par le 
Seigneur. S'il n'en parle pas, c'est qu'il n'était pas 
dans cet Évangile; cela me paraît de la plus 
grande vraisemblance. Et au fait on a de bonnes 
raisons de croire que la fraction des Ébionites * à 
laquelle appartiennent les Clémentines, eut des 
motifs dogmatiques d'insérer dans son Évangile 
cette déclaration du Seigneur, fort souvent répétée 
pendant les premiers siècles et universellement re- 
gardée alors comme authentique. J'en donnerai 
bientôt la preuve. 

Cet Évangile des Clémentines était-il celui dont 

4 . Les Ébionites ue formaient pas une secle homogène; ils se 
divisaient au moins en deux parties distinctes. At-rrol É&uvoïoi, 
É^wvalGt àfAtportpoi, disent en parlant d'eux Origène (Contra Cel- 
8um, lib. VI, cap. 61) et Eusèbe {Hist, eccles., lib. III, cap. 27). 
Théodoret semble également reconnaître deux classes d'Ébio- 
nites. Après avoir, en effet, parlé d'une secle ébionile, il ajoute: 
À^Xyi ^è irxpà TauTDV ou^jjkopia rfiv aùryiv i'}f«»vu(i.tav l'x^uaa. Fabulœ 
hœret , lib. H, § i. Voyez d'ailleurs les ingénieuses explicdlions 
(le M. Hilgenfcld sur ce sujet, Die clément. Recognitionen und 
Homilienj p. 9-48. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 91 

il a déjà été question sous le nom d'Évangile des 
Ébionîtes? Encore moins. On n'a qu'à les compa- 
rer, pour en être pleinement convaincu. 

Celui-ci, on l'a vu, en opposition à notre pre- 
mier Évangile canonique et sans le moindre doute 
aussi à rÉvangile des apôtres en usage parmi les 
Nazaréens, mettait dans la bouche de Jésus-Christ 
ces étranges paroles : « Je suis venu abroger les 
sacrifices *. » L'Évangile des Clémentines, au con- 
traire, rapporte cette déclaration du Seigneur telle 
qu'elle est dans l'Évangile de saint Matthieu, telle 
aussi qu'elle était dans l'Évangile des Nazaréens, 
« Je ne suis pas venu abolir la Loi *, » dit-il; ce 
passage est cité dans la IIl® homélie, § 51, et pour 
qu'il ne reste pas le moindre doute sur ces paroles, 
l'auteur des Homélies ajoute presque aussitôt cette 
autre parole de Jésus-Christ : « Le ciel et la terre 
passeront, mais il ne tombera pas de la Loi un seul 
iota ou un seul accent ^. » 

Ces deux déclarations contraires se trouvaient- 
elles dans le môme Évangile? Il est difficile de le 
croire. 

Ce n'est pas cependant que dans les Clémen- 

4. Épiphane, Hœres., xx\, § 46. 

2. Oùx ^>^v xaraXOcai tov vo|i.ov. Homélie III, § 1. 

3. *0 GÙpavô; xal iâ ^vi frapeXeuTOvrai, (ûtoc ^è fv rt p.ta xt^oita cù 
[ATi irapéxôn àirb tcO vd|i.ûu. Homélie ifi, § 1; Épitre de Pierre à 
Jacques, § 2, dans Clementis Romani quœ feruntur homiliœ 
viginti, éd. Dresse!, p. 5. Ce sont exactement les mêmes paroles 
que dans J|fa((A., v, 48. 



W ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

fines on ne tienne aussi les ssicriflces pour abro- 
gés * ; cette opinion est commune à tous les Ébio- 
nites; mais on ne voit pas que le parti auquel 
appartenaient ceux des Clémentines ait cru devoir 
modifier le texte primitif tel qu'il est dans MaU 
thieuy V, 17, dans le sens de cette opinion. Si ce 
texte avait été dans son Évangile tel qu'il est dans 
le passage de l'Évangile des Ébionites, cité par 
Épiphane, les auteurs des Clémentines s'en se- 
raient sans doute servis pour appuyer leur^ doctrine 
de l'abrogation des sacrifices, et ils ne le font nulle 
part. Au lieu d'en appeler à ce texte qu'ils n'ont 
pas, ils expliquent comment il se fait que, la Loi 
n'étant pas abrogée, les sacrifices puissent l'être. 
C'est que la Loi a reçu, selon eux, des altérations^, 
et ce n'est pas de cette loi altérée, mais delà vraie 
loi ^ de Moïse que le Seigneur dit qu'il n'est pas 
venu l'abolir, et qu'il n'en tombera pas un iota ou 
un accent. 

Il faut donc savoir discerner dans les Écritures ce 
qu'il y a de vrai et ce qu'il y a de faux *. C'est ce 
que Jésus-Christ a enseigné à ses disciples, en leur 
disant : « Soyez des changeurs éprouvés *^ , » ou, 

4 . nOp^ûp.ci>v(i€svvuaiv. Il éteint le feu des auteU. Homil. ni, § 26. 

2. ''On fji.t(ii(XTai rà &kM tgî; «psu^caiv. HomiL III, § 50. 

3. 'O ovTw; vôfxoç. HomiL m, § 54 . 

4. Iaçû; ^iiÇai Twv •yf^pap.ji.ivcûv TrcTa lanv aXrfirï, «oXa ^à ^imH. 
Homil. III, § 48. 

5. rîv(o6i Tpai7i2[ÎTau ^oxijuoi. HomiL m, § 50. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS »3 

d'après la citation plus complète de Clément d'A- 
lexandrie : « Soyez des changeurs éprouvés, ne 
retenez que ce qui est de bon aloi; rejetez le 
reste *. » Quiconque veut être sauvé, doit donc, 
comme le Maître Ta dit, se faire le juge dès livres, 
et éprouver les Écritures 2. 

Ces paroles allaient à merveille à une secte qui 
avait besoin de faire un choix dans les Écritures 
pour y trouver sa doctrine. La tradition orale les 
avait seule transmises jusqu'alors; le parti ébionite, 
auquel appartiennent les Clémentines, les inséra 
dans son Évangile, comme un précepte qui justi- 
fiait heureusement la manière arbitraire avec la- 
quelle il recueillait les enseignements des livres 
sacrés. L'autre parti, moins habile ou moins heu- 
reusement inspiré, trouva plus expéditif de mettre 
sa doctrine dans la bouche du Sauveur, et réfor- 
mant le passage dans lequel Jésus-Christ assure 
qu'il n'est pas venu abolir la Loi, ils lui firent dire 
qu'il était venu pour abolir les sacrifices. 

Dans quelle partie de l'Évangile des Nazaréens 
cette déclaration du Seigneur avait-elle été intro- 
duite? M. Higenfeld conjecture qu'elle avait été 
rattachée à la parabole des talents ^. Telle que le 



1 . Glémeat d'Alexandrie, Stromat., lib. I, cap. S8. 

2. Atb Btl iràvra avOpcdTrov acdOvivat ô^cvOx '^tvsodai, u; o ^i^a^' 
xaXo; eiirev, xpiTT,v twv wpo; irttpaapwv •ypa^eiawv Pi€x«t>v. OuTCt»; •yàp 
ilîctv • y.ua^i rpaTte^iiTai ^o)«[i.&i. Homil, XVIII, § 20. 

3. Zeitschrift fur wissenschafU. Théologie, 4863, p. 368. 



94 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

rapporte Clément d'Alexandrie, ou môme si, ré- 
duite à la première proposition, elle doit être prise 
dans le sens dans lequel l'entendent, non pas seu- 
lement les Homélies clémentines, mais encore tous 
les anciens écrivains ecclésiastiques qui la citent *, 
elle est entièrement étrangère à l'ordre d'idées 
présentées dans cette parabole. Peut-être venait- 
elle après le passage dans lequel Jésus-Christ an- 
nonce qu'il n'est pas venu abolir la Loi {Matthieu^ 
v, 17-20) et formait-elle comme le principe géné- 
ral d'après lequel il fallait distinguer ce qui avait 
été ordonné aux anciens et ce qu'il ordonnait lui- 
même {Matthieu f v, 21-48). Il y aurait ici un 
ordre logique bien marqué. Mais ce n'est encore là 
qu'une conjecture en faveur de laquelle on ne peut 
invoquer aucune donnée historique. 

4. Cest par ces paroles, auxquelles il joint un passage de 
saint Paul qui a le môme sens, que Jérôme repond à ceux qui 
lui reprocliaient de lire des livres contenant des hérésies. Sicut 
illud apostoli libonter audire : omnia probate; quod bonum est 
tenete (4 Thessalon,, v, 24 et %%) et Salvatoris verba dicentis : 
estote probati nummularii. Jérôme, Opéra, t. IV, col. 220, Epis- 
tola ad Minervium et Alexandrum. Cyrille de Jérusalem cite 
également cette déclaration de Jésus-Christ, en la combinant 
avec les mêmes paroles de saint Paul. Opéra, éd. d'Oxford, 4700, 
p. 404; Cateches., vi, § 20. 11 paraît, au reste, que l'on confondit 
plus d'une fois les paroles du Seigneur, telles que les cite Clé- 
ment d'Alexandrie, et le passage de i ThessaL, v, 21 et 22. C'est 
ce que semble avoir fait, entre autres, Denys d'Alexandrie, qui, 
en citant le précepte : t Soyez des changeurs éprouvés, » le 
donne comme étant sorti d'une bouche apostolique. Ëusèbe, 
Hist, eccles,, lib. VU, cap. 7. Voyez d'aiileurs Fabricius, Codex 
apocryphus Novi Testamenti, pars i, p. 330, note d. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 95 



VI 



Quelques anciens écrivains ecclésiastiques par- 
lent d'un Évangile apocryphe attribué à saint 
Pierre. Ce qu'ils en disent suffit pour nous per- 
mettre d'en saisir la tendance et le caractère , mais 
non pour nous en faire connaître l'histoire. 

Nous savons par Eusèbe * et par Théodoret * que 
des judéo-chrétiens professant le docétisme ^ le te- 
naient pour un livre sacré. Sérapion, élu évoque 
d'Antioche en 190, l'ayant trouvé en usage dans 
l'Église de Rhosse en Gilicie, et ne se doutant pas 
des erreurs qu'il contenait, avait cru, sans doute 
sur le titre et sans en prendre connaissance, pou- 
voir en autoriser la lecture; mais quand il recon- 
nut qu'il fournissait des armes aux Docètes, il le 
condamna et publia même un écrit pour en com- 
battre la fausse doctrine*. 

1. Eusèbe, Hist, eccles.f lib. VI, cap. 12. 

2. Théodoret, Fahul. hœret.^ lib. II, cap. 2. 

3. Eusèbe dit de ces hommes qu'ils avaient abandonné la foi 
chrétienne pour la superstition juive, àirà t^; iî; Xpurrbv irtorcu; 
iin TQv iou^oïxTiv iOiXGOpTxnceîav, et plus loin qu'ils étaient de ceux 
qu'on appelle docètes, oûç îqxviTà; xaXoûpLtv. 

4. Eusèbe, Hist, eccles.^ lib. VI, cap. 12; Jérôme, Catalogus 
scriptorum ecclesiast., § 41 . 



96 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Cet Évangile^contenait une légende qui se re- 
trouve dans la plupart des Évangiles de l'Enfance *. 
Tandis que dans les Évangiles canoniques ^ , rien 
ne nous laisse soupçonner que les frères et les 
sœurs de Jésus dont il y est parlé ^, ne fussent pas 
nés de la môme mère que lui , l'Évangile de 
Pierre les donnait pour des enfants que .Joseph 
avait eus d'un premier mariage. C'est Origène qui 
nous rapprend : « Il est des personnes, dit-il, qui 
assurent que les frères de Jésus étaient les fils que 
Joseph avait eus d'une première femme, avant 
d'épouser Marie. Elles se fondent sur la tradition soit 
de l'Évangile qui est intitulé Évangile de Pierre, 
soit du livre de Jacques * » (le Protévangile). 

Dans quel intérêt avait été imaginé ce premier 
mariage de Joseph? Uniquement dans l'intention 
d'établir que Marie n'avait pas eu d'autre enfant 
que Jésus et qu elle était restée toujours vierge. 
Cette légende fut adoptée dans ce sens par l'Église. 
Mais les chrétiens judaïsants qui se servaient de 

1. Protévangil€y chap. 9; Évang. du Pseudo-MaUh.^ chap. 8; 
Histoire du charpentier Joseph, chap. 2. II sera question de ces 
Évangiles dans la troisième partie. 

S. £t probablement aussi dans l'Évangile des Hébreux. 

3. Matthieu, xii, 47 et 48; xiii, 55; Marc, m, 32; Lue, vin, 
20; Jean, vu, 6. 

4. Tcù; Bï à^eX^cù; 'lYiooû (^olui Ttvêç iivxt, ix. irapoc^ooto); 6pp.(â* 

€cu, utcu; 'I»9:q^ irpoTcpAç 'yuvaucb; ouvcoxiQxuîa; aura n^o r^; Mopia;. 
Origène, Opera^ t. XI, p. 223, Comment, in Evang, Matthœi, 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS »7 

l'Évangile de Pierre, en tiraient une induction en 
faveur du docétisme. Une fois, en effet, que Jésus 
était placé tout à fait en dehors des conditions de 
l'existence humaine, on était conduit par une pente 
sur laquelle il était difficile de s'arrêter, à le regar- 
der comme n'ayant eu rien de commun avec notre 
nature, et à prendre le corps dont il s'était lui-môme 
revêtu, comme une simple apparence. Il est pro- 
bable que telle était la conséquence que tiraient de 
cette légende les chrétiens judaïsants qui tenaient 
rÉvaQgile de Pierre pour un document sacré. 
D'où venait cet Évangile ? De celui des Hébreux? 
C'est probable. La plupart des Évangiles judaï- 
sants en dérivent ou du moins sont sortis de la 
môme source que lui, et il est naturel de suppo- 
ser qu'il n'en était qu'une récension plus, ou moins 
modifiée. Mais le titre qu'il porte fait penser in- 
volontairement à notre second Évangile canonique 
qui passait dans l'antiquité chrétienne pour avoir 
été écrit sous l'inspiration de saint Pierre et qui par- 
fois même est désigné par son nom. N'aurait-il pas 
été notre Évangile de Marc révisé, ou peut-être 
encore quelqu'un des anciens remaniements aux- 
quels on suppose que cet Évangile avait été 
soumis, avant de recevoir sa forme actuelle? Je n'y 
vois rien d'impossible; mais les preuves qu'on a 
essayé d'en donner me paraissent bien peu satis- 
faisantes. 

7 



88 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Tandis qu'il n'est pas un seul passage dans notre 
premier Évangile canonique, ni par conséquent 
aussi dans l'Évangile des Hébreux, qui offre avec 
lui la plus grande ressemblance, qui puisse favori- 
ser le docétisme, notre -Évangile de Marc a pu fa- 
cilement donner lieu, à ce qu'on assure, à cette 
opinion. Et si l'on considère que l'Évangile apo- 
cryphe de Pierre était en usage parmi les Docètes 
qui y trouvaient évidemment quelque argument en 
faveur de leur système, et qu'il était attribué , 
comme en un certain sens notre second Évan- 
gile canonique, à l'apôtre dont il porte le nom, on 
aura, ce semble, quelque raison de rapprocher ces 
deux Évangiles, de voir dans l'un un remaniement 
de l'autre, ou encore de les faire dériver tous les 
deux d'une source commune. 

En quoi donc notre Évangile de Marc peut-il favo- 
riser le docétisme ? En débutant par ces mots : 
« commencement de l'Évangile, » i^ji ToueùayYe^tou, 
et en racontant aussitôt le baptême de Jésus par Jean, 
l'auteur de cet écrit a certainement exclu à dessein 
l'histoire de la naissance du Seigneur. Ne serait-ce 
pas dans une intention favorable au docétisme? 
Schwegler le pense*; mais cette omission s'explique 
bien plus naturellement dans un autre sens. L'Évan- 
géliste aurait pu passer sous silence tout ce qui se 

1. Schwegler, Dca nachapost. ZeitaUer, t. I, p. 169 etsuiv. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 1>9 

rapporte à la naissance et à la partie de la vie de 
Jésus qui précéda le moment où il fut baptisé par 
Jean et commença d'enseigner, parce qu'il considé- 
rait ces faits comme étrangers à l'œuvre môme du 
Seigneur. Ce, n'était qu'avec la prédication de Jé- 
sus-Christ que commençait peut-être pour lui 
l'Évangile, et c'est ce qu'il peut avoir voulu mar- 
quer en inscrivant en tête de son livre : « Com- 
mencement de l'Évangile, » faisant entendre par 
là que tout ce qui précédait ce moment n'était qu'une 
affaire de pure curiosité, et n'importait que médio- 
crement à l'histoire de la prédication du Sauveur. 

Peut-être aussi était -il de ces chrétiens, 
assez nombreux pendant les premiers siècles, qui 
croyaient que Jésus n'était devenu le Christ qu'à 
l'heure de son baptême par Jean. On comprend 
comment, de ce point de vue, la première partie de 
la vie de Jésus étant entièrement étrangère à l'œuvre 
et au ministère du Christ, l'auteur du second Évan- 
gile canonique aurait pu la laisser complètement de 
côté. 

Ce qui du moins est incontestable, c'est que cette 
disposition de cet Évangile se prêtait très-bien à cette 
opinion. Aussi fut-il en usage chez ceux des chrétiens 
qui en faisaient profession. C'est Irénée qui nous 
l'apprend. « Ceux, dit-il, qui distinguent Jésus du 
Christ, et qui disent que le Christ est resté impassible 
et que c'est Jésus qui a éprouvé les souffrances de 



iOO ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

la passion, préfèrent l'Évangile selon Marc *. * 

Ce n'est donc pas le docétisrae que favorisait 
l'Évangile de Marc ; et ce n'est pas chez les Docètes 
qu'il était préféré aux autres. On ne saurait par 
conséquent l'identifier avec notre Évangile apo- 
cryphe de Pierre, qui était principalement et peut- 
être même exclusivement en usage parmi ces héré- 
tiques. 

11 ne reste en définitive d'autre appui à cette 
hypothèse que le nom de Pierre qui est donné à cet 
Évangile apocryphe et parfois aussi à l'Évangile 
de Marc. Cette base me paraît bien peu solide. 

On ne saurait, avec plus de raison, ni confondre 
l'Évangile apocryphe de Pierre avec l'ouvrage 
désigné sous le titre de Prédication de Pierre, 
Kvîpuyfiia DeTpou, ni même faire dériver l'un de 
l'autre. 

On ne saurait, dis-je, les confondre,' car la Pré- 
dication de Pierre, qui est, selon toutes les vrai- 
semblances, le premier fond des Clémentines, est, 
non un Évangile, c'est-à-dire un tableau de la vie 
et de l'enseignement de Jésus-Christ, mais un ou- 
vrage consacré à l'exposition du système théoso- 
phique dont on trouve des développements quelque 

1. Qui Jesum séparant a Chrislo et impassibilem persévérasse 
Christum, passum vero Jesum dicunt^ id quod secundum Mar- 
cum est prsBferunt Evangeliutn. Irënée, Adv. hœres., lib. ÎH, 
cap. II, g 7. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS iM 

peu différents dans les Homélies clémentines et dans 
les Récognitions. 

Prétendrait-on que la Prédication de Pierre a 
donné naissance à l'Évangile apocryphe qui porte 
le nom de cet apôtre? Mais on ne comprend pas 

comment un récit de la vie et de l'enseignement du 

* 

Seigneur aurait pu être extrait d'un ouvrage de 
pure métaphysique religieuse, telle qu'on l'enten- 
dait alors. Voudrait-on prendre l'Évangile apo- 
cryphe de Pierre pour le germe ou le thème géné- 
ral de la Prédication de Pierre? Qu'on explique 
alors comment il se fait que le nom de cet Évangile 
ne se rencontre pas une seule fois dans les Clé- 
mentines. 

Ne pourrait-on pas, enfin, considérer l'Évangile 
de Pierre et la Prédication de Pierre comme deux 
écrits appartenant à une même secte judéo-chré- 
tienne, se rapportant à un même ordre d'idées, mais 
les présentant, le premier sous une forme populaire, 
exotérique, dans ce qu'elles avaient d'accessible à_ 
tous les esprits; et le second, sous une forme scienti- 
fique, ésotérique, propre à en dévoiler le sens réel 
aux initiés? Que l'Évangile de Pierre fût destiné à 
tous les membres de la secte dans laquelle il était 
tenu pour un document sacré, c'est ce qui est mani- 
feste, puisque nous le voyons répandu dans l'Église 
de Rhosse, où il servait à l'édification des fidèles, 
et que nous pouvons conclure de ce fait qu'il était 



109 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

employé au même usage dans toutes les autres 
communautés qui professaient les mêmes sentiments 
religieux. 

Nous savons, d'un autre côté, que la Prédication 
de Pierre était un ouvrage secret, et qu'il n'était 
communiqué qu'aux initiés. L'auteur de l'Épltre de 
Pierre à Jacques ** le déclare en termes formels : 
« Je te prie et je te demande, fait-il dire au pre- 
mier de ces deux apôtres, de ne confier à aucun 
des gentils les livres que je t'ai envoyés de mes 
Prédications, et de ne pas en faire part aux hommes 
que tu n'aurais pas éprouvés. Mais si tu reconnais 
que quelqu'un en est digne, alors fais-lui en part, 
selon la manière d'après laquelle Moïse communia 
qua la Loi aux soixante-dix hommes appelés à lui 
succéder dans sa chaire^. » Cette recommandation 
remplit encore le troisième et dernier paragraphe 
de cette lettre apocryphe ^, qui, à part une sortie 
contre un ennemi qui enseignait une doctrine fri- 
vole et contraire à la Loi, et dans lequel il n'est pas 
difficile de reconnaître saint Paul *, n'a pas d'autre 
but que de faire savoir que les livres de la Prédi- 

• 1. Getle Épitre fait partie de l'ensemble d'ëciits que nous 
avons désignes sous le nom général de Clémentines. 

2. Clementû Romani homiliœ, xx, éd. Dresse!, p. 3. 

3. Ibid., p. 5. 

4. Tgu i^Opoû àv6p(d77&u avcjiiGv tivsc xoù ^Xuapô^vi ^i^aoxoiXîav. 
Ibid., p. 4. Cette lettre apocryphe est traduite dans le Diction- 
nfiirfi îêf Qpocrypfy^s, pjabUé par MigOA, t. 1{, col. 685 et 6^. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 103 

cation de Pierre ne devaient être communiqués qu'a 
des hommes éprouvés, capables et dignes de les 
comprendre. 

Mais est-ce la même doctrine qui était exposée 
sous des formes différentes, dans l'un et dans 
l'autre de ces deux ouvrag-es? Il s'en faut de beau- 
coup. Il ne nous est parvenu, il est vrai, aucun 
fragment de l'Évangile de Pierre ; mais nous en 
connaissons l'esprit et la tendance par des témoi- 
gnages certains. Le docétisme y dominait, et c'est 
parmi les docètea qu'il était en usage. Dans la Pré- 
dication de Pierre il n'y avait pas la moindre trace 
de cette hérésie ; le Seigneur y est représenté sans 
doute comme un être surnaturel^ mais aussi comme 
vivant dans les conditions communes de l'existence 
humaine. Cet écrit a disparu aussi bien que l'Évan- 
gile de Pierre;- mais nous pouvons connaître le 
système qui y était exposé, par les Homélies clé- 
mentines et par les Récognitions. Nous ne sommes 
pas réduits cependant à ces renseignements, pour 
ainsi dire, de seconde main. Une analyse, ou, pour 
parler plus exactement, une sorte de table des 
matières des dix livres dont il se composait, se 
trouve insérée dans le IIP livre des Récognitions, 
§ 75. Ce programme, en outre qu'il nous donne 
une vue générale de la théosophie de cet ouvrage, 
est assez curieux par lui-même pour que nous 
jugions utile de le mettre sous les yeux du lecteur. 



104 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Le premier livre était consacré à donner les 
règles d'après lesquelles il faut entendre TÉcriture. 
C'est bien par là que devait commencer l'exposition 
d'un système qui' se fonde sur l'Écriture, mais sur 
l'Écriture expurgée, et dans laquelle il faut savoir 
distinguer ce qui est vrai et authentique de ce qui 
y a été interpolé par des hommes ignorants, de 
même qu'un changeur habile doit savoir démêler, 
parmi les pièces de monnaie qui lui sont présentées, 
celles qui sont bonnes.de celles qui sont fausses *. 
Dans le second on établissait qu'il n'y a qu'un seul 
principe des choses, et l'on en décrivait le caractère 
et la nature. Le troisième traitait de Dieu et des 
institutions qu'il avait fondées. Dans le quatrième 
on montrait qu'au milieu de la foule des dieux 
qu'adorent les nations, il n'y en a qu'un qui soit 
le vrai Dieu, comme le prouvent les Écritures. Le 
cinquième traitait du ciel visible qui est périssable, 
et du ciel invisible qui est éternel ^. Le cinquième 
était une sorte de théodicée ; après avoir expliqué 
ce qu'est le bien et ce qu'est le mal, on y exami- 
nait la grande question de cette époque, celle qui 

1. Dans rëpltre de Pierre à Jacques, dont il vient d'ôtre 
question, il est également fait meniion de la nëcessilé de con- 
naître ces règles. Il ne doit être perniis à personne d'enseigner, 
y (St-il dit, à moins qu'il n'ait appris d'abord d'après quelle 
règle il faut faire usage des Écritures, démentis' Romani homi- 
liœ, XX, p. 4. 

2. C'est le x'ïojao; voyito; et le xoVrpw; ato^roç de Platon. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 105 

préoccupa si vivement toutes les sectes gnostiques : 
d'où vient le mal? et on y prouvait qu'en définitive 
le mal coopère au bien. Le septième indiquait le 
but qu'avaient poursuivi les apôtres. C'était sans 
doute ici qu'on mettait en présence la doctrine 
judéo-chrétienne et la doctrine universaliste de 
saint Paul, pour condamner celle-ci et relever au 
contraire celle-là. Dans le huitième on expliquait 
comment les déclarations de Dieu qui paraissent se 
contredire, ne se contredisent pas en réalité, et on 
donnait le principe d'après lequel il fallait résoudre 
ces contradictions apparentes. Dans le neuvième on 
prouvait que la loi donnée par Dieu est juste, par- 
faite, et seule capable de donner la paix. Enfin, la 
dixième était une sorte d'anthropologie religieuse. 
On y enseignait que l'homme naît charnel, mais 
qu'il se régénère par le baptême, doctrine si sou- 
vent reproduite dans les Homélies clémentines et 
dans les Récognitions, et on expliquait ce que sont 
en l'homme le principe charnel, la raison de l'âme 
et l'origine et l'action du libre arbitre *. 

On le voit, il n'y a rien dans ce programme qui 
touche de près ou de loin au docétisme. Le système 
théosophique auquel il se rapporte marche dans 
une autre voie et appartient à un tout autre ordre 
d'idées. On ne saurait, par conséquent, considérer 

1 . Hilgenfeld, Die clément. Recognitiofien und Homilien, p. 50 
et 51. Voyez le t^xte latin dans l'appendice no 5. 



100 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

la théosophie de la Prédication de Pierre comme le 
développement scientifique des croyances populaires 
de rÉvangile de Pierre. Ces deux ouvrages appar- 
tenaient à des sectes différentes. 

On arrive à la même conséquence si Ton consi- 
dère que l'ascétisme, quoique commun à toutes les 
sectes des premiers siècles de l'Église, n'a pas pour 
les auteurs des Clémentines, et par suite aussi pour 
celui de la Prédication de Pierre, la même impor- 
tance que pour les docètes. Pour ceux-ci la matière 
est la source du mal, et les abstinences de toutes 
sortes le comble de la vertu. Ces principes domi- 
naient certainement aussi dans l'Évangile de Pierre; 
on en a pour preuve le soin avec lequel on veut 
établir que Marie resta toujours vierge. Les autres 
varient sur ce point. Dans les Homélies clémentines 
la matière appartient à l'empire du mal, l'homme 
doit délivrer son esprit, TuveujAa, des liens du corps. 
Tout ce qui le retient sous la dépendance de la 
chair est rfial, tout ce qui l'en affranchit est bien ; 
delà un ascétisme prononcé*. Mais cette doctrine 
est singulièrement adoucie dans les Récognitions. 
Il y est dit que les fruits de la terre sont pour tous 
les hommes; ils peuvent en jouir*. La propriété 
n'y est pas interdite; Clément et même saint Pierre 



i. Uhlhorn, Die Homiliên uud Rècognitionen, p. 218-291. 
}. Becognit,^ lib. III, cap. 38. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS i07 

paraissent posséder une certaine aisance * ; il y est 
même permis de manger de la viande; le mariage 
n'y est pas condamné*; en somme, les pratiques 
ascétiques y sont moins commandées que con- 
seillées 3. 

Cette diversité dans Tappréciation de Tascétisme, 
dans les Homélies clémentines et dans les Réco- 
gnitions, prouve que dans le principe les pratiques 
ascétiques n'étaient pas considérées comme d'une 
grande importance. On ne saurait, en effet, leur 
assigner une place dans le programme de la Pré- 
dication de Pierre. Il y est dit, il est vrai, que 
l'homme est naturellement charnel et qu'il a besoin 
de se régénérer; mais c'est par le baptême, et, par 
conséquent, par les connaissances religieuses et les 
sentiments moraux qu'il suppose dans ceux qui le 
reçoivent, que cette régénération s'accomplit, et 
non par des pratiques ascétiques. 

Encore ici se montre une différence profonde 
entre l'Évangile de Pierre et la Prédication de cet 
apôtre, et aussi entre la secte qui tenait pour un 
document sacré le premier de ces deux ouvrages 
et celle à laquelle appartenait le second. 

4. Ibid., lib. I, cap. 12; lib. VII, cap. «4. 

2. Uhlhorn, ibid., p. 254. 

3. Est sane propria quaedam nostrae religionis observanlia 
quse non lam imponitur hominibus, quam proprie ab uooquoo 
que Deum colente expetitur. Recognit,, lib, Yl^ cap. 10. UbU 
born, ibid,, p. 253, 254 el 274. 



1(M ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 



VII 



LesElkhésaïtes ou Elxaïtes, secte sur laquelle leà 
anciens écrivains ecclésiastiques donnent des ren- 
seignements difficiles à concilier *, avaient un 
livre qui était, disaient-ils, tombé du ciel 3. Un 

1. D'après Origène, cette secte, née de son temps, n*avait 
vécu qu'un moment, ii xal aux tû à?Çaa6ai dïrîoêîi. Eusèbe, HUt, 
eccles,, lib. VJ, cap. 38. D'après Épiphane, au contraire, elle 
daterait du commencement du ne siècle, et elle existait encore 
sous le règne de Constantin. Épiphane, Hœres., un, § 1. On 
n'est pas mieux d'accord sur le nom qu'elle porte. Épiphane le 
fait venir du nom de son fondateur, qui s'appelait Elxaï^ Hceres. 
XIX, §1. Cette étymologie n'a pas plus de valeur que celle du 
mot Ébionite, qu'il fait dériver également du noai d'Ébion, pré- 
tendu père de cette secte. Les éiymologies proposées par les 
modernes, pourétre moins naïves que celles des anciens écrivains 
ecclésiastiques, ne sont guère plus satisfaisantes. Scaliger voit 
dans Èx^flu une transcription de ^NDH Sn> 6 Éaaaîc;, TËssénien 
(Epiphanie opéra, éd. Migne, t. I, col. 259, note M)\ Baum- 
garten^ Geschichte der religionspartheyeriy p. 271) pense que 
le mot EIxaîte est une contraction d'Ëlkhesaîte, et que ce 
dernier terme est dans la langue du Talmud I^WH^Sn (de ttTTO 
nier), et signifie les apostats; Nilzsch (De testamentis Xîl par- 
Iriarch., p. 5) fait dériver Elxalte de nv; Sn, le Toul-Puis- 
sant, un des noms de Dieu dans PAncien Testament; Delitzsch 
croit qu'il vient du village Elkesi , dans la Galilée^ qui aurait 
été le centre d'action ou le lieu d'origine de cette secte. 

2. *Hv Xî'YGuatv ê$ cùpavcu neirruxévat. Origène, dans Eusèbe, 
Hist. eccles,, lib. VI, cap. 38. ''flv ix. tûv oùpavûv è^aoav ittwT»- 
«v«i. Théodoret, Hœret. fahul.^ lib. Il, cap. 7. 



ÉVANGILES APOGHVPHËS JUDAISANTS 109 

certain Alcibiade d'Apamée, qui Tapporta à Rome 
vers l'an 225, assurait qu'Elxaï, le père prétendu 
de cette secte, l'avait reçu des Seres dans le pays 
des Parthes, mais qu'il avait été apporté sur la 
terre par un ange haut de quatre-vingt-quinze 
milles *. Cet Alcibiade n'était probablement qu'un 
de ces charlatans qui, à cette époque, accouraient 
en grand nombre de toutes les parties de l'Orient, 
à Rome, pour y exploiter la crédulité publique; 
mais on ne peut douter que le livre dont il se ser- 
vait, ne fût celui des Elkhésaïtes, Peut-être l'avait- 
il modifié en quelques points ; mais le fond était le 
môme. Les quelques passages qu'en rapporte l'au- 
teur des Philosophoumènes s'accordent très-bien 
avec ce qu'en dit Épiphane. 

Il se trouve d'aventure qu'un passage cité dans les 
Philosophoumènes est également mentionné par ce 
dernier. «Si quelqu'un, soit homme, soit femme, soit 
jeune homme, soit jeune fille, a été mordu par un 
chien furieux et enragé, dans lequel est un esprit 
de perdition, ou s'il a eu seulement ses habits dé- 
chirés ou atteints, qu'il coure sur l'heure, et tel 
qu'il est vêtu, se plonger dans un fleuve ou une 
fontaine, et que là il adresse ses prières, dans la foi 
de son cœur, au Dieu grand et très-haut, en attes- 



4 . S. Hippolyti Refutationis omnium kœresium , lib. IX , 
S 43, éd. Dunker, p. 402. 



110 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

tant les sept témoins indiqués dans ce livre, en ces 
termes : Voici, j*attesle le ciel, Teau, l'Esprit-Saint, 
les anges de la prière, Thuile, le ciel et la terre. 
Je les prends tous les sept à témoin que désormais 
je ne pécherai plus, je ne commettrai pas d'adul- 
tère, je ne volerai pas, je ne commettrai pas d'in- 
justice, je ne serai pas avare, je ne nourrirai plus 
de haine, je ne mépriserai personne, ni ne pren- 
drai plaisir à rien de mauvais. En disant cela, 
qu'il Se plonge dans Teau, avec tous ses vêtements, 
au nom du Dieu grand et très-haut *. » 

Épiphane dit à son tour que chaque fois que 
quelqu'un des Elkhésaïtes tombe malade ou est 
piqué par un serpent, il descend dans Teau, en in- 
voquant les appellations (Ta; sircûvujjLia;) indiquées 
dans le livre d'Elxaï, c'est-à-dire celles du ciel et 
de la terre, du sel et de l'eau, des vents et des anges 
de la justice, du pain et de l'huile, et en disant en- 
suite : Secourez-moi et délivrez-moi de ce mal '. 

La comparaison de ces deux passages est une 
preuve manifeste que le Jivre d'Alcibiade, dont il 
est question dans les Philosophoumènes, était le 
môme, du moins quant au fond général, que celui 

4. S. Hippolyti Refutationû lib. ÎX, § 45, p. 466 et 468. 
L'invocation des sept témoins est de rigueur dans les malheurs 
et les maladies. Ihid., lib. IX, g 45 et 46. 

2. Épiphane, Hœres.^ xxx, § 47. Huit témoins sont nommés 
ici ; mais ailleurs, Épiphane né parle que de sept, comme dans 
les Philosophomènes. Épiphane, Hœres.^ xix, g i. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS Hl 

dont parle Épiphane. Ce livre n'était pas un évan- 
gile, mais bien plutôt un recueil de recettes magi- 
ques pour la guérison par Teau et l'invocation des 
sept témoins, des maux du corps aussi bien que des 
maux de Tâme *, ou un rituel de cérémonies mys- 
tiques et symboliques, dans le goût des supersti- 
tions orientales. Gomme tous les ouvrages de ce 
genre, celui-ci ne devait être communiqué qu'a- 
vec la plus grande discrétion. Celte recomman- 
dation était inscrite dans le livre lui-même : « Gar- 
» dez-vous de lire ce livre à tout le monde, y 
» était-il dit; conservez-en avec soin par devers 
» vous les préceptes, car tous les hommes ne sont 
» pas fidèles, ni toutes les femmes droites '. » 

S'il faut en croire Épiphane, les Osséens ^, les 
Ébionites et les Nazaréens se servaient également 
de ce livre; ils l'avaient reçu des Elkhésaïles *. Ce 

4. n en est .rapporté plusieurs dans S. Hippolyti Refutatto- 
nés, lib. IX, § 45-47, p. 466-470. Thëodoret dit également 
qu'ils se servaient du baptême (des bains) en invoquant les 
éléments. Ki'xpvtvTai PflMrrtofAAToç ciri rji 9rot'X(t«>>v 6|MXo^a. HcBret* 
Fabul,, lib. Il, cap. .7. 

2. S. Hippolyti Réfutât., lib. IX, § 47. 

3. Ce nom d'Osséens dérive-t-il de celui d'Esséniens ? On le 
conjecture; mais cette explication est bien peu 'satisfaisante. 
Tout ce qu'on sait au reste de cette secte, c'est qu'elle était 
judéo-chrétienne. 

4. Kéxj^ennon Sk rv! pi€X(p tautt) xai 'Oaaaloi , xoù l&uvalot , xal 
ifa^wpaîoi. Épiphane, Hœres., un, § 4 . C'est peut-être à ce fai^ 
que se rapporte la légende racontée dans les Philosophoumènes, 
lib. IX, § 43, qu'Ëlxaï avait transmis son livre à Sobial. 



14Î ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

fait est d'autant moins invraisemblable que les 
judéo-chrétiens, dont les conceptions religieuses 
étaient dans le principe d'une extrême simplicité, 
ne tardèrent pas à se laisser envahir par les idées 
mystiques. Le courant théosophique était tel à 
cette époque que rien ne pouvait y résister; il en- 
traîna toutes les sectes. 

Faut-il, avec M. Uhlhorn, attribuer aux Elkhé- 
saïtes l'introduction des superstitions mystiques et 
magiques parmi les judaïsants * ? Je serais fort 
porté à le croire. Toutes les idées théosophiques 
qu'on remarque dans les diverses sectes judaïsantes 
se retrouvent dans le système des Elkhésaïtes, et 
comme il est peu croyable que ceux-ci aient ra- 
massé les divers éléments mystiques épars dans ces 
diverses sectes pour se les approprier, on est, en 
quelque sorte, obligé d'admettre que c'est d'eux 
au contraire qu'ils passèrent dans ces diverses 
sectes. 

Les Nazaréens leur avaient sans doute em- 
prunté la conception du Saint-Esprit comme un 
• principe féminin, conception que nous avons vue 
dans un passage de l'Évangile des Hébreux cité 
par Origène et par Jérôme 2. 

4. Ublliorn, Die Homilien und Recognitionen, p. 39S et suiv. 

2. Origèue, Opera^ éd. Huet, t. I, p. 448, Homil. xv in 
Jeremiam, et t. 11, p. 58, in Johannem; Jérôme, Comment, in 
Esaiamy xl, 44; Comm. in Micham^ vu, 6. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 118 

C'est surtout dans les Clémentines que ces em- 
prunts sont le plus manifestes. Les syzygies, qui y 
jouent un rôle si considérable, sont peut-être une 
imitation ou un développement de la théorie des 
sept témoins (les sept éléments, cToi^eta, comme les 
appelle Théodoret) qui représentent le bon côté des 
choses et auxquels on opposa une série de repré- 
sentants du mal *. Quoi qu'il en soit, la christologie 
des Clémentines rappelle certaines conceptions sin- 
gulières des Elkhésaïtes. Quand on y voit le Christ 
appelé le grand Roi, (A^ya; pact^eu;, on ne peut 
s'empêcher de penser à la figure gigantesque que 
ceux-ci lui donnaient ^, L'identification d'Adam et 
du Christ, comme encore du Christ et de Moïse, ne 
se trouve pas seulement dans les Clémentines, cette 
singulière théorie est propre aussi aux Elkhésaïtes 3. 
Les Ébionites des Clémentines la leur avaient cer- 
tainement empruntée. L'importance attachée dans 
les Homélies clémentines à la connaissance des mé- 
taux et des pierres précieuses, aux arts magiques 

4. Le Christ et sa sœur le Saint-Esprit ne formeraient-ils 
pas les deux premiers termes d'une série de syzygies? Épi- 
phane, Hœres., xxx, § 3. 

2. Le Christ, avait, selon eux, quatre-vingt-seize milles de 
hauteur et vingt-quatre milles de largeur. Épiphane, Hœres.f 
XIX, § 4. C'est aussi la taille de l'ange qui apporta du ciel le 
livre d'EIxaï. S. Hippolyti Réfutât,, lib. IX, § 43. Cet ange 
était le Christ lui-môme. 

3. Épiphane, Hœres,, xxx, § 3. S. Hippolyti Réfutai, , 
lib. IX, § U. JEfowi^ xvui, i 3. 

8 



114 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

et à l'astronomie *, est encore un trait caractéris- 
tique de la théosophie des Elkhésaïtes. 

Ces conceptions mystiques que ces sectaires 
transmirent à tous les autres chrétiens judaïsants, 
où les avaient-ils prises eux-mêmes? A la gnose qui 
était née à Alexandrie et dans TAsie-Mineure d'un 
mélange confus des /croyances orientales et de la 
philosophie grecque? Non, sans doute, la théoso- 
phie des Clémentines et des Elkhésaïtes est d'un 
autre caractère. Cette théosophie est propre à la 
Syrie. Il est difficile de distinguer avec quelque 
netteté de quels éléments et sous quelle influence 
elle se forma ; mais elle se trouve la même au fond, 
portant un air de famille qu'on ne peut mécon- 
naître, dans toutes les sectes juives ou chrétiennes 
de cette contrée. Ce fait avait frappé Épiphane, 
quelque mauvais observateur qu'il fût. Il répète à 
plusieurs reprises que les hérétiques qui professent 
ces opinions se trouvent dans la Pérée, la Nabatée, 
riturée , le pays de Moab, autour de la mer 
Morte 2. Une certaine connaissance des éléments 
du monde, formant une physique et une cosmo- 
graphie fantastiques, des syzygies opposées ou con- 
juguées, la théorie de la purification par l'eau, se 
présentent à des degrés divers dans l'essénisme, 
dans le livre d'Hénoch, dans la Cabbale, dans le 

1. Homil., XVIII, §44. 

2. Épiphane, Hœres., m, § 4; un, § 4. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 115 

livre des Elkhésaïtes et dans les Clémentines. Les 
origines de cette gnose syrienne sont antérieures 
au christianisme; elle pénétra dès lô commence- 
ment du second siècle dans les Églises chré- 
tiennes de ce pays; les Elkhésaïtes en furent pro- 
bablement les principaux représentants parmi les 
chrétiens ; ils la propagèrent parmi toutes les 
sectes judéo-chrétiennes. 



VIII 



Parmi les Évangiles apocryphes judaïsants les 
plus connus dans les premiers siècles de l'Église, 
il faut placer celui qui était désigné sous le nom 
d'Évangile égyptien ou selon les Égyptiens *. 

Grabe voulait qu'il fût une de ces narrations 
évangéliques (^tTî'yvi^etç), dont parle saint Luc dans 
le prologue de son Évangile. Cette opinion, certai- 
nement de la plus haute invraisemblance, lui avait 
été suggérée sans doute, soit par la citation qui 
est faite de cet Évangile dans là seconde épître 

4 . To aipirnov Eùa'nftXiov. Épiphane, Hœres,, Lxri, § t ; Evan- 
gelium secundum ^gyptios, Origène, IfomiL i in Luc; Evan- 
gelium juxta ^gyptios, Jérôme, Prolog, in commentarios super 
Matth. 



146 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

de Clément de Rome, soit par cette circonstance 
qu'Origène et Jérôme, en mentionnant un certain 
nombre d'Évangiles apocryphes, nomment celui-ci 
le premier. Il n'y a pas de conclusion à tirer de 
ce dernier fait qui est purement accidentel; Ori- 
gène et Jérôme n'ont pas eu l'intention, en indi- 
quant ces apocryphes, de les classer chronologi- 
quement; ils ont tout simplement mentionné les 
plus connus et dans l'ordre où ils se sont présentés 
à leur mémoire * . La citation de cet Évangile dans 
la seconde épître de Clément Romain peut encore 
moins fournir une preuve de son âge, car cette, 
épître n'est pas authentique; elle est postérieure au 
personnage dont elle porte le nom, si toutefois ce 
Clément est le même quç celui dont il est parlé 
dans Philippiens, iv, 3. 

Il n'en est pas moins certain qu'il est très-an- 
cien. S'il n'est pas, comme le pense Fabricijas, anté- 
rieur à Basilide, avec TÉvangile duquel il a été 
quelquefois confondu 2, il est probablement de la 
môme époque. Il existait, en effet, dans la seconde 
moitié du second siècle; on le sait par Clément 
d'Alexandrie qui en parle ; et puisque quelques 
sectes chrétiennes s'en servaient alors comme 



4 . Jérôme suit évidemment Origène dans cette indication des 
Évangiles apocryphes. 

2. Fabricius, Codex apocryphus Novi Testamenti, pars 1, 
p. 337, note k. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 117 

d'une autorité scripturaire , il faut nécessairement 
admettre qn'il remontait plus haut. Ce ne serait 
pas sans doute s'écarter beaucoup de la vérité que 
d'en placer la composition vers le commencement 
du second siècle. 

Quel était le caractère de cet Évangile? 

Pour nous en faire une idée, nous devons 
avoir recours à deux sources différentes, à la se- 
conde épître de Clément Romain, dont l'auteur ne 
semble pas avoir fait usage d'autres Évangiles 
que de celui des Égyptiens, et à Clément d'Alexan- 
drie qui en rapporte trois passages dans ses Stro- 
mates, en réfutant les théories qu'en tiraient quel- 
ques hérétiques de son temps. 

La seconde épître de Clément Romain est un 
écrit judaïsant. Schneckenburger en a donné des 
preuves incontestables*. Sans m'engager dans cet 
examen, je ferai seulement remarquer que l'esprit 
pratique qui y règne d'un bout à l'autre, les 
croyances chiliastes qui y percent en plus d'un pas- 
sage, les analogies d'idées et même d'expressions 
qu'elle présente avec les Homélies clémentines, 
enfin le choix qu'on a fait de Clément Romain, 
personnage presque aussi cher aux Ébionites que 
les apôtres Jacques et Pierre, pour la mettre sous 
son nom, sont autant d'indices certains du carac- 

■ 4 . Schneckenburger, Ueher dos Evangelium^ der jEgypter, 
|6, p. 13 24. 



118 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

têre et de Torigine judéo-chrétienne de cette pièce 
apocryphe. 

L'Évangile qu'en cite l'auteur, sauf deux ou 
trois phrases qui ne se trouvent dans aucun de 
nos Évangiles canoniques, rappelle celui de saint 
Matthieu. Il est certain toutefois que cet Évan- 
gile est celui des Égyptiens, car un des passages 
cités dans cette épître l'est également par Clément 
d'Alexandrie, et celui-ci nous apprend qu'il est de 
rÉvangile selon les Égyptiens. Que conclure de là 
sinon que cet Évangile présentait les plus grandes 
analogies avec notre premier Évangile canonique, 
sans lui être cependî^nt identique,, et, par consé- 
quent, qu'il appartient à la nombreuse famille des 
Évangiles judéo-chrétiens, dont celui selon les Hé- 
breux offre le type le moins altéré ? , 

Si la seconde épître de Clément de Rome en dé- 
termine le genre, les passages que nous en trou- 
vons dans les Stromates de Clément d'Alexandrie 
nous en montrent 'ce qu'on appellerait, dans le 
langage de l'école, la différence spécifique, c'est- 
à-dire ce qui en forme le caractère particulier et le 
distingue de tous les autres écrits de la môme 
famille. Ces passages sont au nombre de trois. Ils 
sont empreints du même esprit et se rapportent 
à des sujets appartenant à un môme ordre d'idées. 

Voici le premier; il est cité à la fois par Clé- 
ment Romain et par Clément d'Alexandrie; je 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 119 

complète la citation de l'un par celle de l'autre, 
chacun d'eux en ayant omis un membre de phrase. 
« Le Seigneur, interrogé par Salomé quand arri- 
» verait son règne, répondit : Quand vous foulerez 
» aux pieds le vêtement de la pudeur, quand deux 
» seront un, quand ce qui est extérieur sera 
» semblable à ce qui est intérieur, et que le 
» mâle uni à la femelle ne sera ni mâle ni fe- 
» melle*. » 

S'il fallait s'en rapporter à l'explication que l'au- 
teur de la seconde épître de Clément Romain donne 
de ce passage, on n'y verrait qu'une exhortation à 
la sincérité et à la bienfaisance. « Deux seront un, 
dit-il, lorsque nous serons véridiques les uns à 
l'égard des autres, et qu'en deux corps il n'y aura 
qu'une âme, sans dissimulation et sans déguise- 
ment. Ce qui est extérieur, c'est le corps; ce qui 
est intérieur, c'est l'âme. De même donc que votre 
corps paraît extérieurement, qu'ainsi votre âme se 

4 . Je mets en présence les deux citations de Clément de Rome 
et de Clément d'Alexandrie : 

Clément d'Alexandrie. Clément Romain. 

Stromat., lib. III, cap. 43. 2» Épist., cap. 12. 

')fV(i>o(hiotTai Ta inpt 6»v ti^no^ e^vi Onb tivoç irors vi^i aÙTcû "h ^aai- 

xupioç* ^rav xh tyî; «Îctxuvyjç S^- Xeia; orav iaran Ta ^ûo Iv, xat tô 

^u|ia warnoTfjTS , xai orav ^imroLi iÇw àç to fow, xai to élpaev puetà 

rà ^ûft Iv, xai rà àp^ev (xerà rîiç rîi; dYjXeîaç outj àpaev cure Of,Xo. 
dBXtio; «Crt âj^cv oStc (HiXii. 



190 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

manifeste par ses bonnes œuvres. » L'explication 
du dernier membre de phrase manque, le reste de 
Tépître n'étant pas parvenu jusqu'à nous; mais elle 
était, sans le moindre doute, de môme nature que 
celles des deux propositions précédentes. 

Il y a certainement autre chose dans ce passage. 
C'est dans un sens mystique, et non dans un sens 
moral, qu'il faut le prendre, et c'est bien ainsi que 
l'entendaient les hérétiques que combat Clément 
d'Alexandrie. Jules Cassien, « chef de la secte des 
Docètes, » au dire du célèbre écrivain alexandrin*, 
l'invoquait contre l'union des sexes. Cette inter- 
prétation jette Clément d'Alexandrie dans un visible 
embarras. Il cherche à se tirer d'affaire en infirmant 
d'abord l'autorité du texte cité par Jules Cassien. 
Cette déclaration du Sauveur, fait-il remarquer, ne 
sie trouve que dans TÉvangile des Égyptiens ; elle 
n'est pas connue des Évangiles canoniques. Mais 
comme Jules Cassien en appelait en même temps à 
une parole de saint Paul dont Tauthenticité ne pou- 
vait être contestée, le docteur alexandrin ne croit 
pas pouvoir décliner la discussion, et il donne, de 
son côté, l'interprétation de la déclaration de Jésus 
de l'Évangile apocryphe, et de celle de saint Paul 
qu'y associait Jules Cassien. 
En réalité, les paroles de l'apôtre des Gentils in- 

4. 'O T^ ^oTvnQttùç ild^m. Stromat,, lib. III, cap. 43. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS lîl 

voquées ici, n'ont pas le moindre rapport avec la 
question dont il s'agit. Ce sont les derniers mots 
de ce passage de Tépître aux Galates, iii, 28 : 
« Il n'y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni libre, 
ni hommes ni femmes. » Saint Paul veut dire évi- 
demment que la foi chrétienne ne tient aucun 
compte des distinctions de race, de famille, de po- 
sition sociale, de sexe, et ne considère que la créa- 
ture humaine en elle-même. Mais il y a ici les 
mots « ni homme ni femme; » on les détachait du 
contexte, et on les rapprochait des expressions sem- 
blables du passage de TÉvangile apocryphe. Clé- 
ment d'Alexandrie n'a pas plus égard que l'héré- 
tique qu'il veut réfuter^ au sens naturel qu'ont les 
mots dans l'ensemble du discours de saint Paul; 
il y cherche un sens alambiqué qui, pour être autre 
que celui qu'y découvrait Jules Gassien, n'était pas 
moins arbitraire. L'homme, selon lui, c'est la co- 
lère, et la femme le désir, et ce que l'apôtre a voulu 
enseigner, c'est qu'il faut que Tâme se dégage du 
désir et de la colère, vapeurs grossières que doit 
dissiper la lumière de l'intelligence, pour se con- 
centrer dans l'obéissance du Verbe. 

Si cette explication, appliquée aux paroles de 
saint Paul, est erronée, elle l'est à un bien plus 
haut degré encore, appliquée à la déclaration de Jésus 
à Salomé. Jules Gassien était dans le vrai en en 
déduisant une condamnation de l'union des sexes. 



IM ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Mais ce passage contient plus qu'une prescription 
ascétique. Ce qu'on a voulu y faire dire au Seigneur, 
c'est que son règne arrivera quand les conditions 
actuelles de l'existence humaine auront changé, 
quand les êtres humains seront retournés à leur 
état primitif, à leur état d'âme pure, qu'ils seront 
débarrassés de leurs corps ou, comme s'exprime cet 
apocryphe, quand les deux choses qui constituent 
actuellement Thomme, l'âme rationnelle et le corps, 
ne feront plus qu'une seule chose, un esprit pur, 
ce qui est encore présenté sous cette locution figu- 
rée, quand ce qui en l'être humain est extérieur, 
c'est-à-dire le corps, sera devenu semblable à ce 
qui lui est intérieur, c'est-à-dire l'âme, ou, en 
d'autres termes, ^quand le corps se sera tellement 
spiritualisé, qu'il rentrera dans l'ânje ou qu'il dis- 
paraîtra, de sorte que l'homme ne soit qu'un pur 
esprit. C'est là fouler le vêtement de la pudeur. 
Que signifie cette singulière expression? Qu'est-ce 
que ce vêtement? Jules Gassien nous le dit : par ce 
vêtement de la pudeur il faut entendre « les tuniques 
de peau » dont Dieu couvrit lui-même Adam et 
Eve quand, après leur péché, ils eurent honte de 
leur nudité *. 11 est évident que ces tuniques de 
peau sont prises ici dans un sens allégorique. Que 
faut-il entendre par là ? Demandez-le à Philon ; il 

1. Genèse, m, 21, compar. avec Genèse^ ii, 25. Clémenl d'A- 
lexandne^ Stromat,^ lib. III, cap. 43. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS it3 

VOUS dira qu'elles signifient le corps humain ^ et 
voici comment. L'être humain en lui-môme, c'est 
l'âme rationnelle, le Nouç : il n'était pas autre chose 
primitivement. Mais s'étant épris d'un fol amour 
pour le sensible^ il tomba au milieu du monde cor- 
porel, et pour pouvoir être en rapport avec ce milieu 
dans lequel il se trouva exilé, il dut revêtir un 
corps; c'est ce que les saintes Écritures veulent 
nous apprendre quand elles nous disent que Dieu 
couvrit la nudité de nos premiers parents de tuniques 
de peau. 

Si l'on considère maintenant que le royaume de 
Dieu sera le rétablissement de l'être humain dans 
son premier état, tel qu'il était avant la chute, 
c'est-à-dire avant d'être uni à un corps, ou mieux, 
avant d'être emprisonné dans un corps, on com- 
prendra comment, dans cette théorie, on a pu 
mettre dans la bouche du Sauveur les singulières 
paroles de ce passage. 

Le second passage est en parfaite harmonie de 
doctrine avec le précédent. « Salomé ayant de- 



1 . Ad mentem vero tunica peliicea symbolice est pellis natu- 
ralis, id est corpus nostrum. Deus enim intellectum condens 
primum, vocavit illum Adam ; deinde sensum, cui vitse (Eva) 
nomen dédit; lerlio ex necessitale corpus quoque facit, tunicam 
pelliceam illud per symbolum dicens. Oportebat eDÎm ut Intel- 
lectus et sensus velut tunica cutis induerent corpus. Pbilon, 
QucBsHonum et soluiionum guœ sunt in Genesi sermo J, § 53, 
trad. de Tarménien par J.-B. Aucher; Venise, 4826. 



m ÉTUDES SUR LES .ÉVANGILES 

» mandé jusques à quand les hommes mourront, le 
» Seigneur dit : Aussi longtemps que vous autres 
» femmes vous enfanterez *. Elle dit alors : J'ai 
» donc bien fait, moi qui n'ai jamais enfanté. Le 
» Seigneur répliqua : Nourrissez-vous de toute 
» herbe; mais ne vous nourrissez pas de celle qui 
» a de l'amertume ^. » 

C'est encore une condamnation de l'union des 
sexes que Jules Gassien^ et, comme lui, à ce qu'il 
semble, les Encratites voyaient dans cette déclara- 
tion de Jésus-Christ. Clément d'Alexandrie ne veut 
pas l'entendre dans ce sens. Il a facilement raison 
de ses adversaires dans l'explication de la première 
phrase du Seigneur. Ces mots : « aussi longtemps 
que vous autres femmes enfanterez, » pourraient 
bien, en effet, signifier seulement que la mort est 
la suite inévitable de la naissance, et c'est ainsi 
qu'il les explique. Voilà, dit-il, ce que le Seigneur 
a voulu enseigner. Mais ce qui suit échappe à toute 
explication de ce genre. Clément d'Alexandrie se 
tire d'affaire par des subtilités et des déclamations. 
Quand le Seigneur dit : « Nourrissez-vous de toute 
herbe, mais non de celle qui est amère, » il hidique^ 
selon lui, que la continence et le mariage sont 
laissés à notre choix, sans qu'il y ait nécessité de 
commandement de l'un ou de l'autre. « Il prouve 

1. Clément d'Alex., Stromat.^ lib. III, cap. 6. 

2. Ibid., éap. 9. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS li5 

de plus, ajoute-t-il, que le mariage continue l'œuvre 
de la création. Qu'on cesse donc de regarder comme 
une prévarication l'union contractée selon le Verbe, 
à moins qu'on ne juge trop pénible le soin d'élever 
des enfants, etc. *. » 

Encore ici le désir de trouver à ces prétendues 
déclarations du Seigneur un sens raisonnable, 
orthodoxe, égare Clément d'Alexandrie; ses ad- 
versaires, au contraire, y voient ce qu'il y a 
réellement, c'est-à-dire une doctrine ascétique et 
mystique, et cette doctrine a ses racines, comme la 
précédente, dans la théosophie de Philon. 

« Nourrissez-vous de toute herbe, mais ne vous 
nourrissez pas de celle qui a de l'amertume, » c'est, 
sous une autre forme, le commandement donné par 
Dieu à nos premiers parents : Mangez du fruit 
de tout arbre du paradis, mais ne mangez pas de 
l'arbre de la science du bien et du maP. » Ce 
commandement ne peut, pas plus que les tuniques 
de peau, s'entendre à la lettre. Se nourrir de toute 
herbe, ou manger du fruit de tout arbre du paradis, 
c'est faire usage de tout ce qui fait vivre l'âme ; 
c'est pratiquer le bien, ou, comme dit Philon, c'est 
honorer ses parents, c'est adorer Dieu. L'herbe 
amère, le fruit de l'arbre de la science du bien et du 
mal, c'est, au contraire, ce qui donne la mort, non 

1. Clément d'Alex., Stromat., lib. IIl, cap. 9. 

2. GenèsCy ii, 16 et 47. 



126 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

la mort commune, où tov xoivôv OàvaTov, la mort du 
corps, mais la mort spirituelle, iXkà. tov î^tov, xal 
jcaT* èÇoj^Yîv ôàvaTov, la mort de l'âme, cette mort 
qui soumet l'âme au corps et aux affections sen- 
suelles*. Quand l'homme en sera venu à ne se 
nourrir que de ce qui donne la vie à Tâme, alors 
il ne mourra plus. Voilà ce que, dans ce pas- 
sage, le Seigneur a voulu enseigner à Salomé. 

Enfin, dans un troisième passage rapporté éga- 
lement par Clément d'Alexandrie, on lit ces paroles 
mises dans la bouche de Jésus-Christ : « Je suis venu 
» pour détruire Içs œuvres de la femme, de la 
» femme, c'est-à-dire de la concupiscence dont les 
» œuvres sont la génération et la mort 2. » 

Il ne serait pas impossible que la première partie 
de ce passage, savoir : « Je suis venu détruire les 
œuvres de la- femme, » n'eût été réellement pro- 
noncée par Jésus-Christ. Si par la femme on entend 
Eve, comme le propose Camérarius, ce qui est tout 
à fait naturel, ces paroles signifieraient que le Sei- 
gneur est venu pour faire cesser les désordres mo- 
raux qui régnent parmi les hommes depuis le pre- 
mier péché, commis, selon la tradition mosaïque, à 
l'instigation d'Eve. Il faudrait supposer alors que 
la seconde partie de ce passage est une explication 
de ce qui précède, ajoutée soit par celui qui arran- 

4 . Philon, Legis allegoriarum lib. I, § 31-33. 
8. Clément d'Alex., Stromat., lib. III, cap. 9. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS »27 

gea rÉvangile des Égyptiens, soit par le sectaire 
que Clément d'Alexandrie prend ici à partie et veut 
réfuter, explication qui aurait sans doute dénaturé 
le sens primitif de la déclaration de Jésus-Christ, 
mais qui était en harmonie avec les sentiments 
ascétiques répandus dans tout l'Orient au second 
siècle. 

Ce n'est pas cependant dans ce sens simple et 
raisonnable qu'elle est prise dans cet Évangile. 
Elle y est entendue conformément à la doctrine 
mystique qui est contenue dans les deux passages 
précédents. Clément d'Alexandrie essaye en vain' 
de lui donner une signification purement morale. 
« Le Seigneur ne nous a pas trompés, dit-il, car 
en vérité il a détruit les œuvres de la concupis- 
cence, l'amour de l'argent, des querelles, de la 
gloire, la passion effrénée des femmes... Or, la 
naissance de ces vices est la mort de l'âme, puis- 
que nous mourons véritablement par nos péchés *. 
Par la femme, il entend l'intempérance. » Ce n'est 
pas dire assez. Parla femme, on désigne dans ce pas- 
sage de notre apocryphe la concupiscence, ou mieux 
la source, la cause de la concupiscence, ou mieux 
encore ce qui produit la génération et la mort. 

Ce qui produit la génération et la mort, c'est le 
corps, auquel depuis la chute des âmes nous som- 

1 . Romains, vi, 23; vu, 11. 



118 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

mes attachés; et le corps, nous Tavons déjà vu, 
c'est la femme, c'est Eve qui fut donnée pour aide 
à Adam (l'âme raisonnable), afin qu'il pût être mis 
en rapport avec le monde sensible *. Quand donc 
Jésus annonce qu'il est venu détruire les œuvres 
de la femme, qui sont la génération et la mort , 
il veut dire qu'il est venu ramener l'être humain 
(l'âme rationnelle, le NoOç) à son premier état, en lui 
apprenant à rompre les liens qui le rattachent au 
sensible, à se délivrer de la prison de son corps, à 
revenir des conditions de l'existence actuelle, qui, 
par suite de la vie dans une forme matérielle, sont 
la génération et la mort, à celles de l'existence 
spirituelle pour laquelle il a été fait et dont il était 
en possession avant sa chute dans le monde des 
corps. 

Les conceptions contenues dans les trois pas- 
sages que nous a conservés Clément d'Alexandrie, 
se lient bien les unes aux autres. Elles se rap- 
portent toutes à une certaine théosophie dont on 
trouve l'exposition dans les écrits de Philon et 
qu à cette époque on chercherait vainement ail- 
leurs. Et non- seulement on retrouve ici le sys- 
tème théosophique du célèbre Juif alexandrin, 



1. Sensus, quœ symbolice mulier est. Philon, Quœstionum 
et solutionum quœ sunt in Genesisermo i, § 52. Generatio enim, 
ut sapientum fert sententia, corruptionis est principium. Ibid,, 
S 40. 



ÉVANGILES APOGUYPIIES JUDAISANTS 129 

mais encore, ce qui est un indice plus mani- 
feste de la source à laquelle a été pris le mys- 
ticisme ascétique de l'Évangile égyptien, on l'y 
retrouve avec les expressions bizarres et les formes 
de langage qui appartiennent à Philon et qui n'ap- 
partiennent qu'à lui. Nul autre ne s'était encore 
avisé de voir dans les premiers chapitres de la Ge- 
nèse l'histoire de la chute de l'âme dans le monde 
sensible, de faire d'Eve, de la femme, le symbole 
du corps humain, et de partir de là pour expliquer 
comment l'âme rentrera dans son état primitif, pu- 
rement spirituel, en se débarrassant du sensible 
auquel elle est attachée dans l'existence actuelle. 
Toute cette théorie est reproduite, et dans le même 
langage, dans l'Évangile des Égyptiens. Quand 
nous foulerons aux pieds les tuniques de peau dont 
nous avons été couverts après la chute, ce vête- 
ment qui nous a été donné parce que nous avions 
honte d'être nus, quand le corps sera devenu sem- 
blable à l'âme, que l'union de l'âme au corps, du 
mâle à la femelle n'existera plus, que la femme, 
c'est-à-dire le corps, n'enfantera plus, ne produira 
plus la génération et la mort, que ses œuvres se- 
ront détruites, alors nous ne mourrons plus, nous 
serons redevenus comme avant la chute, des esprits 
purs ; ce sera le royaume du Seigneur. Et pour 
préparer cette transformation, que faut-il faire? 
Se nourrir de toute herbe, manger du fruit de 

9 



130 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

tout arbre du paradis, c'est-à-dire cultiver l'âme et 
ne l'occuper que de ce qui peut la faire vivre, et 
en môme temps s'abstenir de l'herbe qui a de 
l'amertume, ne pas manger du fruit de Tarbre de 
la science du bien et du mal, c'est-à-dire repous- 
ser tout ce qui pourrait resserrer les liens de l'âme 
et du corps, et retenir la première dans sa prison, 
dans son tombeau, comme disait Philon, en em- 
pruntant une expression de Platon. 

Aller chercher l'explication de cette théosophîe 
dans le pythagorisme ou dans toute autre théosophie 
grecque, comme l'a fait, entre autres, Schnecken- 
burger, c'est se perdre en de vaines hypothèses. La 
théosophie de l'Évangile des Égyptiens ne présente 
réellement d'analogie qu'avec Philon, et d'un autre 
côté, tandis qu'on ne saurait comprendre comment 
le judéo-christianisme aurait été mis en contact avec 
quelque système grec, on s'explique très-bien 
comment il en vint à s'unir avec le philonisme. 

On ne saurait douter que la théosophie philo- 
nienne ne se fût conservée à Alexandrie, au milieu 
d'un cercle de Juifs éclairés. Peut-ôtre ApoUos en 
avait fait partie, avant d'embrasser le christianisme. 
L'Évangile des Hébreux ou tout autre Évangile 
de cette famille, apporté en Egypte, attira-t-il 
l'attention de quelques-uns de ces disciples de Phi- 
lon? Ou bien encore quelque Ébionite, amené à 
Alexandrie, se laissa-t-il séduire par cette théoso- 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 131 

phie singulière et voulut-il l'incorporer à son 
Évangile ? On ne saurait décider de quelle manière 
s'opéra l'union; mais la possibilité n'en peut être 
douteuse. C'est à Alexandrie qu'elle se fit. Le titre 
d'Évangile des Égyptiens ou selon les Égyptiens 
en est un indice irrécusable. 

Cet apocryphe paraît avoir eu de grands succès. 
Les diverses fractions des Ébionites semblent l'avoir 
également adopté. Nous savons, en effet, par Clé- 
ment d'Alexandrie, que Jules Cassien, le chef des 
Docètes, comme il l'appelle, tenait cet écrit 
pour un livre saint. Tel était sans doute aussi 
lé sentiment des Ébionites Docètes, dont on peut le 
regarder comme le plus célèbre représentant. Nous 
savons, d'un autre côté, par la seconde épître de 
Clément Romain, que ceux des Ébionites qui re- 
poussaient le docétisme n'avaient pas cet apocryphe 
en moins haute estime que les autres. Il est, en 
effet, admis comme Écriture Sainte par l'auteur 
de cette épître, qui est un adversaire décidé do cette 
hérésie qu'il combat à plusieurs reprises *. 

D'autres sectes encore firent usage de cet Évan- 
gile *, attirées sans le moindre doute par le ca- 



4 . Par exemple, dans ce passage : a Jësus-Christ, quoique 
d'une nature spirituelle, s'est fait chair, et, sous cette chair, 
nous a appelés. » 2« Epître de Clément Romain, chap. 9. 

3. Clément d'Alexandrie nomme, à côté des Docètes, les 
Encratites, Stromat., lib. III, cap. 6^ 9 et 43, et Ëpiphane les 



132 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

ractère mystique très-prononcé qu'il devait aux 
emprunts faits à la théosophie de Philon. Le 
mysticisme, et l'ascétisme qui en est inséparable^ 
formaient une sorte de terrain commun, sur le- 
quel les partis les plus opposés sur bien des points 
essentiels pouvaient à cette époque se réunir et se 
tendre la main. 



IX 



L'Évangile de Gérinthe ne semble avoir été que 
l'Évangile selpn les Hébreux, modifié seulement 
dans quelques-unes de ses parties. Telle est l'opi- 
nion d'Épiphane. Gérinthe et ses partisans se ser- 
vaient, à ce qu'il rapporte, de l'Évangile de 
Matthieu, mais mutilé, im ppouç )cal où/^l oXcj) *. 
Ailleurs, il est vrai, le même écrivain ecclésias- 
tique donne l'Évangile de Gérinthe pour un de 
ceux dont Luc parle dans le prologue de son Évan- 
gile, et dont il s'était proposé, dit Épiphane, de 
confondre les erreurs et les mensonges, en rétablis- 

Sabelliens, Hœres., lxii, § 2. Schneckenburger, ibid., p. %t 

et 23. 
4. Épiphane, Hœres., xxviii, § 3 et 5; xxx, g U; Philas- 

trius, Hœres.j 36. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 133 

sant rhistoire évangélique dans toute sa vérité *. 
Mais ce n'est là qu'une affirmation gratuite, 
accommodée à l'histoire fantastique qu'il raconte 
de l'origine de nos quatre Évangiles canoniques^ 
et, par conséquent, sans la moindre valeur, tandis 
que, quand il dit que l'Évangile de Gérinthe était 
celui de Matthieu, mais tronqué et arrangé, il 
rapporte un fait qui pouvait lui avoir été transmis 
fidèlement et qu'il était d'ailleurs encore possible 
de son temps de vérifier. Il faut ajouter que les 
Carpocratiens, qui professaient sur la personne du 
Sauveur les mêmes opinions que Gérinthe, les 
sf^puyaient, comme lui, "sur le môme Évangile de 
Matthieu *, et en parlant des*Garpocratiens, Épi- 
phane se trouvait en présence de faits dont il avait 
pu lui-jnôme être témoin. 

Origène et Ambroisp sont les deux seuls anciens 
écrivains ecclésiastiques qui parlent d'un Évangile 
de Basilide, et encore ces deux témoignages ne peu- 
vent compter que pour un seul, car Ambroise re- 
produit tout simplement les paroles d'Origène, sans 
y rien ajouter, et probablement aussi sans avoir 
pris d'autres informations. « Basilide, dit Origène, 
osa écrire un Évangile et lui donner son nom *. » 

4 . Ëpiphane, Hœres.^ l'ii § 7. 

a&ToTc isitwf^i^. Épipbane, Hœres,, xjlx, § U. 
3. Ausus fuit et Basilides scribere Evangelium et suo illud 



134 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

En Tabsence de tout autre témoignage, il est 
permis de supposer que le célèbre théologien 
alexandrin a commis quelque méprise, et qu'ayant 
entendu parler des vingt-quatre livres de com- 
mentaires de Basilide sur TÉvangile S comme de 
son Évangile, il crut que cet hérétique, en effet, 
avait composé un ouvrage sous ce titre ^. 

Mais s'il n'y a pas à rechercher ce que fat ce 
prétendu Évangile, on doit se demander ce qu'était 
celui qu'il commenta si longuement. On ne peut 
penser qu'à l'Évangile des Hébreux. Basilide était 
un judaïsant. Il se donnait lui-même pour le dis- 
ciple de Glaucias, et les Basilidiens assuraient que 
ce personnage, d'ailleurs inconnu, avait été l'inter- 
prète de saint Pierre ^. Il faut ajouter que Clément 
d'Alexandrie et Épiphane rapportent quelques- 
unes des déclarations du Seigneur, invoquées par 
Basilide ou par ses disciples, et que ces déclara- 
tions se retrouvent toutes dans notre Évangile de 
Matthieu * ; *d'où l'on peut supposer qu'elles fai- 

nomine titulare. Origène, Homil, I in Luc. Et Ambroise : Ausus 
est etiam Basilides Evangelium scribere, quod dicitur secundum 
Basilidem, Comment, in Lucam, Proœmio, 

1. Eusèbe, Hist. eccles., lib. IV, cap. 11. 

S. Sed potuit etiam Origenes hos libros commentariorum in 
Evangelium appellare Evangelium Basilidis. Fabricius, Codex 
apocryph, Novi Testamenti, pars 1, p. 344. 

3. Clément d'Alex., Stromat,,\ib, VII, cap. 17. 

4. Matth., V, 28, dans Clément d'Alex., Strom,^ lib. IV, 
cap. 12; Matth.yXix, 11 et 12, dans Strom., lib. III, cap. I; 
Matth., VII, 6, dans Épiphane, Hœres,, xxiv, g 5. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS i35 

saient aussi partie de l'Évangile des Hébreux *. 
On pourrait, il est vrai, opposer à cette opinion 
le fait rapporté par Irénée, que ceux qui distin- 
guaient Jésus du Christ se servaient de préférence 
de l'Évangile de Marc ^. Basilide admettait préci- 
sément cette distinction. D'après lui, Jésus n'était 
âevenu le Christ qu'à la suite de son baptême par 
Jean, ou, pour mieux dire, le Christ s'était uni à lui 
au moment qu'il reçut le Saint-Esprit après cette 
cérémonie. Mais Basilide n'était pas le seul à pro- 
fesser cette opinion, et, par conséquent, ce n'est pas 
nécessairement de lui qu Irénée a pu vouloir parler ^ . 

L'Évangile dont se servaient lesEncratites, secte 
gnostique judaïsante, était-il celui de Tatien ? on ne 
peut guère en douter, puisqu'ils étaient les disciples 
de cet hérétique *. Mais qu était cet Évangile ? 

Épiphane rapporte que l'Évangile de Tatien était 
aussi appelé ^vangile selon les Hébreux ^. Cet écri- 

i. Hilgenfeld, Die clément. Recognitionen und Homiîien, 
p. 424. 

2. Ce passage d'Irénée a été cité plus haut, p.96 et 97, à 
Toccasion de l'Évangile apocryphe de Pierre. 

3 . D'ailleurs, Irénée ne paraît pas avoir été bien informé sur 
le système de Basilide. « Il ne présente pas, dit Ritter, des dé- 
tails aussi exacts sur les Basilidiens que sur les Valentiniens, 
parce qu'il n'avait pas eu directement affaire à ceux-là comme à 
ceux-ci. D Histoire de la philosophie chrétienne^ t. I, p. 440, 
note 4 . 

4. Épiphane, Hœres., xlvi, § 4 . 

5 . "Owip xarà Èêpatou; nvèç xoXouai. Ibid. 



136 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

vain ecclésiastique se trompe évidemment, dit Fa- 
bricius : fugit illum ratio^ . L'Évangile deTatien, 
s'il faut en croire ce qu'on en rapporte, était une 
sorte d'harmonie de nos quatre Évangiles cano- 
niques, et c'est pour cela qu'il était appelé 5ià 
Teaaapcov, c'est-à-dire l'Évangile composé au moyen 
des quatre. Mais alors en quoi pouvait-on Tac- 
cuser d'hérésie? Théodoret, qui en trouva plus 
de deux cents exemplaires répandus dans son 
Église, les prohiba et y substitua les Évangiles des 
quatre Evangélistes, Ta tôv TeTTocpcov EùayyeXKyrwv 
E'iayyeXia 2. L'Évangile de Tatien n'était donc 
pas une harmonie des quatre Évangiles cano- 
niques, car autrement pourquoi le supprimer pour 
le remplacer par les quatre Évangiles? Il est vrai 
que Tatien en avait retranché, à ce qu'assure 
Théodoret, les généalogies et tous les passages qui 
prouvent que le Seigneur descendait, selon la chair, 
de David ^. Mais on n'avait qu'à combler cette 
lacune, en rétablissant les passages supprimés. Ce 
n'est pas ce qu'on fit, quoiqu'on semble reconnaître 
que ce livre était un abrégé commode de l'histoire 
évangélique *. 

1. Fabricius, ibid.y pars 1, p. 349. 

2. Théodoret, Hœret, fabul,^ lib. I, cap, 20. 

3. Ta; te '^evsaXo-^iaç 7repoco«pa; xat rà àXXa oaa. ex aTripjAaTOÇ Aaêi^ 
KATa ad^a. '^e-fevvY){i.évov tov xuptov ^stxvueriv. Théodoret, ibid. 

4. *nç ouvTojAw Tô piêXi'w ^pYiaàp.evoi. Théodoret, ibid. Telle était 
ropinion de Zacharie Ghrysopolitanus^ qui dit que, si cet ou- 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 137 

Un Évangile que quelques-uns confondaient 
avec celui des Hébreux, comme le dit Épiphane, 
et qui, au rapport de Théodoret, ne contenait pas 
les généalogies, ne pouvait être que TÉvangile des 
Ébionites. Cet écrit fut vraisemblablement le pre- 
mier fond du travail de Tatien. Il le compléta pro- 
bablement par des passages empruntés aux Évan- 
giles canoniques, et c'est là ce qui lui fît donner le 
nom de 5ià Teadapwv, « l'Évangile par les quatre. * 
Cette hypothèse serait encore plus vraisemblable, 
si l'on admettait, avec Victor de Capoue *, qu'il 
était appelé 5ià Tume, « par les cinq, » et non 5ià 
tedcrapwv *, « par les quatre. » Grotius, et après 
lui, Richard Simon, qui partage son sentiment, 
adoptent cette explication. 

« Il y a de l'apparence, dit ce dernier, que saint 
Ignace, étant évoque d' Antioche, a lu cet Évangile 
des Hébreux, qui était répandu dans la Syrie que 
les Nazaréens habitaient. Ce qui me fait croire que 
Tatien, qui demeurait aussi dans la Syrie, s'était 
servi du même Évangile, lorsqu'il en composa un 

vrage existait encore, secure légère ovibus ejus (Jésus-Christ] 
vocem cognoscentibus nihil prohiberet. Fabricius, ibid,, pars 4, 
p. 379, la note. Zacharie Ghrysopolitanus vivait au douzième 
siècle. 

4. Cet écrivain ecclésiastique vivait au milieu du sixième 
siècle. 

2. Gui titulum dia pente imposuit^ dit Victor de Capoue dans 
sa préface à l'harmonie évangélique d'un anonyme, qu'il con- 
fond avec Tatien; dans Fabricius, ibid,, pars 4 , p. 379. 



138 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

des quatre ensemble, à sa manière, que quelques- 
uns, selon saint Épiphane, nommèrent l'Évangile 
selon les Hébreux. Ce qu'on ne doit pas en- 
tendre, comme si ce recueil de Tatien n eût point 
été différent de l'Évangile des Hébreux, car cela 
ne ferait aucun sens. M. de Valois n a pas fait assez 
de réflexion sur cet Évangile de Tatien, quand il 
en a parlé sur ce pied-là dans ses notes sur Eusèbe. 
Grotius a bien mieux .remarqué, à l'occasion de 
cet endroit de saint Épipbane, que Tatien, dans 
l'ouvrage qu'il composa des quatre Évangiles, avait 
rapporté les paroles de saint Matthieu, non -seule- 
ment selon les exemplaires grecs,, mais aussi selon 
ceux qui étaient en hébreu, et que c'est pour cela 
que cet Évangile qu'on appelle ordinairement ^là 
TÊdcjapcov, à cause qu'il était composé de quatre, 
avait été nommé, par quelques auteurs, selon les 
Hébreux. Il croit de plus que c'est aussi pour cette 
raison que d'autres lui ont donné le nom de 5ià 
TCfiVTfi *, de cinq, comme ayant été recueilli de cinq 
Évangiles, Tout cela paraît très-probable 2. » 

Il est vraisemblable que l'Évangile de Barthélémy 

4. Quelques-uns néanmoins^ dit Richard Simon en note, 
croient qu'il faut lire ^tà wàvTtov; Fabricius explique, de son 
côté, ^là iwvre comme une erreur née de l'abbréviation ^là 
Ts<wr. Codex apocryphtts Novi Testamentif pars 1 , p. 379, la note e, 

2. Richard Simon, Hist, critique du texte du Nouv. Testam., 
p. 74. 



ÉVANGILES APOCRYPHES JUDAISANTS 439 

n'était pas autre chose que TÉvangile selon les 
Hébreux. On peut le conclure* des paroles de 
Jérôme qui, en racontant que Panthène rapporta 
deTInde* l'Évangile que Barthélémy, l'un des 
douze, avait pris pour base de sa prédication daiis 
ce pays, dit que cet Évangile, écrit en caractères 
hébraïques, était celui de Matthieu^. 

L'Évangile de Barnabas paraît n'avoir été qu'une 
des nombreuses traductions grecques, qui furent 
faites de bonne heure de ce même Évangile, tra- 
ductions qu'ont certainement connues Clément 
d'Alexandrie, Origène et d'autres anciens écrivains 
ecclésiastiques, mais qui avaient disparu ou du 
moins étaient devenues fort rares du temps de 
Jérôme, qui ne paraît pas les avoir connues. Gasau- 
bon a soutenu cette opinion sur l'Évangile de Bar- 
nabas, non sans quelque apparence de raison ^. 

1. Il ne faut pas entendre par ce mot les contrées arrosées par 
rindus, encore moins celles que baigne le Gange. Dans les pre- 
miers siècles de l'ère chrétienne, on désignait sous ce nom les 
parties méridionales de l'Arabie. C'est là que la tradition suppose 
que Tapôtre Barthélémy alla prêcher le christianisme. 

S. Ubi (in India) reperit (Panthsenus) Bartholomaeum de duo- 
decim apostolis, adventum Domini Jesu, juxta Matthsei Evange- 
Hum, prsedicasse, quod hebraicis litteris scriptum, revertens 
Alexandriam, secum detulit. Jérôme, Catalog. scriptor. eccle- 
siast.y § 36; Eusèbe, Hist. eccles,, lib. V, cap. 10. 

3. Casauboni exercitationes xv contra Baronium ^ cap. 42, 
p. 343; Fabricius, Codex apocryphus Novi Testamenti, t. I, 
p. 344. 



DEUXIÈME PARTIE 
ÉVANGILES APOCRYPHES ANTI-JUDAISANTS 



D'Etienne à Paul et de celui-ci à Fauteur du 
quatrième Évangile, la séparation du christia- 
nisme et du judaïsme était allée^en s'élargissant. 
Ce mouvement continua après le premier siècle; 
mais ce n'est plus dans l'Église, c'est au milieu 
d'un certain nombre de sectes gnostiques qu'il 
s'accomplit. 

Considérées par rapport à leurs opinions sur 
l'Ancienne Alliance, ces sectes forment trois caté- 
gories distinctes. Dans la première, il faut placei^ 
Cerdon, Marcion et leurs disciples. Ces théosophes 
n'allaient guère plus loin que Tapôtre des Gentils 
dans leur opposition au judaïsme. Tenant l'An- 
cienne Alliance pour une préparation de la Nou- 



44î ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

yelle, ils pensaient qu'elle avait pefdu toute autorité à 
Tavénement du christianisme, et qu'il n'y avait plus 
à compter avec elle. Dans la seconde catégorie, il 
faut mettre toutes les sectes gnostiques qui, sans re- 
jeter absolument r Ancien-Testament tout entier, ne 
voyaient cependant en lui que l'œuvre d'un être divin 
d'un ordre inférieur qui souvent avait pris l'ombre 
pour la réalité, de sorte qu'à leurs yeux le mo- 
saïsme était un mélange de vérités et d'erreurs. 
Des gnostiques de cette classe, à laquelle appar- 
tiennent les Valentiniens et le plus grand nombre 
des Ophites, les uns avouaient les Écritures, comme 
dit Irénée, mais en en tordant le sens *, et la plupart 
des autres faisaient un choix, rejetant certains livres 
et en gardant d'autres, qu'ils altéraient toutefois, au 
rapport de Tertullien, et en en retranchant des pas- 
sages et en y introduisant des additions^. Enfin, ceux 
de la troisième catégorie rapportaient l'Ancienne 
Alliance à un esprit aveugle, ennemi de la lumière, 
dont l'unique dessein, en fondant une religion 
aussi erronée que celle de la famille d'Israël, avait 
été d'empêcher la manifestation de la vérité et de 
mettre obstacle à l'œuvre rédemptrice du Christ^. 

i. Scripturas quidem confitentur, interpretationes vero con- 
versunt. Irénée, Adv. hœres., lib. III, cap. 12. 

2. Tertullien, de Prœscript,, § 47. 

3. Ce que dit Néander {Allg, Gesch, der kristl. Relig,, t. I, 
p. 433 el 434) des gnostiques anti-judaïsants s'applique surtout 
à ceux de cette troisième catégorie. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTI-JUDAISANTS 143 

Les Évangiles des gnostiquesanti-judaïsants parais- 
sent avoir été fort nombreux *. On ne saurait s'en 
étonner. Les gnostiques ne pouvaient avoir le 
moindre scrupule, soit à remanier les livres cano- 
niques, soit à composer eux-mêmes des écrits qu'ils 
donnaient pour des révélations. Pour plusieurs 
d'entre eux, la tradition chrétienne n'était qu'une 
enveloppe artificielle, dont ils revêtaient leurs 
propres systèmes pour en rendre la propagation 
plus facile. Une fraude pieuse leur coûtait d'autant 
moins, qu'ils n'y voyaient qu'un utile moyen de 
répandre la vérité. Les autres prenaient leur théo- 
sophiepour le christianisme véritable; les croyances 
de l'Église n'étaient, à leurs yeux, qu'une forme 
populaire, qu'une exposition symbolique et voilée, 
appropriée à l'ignorance et à la grossièreté de la 
foule, de la doctrine chrétienne, dont ils pos- 
daient seuls le sens véritable, et, dans cette per- 
suasion/ ils ne doutaient pas que leur science 
supérieure ne leur donnât le privilège d'arranger, 
dans l'intérêt du salut des âmes, des écrits exoté- 
riques qui couvraient plus qu'ils ne révélaient l'en- 
seignement chrétien, et d'en composer eux-mêmes 
d'autres plus propres, à leur sens, soit à préparer 
les profanes et les croyants du dehors à l'intelli- 
gence de la vérité, soit à expliquer aux initiés les 
vrais principes de la science qui sauve. 

i. Irénée, Adv. hœrei., lib. I, cap. 20. 



U4 KÏUDES SUR LES ÉVANGILES 

Il ne paraît pas que les gnostiques anti-judaïsants 
de la première catégorie aient eu d'autres Évan- 
giles que des recensions diverses de notre Évangile 
de Luc, plus ou moins profondément modifié. Gela se 
comprend ; des sectaires qui prétendaient être les 
continuateurs de Paul^ qui se donnaient pour ses 
fidèles disciples, ne pouvaient pas reconnaître 
d'autre Évangile que celui qui passait, d'après la 
tradition, pour avoir été écrit, sinon sous la dictée 
de l'apôtre des Gentils, du moins sous son influence 
et son inspiration. Il était dans Tordre môme des 
choses que l'Évangile de Luc jouât, parmi les 
gnostiques de cette classe, le même rôle que 
l'Évangile de Matthieu [ parmi les chrétiens ju- 
daïsants. 

Les gnostiques de la seconde catégorie, du moins 
lesValentiniens, firent également usage de recen- 
sions diverses de notre troisième Évangile, probable- 
ment de celles qui avaient cours parmi les Marcioni- 
tes. lisse servirent aussi de l'Évangile de Jean, dans 
lequel ils trouvaient, en outre d'une tendance ad- 
judaïsante plus prononcée que dans lesécrits de saint 
Paul, un grand nombre de locutions qui leur étaient 
familières et plus d'une vue théosophique voisine de 
quelques-unes de leurs doctrines. Ils ne semblent 
pas en avoir altéré le texte; mais, d'après Irénée 
et TertuUien, ils en altéraient le sens, c'est-à-dire 
qu'ils l'interprétaient tout autrement qu'on ne le 



ÉVANGILES APOCHYPHES ANTlJUDAISANTS i45 

faisait dans l'Eglise*. En outre, ces gnostiques, 
principalement les Ophites, avaient plusieurs Évan- 
giles apocryphes entièrement différents de nos Évan- 
giles canoniques. Ces écrits avaient été composés 
de toutes pièces par ces sectaires, soit d'après 
des traditions d'une origine inconnue qui étaient 
admises parmi eux, soit surtout d'après leurs pro- 
pres doctrines qu'ils avaient eu soin de mettre 
dans la bouche de Jésus-Christ. Tous ces Évan- 
giles apocryphes ont disparu avec les sectes qui 
s'en servaient. On n'en connaît qu'un très-petit 
nombre de fragments cités par d'anciens écrivains 
ecclésiastiques, entre autres par Èpiphane. 

Les gnostiques de la troisième catégorie ne 
paraissent s'être servi que d'Évangiles apocryphes, 
et ces Évangiles ne présentaient pas la moindre 
analogie, ou, pour mieux dire, formaient un con- 
traste frappant avec nos Évangiles canoniques. 
C'était là une conséquence inévitable des doctrines 



4. Aiius (Marcion) manu scripturas, alius (Valenlin) sensus 
exposiiione intervertit. Tertullien, de Frœscript., § 38, com- 
parez Ibid., § 17. « Ceux qui s'attachent aux erreurs de Valen- 
lin, dit Irénée, interprètent l'Évangile de Jean à leur guise. » 
Adv. hœrei,, lib. lïl, cap. 11. Origène, dans ses écrits sur 
rËvangile de Jean, rapporte des fragments considérables d'un 
commentaire de cet Évangile par le valentinien Héracléon. 11 no 
serait pas impossible qulléracléon eût aussi composé un com- 
mentaire sur rËvangile de Luc; on en a peut-être un fragment 
dans Clément d'Alexandrie, Sfrow., lib. IV, cap. 9; Néander, 
Allg. Gesch. der christL Relig.^ 1. 1, p. 484 et suiv. 

iO 



146 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

professées par ces théosophes. Tous ces écrits, 
objets d'horreur pour l'Église, ont péri ; il n'en 
reste plus un seul fragment; on en ignore même 
les titres, excepté pour un d'eux qui paraît, d'ail- 
leurs, avoir été le plus connu, probablement parce 
qu'il était celui qui offrait l'opposition la plus mar- 
quée avec les croyancesie l'Église. • 

Les Manichéens avaient aussi, dit-on, des 
Évangiles qui leur étaient particuliers; il n'en est 
parvenu aucun jusqu'à nous. Des écrivains ecclé- 
siastiques du IV® et du V® siècle en parlent souvent, 
il est vrai ; ils donnent même les titres de quelques- 
uns, mais ils n'en citent pas le moindre frag- 
ment et ne disent rien de leur contenu, évidem- 
ment ils n'en parlent que par oui-dire; ils ne les 
avaient jamais eus entre les mains. 

Il s'agit maintenant de jeter un coup d'œil sur 
ceux de ces Évangiles sur lesquels il nous reste 
quelques renseignements, ou dont quelques frag- 
ments nous ont été conservés. Je suivrai dans cet 
examen la classification que j'ai établie, c'est-à- 
dire que je parlerai successivement des Évangiles 
apocryphes des Marcionites, puis dô ceux des 
Valentiniens et des Ophites, ensuite da ceux des 
Caïnites; j'essayerai enfin de déterminer ce qu'il 
faut penser de ce que les anciens écrivains ec- 
clésiastiques nous disent des Évangiles mani- 
chéens. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTIJUDAISANTS 147 



Un des plus célèbres Évangiles apocryphes anti- 
judaïsants est celui dont se servaient les Marcio- 
nites, et qui est connu sous le nom d'Évangile de 
Marcion. On peut regarder comme un fait certain 
qu'il offrait les plus grandes analogies avec celui de 
Luc et qu'il n'eîi différait que par l'omission de 
quelques passages, par quelques additions eh petit 
nombre, et par un certain nombre de variantes qui 
ne paraissent pas d'une grande importance. 

Cet Évangile n'est pas parvenu jusqu'à nous; 
mais on a cru pouvoir le reconstruire ex auiori" 
iate veterum monumentorum^ selon l'expression 
d'Aug. Hahn, c'est-à-dire d'après ce qu'en disent 
quelques-uns des anciens écrivains ecclésiastiques. 
S'il est vrai, comme l'assurent Irénée et Ter- 
tuUien, qu'il n'était que notre troisième Évangile 
canonique tronqué et modifié dans certaines parties, 
il n'y a, pour le retrouver, qu'à opérer dans 
l'Évangile de Luc les altérations que ces deux an- 
ciens écrivains ecclésiastiques ont signalées. C'est 
ce qu'a fait Aug. Hahn *. M. Volkinar a depuis 

4. Bas Evangelium Marcions in seiner ursprunglichen Ges- 



i48 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

repris ce travail sur de meilleures bases critiques *• 
Gomment se fait-il que TÉvangile de Marcion, 
identique au fond à celui de Luc, en différait 
cependant en de nombreux détails? ou, en d'autres 
termes, dans quel rapport ces deux Évangiles 
étaient-ils l'un à l'égard de l'autre ? 

A cette question, Irénée, TertuUien, Épiphane, 
et d'autres anciens écrivains ecclésiastiques ré- 
pondent que Marcion avait altéré et mutilé l'Évan- 
gile de Luc dans l'intention de l'accommoder à son 
système. « Marcion, dit Irénée, a défiguré l'Évan- 
gile tout entier, l'a refait à sa guise, puis s'est 
vanté de posséder un Évangile véritable 2. » Tertul- 
lien assure qu'il avait retranché de l'Évangile de 
Luc tout ce qui était contraire à ses opinions, et en 
avait gardé ce qui y était favorable ^. Épiphane est 
plus précis; il indique et discute tous les passages 
de l'Évangile de Luc, que, selon lui, Marcion avait 
modifiés *. 

Cette explication de l'origine de l'Évangile de 
Marcion ne manque pas, au premier aspect, d'un 
certain air de vraisemblance. Cet hérétique préten- 

talt, Kœnigsberg, 4823, in-80, et dans le Codex apocryphus 
Novi Testamenti de Thilo, p. 401-486. 

1. Das Evangelium Marcions, Text undKritik, Leipzig, 1852, 
in-80. 

2. Irénée, Adv, hœres., lib. III, eap. 11. 

3. Contraria quœque sententiœ erasit , compelenlia aulom 
sententiae reservavil. TertuUien, Adv, Mnrc, lib. IV, cap. 6. 

%. Épiphane, Hœres, xlvii, § 9-12. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTIJUDAISANTS 4W 

dait se rattacher à saint Paul ; c'est sur les épîtres 
de cet apôtre qu'il appuyait son enseignement *. Il 
était dans Tordre des choses qu'il ne voulût pas.re- 
connaître d'autre Évangile que celui de Luc, qui pas- 
sait pour avoir été* écrit sous l'inspiration de l'apôtre 
des Gentils. Et si l'exemplaire dont il se servait, 
n'était pas entièrement conforme à ceux qui étaient 
répandus dans les diverses Églises, quoi de plus 
naturel que d'admettre qu'il avait remanié lui-même 
cet Évangile dans l'intérêt de ses opinions? Ce n'est 
là sans doute qu'une présomption; mais elle est 
assez vraisemblable pour qu'on ne puisse s'étonner 
qu elle ait été admise pendant longtemps, «ans 
contestation aucune et comme un fait acquis^. 

Cette explication ne laisse pas cependant que 
d'offrir des difficultés considérables. 

Et d'abord, même en admettant que cet Évan- 

4. Marcion avait, sous le iFlre d* ÀTroaroXutov, un recueil de 
dix ëpitres de Paul^ rangées dans cet ordre : épitre aux Ge- 
lâtes, les deux aux Corinlhiens, celle aux Romains^ les deux 
aux Thessaloniciens, celles aux Éphësiens, aux Colossiéns» à 
Philémon et aux Philippiens. Il est probable que celle aux Ga- 
lales avait été mise en tête des autres, parce que Paul y ex- 
prime plus fortement qu'ailleurs ses sentiments d'opposition au 
judéo-christianisme. Il faut ajouter que plusieurs de ces épilrcs 
avaient été remaniées en quelques passages. Épiphane examine 
aussi ces altérations, HœreSf xlii, § 41. Epiphanii opéra, éd. 
Migne, t. I, col. 749-726, et 773-842. 

2. « Il n'a songé, dit Richard Simon, qu*à ajuster TÉvangile 
de Luc aux préjugés de sa secte. » Hisî. critique du texte du 
Nouv: Testam., p. 1 35. 



150 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

gile eût été une altération de celui de Luc, faite 
de propos délibéré et dansTintention de le rendre 
conforme aux principes gnostiques de l'école à 
laquelle appartenait Marcion, ce n'est pas cet héré- 
tique qu'il faudrait rendre responsable de cette fal- 
sification. Son maître Gerdon paraît s'en être servi 
avant lui *. C'est ce que nous apprend TertuUien, 
ou, pour parler plus exactement, l'auteur inconnu 
des huit derniers chapitres du Traité de Prœscnp- 
tionibus, » Cerdon, nous dit-il^ ne reconnaît que 
rÉvangile de Luc; encore ne le reçoit-il pas dans 
son intégrité ^. » 

F^eu importe toutefois le nom du gnostique qui 
aurait ainsi arrangé notre troisième Évangile. La 
véritable qiiestion est de savoir si, en effet, les diffé- 
rences qui se trouvaient entre celui-ci et l'Évangile 
dont Marcion faisait usage, peuvent s'expliquer 
comme le résultat de modifications faites dans l'in- 
térêt des opinions de la secte dont cet hérétique fut 
le représentant le plus célèbre. Il s'agit donc d'exa- 
miner ces différences. Ce travail a été fait. Je vais 



1. Cerdon passe, à tort ou à raison, pour le maître de Mar- 
cion. Ce qui est certain, c'est qu'il lui est antérieur. Irénée, 
Àdv. hœres., lib. HI, cap. 4. 

2. TertuUien, de Prœscript., cap. 51. De môme que le fit 
plus tard Marcion, Cerdon n'admettait ni toutes les épîtres qui 
portent le nom de Paul, ni dans leur intégrité celles qu'il rece- 
vait. Il est probable que V ÂTroaroXHcov de Marcion était aussi le 
recueil des épîtres de Paul admises par Cerdon. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTIJUDAISANTS 181 

en mettre les traits principaux sous les yeux du 
lecteur; ils suffiront pour le convaincre que ces al- 
térations n'avaient pas été faites dans un intérêt de 
parti. 

Il n'est pas inutile de remarquer, avant tout, qu'il 
manquait dans l'Évangile de Marcion plusieurs 
passages de Luc, qui entrent en plein dans lés 
sentiments de cet hérétique. Je citerai entre autres 
Luc, XI, 51 ; XIII, 30 et 34 ; xx, 9-16. Ces passages 
contiennent des déclarations très-sévères de Jésus- 
Christ contre les Juifs, et l'annonce positive de 
leur déchéance du privilège de peuple élu. Mar- 
cion insistait fortement sur l'abrogation de l'An- 
cienne Alliance; c'était là un des points fondamen- 
taux de sou système ; il aurait par conséquent 
trouvé dans ces passages des arguments très- 
solides en faveur de sa thèse. Les aurait-il exclus 
de son Évangile, s'il l'avait en effet formé, comme 
Ten accusent Irénée et Tfertullien^ en modifiant 
celui de Luc? 

11 est vrai qu'il y manquait aussi plusieurs pas- 
sages de Luc, qui contredisent son système, et qu'il 
aurait pu avoir quelque intérêt de laisser de côté. 
On ne peut cependant admettre qu'ils aient été 
retranchés dans cette intention, car on trouve dans 
cet Évangile bien d'autres passages analogues ou 
contenant des indications identiques, et l'on se 
demande pourquoi Marcion, Gerdon, ou tout autre 



152 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

gnostique de cette école qui aurait fait ce rema- 
niement de l'Évangile de Luc, s'il avait retranché 
les premiers, aurait conservé les seconds. Il aurait 
bien certainement fait disparaître ceux-ci aussi bien 
que ceux-là, ou du moins il aurait modifié ceux 
qu'il ne rejetait pas, de telle sorte qu'ils ne pussent 
fournir d'auguments contre son système, et il se 
trouve qu'ils sont reproduits sans aucune altération. 

La présence des passages de ce genre dans 
l'Évangile de Marcion sape à la base l'assertion 
d'Irénée, de TertuUien et d'Épiphane. Quelques 
exemples le mettront en une complète évidence. 

Les deux premiers chapitres de Luc ne faisaient 
pas partie de l'Évangile de Marcion. Il ne les y 
avait pas admis, dit-on, parce qu'il avait intérêt 
à dissimuler le fait de la naissance de Jésus. Mar- 
cion et toute l'école à laquelle il appartenait, 
soutenaient en elfet que le Christ ne s'était pas 
uni à la matière, considérée, dans leur système, 
comme la source du mal, qu'il n'avait eu qu'un 
corps apparent, qu'il n'était pas né par conséquent 
de la même manière que le reste des hommes et qu'il 
était resté en dehors des conditions ordinaires de 
l'existence humaine. Les deux premiers chapitres de 
Luc donnant un démenti formel à cette doctrine, 
n'est -on pas autorisé à supposer qu'ils avaient été 
éliminés à dessein de l'Évangile de cette secte? 
C'est dans le même intérêt, ajoute-t-on, qu'on 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTIJUDAISANTS 153 

aurait fait disparaître du verset 19 du chapitre viii 
de Luc ces mots : « Et ses frères vinrent vers lui. » 
— Mais alors pourquoi laissa-t-on dans cet Évan- 
gile ceux-ci (VIII, 29) : « Ta mère et tes frères sont 
là »? A quoi bon retrancher les premiers, si on 
n'éliminait pas également les seconds, qui impli- 
quent le môme fait et ne sont pas moins con- 
traires à l'opinion des Docètes sur la naissance et 
la nature surhumaine de Jésus? 

Ce serait aussi dans une intention dogmatique 
qu'on aurait retranché ce fragment du verset 4 
du chapitre vu de Luc, fragment qui n'était pas 
dans l'Évangile de Marcion : « Le fils de l'homme 
est venu mangeant et buvant. » 11 y a dans ces 
paroles, fait-on remarquer, une condamnation de 
l'ascétisme : c'est pour cela qu'on les a bannies de 
cet Évangile. — Mais alors, pourquoi y avait-on 
laissé le reproche que les pharisiens adressent à 
Jésus de fréquenter les gens de mauvaise vie et de 
manger avec eux {Luc, xv, 2), et la question qu'ils 
lui font touchant ses disciples qui ne jeûnent pas, 
comme le font ceux de Jean-Baptiste {Luc, v, 33), 
et la mention du grand festin que lui donna Lévi 
(Luc, y, 29)? 

Si l'on ne trouve pas dans l'Évangile de Mar- 
cion ce que Jésus dit de Jonas, donné en signe 
aux Juifs, de la reine de Saba et des Ninivites qui 
s'élèveront au jour du jugement contre la généra- 



154 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

tion présente des enfants d'Israël {Luc, xi, 29-32), 
c'est, dit-on, parce que dans cette école gnostîque 
on n'avait pas jugé convenable de laisser dans la 
bouche de Jésus un appel à l'Ancien Testament, 
dont elle n'admettait pas l'autorité. — Mais alors 
pourquoi y avait-on conservé le verset 3 du cha- 
pitre VI de Luc, dans lequel le Seigneur justifie sa 
conduite par l'exemple de David, et le verset 27 du 
chapitre vu, où il en appelle, à propos de Jean- 
Baptiste, à une prophétie de l'Ancien Testament ? 

Si l'on avait changé ces mots de Luc (xiii, 28) : 
« Quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, et 
tous les prophètes dans le royaume de Dieu, » en 
ceux-ci : « Quand vous verrez tous les justes dans 
le royaume de Dieu, » par suite des préventions de 
cette secte gnostique contre l'Ancienne Alliance 
et de ses tendances antijùdaïques, n'aurait-on pas 
aussi fait disparaître de la parabole de l'homme 
riche et de liazare le nom d'Abraham dans le 
sein duquel le pauvre est porté par les anges après 
sa mort (XVI, 22 et 23)? 

Que conclure de ces rapprochements, dont il 
serait inutile de donner d autres exemples, sinon 
que les différences par lesquelles cet Évangile se 
distinguait de celui de Luc, ne sont pas le résultat 
d'un travail d'épuration, auquel ce dernier aurait 
été soumis par un gnostique de l'école à laquelle 
appartenaient Gerdon et.Marcion, dans le but de le 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTIJUDAISANTS 158 

mettre en harmonie avec ses principes dogma- 
tiques? L'auteuF d'un remaniement de Luc, entre- 
pris dans cette intention, s'y serait pris autrement ; 
il aurait apporté plus de soin et plus de suite à l'exé- 
cution de son dessein; il ne se serait pas borné à 
retrancher de notre troisième Évangile canonique 
quelques-uns des passages contraires à ses opinions ; 
il les aurait fait disparaître tous. S'il ne l'a pas 
fait, c'est qu'il n'avait pas l'intention de le faire, et 
qu'il ne s'était pas proposé d'accommoder cet Évan- 
gile à son système. 

Il faut donc renoncer à chercher dans une inten- 
tion dogmatique la cause des lacunes et des 
variantes par lesquelles l'Évangile de Marcion 
paraît s'être distingué de celui de Luc. Gomment 
alors expliquer les rapports manifestes qui se 
trouvent entre ces deux Évangiles ? Contrairement 
à l'opinion des anciens écrivains ecclésiastiques qui 
faisaient dériver l'Évangile de Marcion de celui de 
Luc, dont il aurait été une copie altérée et mutilée, 
on a proposé dans ces derniers temps de voir dans 
celui de Luc une édition augmentée de celui de 
Marcion. C'est déjà dans ce sens que va l'hypo- 
thèse de Semler sur ce dernier Évangile. D'après 
ce célèbre critique, il remonterait plus haut qu'on 
ne l'avait admis communément, et il aurait pris 
naissance dans le cercle des chrétiens qui se ratta- 
chaient à l'apôtre saint Paul. Il n'est pas besoin de 

f 



i56 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

dire que le principal argument en faveur de cette 
nouvelle manière de considérer l'Évangile de Mar- 
cion, se tire du caractère fortement paulinien do 
cet écrit. Gela ne saurait suffire pour la mettre au- 
dessus de toute contestation. Cependant un certain 
nombre de critiques, entre autres, Lôffler, Ch. 
Schmidt, Berthold et Gieseler, paraissent plus ou 
moins disposés à Tadopter. 

Cette hypothèse est, en un certain sens, le point 
de départ de celle de Schwegler, qui en est comme 
le complet développement. Dans sa forme primitive, 
l'Évangile dont se servait Marcion, aurait été un 
évangile paulinien et antijudaïsant et aurait porté 
le titre d'Évangile du Seigneur, 'EuayfeViov toj 
Kuptou, titre sous lequel Marcion d'ailleurs le désigne 
et sous lequel il aurait été connu jusqu'à lui. 
Quelque chrétien du parti de la conciliation l'au- 
rait plus tard augmenté ou complété, en y insé- 
rant des . fragments empruntés à des évangiles 
judaïsanls. C'est à ce mélange que notre troisième 
Évangile canonique devrait le caractère indécis qui 
le distingue des trois autres. Cependant l'Évangile 
du Seigneur se serait conservé sous sa forme primi- 
tive dans le parti antijildaïsant. Marcion Ty aurait 
trouvé^ et, naturellement, il l'aurait adopté comme 
un document ancien, respectable et authentique *. 

1 . Schwegler, Das nachapost» Zeitalter^ t. ï, p. 261 et suiv. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTIJUDAISANTS 187 

Que penser de cette hypothèse ? Le plus simple 
est de s'en tenir au jugement que Schwegler lui- 
même en porte. Il reconnaît qu'elle manque, aussi 
bien que celle d'Irénée et de Tertullien, de preuves 
historiques, et que le seul mérite qui la recommande, 
c'est d'être plus simple, plus vraisemblable, plus 
capable de rendre compte des différences ^ui se 
remarquent entre l'Évangile de Luc et celui de 
Marcion*. Jusqu'à un certain point il a raison, et 
s'il n'y avait qu'à choisir entre cette explication et 
celle des anciens écrivains ecclésiastiques, on ne 
pourrait s'empêcher, ce me semble, de se prononcer 
pour la première qui soulève en définitive bien 
moins de difficultés que la seconde. Mais on n'est 
pas obligé de nécessité logique, en rejetant l'une, 
de recevoir Tautre. 

Il me parait que le plus sûr est de prendre 
l'Évangile dont se servait Marcion, et dont Gerdon, 
et probablement bien d'autres antijudaïsants s'é- 
taient servis avant lui, pour une copie imparfaite de 
notre troisième Évangile. Par quelles causes, et par 
suite de quel concours de circonstances cette copie 
était-elle imparfaite et avait-elle été adoptée dans 
cette forme parmi les antijudaïsants? 11 n'y a pas 
une seule donnée historique, ni un seul indice 
interne qui puissent nous mettre sur la voie d'une 

4. Schwegler, ibid., p. 283 et 284. 



188 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

explication certaine, incontestable. Le champ^ des 
conjectures s'ouvre ici tout large. Il est permis à 
chacun de le parcourir dans le sens qu'il lui plaira. 
Qu'en rapportera-t-il ? des hypothèses et rien de 
plus. Quant à nous, il nous suffit de savoir que, dans 
les premiers siècles de l'ère chrétienne, aussi bien 
parmi les orthodoxes que parmi les dissidents, on a 
retouché plus d'une fois, sous les prétextes les plus 
futiles, le texte des livres saints, pour ne pas nous 
étonner de trouver plusieurs recensions de l'Évan- 
gile de Luc *. Ces recensions diverses s'étaient accli- 

1 . Richard Simon, avec la sincérité naïvô qui le caràclërise 
et qui recommande encore aujourd'hui la lecture de ses écrits, 
cite quelques exemples fort extraordinaires d'altérations intro- 
duites dans les Évangiles par des membres de l'Églfse catho- 
lique, c II y a eu aussi des catholiques, dit-il, qui l'ont altéré 
(l'Évangile de Luc) en quelques endroits. Ils ne voulaient pas 
qu'on lût dans les Évangiles ce qui ne s'accommodait point avec 
Feurs préjugés. C'est pourquoi ils en ôtèrent Tendroit o\i il est 
dit (chap. XIX, vers. 44) que Jésus-Christ pleura sur la ville de 
Jérusalem, parce que les pleurs leur paraissaient une faiblesse 
indigne de Notre-Seigneur. Saint Épîphane, qui cite ces paroles 
{Ancor,^ § 3i), observe qu'elles se trouvaient dans les exem- 
plaires qui n'avaient point été corrigés, et par là il nous apprend 
que les Grecs ont quelquefois pris la liberté de corriger leurs 
exemplaires et d'en ôler ce qui ne leur plaisait point. « Les or- 
thodoxes, dit ce Père, ont retranché ces mot?, y étant poussés 

par la crainte, et n'en concevant ni la un ni la force » Si 

nous nous en rapportons au témoignage de saint Hilaire {de Tri- 
nité, lib. X), on no lisait point dans plusieurs exemplaires grecs 
et même latins de saint Luc les versets 43 et 44 du chapitre xxii. 
Il est parlé en ce lieu-là de l'ange qui vînt consoler Jésus-Christ 
et de la sueur de sang qui coulait de son corps. C'est ce que saint 
Jérôme semble aussi confirmer ÇAdv. Pelagian. , lib. II). « Les 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTIJUDAISANTS 159 

matées, si l'on peut ainsi dire, en divers lieux, et 
on comprend très-bien comment ceux qui s'étaient 
accoutumés à faire' usage d'une d'elles purent la 
prendre de bonne foi pour le texte primitif de Luc 
et la croire préférable aux autres copies, peut- 
être plus complètes^ mais qui devaient leur sembler 
interpolées *. 

Apelles, le plus remarquable des disciples de 
Marcion, est aussi accusé par les anciens écrivains 
ecclésiastiques d'avoir accommodé les Évangiles à 
son système. Evangelia purgavity « il a expurgé 
les Évangiles, » dit de lui Origène ^. Jérôme le 
place parmi ceux qui ont composé de faux Évan- 
giles '. Mais Épiphane semble dire que c'était, non 
sur un Évangile mutilé, mais sur l'interprétation 

Grecs avaient pris la liberté d*ôter de leurs exemplaires ces deux 
versets, pour la même raison qu'ils en avaient ôlë Tendroit où 

il est dit que Jésus-Christ pleura Ce défaut ne peut donc v^* 

nir que de quelques superstitieux, qui croyaient que Jésus- 
Christ n'était jamais tombé dans une si grande faiblesse, d Uist. 
crit, du texte du Nouv, Testam., p. 435 et 136. Jansénius avait 
déjà fait la même remarque : Hœc erasa videntur a quibusdam, 
qui verebantur Ghristo tribuere tam insignia humanœ inûrmilatis 
argumenta. Conco7'd. evangel., cap. 137. 

1. Aux différents ouvrages sur l'Évangile de Marcion déjà in- 
diqués, je crois devoir ajouter un mémoire d'un ancien profes- 
seur de la Faeullé de Ihéologie catholique de Tubingue : Kri^ 
tische Unterst^hungen uber Marcîons Evangelium von, D, Gratz. 
Tubing., 1818, in-12. Ce travail, quoique déjà ancien, mérite 
encore d'être consulté. 

2. Origenis opéra, éd. Bâle, 1557, t. I, p. 881. 

3. Jérôme, Prolog, in comment, super Matth, 



160 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

erronée qu'il donnait de^certains passages de l'Écri- 
ture Sainte, qu'il appuyait ses doctrines hérétiques. 
Partant d'un précepte de Paul ', qu'il entendait 
dans un sens que l'Apôtre n'aurait pas certainement 
avoué, il avait pour principe de choisir dans les 
livres saints ce qui lui convenait et de laisser de 
côté ce qui était contraire ou même peu favorable à 
ses opinions^. Ce n'est par conséquent que par 
métaphore qu'on peut parler d'un évangile 
d'Apelles. 



II 



Les Évangiles apocryphes paraissent avoir été 
bien plus nombreux parmi les gnostiques antijudaï- 
sants de la seconde catégorie que parmi ceux de 
la première, qui semblent s'en être tenus en général 
à notre troisième Évangile canonique, mais mutilé, 
comme je viens de le dire. C'est principalement des 
Valentiniens que je veux ici parler. Néander les 
range, il est vrai, parmi les judaïsants ^; mais je 
ne saurais partager cette opinion. Les Valentiniens 

4. i Thessal, v, 21. 

2. Épiphane, Hœres., xuv, § 2 et 5. 

3. Néander, Allg. Gesch, der christlichen Reîig., *• I^ p. -^CC 
et suiv. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTI|JUDAISANTS 161 

ne repoussaient pas sans doute T Ancienne Alliance, 
comme les Marcionites; ils ne la tenaient pas pour 
Toeuvre de FEsprit du mal, comme les Gaïnites ; 
mais parmi eux les uns la rapportaient au Dé- 
miurge, esprit inférieur qui, en formant le monde, 
n'avait été qu'un instrument aveugle du royaume 
de Dieu, et n'avait pas su ce qu'il faisait * ; et les 
autres n'en acceptaient les divers livres que sous 
bénéfice d'inventaire, et les expliquaient d'ailleurs 
dans un sens qui n'avait pas la moindre analogie 
avec les croyances de la synagogue ni avec celles 
de l'Église orthodoxe. Tertullien s'élève avec indi- 
gnation contre les libertés qu'ils prenaient avec 
l'Écriture sainte. « L'hérésie, dit- il (c'est des gnos- 
tiques antijudaïsants qu'il parle), rejette certains 
livres de l'Écriture ; et ceux qu'elle reçoit, elle ne 
les reçoit pas entiers; elle les altère, et par ce 
qu'elle en retranche et parce qu'elle y ajoute. 
Ceux qu'elle reçoit entiers, elle les pervertit 
encore par les interprétations qu'elle imagine; 
car il est également contraire à la vérité d'al- 
térer le sens ou le texte ^. » Et à Valentin, en 
particulier , ce grand conteur de fables, comme 
il l'appelle, il reproche d'admettre certains points 
de la loi et des prophètes et d'en rejeter d'autres. 
« Qu'est-ce à dire, ajoute-t-il, il en rejette la 

4. Ritter, Hist. de la phUos. chrét., 1. 1, p. 207. 
2. Tertullien, de PrcMcript., g 49. 

11 



162 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

totalité, en en rejetant quelques points seule- 
ment ^ » Quelques pages plus haut, il avait fait 
remarquer que Valentin, bien qu'il parût rece- 
voir TAncien-Testament tout entier, n'était pas, au 
fond, moins ennemi de la vérité que Marcion, mais 
qu'il était plus artificieux. « Marcion, le fer à la 
main, a mis en pièces, dit-il, toutes les Écritures, 
pour donner du poids à son système; Valentin a eu 
l'air de les épargner et de chercher moins à les 
accommoder à ses erreurs qu'à concilier ses erreurs 
avec elles ; et cependant il a plus retranché, plus 
interpolé que Marcion, en ôtant à tous les mots 
leur énergie et leur valeur naturelle pour leur 
donner des sens forcés ^. » 

C'est d'ailleurs de l'apôtre saint Paul que les 
Valentiniens se réclamaient; cela seul suffirait pour 
prouver qu'ils n'étaient pas dans le camp des judaï- 
sants. S'il faut les en croire, leur maître avait re- 
cueilli les enseignements de Tbéodas, disciple de 
l'apôtre des Gentils ^. Ce sont ses principes qu'ils 
faisaient profession de suivre; mais ils les pous- 
saient bien au delà des limites dans lesquelles saint 
Paul les avait contenus. 

S'ils donnèrent tous une couleur gnostique au 
paulinisme, ils ne l'exagérèrent cependant pas tous 

1. Clément d'Alex., Stromat., lib. VU, cap. 17. 

2. Tertullien, de Pœrscript,, § 49. 

3. Tertullien, iôid., § 38, 



ËVANOILIÎS APOCRYPHES ANTIJUDAISANTS 163 

au même degré. Ptoléinée qui fut, parmi les valen- 
tiniens, celui qui sacrifia le moins l'élément moralà 
Télément théesophique, ne dépassa guère l'opinion 
de saint Paul sur l'Ancienne Alliance que par la 
forme sous laqjielle il la présenta, forme qu'il em- 
prunta naturellement au langage et aux conceptions 
ordinaires de la gnose. Il n'attribuait pas, il est 
vrai, l'Ancien -Testament au Dieu suprême; la lé- 
gislation mosaïque n'était pour lui que l'œuvre d'un 
être intermédiaire, et la raison qu'il en donnait, 
c'est qu'elle présente, d'un côté, trop de défectuo- 
sités pour être rapportée directement à Dieu, et, 
d'un autre côté, trop de choses excellentes pour 
venir d'un esprit impur et mauvais \ Mai, à 
l'exemple dé l'apôtre des Gentils, il voyait dans 
toutes les cérémonies mosaïques des symboles de la 
vérité spirituelle, et, comme lui encore, il pensait 
que le symbole n'était plus nécessaire du moment 
que l'idée qu'il représente obscurément est claire- 
ment révélée, et que la pratique des prescriptions 
symboliques est par cela même supprimée, quoique 
le sens spirituel qu'elles recouvrent en soit tou- 
jours maintenu ^. L'Ancienne Alliance reste donc 
ici, conime aii point de vue de saint Paul, une 

i . Il y a probablement dans ce dernier trait quelque in- 
tention polémiqi^e contre des gnostiques tels que les Gar- 
nîtes. 

2. Ritler, Hist. de la philos, chrèt., t. I, p. 248 et 249. 



U)i BTUDES SUR LES ÉVANGILES 

préparation de la Nouvelle *, mais rien de plus. 
Les Valenliniens avaient une foule d'écrits apo- 
cryphes; « le nombre en était infini, » dit Irénée *. 
Nous n'en connaissons que quelques-uns, et encore 
est-il difficile, en l'absence de documents précis^ de 
savoir à quelle branche des Valentiniens chacun 
d'eux appartenait. 

Irénée attribue à cette école, sans autre déter- 
mination, un Évangile de la Vérité, Evangelium 
veritatis. « Cet écrit, dit-il, ne s'accordait en rien 
avec nos quatre Évangiles canoniques ^. » Ne se- 
rait-ce pas ce même Évangile que les Valentiniens, 
au rapport de Tertullien, possédaient, en outre des 
nôtres, suum prœter hœc nostra *? C'est probable; 
on ne peut cependant rien affirmer d'un livre dont 
il ne nous est pas parvenu le moindre fragment, 
et dont nous ne connaissons que le titre. 

Tous les autres paraissent avoir appartenu, soit 
aux Marcosiens, soit aux Ophites Séthiens. Les 
écrits apocryphes abondaient dans ces deux écoles. 
Marc, entre autres, se vantait de posséder en propre 
une révélation qu'il mettait au-dessus de toutes 
les autres. L'Évangile d'Eve n'aurait-il pas contenu" 

i. Galates, m, 24 et 25. 

2. Irénée, Adv, hœres,, lib. I, cap. 20. 

3. Irénée, ihid , lib. III, cap. M, 

4. Tertullien, de Pr'œscript,^ § 49. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTIJUDAISANTS i65 

cette révélation ? On est tenté de le croire, quand 
on considère, d'un côté, que Marc prétendait tenir 
ses connaissances supérieures d'un, principe fémi- 
nin ^, ce qui expliquerait peut-être le nom d'Eve 
donné à cet Évangile; et, d'un autre côté, que les 
accusations d'immortalité adressées à cette branche 
des Valentiniens, se trouveraient en un certain sens 
justifiées par le ton général de cet écrit, dont le 
langage, au rapport d'Épiphane et autant qu'on en 
peut juger par un des deux passages qui nous ont 
été conservés, était peu décent et parfois même 
obscène ^. Épiphane le rapporte cependant aux 
Ophites Séthiens ^. Peut-être était-il en usage à la 
fois et chez ceux-ci et chez les Marcosiens. 

Quoi qu'il en soit, on en connaît deux passages, 
rapportés l'un et l'autre par Épiphane. Ils sont telle- 
ment extraordinaires et en même temps s] propres à 
donner une idée des doctrines de cet Évangile , 
que je crois devoir les mettre sous les yeux du lec- 
teur. 

« J'étais arrêté sur une haute montagne, lorsque 

je vis un homme d'une haute stature et un autre 

mutilé. J'entendis une voix semblable à celle du 

'tonnerre. Je m'approchai plus près pour écouter; 

il me parla en ces termes : « Je suis toi, et tu es 

4. Trénëe, Adv. hœres., lib. I, cap. H, 

2. Épiphane, Hœres,, xxvi, § 2, 3 et 5. 

3. Épiphane, ibid., § 5. 



166 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

* moi. En quelque endroit que tu sois, j'y suis 
» aussi. Je suis répandu dans toutes les choses. 
» Tu me cueilleras partout où tu voudras; mais en 
» me cueillant, tu te cueilleras toi-même *. » 

Le sens de ces paroles n'est -pas douteux. Elles 
expriment la doctrine de l'identité absolue, la théo- 
rie du rayonnement de la vertu divine dans l'en- 
semble des êtres qui n'en sont que des mani- 
festations, le système de l'identification et de 
Tunification de Thomme avec Dieu par la science. 
Mais quel est le personnage qui a cette vision? 
Comment était-elle amenée ? Quelles conséquences 
en faisait-on ressortir? Il faudrait, pour avoir la 
solution de ces questions, connaître ce qui précé- 
dait et ce qui suivait ce passage. Ce qu'on peut du 
moins alG&rmer, c'est que dans ces paroles il n'y a 
rien qui ressemble, même de loin, au langage et 
aux doctrines des Évangiles canoniques. Tout au 
plus offrent-elles, dans leur ton général, quelque 
analogie avec le style de l'Apocalypse et avec la 
tendance mystique de quelques passages de l'Évan- 
gile de saint Jean. 

Le second passage est encore bien plus loin du 
langage et des idées des livres du Nouveau-Tes- 
tament. C'est aussi d'une vision qu'il s'agit. « Je 
vis, y est-il dit, un arbre portant douze fruits 

4. Épiphane, Hœres., xxvi, § 3. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTIJUDAISANTS 167 

chaque année, et il me dit que c'était le bois de 
vie *. » Épiphane assure qu'il est parlé ici des 
maladies périodiques des femmes. Ce passage fai- 
sait sans doute partie de quelque théorie sur la pro- 
duction des êtres. Il n'en est pas moins certain 
qu'on ne se serait pas attendu à trouver de sem- 
blables considérations dans un Évangile. 

L'Évangile d'Eve et l'Évangile de la Perfec- 
tion, Eiiayye>.tov Te>.et(d(7Êwç, étaient-ils un seul et 
même ouvrage sous deux noms différents? Baur 
n'en doute pas ^; ce que dit Épiphane de ces deux 
Évangiles pourrait bien, en effet, être entendu 
dans ce sens ^. 11 me reste cependant quelques 
doutes. Sans avoir la prétention de trancher la 
question, je serais porté à croire qu'Épiphane a 
voulu dire que parmi les gnostiques ^, les uns fai- 
saient principalement usage de l'Évangile de la 
Perfection et les autres de l'Évangile d'Eve ; et ce 
qui me confirmerait dans cette interprétation, c'est 
que, bientôt après, il parle de ces livres au plu- 
riel, sv ocTCOîtpucpoi; âvayivwaxovTeç ^. 

Si l'Évangile de la Perfection n'était pas, sous 
un autre nom, l'Évangile d'Eve, on ne saurait 
douter du moins qu'il ne s'en rapprochât par le ton, 

1. Épiphane, Hœres., xxvi^ § 5. 

2. Baur, Die christl. Gnosis^ p. 493. 

3. Épiphane, Uœres., xxvi, § 2. 

4. C'est des Ophites Sélhiens qu'il s'agit. ^ 

5. Épiphane, Hœres,, xxvi, | 5. 



168 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

le style et les doctrines. C'était « un produit du 
diable, » ÛTcdcnropa toO ^taêo'Xou, aujugenûent d'Épi- 
phane *, c'est-à-dire un écrit qui s'écartait sous 
tous les rapports, aussi bien par la forme que par 
le fond, des Évangiles canoniques, et dont la théo- 
sopbie hasardée n'avait rien de commun avec les 
croyances reçues dans l'Église. ^ 

Épiphane qualifie ce livre de to 7rotYÎ(ji.a 2. Faut- 
il entendre par là que c'était un poëme? Rien n'est 
moins probable. Fabricius pense que le terme de 
7rot7Î(ji.a ne doit être pris que dans le sens vague et 
général d'œuvre, d'ouvrage \ Je suis porté à croire 
qu'il signifie ici quelque chose de plus, et qu'Épi- 
phane l'a employé dans le sens de fiction. Cette in- 
terprétation, du reste, s'appuie sur les observations 
de Fabricius lui-môme. Ce célèbre érudit fait re- 
marquer dans la note que je viens de citer, que dans 
un passage d'Irénée. (lib. I, cap. 35), dont il ne 
reste que la traduction latine, l'Évangile de Judas 
est appelé confictioy une fiction. Il est probable 
que le mot grec rendu par conficiio était Troivifiia. 
Dans tous les cas, confictiOy fiction, me semble 
rendre très-bien le sens dans lequel Épiphane a 
voulu parler de l'Évangile de la Perfection. 

1. Épiphane, Hœres,^ xxvi, g 2. 

2. Épiphane, ihid, 

3. Fabricius, Codex apocryphus Nom Testam., pars 1, p. 374, 
note 6. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTUUDAISANTS 169 

Un autre Évangile apocryphe du môme genre 
que les précédents, était attribué à l'apôtre Phi- 
lippe. M, Matter suppose qu'il était reçu par les 
Ophites syncrétistes *, ou par les Prodicîens qui re- 
vendiquaient exclusivement le titre de gnostiques '. 
Philippe passait dans l'antiquité chrétienne pour 
avoir été, comme saint Paul, et môme avant lui, 
l'apôtre des Gentils '. Mais la tradition avait con- 
fondu ensemble Philippe, l'un des douze *, dont 
l'histoire nous est complètement inconnue, et Phi- 
lippe, diacre de Gésarée 5, qui, après avoir fait 
partie de l'Église helléniste de Jérusalem et avoir été 
chassé de cette ville après le martyre d'Etienne, fut 
le premier, à ce qu'il semble, à porter l'Évangile 
en dehors de la famille d'Israël et à convertir des 
païens au christianisme ^. Son zèle et ses succès lui 
avaient fait donner le surnom d'Évangéliste 7. Au 
second siècle on s'imagina qu'un évangéliste devait 
avoir écrit un Évangile; comme il n'en avait pas 
laissé, on en composa un sous son nom, et par suite 
de la confusion des deux Philippe, peut-ôtre aussi 
pour en relever l'autorité, on l'attribua à l'apôtre. 

1. MaUer, HisL crit, du gnosticisme, t. II, p. 257. 
S. Malter, ihid,, p. 284 et 285. 

3. Eusèbe, Hist eccles.y lib. II, cap. 4. 

4. Matth., X, 3; Marc, m, 48; Luc, vi, U; Actes, i, 13. 

5. Actes, vi, 5; xxi, 8. 

6. Actes, VIII, 5, 43, 27-39; xxi, 8. 

7. Actes, XXI, 8. 



170 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Il ne nous est parvenu qu'un seul passage de cet 
écrit, et ce passage n'est pas sans analogie, pour la 
forme du moins, avec les deux de l'Évangile 
d'Eve qu'on vient de voir. Il semble se rattacher 
au même ordre d'idées théosophiques. Le voici tel 
qu'Épiphane le rapporte. 

« Le Seigneur m'a révélé les paroleâ que l'âme 

* doit prononcer quand elle monte au ciel, et com- 
» ment elle a à répondre à chacune des puissances 
» célestes. Je me suis connue moi-même, dit-elle, 
» et je me suis recueillie moi-même de toutes parts. 
» Je n'ai point engendré de fils à l'Archon * ; mais 
» j'ai arraché ses racines, et j'ai recueilli ses mem- 
» bres dispersés. J'ai connu qui tu es; car je suis, 

* dit-elle, du nombre des célestes. Mais ^, s'il est 

* établi qu'elle a enfanté un fils, elle est retenue en 
» bas, jusqu'à ce qu'elle ait pu reprendre ses enfants 
» et les absorber en elle. » 

Telles sont, ajoute Épiphane, les sottises et les 
fables que les gnostiques racontent ^ ; réflexion fort 
judicieuse, sans doute, mais à laquelle on préfére- 
rait quelques autres citations de ce singulier Évan- 
gile. Il y a évidemment, dans ce passage, des 



4. L'Archon est le prince du monde, et, par conséquent aussi, 
le père du mal. 

2. Cette dernière phrase n'est probablement qu'un résumé 
qu'Épiphane fait de ce qui suivait. 

3. Épiphane, Hœres., xxyi> § 13. 



ÉVANGILES APOCRYPHES AXTUUDAISANTS 171 

formules mystiques à l'usage des initiés. Sous le 
voile, d'ailleurs fort transparent, qui les couvre, il 
n'est pas difficile de discerner la doctrine qu'elles 
supposent. Le fond en est, comme dans l'Évangile 
d'Eve, un panthéisme mystique, et le trait qui en 
est spécialement relevé dans ce passage, c'est le 
quiétisme. Ce n'est pas par des œuvres, en engen- 
drant des fils au prince de ce monde, comme il est 
dit ici d'une manière figurée, que l'âme qui est du 
nombre des célestes. monte au ciel ou se réunit au 
principe divin de toutes choses ; c'est en se recueil- 
lant en elle-même. La méditation intérieure lui fait 
seule connaître ce qu'est Têtre et lui apprend en 
même temps qu'elle appartient, elle aussi, à cet 
être. 

Les Grandes et les Petites Interrogations de 
Marie , 'EpwTvfcyeiç Mapiaç ^xf^éikoL^ , et 'Èpwr/îdsi; 
Mapiaç [jLDtpat, étaient deux écrits probablement 
particuliers aux Ophites Sélhiens, secte gnosfique 
qui avait encore, au rapport d'Épiphane, en outre 
des Révélations d'Adam, kiroxaW^j^ÊK; toO 'A^api, 
des Évangiles attribués à des apôtres *. A en 
juger par ce qu'en dit ce Père de FÉglise, le livre 
des Grandes Interrogations de Marie aurait été fort 
analogue à l'Évangile d'Eve, et par le ton général, 

4. Épiphane, Hœres,^ xiyi, § 8. Ces Évangiles sont entière- 
ment inconnus. 



172 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

et par le style, et par la doctriae. 11 est impossible 
de rapporter les quelques traits qu'il en indique ; 
tout ce qu'on peut en dire, c'est qu'il y était prin- 
cipalement question, sous des images obscènes, de 
l'origine, de la purification et du salut des âmes. 

C'est probablement aussi à quelque branche des 
Ophites qu'appartenait un écrit portant le titre de 
Naissance de Marie^ Ti^>èOL Maptaç, et contenant, à 
ce qu'assure Épiphane, des choses horribles et dé- 
testables *. Le seul fait qu il en rapporte est cepen- 
dant plus ridicule qu'horrible. C'est la fable 
absurde, répandue parmi les païens, que les Juifs 
adoraient une tôte d'âne ^. D après cet écrit de la 
Naissance de Marie, Zacharie aurait été mis à 

4, Év ô) ^eivà Tt xai oXÉOpioi {»iroêoi».ovTé( Ttva Exelas Xh^ouaiv. Épi- 
phnne, Hœres,, xxvi, § 4S. 

2. Josèphe, Contra App,, lib. II, cap. 4. Cette fable est rap- 
portée par Tacite. Il raconte que les Juifs, dans leur fuite à 
travers le désert, étaient prêts à mourir de soif, quand ils aper- 
çurent une troupe d'ânes sauvages s'enfoncer dans un bois. 
Moïse les suivit à la piste, et jugeant à la verdure et à la fraî- 
cheur de rherbe qu'il y avait de l'eau, il chercha, et bientôt il 
découvrit une source abondante. Les Juifs y apaisèrent la soif 
qui les dévorait. Quand la Judée fut en leur pouvoir et que 
Jérusalem et te temple furent construits, Moïse consacra dans 
le sanctuaire la figure de l'animal qui l'avait conduit à la décou- 
verte des eaux qui avaient sauvé le peuple tout entier d'une 
mort certaine et terrible. Tacite, Historiée, lib. V, § 3 et 4. 
Dans l'Occident, où, pendant longtemps, OQ prit les chrétiens 
pour une secte juive, l'accusation d'adorer une tôte d'âne leur 
fut aussi adressée. Dans VOctavius, § 9, elle se trouve dans la 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTIJUDAISANTS 173 

mort, parce qu'ayant aperçu, un jour qu'il offrait 
l'encens dans le temple, l'homme à tête d'âne qu'on 
y adorait et qui ne s'était pas soustrait assez rapi- 
dement à ses regards, il aurait divulgué cet odieux 
mystère. Ce conte n'a pu prendre place que dans 
un écrit antijudaïsant. 



III 



. Si l'on ne savait de quels écarts l'esprit humain 
est capable, une fois qu'il est sorti de la ligne de 
la droite raison, on serait tenté de prendre pour des 
fables ce que les anciens écrivains ecclésiastiques 
racontent des gnostiques appelés Gaïnites. Ce n'est 
pas sans doute qu'Irénée et Épiphane aient toujours 
bien compris les sentiments professés par cette secte ; 
il n'en est pas moins vrai que le système qu'elle 
soutenait est un renversement complet des opi- 
nions les plus approuvées. Après tout, cependant, 
il n'est que le terme extrême d'une idée qui, en 
elle-même, semble bien fondée. 

Les chrétiens qui voyaient dans le christianisme 

bouche de Cécilius, le défenseur du paganisme. Audio eos tur- 
pissimse pecudis, caput asini cousecratum inepta nescio qua 
persuasioue venerari. 



174 ETUDES SUR LES EVANGILES 

une religion cosmopolite, propre à l'humanité tout 
entière, et non une religion nationale, enfermée 
dans le cercle fort restreint des enfants d'Israël, 
devaient considérer, avec saint Paul, l'Ancienne 
Alliance comme une préparation de la Nouvelle. 
Cette doctrine fut repoussée avec indignation par 
les chrétiens judaïsants, qui ne voulaient ni rompre 
avec la synagogue, ni voir dans le christianisme 
'autre chose qu'une forme nouvelle, plus parfaite, 
du mosaïsme. On connaît, du moins dans ses traits 
généraux, la lutte qui éclata entre les deux partis. 
Tandis que les judaïsants traitaient saint Paul 
d'apostat ^ de prédicateur de mensonge 2, de sup- 
pôt de Satan, ceux du parti contraire accusaient 
les judaïsants d'étouffer la vérité ^ chrétienne ; 
quelques-uns allaient même jusqu'à regarder l'An- 
cienne Alliance, non plus comme une préparation 
du christianisme, mais comme une religion d'un 
ordre inférieur; non plus comme une manifestation 
incomplète de Dieu, mais comme l'œuvre impar- 
faite d'un principe subordonné. On ne s'arrêta pas 
là. Le judéochristianisme s' opposant au triomphe 
du spiritualisme chrétien, ou du moins au triomphe 
de ce que certains gnostiques prenaient pour le 

4. Tbv ^è àwo'aT&Xov àirooTOiTYiv xaXouai. Théodoret, FabuL fccp- 
ret., lil). Il, cap. 4. 

2. To5 i^Bpou àvÔpwTTou àv(d|jiov Tiva xal çXuapoi^Yj ^i^a«jxaX(a>. C/e- 
mentis Romani homiliœ XX^ éd. Dressel, p. 4. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTIJUDAISANTS 175 

spiritualisme chrétien, on en conclut que les princi- 
pes dont il partait étaient la négation de la vérité, et, 
par conséquent, que le judaïsme était une religion 
fausse et le Dieu de l'Ancien-Testament le con- 
traire du vrai Dieu, c'est-à-dire le Prince du Mal. 
De ce point de vue qui fut celui des Gaïnites, 
tous les personnages qui, dans l'Ancien-Testament, 
sont présentés comme opposés aux prescriptions 
mosaïques ou comme condamnés, au nom de Jého- 
vah, par les prophètes, durent apparaître comme 
des hommes poursuivis par le Père du Mal^ et, par 
conséquent, comme de véritables adorateurs du 
bien et de la vérité. Les rôles se trouvèrent ainsi 
renversés. Gaïii fut le type de la vertu; Abel, au 
contraire, celui de l'erreur et de la perversité. Les 
habitants de Sodome et de Gomorrhe, Goré, Dathan , 
Abiron, devinrent de saints personnages. Dans 
cette singulière réhabilitation, Judas Iscariolh se 
trouva relevé' de l'anathème qui pesait sur lui. Get 
homme, qui avait vendu son maître, ne fut plus 
un traître ; il fut tenu pour un instrument de salut. 
Plus versé que les autres apôtres dans la connais- 
sance de la vérité, il savait qu'il était avantageux, 
nécessaire au triomphe du bien, que le Ghrist mou- 
rût sur la croix. Il prit en conséquence l'héroïque 
résolution de rendre inévitable cet utile sacrifice. 
Mettant au-dessus de ses devoirs de disciple la 
cause de l'humanité tout entière, il jugea néces- 



176 ETUDES SUR LES ÉVANGILES 

saire de prévenir les hésitations du Christ, qui, au 
moment suprême, lui semblait chanceler. Il le livra 
aux chefs de la synagogue, pour que le sacrifice 
s'accomplît et que le monde fût sauvé *• 

Judas devint ainsi l'apôtre de prédilection des 
Gaïnites. Gomment en aurait-il été autrement, puis- 
que, en provoquant sciemment et volontairement 
la mort du Christ, il avait été, à leurs yeux, l'agent 
le plus actif du salut du monde ? Ils composèrent 
un Évangile sous son nom, to EOayyAiov toS 'lou^a *. 
Irénée en parle ^ ; il remontait, par conséquent, au 
moins à la fin du second siècle. Théodoret en fait 
également mention ^. Mais aucun de ces anciens 
écrivains ecclésiastiques n'en rapporte le moindre 
passage. Il est certes à regretter que ce monument 
de la folie humaine ait complètement disparu. 11 
aurait dû être conservé avec soin comme un témoi- 
gnage, plein d'instruction, des égarements dans 
lesquels on peut se perdre, quand on s'abandonne 
en aveugle au dogmatisme théologique. 

On peut conjecturer avec quelque vraisemblance 
que cet Évangile relevait la personne de Judas, et 
qu'il contenait surtout un récit de la Passion et des 

4. Tertullien, de Prœscript.j § 47; Irénëe, Adv, hœres., lib. I, 
cap. 31. 

2. Épiphane, Hœres», xxxvui, § 4 . 

3. Confectionem afferuDt hujusmodi Judœ Evangelium illud 
vocanles. Irénëe, Adv, hœres,, lib. I, cap. 31. 

4. Théodoret, FabuU hœret.^ lib. I, cap. 45. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTIJUDAISANTS 177 

circonstances qui l'avaient précédée, composé au 
point de vue du système des Gaïnites. 

Au reste, cette secte bizarre parait avoir eu la 
manie de se mettre en opposition avec toutes les 
idées reçues de son temps. Quand la continence et 
la virginité étaient célébrées comme le comble de 
la vertu, les Gaïnites attribuaient à l'union char- 
nelle des deux sexes une sainteté éminente *. Et 
encore, quand l'antiquité tout entière avait été una- 
nime à peindre la force génératrice universelle sous 
un symbole emprunté au sexe masculin, ils la repré- 
sentèrent sous un symbole emprunté à l'autre sexe ^. 

Ces gnostiques Gaïnites n'auraient- ils pas été 
des Givaïtes égarés parmi les chrétiens ? 



IV 



On parle souvent des Évangiles des Manichéens. 
Si l'on entend par là des écrits leur appartenant en 
propre, dans lesquels ces sectaires auraient eux- 
mêmes tracé le tableau . de la vie et de l'ensei- 

4. Épiphane. Hœres., xxxviii, 2; Irénée, Adv. hœres.^ lib. I, 
cap. 31. 

2. 'Hv &oWpay t^ iroiYrniv toû iravrbç toutou toS xutouç, oûpotvou ti 
xai piçxaXoûot. Épiphane, Hœres., xxxvin, § 4. Hysteram autem 
febricatorem cœli et lerrse vocant. Irënée, Adv. hceres,, lib. I, 
cap. 34 . 

12 



178 ÉttrDÊS SUR LES ÉVAP(GILBS 

gnement de Jésus-Ghrist, dans le seni» àù leurs 
principes, on petit hardiment affirmer qu^il n'a 
jàmôis exiîSté deô ouvrages de ce genre. Et cela 
se comprend. Le manichéisme ne fut pas dans le 
principe une sectô chrétienne- Manèsfut un de ces 
théoâophes qui se sont montrés à diverses re- 
prises dans l'Asie centrale et qui ont eu la préten- 
tion de concilier et de fondre ensemble les diverses 
religions qui leur étaient connues *• Il ne paraît pas 
avoir éti d'abord d'autre dessein que de combiner la 
doctrine de la délivrance du bouddhisme avec l'an-^ 
tique dualisme des Mazdéens. Quelques échos de la 
gnose arrivèrent d'Alexandrie jusqu'à lui ; il la prit 
pour la sagesse égyptienne, et l'attribuant à Her- 
mès, il en mêla tant bien que mal quelques lam- 
beaux à son système religieux. La légende qui 
lui donne pour premier disciple Thomas (Gautama) 
Ada ou Bouddha et Hermès, indique assez claire- 
ment de quels éléments il le composa ; seulement 
elle a renversé l'ordre des choses, ce qui lui est 
assez souvent arrivé, en représentant comme ses 
disciples les sages qu'il avait pris pour ses maîtres 
et qui étaient, ou du moins qui passaient pour être 
les pères des doctrines sacrées de l'Inde, delà Perse 
et deJ'Êgypte «. 

4. Réfiue jermaniq,, U viii, p. 684 eisuiv. 

2. Il est possible aussi que ce renversement Aoit le fait des 
chrétiens, qui ne se firent que de fausses idées de l'origine et de 
l'histoire primitive du manichéisme. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTUUDAISANTS 47Q 

Le dvristianisine entra-t-il pour quelque part 
dans rœuyre syncrétique de Manès? On le dit, 
mais ce ne fut certainement qu'une addition faite 
après coup à une doctrine déjà arrêtée. La religion 
chrétienne n'avait pa^ une assez grande impor- 
tance de son temps, dans la Perse, pour qu il pût 
croire nécessaire, quand il entreprit sa réforme reli- 
gieuse, de Tassocier aux religions qu'il trouvait 
établies autour de lui et qui avaient à sea yeux le 
prestige de l'antiquité et de la puissance. Il est 
môme probable qu'il ne connut le christianisme que 
pendant la proscription qui l'obligea à chercher 
momentanément un refuge dans la Syrie. Son sys- 
tème était alors arrêté, et s'il y ajouta quelques 
traits empruntés à la doctrine chrétienne, ce fut, 
sans le moindre doute, moins pour en étendre le 
cercle, que pour prouver que les conceptions reli- 
gieuses les plus diverses pouvaient y rentrer. 

Saint Augustin assure, il est vrai, que Manès 
se donnait la qualification d'apôtre de Jésus-Christ, 
en tête de ses lettres *. Rien n'est plus invraisem- 
blable^ ou, pour mieux dire, rien n'est plus con- 
traire au système et aux vues d'un réformateur 
qui prétendait, non introduire ou répandre le chris- 
tianisme dans son pays, mais fonder ce qu'il croyait 

4 . Omnes ejus epistolae ita exordiunlur : Manichœus aposlo- 
lus Jesu Ghristi. Augustin, Contra Faustum, xm, § 4; Contra 
epUtoL fundament,, § 5 et 6. 



180 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

être la religion universelle, c'est-à-dire une reli- 
gion embrassant, résumant et complétant toutes les 
religions particulières. Saint Augustin tenait ce 
renseignement des Manichéens avec lesquels il 
avait vécu. Mais le manichéisme s'était modifié en 
passant de la Perse dans les contrées où le chris- 
tianisme dominait. Pour marquer qu'il donnait le 
dernier mot de tous les cultes antérieurs. Mâ- 
nes s'était peut-être appelé lui-même le disciple 
des fondateurs de tous ces cultes, de Zoroastre, de 
Gautama, de Bouddha, d'Hermès, de Jésus-Christ. 
Ses disciples, répandant sa doctrine au milieu des 
chrétiens, laissèrent dans l'ombre tous les autres 
noms invoqués par leur maître; ils ne parlèrent que 
de celui de Jésus, ou du moins ils le mirent en pre- 
mière ligne, et Ton comprend pourquoi ; le nom du 
Christ était le seul qui fût en honneur et qui pût 
faire impression dans le nouveau milieu où la per- 
sécution les avait jetés. Il se peut qu'ils eussent 
modifié dans ce sens les lettres vraies ou fausses de 
Manès, et qu'en les traduisant en grec ou en latin, 
ils n'y eussent laissé que le nom du Seigneur. C'est 
là ce qui aura trompé saint Augustin, qui ne 
pouvait puiser ses informations à d'autres sources. 
La plupart des anciens écrivains ecclésiastiques 
qui rapportent que Manès s'appelait apôtre de 
Jésus-Christ, l'accusent en même temps d'avoir été 
assez téméraire pour se donner pour le Paraclet ou 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTIJUDAISANTS iSi 

le Saint-Esprit, que le Seigneur avait promis d'en- 
voyer à ses disciples *. Mais comment Manès au- 
rait-il pu se dire à la fois Tapôtre de Jésus -Christ 
et le Saint-Esprit? S'il était l'un, il ne pouvait être 
l'autre. Il y a là une contradiction manifeste , ou, 
pour mieux dire, il y a un malentendu. 

Que Manès se soit appelé le Saint-Esprit , ou 
mieux l'Esprit, c'est ce qui n'est pas douteux. Le 
mot même de Manès n'a pas d'autre sens. C'est le 
Maint des livres sacrés de Zoroastre *. Le père 
au manichéisme ne s'appelait pas d'abord Manès, il 
ne prit ce nom qu'au moment où il commença son 
œuvre de réformation religieuse. La tradition est 
unanime sur ce point ^. 

1. ÉtoX[xyii6 -yàp ô TOiouToç xal irveufta iroçàxXiQTCv eauTov Xs-Ytiv, 
àXXoTt ^8 àirooToXov Iviaou Xpicrrou iauTbv lirt^Yipl^ei, Épiphane, Hœ~ 
res,, Lxvi, § 19. MàvYi; 6 lauTov finm to irvEû(i.ft, Cyrille de Jéru- 
salem, Opéra, p. 228, Cateches., xvi, § 4. Eusèbe, Hist, eccks.^ 
lib. VII, cap. 31 . Augustin, Contra epistoL fundament.^ § 6. 

2. Ce mot se trouve très-souvenl dans ces livres, soit seul : 
mainiy esprit (mens en latiu), soit accompagné de qualificatifs : 
Cpento Maini, le Saint-Esprit, aubro-maini, le méchant esprit 
(ahriman). Eug. Burnouf, Comment, sur le Yaçna, p. 442. Ad. 
Pictet, les Origines indo-européennes, t. ii^ p. 656. 

3. Cyrille de Jérusalem raconte que le père du manichéisme 
s'appelait Cubricus, et prit plus tard le nom de Manès, nom, dit- 
il, qui^ dans Tidiome des Perses, signifie discours, comme s'il 
avait voulu se donner pour un excellent orateur; Cyrille de Jé- 
rusalem, Opéra, p. 93. L'explication que donne Cyrille du nom 
de Manès manque d'exactitude ; elle est cependant, en un cer- 
tain sens, sur la bonne voie. Il serait curieux de savoir comment 
celte tradition était arrivée à la connaissance de l'évoque de 
Jérusalem. Epiphane, Hœres^ lxvi, § 4 et 4* 



182 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Ce nom, Temprunta-t-il aux Évangiles? Certai- 
nement noû ; il le prit dans la langue sacrée de son 
pays. Il se donna pour Manès {Maint, l'Esprit), 
quand il s'annonça comme un nouveau révélateur, 
iîomme un de ces hommes inspirés, qui, d'après 
une croyance très-répandue dans l'Orient, vien- 
nent, lôûs les mille ans, renouveler et purifier la 
foi des humains, retoucher les cultes antiques et 
ouvrir une nouvelle période, un Hazare, 

Que plus tard ses disciples, répandus parmi les 
chrétiens, aient rapproché ce nom du mot Saint- 
Esprit employé dans les Évangiles et aient essayé 
de faire croire par ce rapprochement que la pro^ 
messe de Jésus-Christ à ses apôtres s'était réalisée 
dans la personne de leur maître, je le veux bien ; 
ils trouvaient là un moyen dé rattacher leur doc- 
trine aa christianisme. Mais là qualification d'Es- 
prit que se donna le père du manichéisme , n'est 
pas plus d'origine chrétienne que son système. 

Si le manichéisme se forma dans une indépen- 
dance complète du christianisme, les événements ne 
tardèrent pas cependant à le transformer en une 
secte chrétienne. Manès mis à mort, ses disciples, 
chassés de la Perse par la persécution, se réfugiè- 
rent, pour la plupart, dans la Syrie; ils se répan- 
dirent de là dans l' Asie-Mineure, dans TÉgypte et 
dans l'Occident. Au milieu de populations dont les 
chrétiens formaient l'immense majorité, ils durent 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTUUDAISANTS 183 

tejoir compte du christianifinoe, Leur$ propres priu- 
cipes leur en faisaient une loi. Leur théorie r€ii- 
gieuse prétendait être la conciliation de t<»ute$ les 
religions.; elle devait «embrasser La chrétienne ans» 
bien que toutes les autres- Le christianisme était 
d'ailleurs^ comme leur propre syfi^tème, une doctrine 
delà délivrance. Il y avait dans cette comnumauté 
de but une cause de rapprochement. D'un autre 
côté, UB pouvant dans leur position nouvelle r^ô- 
pandre leurs idées que parmi les chrétiens, ils du*^ 
rent naturellement les présenter sous la forme la plus 
propre à faire impression sur l'esprit de ceux qu'ils 
voulaient gagner à leur cause. Au milieu des maz^ 
déens, le manichéisn^e était la doctrine de Zoroai&^ 
ire rajeunie, perfectionnée et complétée; au milieu 
des chrétiens, il fui Tinterprétation ps^faite de 
l'enseignement de Jésus-Christ. Ce revirement., 
plus apparent cependwt que réel, était dans la 
natiare des choses^ 

Les Manichéens écrivirent-ils alors des Évangiles 
ou remanièrent-ils, dans le sens de leurs principes, 
quelques-uns de ceux qui existaient déjà? Il ne le 
paraît pas : ce n'était pas d'ailleurs nécessaire. A 
en juger par ce qu'en rapporte saint Augustin, le 
seul des anciens écrivains ecclésiastiques qui les 
ait connus de près, ils attachaient peu d'importance 
aux récits de la vie du Seigneur et par suite aux 
livres qui les conjtieilnent ; ils n'insistaient que sur 



184 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

renseignement, qu'ils interprétaient, bien entendu, 
d'après leur propre système. Il ne s'agissait pas 
pour eux de croire à ce que Jésus-Christ avait fait ; 
il faut, disaient-ils, faire ce qu'il commande ; le 
reste n a pas de valeur. L'Évangile, c'est ce que 
le Christ a enseigné *. 

Il faut ajouter qu'avec leur système arbitraire 
d'interprétation, et en rejetant comme des falsifi- 
cations tout ce qui, dans les écrits sacrés, ne pouvait 
se plier à leur, doctrine ^, ils n'avaient pas besoin 
de composer des Évangiles. Tout livre leur était 
bon, dès qu'ils en retranchaient ce qui ne leur allait 
pas et qu'ils ^pliquaient ce qu'ils en gardaient 
comme ils l'entendaient. Aussi admettaient-ils les 
Épîtres de saint Paul ', quoique en réalité elles 
ne soient pas plus favorables à leur doctrine que les 
Évangiles. 

Cyrille de Jérusalem assure cependant qu'ils 
avaient composé un Évangile de saint Thomas *. 

1 . Est nihil aliud quam praedicatio et mandatum Christi, dit 
le manichéen Faustus, dans Augustin, Opéra, t. VIII, col. 329 c. 
Contra FaiMtum, v, 1 . 

2. Dicentes falsa esse in Ëvangelio. Augustin, Opéra, t. VIII, 
col. 486 B. Contra Faustum, xvi, 33. Opéra, t. VIII, col. 489 C. 
Contra Faustum, xvii, 3. Paracletus, disait Faustus^ ex Novo 
Testamento promissus docet quid accipere ex eodem debeamiis 
et quid repudiare. Contra Faustum, xxxii, § 6. 

3. Paulum apostolum quom nobiscum legunt. Augustin, Opéra, 
t. III, col. 1534 A. De sermone montis, lib. I, § 65. 

4. Ë'Ypa^l'oiv xal (i.avtxaîoi xarà eo(i.£v EùayyéXiov. Cyrille de Jéru- 
salem, Opéra, p. 66, 57, 98, Cateches., iv, § tt, et vi, § 8. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTIJUDAISANTS 18» 

Mais il se trompe , on peut même dire qu il 
commet deux erreurs à la fois. L'Évangile de 
Thomas est antérieur au manichéisme. Il était 
connu d'Origène * et même dlrénée qui ne le 
nomme pas, il est vrai, mais qui en cite une des 
légendes ^. Et il faut ajouter que c'était , non 
l'Évangile de Thomas, mais les Actes apocryphes 
de cet apôtre, que les Manichéens recevaient 
comme un livre sacré. Nous le savons par saint Au- 
gustin, qui parle de l'importance qu'ils attachaient 
à ce livre ^ et qui en cite à trois reprises différentes 
une légende qu'ils en rapportaient *^ et qui en fait 
encore partie ^. Les Actes de Thomas n'étaient pas 
mieux d'ailleurs leur œuvre que l'Évangile apo- 
cryphe attribué à cet apôtre. Ce livre porte l'em- 
preinte de la gnose des judéochrétiens de la 
Syrie. Le Saint-Esprit y est représenté comme un 
principe féminin, de même que dans l'Évangile des 

i. Evangelium quod appellatur secundum Thomam. Origène, 
Homil. I in Lucam, 
S. Irënée, Adv. hœres,, Ub. I, cap. 47. 

3. Gui scripturse licet nobis non credere; non est enim in 
catbolico canone ; illi tamen eum et legunt, et tanquam incor- 
ruptissimam verissimamque honorant. Augustin, Opéra, t. III, 
col. 4534 B. 

4. Augustini Opéra, t. VIII, col. Ut A etB; col. 845 B; col. 
631 D; t. III, col. 4534. 

5. Ce livre apocryphe a étë publié par Thilo, Leipzig, 4 823, 
in-80. On en a une traduction Trançaise dans le Dictionnaire des 
apocryphes, t. II, col. 4045 et suiv. La légende dont parle Au- 
gustin se trouve dans cette traduction, col. 4049. 



186 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Hébreux et dans la doctrine des Elkésaïtes. Il y est 
appelé « la mère miséricordieuse, » et « la mère 
des sept demeures, qui vient trouver le repos dans 
la huitième ^ » Comme dans les Glémentinjes et 
rÉvangile des Ébionites, le sacrifice y est déclaré 
aboli. « Dieu, dit Thomas au jeune homme qu'il 
aressusdté, ne demande pas de sacrifices; pour- 
quoi lui sacrifierais-tu? » Ueauy est considérée de 
même que dans les Clémentines et dans le livre 
sacré des Elkésaïtes, comme Télément purificateur 
par excellence; elle guérit à la fois les maux du 
<5orps ek ceux de Tâme. Enfin, contrairement à 
Tascétisme exagéré des Manichéens, on y recom- 
mande les bonnes oeuvres, dans le môme esprit que 
dans la plupart des documents judéochrétiens. 
« Laissez tos anciennes voies ^t votre coiwiuite 
passée, dit Thomas dans un des derniers discours 
qu'il prononoe dans «ce livre ; que les voleurs ne 
volent plus, mais qu'ils gagnent leur pain par leur 
travail et leurs sueurs ; que les débauchés ne se 
livrent plus à la débauche, de peur de «e livi'er eux- 
mêmes aux châtiments éternels ; car la débauche 
est de tous les maux le plus désagréable à Dieu. 
Renoncez à l'avarice, au mensonge, à l'ivrogne- 

I . Les sept demeures rappellent les sept puissances de Basi- 
lide, et la huitième, le lieu du repos, Tôtre primitif, le Dieu 
inefifai)le , qui est la fin comme le commencement de -toutes 
choses. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTUUDAISANTS 187 

rie, à la calomnie, à rendre le mal pour le mal ; 
car toutes ces choses sont contraires et antipathi- 
ques au Ken que j'annonce. Mais vivez dans la foi, 
dans la douceur, dans la sainteté et dans l'espé- 
rance, qui sont la joie de Dieu, afin de devenir ses 
enfants et de recevoir les bienfaits qu'il ne donne 
qu'à un petit nombre *. » 

Ce n'est pas probablement par cet esprit pra- 
tique que ce livre se recommanda aux Manichéens; 
mais la doctrine du dualisme, qui appartient en 
propre à la gnose judaïsante de la Syrie, y est très- 
prononcée; ce fut sans doute par cette raison que 
les disciples de Manès l'adoptèrent comme Écri- 
ture Sainte ^. 

Timothée, prêtre de Constantinople, au com- 
mencement du VII® siècle, place, au nombre des 
treize ouvrages des Manichéens, l'Évangile de 
Philippe, To KaTa 4>tXi7nrov EuayyéXiov ^. Cet écrit 



1. Bictionnaire des apocryphes, L II, col. 1M5 et 1046. 

2. S'il est vrai que les Manicbëens baptisassent avec de rbuile^ 
c'est à ce livre qu'ils ont emprunté cette manière de célébrer 
le baptême, cérémonie qui ne faisait certainement pas partie du 
-manichéisme pTimitif. Voyez le passage cité par Fabricias, Codex 
apocryphm Novi Testamenti, pars 1 , ^ 822. 

3. Timothée, Epistola de variis hœreticis. Une traduction latine 
de cette lettre se trouve dans les premières éditions de la Biblio- 
tlièqoe des Pères. Meursius en a publié le texte grec dans Varia 
divina, Leyde, 4649, in-4o; elle est en grec avec ^ne traduction 
latine dans Aucîar. Nov., de Gomfbefix, et dans Mommenta 
Ecdesiœ grecœ^ de Cotelier. Léontiusde Byzance, ^entomperain 



188 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

appartenait à la secte des Ophites. Les Manichéens 
Tadoptèrent-ils en eifet pour un de leuj» livres 
sacrés? Ce ne serait pas impossible; cependant le 
témoignage d'un écrivain du vi® ou du vii® siècle ne 
peut avoir une valeur décisive, quand il ne trouve 
pas quelque appui dans des écrits antérieurs. On 
ne saurait du reste être surpris que les Manichéens 
eussent donné leur approbation à un Évangile qui 
condamnait absolument le mariage et présentait 
la génération comme l'œuvre du mauvais prin- 
cipe. Ce furent cependant les Évangiles apocryphes 
d'origine syriaque qu'ils paraissent avoir adoptés 
de préférence. Faut-il en chercher la raison dans le 
fait que ce furent les premiers écrits chrétiens qu'ils 
rencontrèrent, quand, fuyant la persécution qui 
les chassait* de leur patrie, ils cherchèrent un re- 
fuge dans l'empire romain, ou dans cette circons- 
tance que ces Évangiles , sans être précisément 
empreints de dualisme, étaient répandus cependant 
parmi des sectes judéochrétiennes qui, comme 
eux, faisaient profession, en quelque degré, de la 
doctrine des deux principes ? Je ne sais; mais il est 
certain que la plupart des écrits apocryphes chré- 
tiens qu'on trouve en leurs mains appartenaient à 

de Timothëe, dit également que les Manichéens se servaient de 
rÉyangile de Philippe en môme temps que de celui de Thomas; 
de Sectis, p. 432, et dans Fabricius, Codex apocr. Novi Testant.^ 
pars 4^ p. 442* 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTIJUDAISANTS 189 

des sectes de la Syrie. Tel est le cas des Actes de 
Thomas, livre qui ne nous est parvenu que dans 
une traduction grecque, mais dont l'original était 
syriaque *. 

C'est aussi dans la Syrie qu'avait été composé 
rÉvangile de la Nativité de la Vierge *, ouvrage 
apocryphe dont saint Augustin nous apprend qu'ils 
se servaient. On peut du moins le supposer avec 
la plus grande vraisemblance, car tous les écrits 
apocryphes sur la sainte Famille sont venus de là, 
et celui-ci ne faisait pas sans doute exception à ce 
fait général. Mais qu'était cet Évangile de la Na- 
tivité de la Vierge? Celui qui est arrivé jusqu'à 
nous, sous ce titre, dans une traduction latine, faite, 
à ce qu'on assure, sur un original hébreu? On ne 
saurait l'admettre, car dans cet écrit il n'y a pas 
un seul mot qui puisse faire supposer que Joa- 
chim, le père de la Vierge, appartînt à la race 
sacerdotale ; il y est représenté comme habitant 
Nazareth, mais comme étant de la tribu de Juda et 
de la famille de David ^. Au contraire, d'après l'É- 
vangile de la Nativité de Marie dont les Manichéens 
faisaient usage, Joachim était un prêtre et faisait 
partie de la tribu de Lévi *. Il est possible toutefois 

4, Dictionnaire des apocryphes^ t. II, col. 1021, note 4080. 

2. Augustin, Opéra, t. Vlil^ col. 656. Contra Faustum, xxiii^ 
§9. 

3. Évang. de la Nativité de la Vierge^ chap. 4. 

4. Ac per hoc iilud quod de generatione Mariae posuit Faustus 



190 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

que récrit apocryphe auquel en appelait Faustus, 
ne fût qu'une récension quelque peu modifiée de ce- 
lui qui nous a été conservé. Peut-être même la 
différence qui les sépare sur l'origine de Joachim 
était-elle due aux Manichéens qui, dans je ne sais 
quel intérêt de parti, voulaient rattacher Jésus- 
Christ à la race sacerdotale. Au reste, cette inten- 
tion ne saurait nous surprendre ; on la trouve fort 
naïvement exprimée dans l'histoire du charpentier 
Joseph. Dans cet écrit apocryphe, on raconte que 
Joseph, tout en étant de la famille de David, 
et, par conséquent, de la tribu de Juda, fut fait 
prêtre dans le temple du Seigneur *. On réunissait 
ainsi sur Jésus-Christ la dignité royale et la 
dignité sacerdotale. 11 est probable cependant que 
les Manichéens s'inquiétaient peu de la dignité 
royale et qu'ils se proposaient avant tout de 
retrouver les marques du sacerdoce dans le Sei- 
gneur. 

Est-ce seulement de l'Évangile de la Nativité de 
Marie, de celui de Philippe et des Actes de Thomas, 
que veut parler saint Augustin, quand il dit que les 
Manichéens se servaient de livres apocryphes com- 

quod patrem habuerit ex tribu Levi, sacerdotem quemdam no- 
mine Joachim. Augustin, Ibid, Il n'est d'ailleurs aucun des 
Évangiles de TEnfance parvenus jusqu'à nous qui donne Joachim 
pour un prêtre, quoiqu'ils ne soient point unanimes sur sa nais- 
sance. 
4. Histoire du charpentier Joseph^ chap. %. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTIJUDAISANTS 191 

posés SOUS le nom des Apôtres^ par il ne sait qael 
inventeur de fables ^, ou fait-il encore allusion à 
d'autres écrits de ce genre? Il est impossible de le 
déterminer. Excepté le livre de la Nativité de 
Marie et celui des Actes de Thomas^ il ne donne ni 
les titres de ces ouvrages^ ni même aucune indication 
qui puisse les faire reconnaître. Ce qui est cer- 
tain, c'est que les autres livres que quelques anciens 
écrivains ecclésiastiques appellent des Évangiles 
manichéens n'étaient pas en réalité des Évangiles, 
je veux dire des expositions de la vie et des ensei- 
gnements de Jésus-Christ. La plupart, et peut7être 
faudrait-il dire tous, n'avaient pas le moindre rap- 
port avec la doctrine chrétienne et l'histoire évan- 
gélique. 

On ne saurait voir un Évangile dans l'écrit attri- 
bué à Ada et à Adimante, dans l' Anathème contre 
les Manichéens ^. Ce livre, y est-il dit, était écrit 
contre Moïse et les autres prophètes, xaxà Mouerecoç 
xal Tôv aXXcov irpoçnTûv ^, Pierre de Sicile le cite 
comme l'œuvre d'Adante et d'Adamente * ; ces 

4. Augustin^ Opéra, t. VIII, col. 631 D. Contra Fau$tum, 
x)^ii, §79. 

2. Àva6s{ibaTil[(o xai rh 'ytfpati.fi.éwiy Â^a xaX Àt^EifxâvTo». Ana* 

thematisma Manichœorum^ dans Patres apostoL, de Cotelier, t, I, 
p. 537; Fabricius, Codex apocryphus Novi Testamenti^ pars 4, 
p. 354. 

3. Fabricius, t^td. Cotelier, Patres apostoLj 1. 1, p. 537. 

4. Fabricius, Codex apocryphus Novi Testamenti, par84 , p. 4 40. 



192 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

noms sont ici évidemment estropiés. Photius Tat- 
tribue à Ada seulement, et cette version paraît pré- 
férable. Si le nom d'Adimante se trouve joint à 
celui-ci dans TAnathème contre les Manichéens, 
c'est sans le moindre doute parce qu'Adimante 
était un des écrivains manichéens les plus connus 
parmi les chrétiens *. Photius ajoute que cet Évan- 
gile portait le titre de Modion (Md^iov), par allusion 
au boisseau sous lequel il ne faut pas placer la lu- 
mière ^. Où le célèbre patriarche grec avait- il 
puisé ce renseignement? Il serait utile de le savoir, 
avant d'ajouter foi à ses paroles, et il ne le dit pas. 
Ce mot parait être plutôt une épigramme lancée 
contre le livre manichéen qu'un titre qu'y aurait 
inscrit son auteur. Il est difficile de croire en éflfet 
que le prédicateur d'une secte nouvelle ait intitulé 
un de ses écrits l'éteignoir ; le mot Modion n'a 
pas ici d'autre sens. Mais probablement il y a en- 
core dans ce qu'en rapporte Photius une de ces 
méprises qui se reproduisent sans fin dans ce que 
les anciens écrivains ecclésiastiques disent des Ma- 
nichéens. 

Cet Évangile d'Ada était probablement une imi- 
tation des soutras bouddhiques ou peut-être une 

4 . Saint Auguslin écrivit un traité contre cet Adimante. Au- 
gustini opéra, t. viii, col. S05-260. 

2. Matth., V, 45, et les passages parallèles; Marc, iv, 24» et 
Luc, XI, 33. 



KVANGlLEîî APOCRYPHES ANTIJUDAISANTS 193 

dénomination générale de la doctrine bouddhique, 
à laquelle en appelait Manès ; ce qui peut le faire 
supposer, c'est qu'Ada n'était pour les Manichéens 
qu'un autre nom du Bouddha. 

Il est vraisemblable qu'il y a aussi quelque mé- 
prise dans ce qu'Épiphane nous dit des quatre ou- 
vrages de Scythianus , dont un portait le titre 
d'Évangile *. Ce Scythianus est une sorte de con- 
trefaçon de Simon le Magicien. De même que celui- 
ci est pour les anciens écrivains ecclésiastiques le 
père du gnosticisme, celui-là est le père du ma- 
nichéisme. Il vient à Jérusalem conférer avec les 
apôtres ^ , comme Simon le Magicien avait eu 
aussi de son côté des conférences avec saint Pierre. 
Il n'est pas plus un personnage réel que son pré- 
tendu disciple Térébinthe qui fut, selon la légende, 
le précurseur et le maître de Mahès. Ce Térébinthe 
est tout simplement la personnification de l'élément 
bouddhique qui entra dans la composition du mani- 
chéisme. On en a la preuve dans la légende qui 
raconte que s'étant enfui en Perse, après la mort 
de Scythianus, il s'y fit appeler Bouddha ^. Scythia- 
nus de son côté est la personnification du mazdéisme, 
premier fond de la doctrine manichéenne, et en ce 

i. Épiphane^ Hœres., lxvi, § 2. 

2. Ibid,, Lxvi, § 3. 

3. B',u^av àvo|xaacv éaurov. Cyrille de Jérusal., Opéra, p. 93. 
Catéch , VI, § 13 ; Épiphane, Ilœres., lxvi, § 1. 

13 



194 ÉTUDES SUR LES ÉYAxNGlLES 

sens, il peut bien être appelé le père spirituel de 
Manès. Des anciens écrivains ecclésiastiques le 
font voyager de l'Arabie et de FÉgypte dans 
l'Inde, par conséquent à travers les pays où domi- 
nait la religion de Zorôastre *. Ils s'accordent tous 
à répéter quil n'était ni chrétien ni juif 2, et qu'il 
enseignait le dualisme. Il prétendait, dit Thislorien 
Socrate, qu'il y a deux natures opposées, l'une 
bonne et Tautre mauvaise ^ ; et d'après fipiphane, 
il expliquait les oppositions qui se rencontrent par- 
tout, par la supposition de deux principes con- 
traires^. Ces deux écrivains chrétiens croient qu'il 
avait emprunté ce dualisme à Empédocle et à Py- 
thagore. Mais à cette époque les antiques théories 
d'Empédocle n'avaient pas la moindre autorité, et 
les pythagoriciens n'étaient pas dualistes. Ce qu'on 
nous dit de ses voyages et de son système, nous 
ramène à la Perse et à la religion dans laquelle 
Manès naquit et fut élevé. 

Y eût-il eu toutefois un écrit connu sous le nom 
d'Évangile de Scythiaiius, cet écrit n aurait pas 
été une histoire de la vie et des enseignements de 

1 . Épiphane, Hœres,, lxvi, § 1 . 

2. OuTi XpicTTiavoî; cuu.9epo(i.£vcç, xai ta 'Icu^aîwv ci Tcpooifaavc;. 
Pholius, Biblioth., lib. I; Cyrille de Jérusalem, Opéra, p. 92, 
Catech.,y\,§i3. 

3. A'jo çoaEi; eiTTwv, à-ysôiiv T8 xal 7:cvy.fxv. SocralC, Hist. eccJfS., 
lib". I, cap. 22. 

4. Fpipliano, Hœres,, lxvi, §2. Arehclaiafin. p. 9*i. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ANTIJUDAISANTS 19S 

Jésus-Chrisl. Les Manichéens l'appelaient l'Évan- 
gile vivant *. Cette dénomination indique moins un 
récit des faits évangéliques qu'un ouvrage consacré 
à l'exposition de la doctrine manichéenne, doctrine 
qui, aux yeux de ses sectateurs, était la seule ca- 
pable de donner la vie. Et, en effet, Cyrille de Jé- 
rusalem dit qu'on y trouvait, non la vie du Christ, 
mais seulement un discours sur ce système 2. 

C'était peut-être cet écrit que Manès présenta, 
dit-on, à Hormisdas et qui contenait, à ce quil 
paraît, sa révélation. Ce livre, dit Beausobre, 
était enrichi de très-belles peintures ^. C'est cet 
écrit qu'on nomme et qu'il nommait peut-être lui- 
même son Évangile, c'est-à-dire sa doctrine, sa 
prédication ; ce n'était pas certainement une fausse 
histoire de Jésus-Christ, comme Photius le pré- 
tend, mais l'exposition des idées religieuses de 
ce sectaire *. 

1. Eua-f^lXiov offgpîwv xaXoOai. Anathematisma Manichœorum^ 
dans Fabricius, Codex apocryph, Novi Testamentin pars 1, 
p. 354. Timothée, prêtre de Constantinople, le désigne sous le 
nom de to î;«v Eùa-^sXicv, Fabricius, Ibid., pars 1, p. 138-140. 

2. 00 Xpiatoû wpàÇEiç, àXX' àTrXw; (i.ov&v rh wpccr/i-j'opiav. Cyrille 
de Jérusalem, Opera^ p. 92 et 93, Catech.^ vi, § 13. 

3. Manès parait avoir eu quelque habileté dans les arts ùut 
dessin. « Il était peintre et graveur de sa profession, dit d'Her- 
belot. Il avait la main si juste qu'il tirait des Jignes et décrivait 
des cercles^ sans règle et sans compas. Il ût aussi un globe ter- 
restre avec tous ses cercles et ses divisions. » Biblioth, orien^ 
taie, t. IV, p. 82. 

4. Boau^obre, Histoire du mankhèismej l. î, p. 195. 



TROISIÈME PAU/TIE 



EVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 



Les Évangiles apocryphes que nous avons main- 
tenant à examiner n'ont jamais été regardés par 
l'Église catholique comme des documents officiels; 
elle a même déclaré qu'ils étaient apocryphes, et 
que, sous ce rapport, ils ne peuvent ni ne doivent 
être mis sur la même ligne que les écrits canoni- 
ques, ni, par conséquent, avoir la moindre autorité 
en matière de foi. Elle les a laissés cependant se 
répandre sans opposition, reconnaissant impli- 
citement par là qu'ils n'offrent aucun danger, 
qu'ils ne sont de nature ni à renverser, ni même 
à affaiblir la saine doctrine; qu'ils peuvent être, au 
contraire, de quelque utilité pour l'édification des 



198 KTTDES sua LES ÉVANGILES 

fidèles. Des docteurs catholiques donnent la plupart 
d'entre eux pour des ouvrages d'auteurs orthodoxes 
qui n'ont rieu de méchant *. 

Il convient de faire remarquer qu'il n'est presque 
pas une seule des légendes qui y sont rapportées, 
qui n'ait été citée comme un fait historique par 
quelqu'un des anciens écrivains ecclésiastiques, ou 
qui ne soit admise par l'Église et n'ait donné lieu 
à quelque cérémonie ou à quelque fête. Il en est 
très-peu qui ne soient pas passées dans la Légende 
Dorée et qui ne soient pas entrées d'une manière 
ou d'une autre dans les croyances catholiques. On 
en aura la preuve plus loin. 

C'est en considération de ces diverses circons- 
tances que j'ai cru pouvoir, par opposition aux 
Évangiles des deux catégories précédentes, les 
désigner sous le nom d'Évangiles apocryphes or- 
thodoxes. 

Ce n'est pas à dire toutefois que ces livres et les 
légendes qu'ils contiennent, aient pris naissance 
dans le sein de l'Église catholique. Presque toutes 
les légendes relatives à la sainte Famille sont d'o- 

4. Ellies Dupin, Dissertât, prléimin, ou prolégomènes sur la 
Bible^ i. Il, p. 87. Fulbert, évoque de Chartres au commence- 
ment du xio siècle, tout en reconnaissant que TÉglise n'a pas 
reçu dans le canon lÉvangile de la Nativité de la Vierge, 
ajoute qu'elle n'en défend pas cependant la lecture à ceux qui 
aiment à lire : Quae tamen volentibus et amantibus légère, non 
denegat fidelium industria. Sermo in ortu almœ Virginis Ma- 
ries inviolatœ^ dans Biblioth. Patrum^ t. XVIll, p. 40. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 199 

rigine judéochrétienne, et la plupart des Évan- 
giles de l'Enfance, dans lesquelles elles sont 
recueillies, ont vu le jour dans la Syrie et furent 
écrits dans le principe en syriaque. Mais ces lé- 
gendes d'abord, et bientôt après, les livres qui les 
rapportent, se répandirent rapidement dans les 
Églises grecques qui les ^transmirent ensuite à 
celles de l'Occident. De très-bonne heure, ceux de 
ces Évangiles qui avaient été écrits en syriaque 
furent traduits en langue grecque, et à leur tour, 
les traductions grecques furent traduites ou imitées 
en langue latine. L'Évangile de Thomas, dont il 
a déjà été question et qui sera examiné plus loin 
avec plus de détails, nous en fournit la preuve. 
Tout ce qui se rattache au nom de cet apôtre vient 
des chrétiens syriaques. L'Évangile, aussi bien 
que les Actes de cet apôtre, portent le cachet de 
celte origine, et cependant, avant la fin du second 
siècle , le premier de ces deux écrits était connu 
d'Irénée * qui parle d'une des légendes qui y sont 
rapportées. 11 en existait donc une traductiqn 
grecque dans la seconde moitié du second siècle, et 
ce n'était pas certainement le seul écrit de ce genre 
qui eût été transporté à cette époque des Églises 
de la Syrie au milieu des Églises grecques. 

Les Évangiles apocryphes de cette troisième 
catégorie n'ont pas subi le sort de ceux des deux 

4, Irénée a vécu de l'an 120 à Tan 202. 



200 • ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

catégories précédentes. Tandis que ceux-ci ont dû 
disparaître avec les sectes qui en faisaient usage, 
ceux-là, rapportant des légendes qui étaient entrées 
dans les croyances du monde chrétien tout entier, 
n'ont jamais cessé d'être reproduits par de nou- 
velles copies et sont parvenus jusqu'à nous. 11 est 
probable que plus d'un ouvrage de ce genre est 
encore enfoui en manuscrit dans la poussière des 
bibliothèques; mais les plus considérables, comme 
aussi les plus répandus dans les premiers siècles de 
l'Église, ont été publiés. Il faut citer entre autres le 
recueil qu'en a donné Thilo ', et celui qui est dvi 
aux soins de M. Tischendorf ^. Traduits au moyen- 
âge dans presque toutes les langues de l'Occident, 
ils l'ont été de nouveau de nos jours en français ^ 
et en allemand *. 

Quoique ces écrits aient été mis par là à la 
portée de tous les lecteurs, il convient d'en donner 



4. Codex apocnjphiis Novi Testamenti, opéra et studio J . C, 
ïhilo, Leipz., 1832, in-8«, de ci.x et 896 pag. 

2. Evanijelia apocrypha edidit Gonflant. Tis^chendorf, Lcipz., 
1853, in-80 de lxxxviii et 463 png. 

3. Colleciion d'anciens Évangiles, par l'abbé B***; Londres, 
1709, in-8o, et dans les (Euvres de Voltaire, Paris, 1821, 
t. XXXIV, p. 1-192. Les Évangiles apocryphes, traduits et an- 
notés par Gust. Brunet; 2e édit., Paris, 1863, in-12, et dans le 
Dictionnaire des apocryphes, collection de M. l'abbé Migne; 
Paris, 1856 et 1858, 2 vol. in-4«. 

4. K. F. Borbcrg, Bibliothek der neuteslament, ApokrypJicn, 
SliiUgart. 1810, 2 voL in 8^ 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 201 

d'abord une analyse. La connaissance des lé- 
gendes qui y sont rapportées est indispensable. Elle 
est nécessairement le point de départ des considé- 
rations que j'aurai à présenter sur ces ouvrages ; 
elle est de plus ce qu'il y a ici d'essentiel. L'étude 
de ces Évangiles apocryphes n'a pas, en effet, 
d'autre intérêt ni d'autre utilité que de nous mettre 
en état de nous rendre compte de la nature et de 
l'origine de ces légendes, ainsi que de l'action 
qu'elles ont exercée sur les croyances et les pra- 
tiques chrétiennes. 



I. 



Les légendes recueillies dans les Évangiles apo- 
cryphes orthodoxes peuvent se classer en trois 
groupes distincts. 

Les unes se rapportent à la sainte Famille et à 
l'enfance de Jésus- Christ ; 

Les autres sont relatives à la Passion ; 

D'autres enfin racontent la descente du Seigneur 
aux enfers, dans l'intervalle qui s'écoula de sa 
mort à sa résurrection. 

J'en présenterai l'analyse dans cet ordre. 

I 1. 

Celui des Évangiles sur lequel il faut d'abord 
appeler T attention est connu sous le nom de Prot- 



ÎOÎ ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

évangile de Jacques-le-Mineur *. Guillaume Postel, 
qui l'apporta de TOrient 2, lui donna le titre de 
Protévangile, parce qu'il y est raconté des faits 
antérieurs à ceux dont il est fait mention dans les 
Évangiles canoniques. 11 y est parlé du père et de 
la mère de la sainte Vierge, et de celle-ci jusqu'au 
moment où Hérode cherche à faire périr l'enfant 
Jésus. 

Un homme riche en troupeaux, nommé Joachim, 
et sa femme Anne, étaient avancés en âge et 
n'avaient pas de postérité. Pendant que le premier, 
retiré dans le désert, y jeûne quarante jours et qua- 
rante nuits, l'ange du Seigneur apparaît à sa femme 
et lui dit : « Anne, Dieu a entendu ta prière, lu 
concevras et tu enfanteras, et ta race sera célèbre 
dans le monde entier. » En même temps deux anges 
annoncent à Joachim que Dieu a exaucé ses vœux, 
et que sa femme Anne mettra au monde un enfant. 

Cet enfant du miracle est Marie qui, consacrée 
au Seigneur même avant sa naissance, fut élevée 
comme une colombe dans le temple de Jérusalem 

1. 11 est en grec. Le tilre varie selon les divers manuscrils. 
Thilo, Codex apocryphus Novi Teslamenti, p. 161-273; Tischen- 
dorf, Ëvangelia apocrypha, p. 1-49; Brunet, Évangiles apocry* 
phesy 2e édit., p. 114 138; Dictionnaire des apocryphes^ t. I, col. 
1013-1030. 

2. Cet Évangile était cependant connu au moyen-âge; on en 
aura plus loin la preuve; et il en existait, bien avant que Postcl 
en eût apporté trois exemplaires de l'Orient, de nombreux ma- 
nuscrits dans diverses bibliothèques'^de la France et de Tltalie. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 203 

et nourrie de la main des anges. Quand la jeune 
fille eut douze ans, l'ange du Seigneur ordonna 
au prince des prêtres de convoquer tous ceux qui 
étaient veufs dans le peuple d'Israël ^, afin que 
Dieu pût désigner par un signe auquel d'entre eux 
il voulait confier désormais la garde et le soin de 
Marie. Tous ces hommes réunis reçurent chacun 
une baguette de la main du grand-prêtre; une 
colombe sortit de celle que tenait Joseph et alla 
se placer sur sa tête. C'était le choix de Dieu, et 
malgré que Joseph représentât qu'il avait des en- 
fants et qu'il était vieux, il lui fallut accepter la 
garde de la jeune fille. 

C'est en allant puiser de Teau à la fontaine que 
Marie entendit pour la première fois la voix céleste 
qui la saluait au nom du Seigneur. Six mois après, 
Joseph qui, du moment qu'il avait été chargé de 
veiller sur elle, avait quitté sa maison et était allé 
au loin exercer son état de charpentier, revint, et, 
la trouvant enceinte, lui adressa de vifs reproches, 
et se trouva dans une grande perplexité jusqu'à ce 
que l'ange du Seigneur lui apparût pendant son 
sommeil et lui dît : « Ne crains pas de garder cette 
femme. Celui qui naîtra d'elle est Tœuvre du Saint- 
Esprit. Tu lui donneras le nom de Jésus ; il rachè- 
tera les péchés de son peuple. » Bientôt après, cités 

4. ÊxxXnaïaacv t&ù; x^pguovra; rcu Xoccu. Protkv(xngUe^ chap. 8. 



204 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

l'un et l'autre devant le grand-prêtre, et con- 
damnés à prouver leur innocence en buvant l'eau 
de la conviction du Seigneur, ils sortent sains et 
saufs de cette épreuve, et sont renvoyés absous. 

Quand l'édit du dénombrement eut été publié 
par l'empereur Auguste, Joseph fit monter Marie 
sur une ânesse pour se rendre à Bethléhem. En 
chemin, Joseph, s'étant retourné, vit que Marie 
était triste. « Peut-être, pensa-t-il, ce qui est en 
elle l'afflige. » Mais, s'étant retourné de nouveau, 
il vit qu'elle riait. « Marie, lui dit-il alors, d'où 
vient donc que ta figure est tantôt triste et tantôt 
gaie ? — C'est parce que je vois de mes yeux, 
répondit-elle, deux peuples, dont l'un pleure et 
gémit, et l'autre rit et se livre à la joie. » Quels 
sont ces deux peuples ? Il est facile de le deviner. 
Nous verrons plus loin qu'un autre Évangile apo- 
cryphe a pris soin de Texpliquer. 

Le moment des couches de Marie survint avant 
d'avoir atteint Bethléhem, loin de toute habitation, 
en plein désert. Une caverne s'ouvrait en cet en- 
droit; Joseph y fit entrer Marie, et la laissant sous 
la garde d'un de ses fils, il courut à Bethléhem cher- 
cher une sage-femme. Ici l'auteur de cet Évangile 
veut dépeindre le trouble qui s'étendit en ce mo- 
ment sur la nature entière, dans Tattente du grand 
événement qui allait s'accomplir. Le tableau qu'il en 
trace trahit, non un esprit naïf, mais un esprit à la 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 805 

fois vulgaire et prétentieux. « Joseph, en marche 
pour Bethléhem, vit, dit-il, le pôle ou le ciel arrêté; 
l'air était obscurci ; les oiseaux s'arrêtaient au mi- 
lieu de leur vol. Portant les yeux sur la terre, il 
vit une marmite pleine de viandes préparées et des 
ouvriers qui étaient couchés et dont les mains 
étaient dans la marmite; et en disposition de 
manger, ils ne mangeaient pas, et ceux qui éten- 
daient la main ne prenaient rien, et ceux qui vou- 
laient porter quelque chose à leur bouche n'y por- 
taient rien, et tous tenaient leurs regards élevés en 
haut. Les brebis étaient dispersées; elles ne mar- 
chaient pas; elles demeuraient immobiles. Le ber- 
ger avait levé la main pour les frapper de son 
bâton, mais sa main restait sans s'abaisser. Regar- 
dant ensuite du côté du fleuve, il vit des boucs 
dont la bouche touchait l'eau, mais ils ne buvaient 
pas, car toutes choses étaient en ce moment détour- 
nées de leur cours *. » 

La sage-femme se présenta bientôt d'elle-même 
à Joseph ; mais ses soins étaient déjà devenus su- 
perflus. Quand elle arriva à la caverne, l'enfant 
était venu au monde ^ et sa mère lui donnait le 
sein. La sage-femme sort alors de la caverne, en 

1. Protêvangile, chap. 18. 

2. « On montre encore aujourd'hui, à Bethléhem, dit Origène, 
la grotte où Jésus naquit, et, dans la grotte, la crèche où il fut 
déposé emmaillotté. » Contre Ceise, trad. de Bouhereau ; Ams- 
terdam, 1700, in-4o, p. 30. 



206 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

exprimant à haute voix son admiration d'avoir vu 
une vierge qui a engendré et qui, après avoir mis 
un enfant au monde, est encore vierge. Salomé, 
qui la rencontre, s'écrie aussitôt : « Vive le Sei- 
gneur mon Dieu , si je ne m'en assure par moi- 
même, je n'en croirai rien. » Elle s'en a&sura, 
en effet; mais son incrédulité fut aussitôt punie ; sa 
main fut brûlée d'un feu dévorant. Sur le con- 
seil de l'ange, elle prit l'enfant Jésus dans ses 
bras, et fut immédiatement guérie. 

Bientôt après arrivent les mages. Le Protévan- 
gile n'est ici qu'une sorte d'abrégé de Matthieu. 
Mais l'accord ne dure pas longtemps. L'apocryphe 
raconte que Marie sauva son enfant des mains des 
envoyés d'Hérode, en le cachant dans la crèche des 
bœufs. Elisabeth prit au contraire la fuite en em- 
portant Jean qu'Hérode faisait aussi chercher pour 
le faire périr. Une montagne qu'elle ne pouvait 
gravir s'entr'ouvre et les reçoit * ; une lumière les 



4 . Les Coptes ont sar la sainte Vierge une légende à peu près 
semblable; seulement, c'est un sycomore, et non une monta- 
gne, qui s'ouvre pour lui offrir un asile. « Dans un grand jar- 
din, près du Caire, raconte Thévenot, il y a un gros sycomore 
fort vieux qui porte toutefois du fruit tous les ans. On dit que 
la Vierge, passant par là avec son fils Jésus, et voyant que des 
gens la poursuivaient, ce figuier s'ouvrit, et la Vierge étant en- 
trée dedans, il 80 referma; puis, ces gens étant passés, il se 
rouvrit, et resta toujours ainsi ouvert Jusqu'à Tan 4656, que lo 
morceau qui s'était séparé du tronc fut rompu. » Voyage an Le- 
vant, liv. II, chap. 8. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 207 

éclaire dans cet asile et l'ange du Seigneur resta 
avec eux et les garda. Quant à Zacharie, sommé 
de déclarer où était Jean , et ne pouvant le dire, 
puisqu'il l'ignorait, il fut assassiné dans le vestibule 
du temple, auprès de la balustrade de l'autel; lé- 
gende certainement inspirée par ce que dit Jésus- 
Christ d'un prophète Zacharie assassiné dans le 
temple, entre la porte et l'autel *. 



Un autre Évangile connu sous le nom d'Évan- 
gile de la Nativité de Marie 2, Evmigelium de 
Nativitate Mariœ^ reproduit, avec d'assez nom- 
breuses variantes, les mêmes faits que le Protévan- 

1. Hfatth,, XXIII, 35; Luc, xi, 51. Ce n'est pas le lieu de nous 
occuper de la difficulté que soulèvent ces paroles du Seigneur. 
Mais il convient de rappeler que l'Évangile selon les Hébreux 
ics fait disparaître, en remplaçant les mots des Évangiles cano- 
niques : a Zacharie, fils de Barachie, » par ceux de ; <r Zacharie, 
fils de Jebojadah. » 2 Chroniq., xxiv, 20 et 22. La légende rap- 
portée ici est sans doute une autre manière de résoudre la diffi- 
culté. Le plus simple serait d'admettre un lapsus de la tradi- 
tion qui, à propos d*un Zacharie tué dans les parvis du temple, 
s'arrêta à ce Zacharie, fils de Barachie, tué par les zélateurs au 
milieu du temple, peu avant le siège de Jérusalem par Vespa- 
sien. Josèphe, Guerre des Juifs, liv. XIV, chap. 19. 

2. Cet Évangile est en latin. Thilo, Codex apocrijphus Novi 
Testamentiy p. 319-336; Tischendorf, Evangelia apocrypha, 
p. 106 112; Brunet, Évangiles apocryphes, p. 157-167; Diction- 
naire des apocryphes, t. I, col. 1049-1050. 



i08 lÎTUDES SUR LES ICVANGILES 

gile. L'histoire de Joachim et d'Anne sa femme y 
est un peu plus développée et présente quelques 
légères différences avec celle qui est racontée dans 
l'Évangile précédent. L'ange annonce la naissance 
d'un enfant à Joachim avant d'en parler à Anne. 
Marie est également ici élevée dans le temple. Mais 
la légende s'est embellie de nouveaux détails. 

Et d'abord son entrée dans le temple est signalée 
par uû prodige. « Gomme le temple était bâti sur une 
montagne, il fallait, dit cet Évangile, monter des 
degrés pour aller à l'autel de Tholocauste qui était 
au dehors. Les parents placèrent la petite bienheu- 
reuse vierge Marie sur le premier degré, et comme 
ils quittaient les habits qu'ils avaient eus en che- 
min et qu'ils en mettaient de plus propres selon 
l'usage, la Vierge du Seigneur monta tous les de- 
grés un à un sans qu'on lui donnât la main pour 
la conduire ou la soutenir, de manière qu'en cela 
seul on eût pensé qu'elle était déjà d'un âge parfait; 
car le Seigneur, dès l'enfance de la Vierge, opérait 
déjà de grandes choses et faisait voir d'avance par 
ce miracle quelle serait la sublimité des merveilles 
futures ^ » 

Pendant le temps qu'elle passa dans le temple, 
« tous les jours elle recevait la visite des anges, et 
jouissait de la vision divine qui la préservait de 

1. Étang, de h Noticitè, chap. 6. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES S09 

tous les maux et la comblait de tous les biens ^ » 
Enfin^ quand toutes les j eunes allés de son âge qui 
étaient élevées comme elle dans le temple, sont ma* 
riéeSy elle déclare qu'engagée par ses parents au ser- 
vice du Seigneur, elle avait, elle aussi, de son côté, 
voué à Dieu sa virginité et qu'elle ne violerait pas 
ce vœu. Grand fut l'embarras du grand -prêtre qui 
fut enfin éclairé sur la conduite qu'il devait tenir 
en cette circonstance, par une voix qui sortit du 
propitiatoire et qui le renvoya à la prophétie 
d'Isaïe : « Il sortira une vierge de la racine de 
Jessé,'et de cette racine il s'élèvera une fleur sur 
laquelle se portera l'Esprit du Seigneur, l'Esprit de 
sagesse, etc. ' » En conséquence, le grand-prêtre 
convoqua tous ceux de la maison et de la famille 
de David qui étaient nubiles et non mariés. Il ne 
s'agit plus ici seulement des veufs, comme dans le 
Protévangile; mais si le cercle dans lequel le choix 
doit se faire est élargi dans ce sens, il est resserré 
sous un autre rapport, car ce n'est plus dans le 
peuple tout entier, mais dans la famille de David 
seulement que doit être pris l'époux de Marie. 

Un miracle désigne Joseph; mais ce miracle 
difTère, du moins dans les détails, de celui que ra- 
conte le Protévangile. Dans l'Évangile de laNati- 

i. Évang. de la Nativité, chap. 7. 

2. ÉsateyXij 4. G'esl ainsi qu'est cité dans cet apocryphe le 
passage d'Ésale. 

i4 



«10 ÉTtJDES SUR LES ÉVANGILES 

vite, tes baguettes ôont déposées sar Tatitel; oeJlè 
deJosepk fleurit ^^et aussitôt l'Esprit du Seigneur, 
sous la forriie d'tinè colombe, vient du ciel se poser 
sur elle*. La prophétie d'Ésaïe n'est donc plus ap- 
plit[uée ici au Messie > elle se rapporte au bâton de 
Joseph. 'C'est une idée burlesque, mais on com- 
prend comment elle est née. 

Le i*este de cet Évangile est à peu près conforme 
•a^u Protévangile. Ce qui concerne la conception 
miraculeuse de Marie y est cependant un peu 
plus développé. Marie y a une longue conversa- 
tion avec l'Ange qui lui explique que Vierge elte 
énfantéi*a et que vierge elle nourrira ^. 

Gontrairemeiit au Protévangile, mais confor- 
rttément à Matthieu et à Luc, c'est, non dans une 
caverne, mais à Bethléhem qu'elle met au monde 
l'enfant divin. 

Il n'èât pas sans utilité de faire remarquer que, 
dans cet Évangile, il n'est pas une seule fois ques- 
tion d'Elisabeth et de Zacharie. 



4. n y a ici une imitation évidente des Nombres, xvii, 8. 
La verge d'Aaron fleurit au milieu des verges des autres chefâ 
de fàhiille, ^Ui n'éprouvent pas le mônie changement, et ce pro- 
dige fait contiakre que Dieu a choisi Aaron pour exercer le sa- 
cerdoce. 

'2. Étang, de la Nativité, chap. 8. 

3. Ibid.f chap. !9. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES fil 



§3. 

Un troisième Évangile aipocryphe portant le 
nom dn philosophe * Thomas Plsraélite *, raconte, 
ce sont ses propres .expressions, les merveilles de 
l'enfance de Notre Seigneur Jésus-Christ. La tra- 
dition est par conséquent prise ici au point où elle 
finit dans les deux apocryphes précédents. Les dix- 
neuf chapitres dont se compose cet Évangile pré- 
sentent le récit d'autant de miracles ou de faits 
extraordinaires accomplis par l'enfant Jésus. On y 
chercherait en vain quelque inspiration du senti- 
ment chrétien. L'eilfant Jésu3 s'y montre, ainsi 
que JBorberg le fait remarquer avec raison, comme 
un démon acariâtre, répandant autour de lui la 
crainte et la stupeur, pour étaler aux yeux de 
ceux qui l'entourent le pouvoir divin dont il est 
doué. Là même oli il accomplit quelque miracle 

4. Thomas est appelé philosophe, dit Borberg, parce que, 
dans le langage ecclésiastique, on désignait fréquemment sous 
ce nom ceux qui se distinguaient par' leur piété, et sifrtout par 
leur vie ascétique. Biblioth. der neutestamentl. Apokryphen, 
p. 66. 

2. Cet Évangile est en grec. Le titre n*est pas identique 
dans tous les manuscrits. Thilo^ Codex apocryphus Novi Te^ta- 
menti, p. 277-345; Tischendorf, J5t>a»flfc/ta opocrypha, p.. 434- 
470; Brunet, Évangiles apocryphes^ p. 444-454; Diçimn. des 
apocryphes, t. I^ col. 4444-4456. 



m ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

bienfaisant, il paraît agir plutôt par caprice ou 
par vanité que d'après des sentiments humains*. 

Quelques-uns des prodiges qu'on lui prête sont 
puérils, celui-ci, par exemple : Marie l'ayant en- 
voyé puiser de l'eau à la fontaine et la cruche 
s'étant brisée dans la foule, « Jésus étendit le man- 
teau dont il était revêtu, il le remplit d'eau et le 
porta à sa mère '^. » D'autres sont d'une cruauté ré- 
voltante. Un enfant l'ayant heurté par mégarde en 
passant, Jésus, « irrité, lui dit : Tu n'achèveras 
pas ton chemin; et aussitôt l'enfant tomba et 
mourut ^ » Une autre fois il frappe de sécheresse 
le corps d'un enfant qui^ avec une branche de 
saule, avait dispersé l'eau qu'il avait ramassée dans 
un petit réservoir *. 

L'auteur de cet Évangile, tout en se complaisant 
dans ces scènes cruelles, ne s'en dissimule pas 
l'horreur. 11 reconnaît lui-même Qu'elles étaient 
plus propres à jeter de l'odieux sur l'enfant Jésus 
qu'à le faire respecter, quand il met dans la 
bouche des parents dont l'enfant avait été frappé 
de mort, ces paroles aussi convenables que sen- 
sées : *« Tu as un enfant tel, disent-ils à Joseph, 
que tu ne peux habiter le môme village que nous, 

4. Borberg, Bihlioth. der neutestamentL Apokryphen^ p. 60. 

2. Évang, de Thomas, chap. 44. 

3. Ibid., chap. 4. 

4. Ibid,^ chap. 3. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES «13 

OU bien apprends-lui à bénir et non à maudire, 
. car il fait périr nosenfans *. » 

C'est dans cet Évangile que se trouve, pour la 
première fois, l'histoire, si souvent répétée depuis, 
des douze oiseaux que l'enfant Jésus; façonna avec 
de la boue. Ici on suppose que ce fait se passa un 
jour de sabbat, et peut-être faut-il voir dans cette 
supposition une intention dogmatique. « Joseph 
étant venu en ce lieu, et ayant vu ce que Jésus avait 
faiJ, il s'écria : Pourquoi as-tu fait le jour du 
sabbat ce qui est interdit ? Jésus frappa des mains 
et dit aux oiseaux : Allez, et ils s'envolèrent en 
poussant des cris *. » 

C'est encore ici que se trouve rhistoire du 
maître d'école Zacchée auquel l'enfant Jésus ex- 

4. Évang. de Thomas^ chap. 4. 

2. Ibid., cbap. 2. Celle légende étail connue de Mahomet. 
Il la cite comme un des prodiges par lesquels Jé^us . doit 
prouver aux Juifs qu'il est l'envoyé de Dieu auprès d'eux. 
a If leur dira : Les prodiges divins vous alteslerbnt ma mission : 
je formerai de boue la figure d'un oiseau; je souillerai dessus; 
elle p'ënimera à TiDSlant par la volonté de Dieu, i Koran, cb. 3. 
Le Coran traduit par Savary, 1. 1, p. 54. « Les Copies, dit Thé- 
venot, ont plusieurs liisloires fabuleuses lirées des livres apo- 
cryphes qu'ils ont encore parmi eux. Ils ont bien des particula- 
rités sur Jà vie de Notre- Seigneur durant son bas âge; car ils 
disent..... qu'il passait le temps à faire^ avec de la terre, de 
petits oiseaux, puis il soufflait dessus, et les jetait après en l'air, 
et ils s'envolaient. » Voyages de Thévenot^ liv. XI, chap. 79. Il 
est ëgaleinent fait mention des oiseaux que Jésus formait avec 
de la boue et qu'il^ animait de son souffle, dans le Totdolth Jes- 
choua, dans le Telu ignea Satanœ^ de Wagenseil. 



S14 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

pliqna les mystères de la lettre alpha *. Cette lé- 
gende, qui revient encore dans d'antres Évangiles 
de Tenfance, et qui est devenue populaire dans 
presque tout TOrient, paraît avoir été du goût de 
Fauteur de cet écrit, car il l'a reproduit deux autres 
fois, avec quelques différences de détails *. 

Cet apocryphe, dans lequel on remarque plu- 
sieurs réminiscences des Évangiles canoniques, 
d'ailleurs presque toujours fort mal appliquées ^, 
se termine par le récit de la conférence de Jésus, 
âgé de douze ans, avec les docteurs de la loi, à peu 

4. Évangile de Thomas, chap. 6. Cette légende est répandue 
parmr les chréliens de l'Orient, mais avec des développements 
qui ne peuvent être anlërieurs à la fin du v® siècle. Chardin 
rapporte qu'on lit dans un livre arménien intitulé VÉvangile 
Enfant (sans doute, TÉvangile de l'Enfance) « que l'enfant 
Jésus étant envoyé à l'école pdur apprendre l'a b c, le maître lui 
voulant faire dire a, il s'arrêta et dit au maître : Apprenez-moi 
auparavant pourquoi la première leltre de l'alphabet est ainsi 
faite. Sur quoi, le maître le traitant de petit babillard, il répon- 
dit : Je ne dirai pas a, que vous ne me disiez pourquoi la pre- 
mière leltre est ainsi faite. Le maître se mettant en colère, Jésus 
lui dit : Je vous l'apprendrai donc, moi. La première lettre de 
l'alphabet est formée de trois lignes perpendiculaires sur une 
ligne diamétrale (l'a arménien est ainsi fait, à peu près comme 
un m renversée), pour nous apprendre que le commencement 
de toutes choses esl une essence en trois personnes. » Chardin, 
Voyages en Perse, éd. Langlès, Paris, 1811, t. IX, p. 124. 
D'Herbelot rapporte aussi cette légende, Biblioth. orientale j 
1. 1, p. 190, et t. II, p. 354 et 365. 

2. Évang, de Thomas, chap. 14 et 15. 

3. Luc, II, 19 et 51, dans le chap. 11; Luc^ u, 41-52, dans le 
chap. 9; Luc, i, 42, dans ce même chap.; Luc, ii, 50 52, à la 
fin de ce même chapitre. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES SIS 

près dans les mêmes termes qu'elle est racontée 
dans notre troisième Évangile canonique*. 



L'Évangile apocryphe attribué à Matthieu, et 
connu sous le nom de l'histoire de la Nativité de 
Marie et de Tenfence du Sauveur *, embrasse à la 
fois ce qui est raconté dans le Protévangile et ce 
qui est rapporté dans l'Évangile de Thomas. G^ 
n'est cependant ni une compilation ni un remanie- 
ment de ces deux écrits. Il ne les reproduit pag 
littéralement , tant s'en faut ; il en diffère môme 
en plusieurs points; il y manque plus d'une des 
légendes de l'un ou de l'autre de ces deux Évan- 
giles, et il en contient d'autres qui leur sont incon- 
nues. En général, les légendes sont ici plus dé- 
veloppées, preuve manifeste de l'âge plus moderne 
de cet écrit. Voici quelques exemples de ces déve- 
loppements. 

Lé Protévangile rapporte qu'une colombe sortit 

4. Luc, H, 44-52. 

2. Il est en latin. Thilo, Codex apocryphus Nom Testamenfif 
p. 337-400; Tischendorf, Eoangelia apocrypha, p. 50-405, plus 
complet; Brunet, Évangiles apocryphes, p. 480-S07; pkéionnaire 
des apocryphes, t. I, col. 4059-1088. Le titre n'est pas le môme 
dans tons les manuscrits. Voyez Tischendorf, Evangelia apocry- 
pha, p. 50 et 54 . 



SI6 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

de Textrémité de la baguette que tenait Joseph. Ici 
cette colombe est décrite avec soin, dans l'inten- 
tion évidente de prouver qu'elle n'était pas une 
colombe ordinaire. Elle était, est-il dit, plus blan- 
che que la neige et d'une beauté extraordinaire, et 
il est ajouté qu'après avoir longtemps volé sous les 
voûtes du temple, 'elle se dirigea vers les cieux *. 

L'épreuve de l'eau imposée à Joseph et à Marie 
est racontée avec de- nouveaux détails. Un long 
chapitre, le douzième, en contient le récit , et se 
termine par un discours de Marie destiné à dissiper 
les soupçons qui planaient encore sur elle, malgré 
que l'épreuve eût prouvé son innocence. Dans ce 
discours Marie affirme hautement qu'elle restera 
vierge toute sa vie. 

Le Protévangile parle d'une vision que la mère 
du Seigneur eut sur la route de Bethléhem, de 
deux peuples dont l'un riait et l'autre pleurait. 
Il est aussi question de cette vision dans le Pseudo- 
Matthieu. On n'y trouve pas, il est vrai, les détails 
qui, dans le Protévangile précèdent les paroles de 
Marie; mais en revanche, on les fait suivre de dé- 
tails inconnus à celui-ci et d'une explication de ces 
paroles données par un ange. Ce passage est assez 
curieux pour mériter d'être rapporté. 

« Lorsque Joseph et Marie étaient sur le chemin 

4. Évang, du PtiudchMatthieUy chap. 8. 



ÉVANGItES APOCRYPHES ORTHODOXES «17 

» qui mène à Bethléem, Marie dit à Joseph : Je 
» vois deux peuples devant moi, Tun qui pleure et 
» Tautre qui se livre à la joie. Et Joseph lui répon- 
» dit : Reste assise et tiens-toi sur ta monture, et 
» ne profère pas des paroles superflues. Alors un 
» bel enfant, couvert de vêtements magnifiques, 
» apparut devant eux et dit à Joseph : Pourquoi 
» as- tu traité de paroles superflues ce que Marie te 
» disait de ces deux peuples? Car elle a vu le 
» peuple juif qui pleurait, parce qu'il s'est éloi- 
» gné de son Dieu, et le peuple des Gentils qui se 
» réjouissait, parce qu'il s'est approché du Sei- 
» gneur, suivant ce qui a été promis à nos pères, 
> Abraham, Isaac et Jacob, carie temps est arrivé 
» où. la bénédiction, renfermée dans le sein de la 
» race d'Abraham, va s'étendre à toutes les na- 
» tions. Et lorsque l'ange eut dit cela, il ordonna à 
» Joseph d'arrêter la bête de somme sur laquelle 
» Marie était montée, car le moment de l'enfante- 
» ment était venu*. » 

La naissance de Jésus est racontée presque dans 
les mêmes termes que dans le Protévangile, seu- 
lement le nom de la sage-femme est connu; elle 
s'appelait Zélémi, et Salomé l'incrédule était aussi 
une sage-femme *. Mais, un détail nouveau se 
présente ici. « Le troisième jour après la naissance 

4. Évang. du Pseudo-Matth., chap. 43. 
I. Ihid. 



2i8 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

» du Seigneur, Marie sortit de la caverne, et, en- 
» trant dans une étable, elle mit l'enfant dans la 
» crèche, et le bœuf et l'âne l'adoraient. Alors fut 
^ accompli ce qu'avait dit le prophète Ésaïe : Le 
» bœuf connaît son maître et l'âne la crèche de son 
» Seigneur*. Ces deux animaux, l'ayant au milieu 
» d'eux, l'adoraient sans cesse. Alors fut accompli 
» également ce qu'avait dit le prophète Habacuc : 
» Tu seras connu au milieu de deux animaux ^. » 

On ne peut douter qu'on n'ait remanié la légende 
de la naissance de Jésus dans une caverne , dans 
l'intention de la mettre enharmonie avec le récit de 
Luc qui dit que l'enfant fut placé dans une crèche ^, 
et probablement aussi par le désir d'avoir deux pro- 
phéties de plus en faveur de la vérité et de la divi- 
nité de l'histoire évangélique. 

Enfin on trouve ici pour la première fois le récit 
de la fuite de la sainte Famille en Egypte ^. L'Évan-^ 
gile canonique de Matthieu mentionne ce fait *'*. 
L'Évangile apocryphe qu'on attribue à cet apôtre en 
raconte les divers incidents. Pendant le voyage, la 
sainte Famille voit les dragons sortir des cavernes ^, 

1. Ésme, I, 3. 

2. Évang. [du Pseudo-Matthieu, chap. U; HahaGUC, m, t, 
d'après les LXX et la Vulgate, car le texte hébreu dit aqtre 
chose. 

3. Luc, II, 7. 

4. Évang. du Pseudo -Matthieu^ chap. 48-24. 

5. Matth., 1IJ3-46. 

6. Évang. du Pseudo-Matthieu, ch. 48. ' 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES ÎW 

les lions et les léopards de leurs repaires*, pour ado- 
rer l'enfant Jésus. Déposant leur férocité, toutes les 
bêtes sauvages se mêlent aux boeufs et aux agneaux, 
et se mettent à sa suite, comme pour lui former 
une escorte d'honneur. Les arbres abaissent d'eux- 
mêmes leurs branches, pour mettre leurs fruits à la 
portée de la main de la Vierge; des so.urces surgis- 
sent d'entre leurs racines pour la désaltérer^. Les 
idoles des Égyptiens tombent à terre, sur leur face, 
et se brisent ^. I^e gouverneur de la ville où entre 
la sainte Famille, s'écrie^ en se prosternant devant 
Jésus : « Si cet enfant n'était pas un Dieu, nos 
* dieux ne seraient pas tombés sur leur face à son 
» aspect; ils ne se seraient pas prosternés en sa pré- 
» sence; ils le reconnaissent ainsi pour leur Sei- 
» gneur. Et si nous ne faisons ce que nous avons 
» vu faire à nos dieux, nous avons à craindre 
» d'encourir son indignation et sa colère, et nous 
» tomberons tous en danger de mort, comme il 
» arriva à Pharaon qui méprisa les avertissements 
» du Seigneur *. » 

§5. 

L'Évangile de l'Enfance le plus étendu est en 

4. Évang, du Pseudo- Matthieu, cliap. 49. 

2. Ihid,, cbap. 20. 

3. Ibid.y chap. 23. 

4. J6tf., chap. «4, 



MO ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

arabe K L'original était vraisemblablement en 
syriaque, Henri Sike le publia pour la première 
fois à Utrecht en 1677, d'après un manuscrit pro- 
venant de la bibliothèque dii savant arabisant 
Gôlius. Depuis, on en a trouvé d'autres exemplaires 
dans diverses bibliothèques d'Europe. 

Des cinquante-cinq chapitres dont il se compose, 
les neuf premiers rapporiènt les mêmes légendes 
que lés chapitres 17-21 du Protévangile, mais avec 
de.nouveaux développements; les vingt-six suivants, 
consacrés au récit de la fuite en Egypte > sont un 
tissu de fables, dans lesquelles les possessions dé- 
moniaques et les enchantements jouent un rôle 
considérable et qui ne semblent avoir pu naître que 
dans la patrie des Mille et une nuits ^; enfin les 
vingt derniers présentent le tableau des miracles 
opérés par l'enfant Jésus, après le retour de la 
sainte Famille dans la Terre-Sainte, et contiennent 
à peu près les mêmes légendes que l'Évangile de 
Thomas. 

Dans cet Évangile arabe, les légendes sont à la 
fois plus nombreuses et plus extravagantes. Celles 
qui se trouvent dans les; Évangiles précédents 
sont surchargées de détails encore plus puérils ou 

1 . Thilo, Codex apocryphus Novi Teslamentï, p. 65-1 58 ; Tis- 
chendorf, Emngelia apoGrî^pha,p. ilA-tOtihfu^ei, Évangiles 
apocryphes, p. 64-98; Dictionnaire des apocryphes, t. I, col. 
983-1008. 

2. Entre autres, celles des chap. 15, 19, 20, 2.1, SS et 24. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 2«i 

plus bizarjres. J'en citerai quelques exemples; 

Jésus parle dès sa naissance et déclare tout de 
suite ses qualités dans une petite allocution à sa 
mère. « Moi que tu as enfanté, lui dit-il, je suis 
» Jésus, le fils de Dieu, le Verbe, ainsi que Fange 
» Gabriel te l'a annoncé, et mon Père tn'a envoyé 
» pour le salut du monde *. » 

Huit jours après sa naissance, Jésus est circoncis 
dans la caverne. La vieille Israélite que Joseph avait 
rencontrée sur le chemin et amenée pour pré- 
sider aux couches de Marie, recueillit le prépuce ^, 
et le mit dans un vase d'albâtre rempli d'huile de 
vieux nard. Elle le donna plus, tard à un de ses fils • 
qui faisait le commerce des parftims. « Garde-toi 
» bien, lui dit-elle, de vendre ce vase rempli de 
» nard, lors même qu'on t'en offrirait trois cents 
» deniers. » Il paraît cependant que celui-ci ne tint 
pas compte de cette recommandation, car c'est 
le même parfum que Marie la pécheresse répandit 
sur la tête et les pieds du Sauveur ^. 

Il est raconté dans cet Évangile que le voyage 

4. Évang, arabe, chap. 1. La légende que Jésus parla dès 
qu'il fui né est éguiement connue des musulmans. II en est fait 
mention dans le Coran. Thilo, Codex apocryphus Novi Testa^ 
menti^ p. 43^ et 433. Ils ont sur Moïse une légende semblable. 
Ils racontent^qu^il marcha aussitôt qu'il fut venu au monde, et 
qu'il dit à sa mère : « Ma mère, ne sois pas inquiète de moi, car 
Dieu est avec nous. » 

2. D'autres traditions disent que ce fut le cordon ombilical* 

3. Évang, arabe, chap. 5. 



«« ÉTtJDES SU» LES ÉVANGILES 

des Mages à Jérusalem avait été motivé par une 
prédiction de Zoroastre qui avait annoncé bien long- 
temps à l'avance la naissance du Sauveur du monde. 
En retour des présents que les sages de l'Orient lui 
offrirent, Marie leur donna un des linges dans 
lesquels l'enfant Jésus avait été enveloppé *, et 
' quand, après être retournés dans leur pays, ils 
jetèrent ce linge dans le feu sacré, en présence des 
rois, des princes et de tout le peuple accourus pour 
s'informer du résultat de leur voyage, les flammes 
ne l'entamèrent poirrt et le laissèrent entièrement 
intact. Ils se mirent alors à le couvrir de baisers 
et à le poser sur leurs têtes et sur leurs yeux , en 
s'^crianut : « Voici sûrement la vérité. Quel est donc 
» le prix de cet objet que le feu n'a pu ni consumer 
» ni endommager? » Et ils le déposèrent avec une 
grande vénération dans leurs trésors 2. 

Sur la route d'Egypte, les miracles se multiplient 
a chaque pas. Les langes de l'enfant Jésus, l'eau 
dans laquelle il a été lavé, le lit dans lequel il a été 
couché, produisent, parle seul contact, des guérisons 
inespérées ^. La plupart des légendes relatives à ce 
voyagç sont d'origine orientale. 

En Egypte, la sainte Famille rencontre dans 

1 . Évang. arabe, chap. 7. 

t. Ihid., chap. 8. 

3. Ibid , chap. 44, 47, 48, 27, 88, 30, 34, etc. De8 miracles 
de ce genre se retrouYent dans les Évangiles canoniques, par 
exemple, dans Matth.j ix, 80-22. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 'ftRJ 

ttne maison où elle avait reçu l'hospitalité , un 
jeune homme que des sorciers avaient changé en 
mulet. Sa mère et ses sœurs se désolaient; aucun 
enchanteur n'avait pu lui rendre sa forme naturelle. 
Marie mit l'enfant Jésus sur le dos du mulet, et 
aussitôt le charme fut rompu et le jeune homme 
reprit la ligure humaine *. Ce n'est pas le seul 
enchantement de ce genre que cet Évangile raconte. 
En voici un autre ^ tout aussi extravagant. A 
Belhléhem, des enfants qui ne voulaient pas jouer 
avec Jésus, s'étaient enfuis et cachés dans un four. 
Jésus, à leur poursuite, demande aux femmes de la 
maison où les enfants sont allés. Celles-ci ayant ré- 
pondu qu'elles l'ignorent: « Qu'est-ce donc que je 
» vois dans ce four? leur dit l'enfant Jésus. — Ce 
».sont, répliquent-elles, des chevreaux de trois 
» ans. — Eh bien, dit le Seigneur Jésus, sortez, 
» chevreaux, et venez vers votre pasteur. » Aussitôt 
les enfants, changés en chevreaux, sortirent et 
se mirent à bondir autour de lui; mais sur les sup- 
plications des femmes présentes qui, avec les paroles 
mêmes d'un passage de l'Évangile de saint Jean ^, 
lui témoignèrent la confiance qu'il était venu pour 
guérir et non pour détruire, il rendit aux enfants 
leur forme naturelle ^. 



4 . Évangile arabe, chap . 20 et 24 . 

2. Jean, ii, 24; xvi, 30; xxi, 47. 

3. Évang. arabe, chap. 40. 



tu ÉTUDES SUn LES ÉVANGILES 

Les miracles burlesques racontés dans les autres 
Évangiles de l'Enfance ne sont pas oubliés ici. On 
y trouve entre autres celui de la pièce de bois 
qui, coupée trop courte par Joseph, est allongée 
à la dimension voulue par Jésus et Joseph qui la 
tirent chacun par un bout. Mais ici la pièce de bois 
est destinée, non à un meuble vulgaire, mais à un 
trône que le roi Hérode avait commandé au char- 
pentier de Nazareth *. Au reste, Joseph n'est pas 
épargné dans^ cet Évangile. Il y est représenté 
comme très-peu entendu dans son métier. Aussi 
avait-il soin, y est-il dit, de se faire accompagner 
par Jésus qui, chaque fois que le maladroit char- 
pentier avait fait quelque ouvrage trop long ou 
trop court, trop étroit ou trop large, étendait la 
main et donnait aussitôt au meuble la forme con- 
venable *. 

Aux prodiges que l'Évangile de Thomas rap- 
porte de Jésus enfant, après le retour de la sainte 
Famille à Bethléhem, l'Évangile arabe en ajoute 
quelques autres du même genre. J'ai déjà parlé de 
celui des enfants changés en chevreaux et rendus 
ensuite à leur figure première; je citerai encore 

4 . Évang, arabe, chap. 39. 

2. Ibid., chiip. 32. II est dit danis cet Évangile que Joseph 
faisait des portes, des pois à lait, des cribles, des coffres. Jus- 
tin Martyr (Dta/o^. cum Thryph.f% 88) assure que Jésus avait 
exercé la même profession^ et qu'il faisait des charrues, des 
jougs et d'autres ouvrages semblables. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES t2S 

celui que Tenfant Jésus accomplit en faveur d'un 
teinturier auquel il avait joué le mauvais tour de 
jeter dans une seule chaudière un grand nombre 
de pièces d'étoffes qui devaient recevoir diverses 
couleurs. Le teinturier, voyant ses étoffes perdues, 
se lamentait ; mais Jésus se mit à les retirer de la 
chaudière, et il se trouva que chaque pièce était 
précisément de la couleur qu'elle devait avoir *. 

Cet Évangile se termine, comme celui du Pseudo- 
Thomas, par le récit du fait rapporté par Luc y ii, 
41-51, mais surchargé d'une foule d'incidents 
nouveaux et surprenants. On a d'abord intercalé 
dans ce récit le passage de Matthieu^ xxii, 42-45 2. 
On représente ensuite l'enfant Jésus comme égale- 
ment versé dans toutes les sciences. « Il se trou- 
» vait là, est-il dit, un philosophe savant dans 
» l'astronomie. Il demanda au Seigneur Jésus s'il 
» avait étudié la science des astres. Et Jésus, lui 
» répondant , exposa quel était le nombre des 
» sphères et des corps célestes, quelle en é!ait la 

4. Évang, arabe, chap. 37. Cette légende est également con- 
mie des musulman-!. Thilo, Codex apoa^phus Novi Testamenti, 
p. 150 et \'M; Brunet, Évangiles apocryphes, p. 106 et 107. « Il 
est relaté dans un livre apocryphe des Perses, intitulé V Enfance 
de Jèsus-Christ, que le Sauveur a exercé le métier de teinturier, 
et qu*avec une seule teinture, il donnait aux étoffes diverses 
couleurs. C'est pourquoi, chez les Persans, i} est vénéré des 
teinturiers comme leur patron. » Ange de la Brosse, Lexicon 
persicum, au mot Tinctoria ars, 

2. Et dans les parallèles, Lmc, xx, 41-44, et Marc,xii, 37. 



126 ÉTUDBS SUR LES ÉVANGILES 

» n^iture, ce qui concernait leurs expositions, leur 
» aspect trine, quadrat et sextile, leur progression et 
» leur raouvement rétrograde, ce qu'était le com- 
» put et la prognostication, et bien d'autres choses 
» que la raison d'aucun homme n'a scrutées *. 

» Il y avait aussi parmi les docteurs un philo- 
» sophe très-savant en médecine et dans les 
» sciences naturelles. Il demanda au Seigneur 
» Jésus s'il avait étudié la médecine, et aussitôt 
» celui-ci lui exposa la physique, la métaphysique, 
^ l'hyperphysique et l'hypophysique ; il lui dit les 
» vertus du corps et les humeurs et leurs effets, 
» le nombre des membres, des os, des artères, des 
» nerfs, les divers tempéraments chaud et sec, 
» froid et humide, et quels en sont les résultats, 
» quelles sont les opérations de l'âme dans le corps, 
» ses sensations et ses vertus, les facultés de la 
* parole, de la colère, du désir, la composition et 
» la décomposition, et d'autres choses que Tintel- 
» ligence d'aucune créature n'a pu saisir ^. » 

Trois des personnages qui devaient figurer plus 
tard dans l'histoire évangélique sont mentionnés 
dans cet Évangile, 

C'est d'abord Judas Iscariote. Il n'est encore 
ici qu un enfant; mais il est présenté sous des cou- 
leurs qui annoncent déjà ce qu'il sera plus tard. 11 

4. Évang, arabe, chap. 51. 
t. Ibid., chap. 52. 



ÉVANGILES APOCRYPHES tmTHODOXES ÎÎ7 

était possédé d'un esprit malin. Un jour que l'en- 
fant Jésus était assis auprès de Joseph, devant 
la maison qu'il habitait, Judas Iscariote vint s'as- 
seoir à sa droite. Satan commença aussitôt à l'a- 
giter, et Judas chercha à mordre l'enfant Jésus. 
Ne pouvant y réussir, il lui donna des coups de 
pied dans le côté droit; l'enfant Jésus se mit à 
pleurer, et en ce moment Satan sortit de Judas 
sous la forme d'un chien enragé. C'était là un 
signe que Judas trahirait le Seigneur, et FÉvan- 
géliste fait remarquer que le côté de l'enfant Jésus 
qui avait été frappé fut celui qui plus tard fut 
percé d'un coup de lance *. 

Ce sont ensuite les deux brigands qui furent 
crucifiés avec le Sauveur. La sainte Famille, en 
traversant le désert, tomba au milieu d'une troupe 
de voleurs. Us étaient endormis, mais deux d'entre 
eux se réveillèrent; ils se nommaient Titus et 
Dumachus^. Le premier dit à l'autre. Je te prie 
de laisser ces voyageurs aller en paix, de peur que 
nos compagnons ne les aperçoivent. Dumachus s'y 
refusant, Titus lui dit : Je te donnerai quarante 
drachmes^ voilà ma ceinture pour gage. Il la lui 
présenta en même temps, en le priant de ne pas 



4. Évang. aràbe^ chap. 35. 

2. Ces deux voleurs sont appelés Dismas et Gestas dans l'É« 
vangile de Nicodème, chap. 9; Matba et ioka, dans Bède le 
Vénérable, et aillcuis, Juslin et Visimus. 



M8 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

appeler et de ne pas donner l'alarme. Voyant ce 
voleur si bien disposé à leur égard, Marie lui dit : 
Que Dieu te soutienne de sa main droite et qu'il 
t'accorde la -rémission de tes péchés. Le Seigneur 
Jésus dit alors à sa mère : « Dans trente ans, ô 
* ma mère, les Juifs me crucifieront à Jérusalem; 
» ces deux voleurs seront mis en croix à mes côtés, 
» Titus à ma droite et Dumachus à ma gauche, et 
» ce jour-là, Titus me précédera au paradis *. >» 



§6. 



A ces Évangiles relatifs à la sainte Famille et à 
l'enfance du Sauveur, il faut joindre une histoire du 
charpentier Joseph ^ , qui nous est parvenue en 
arabe, mais dont l'original était vraisemblable- 
ment en copte. La bibliothèque du Vatican en 
possède, dit-on, quelques exemplaires dans cette 
dernière langue. Le texte arabe en fut publié, pour 
la première fois, à Leipzig, en 1722, par George 
Wallin;i d'après un manuscrit de la bibliothèque 
royale de Paris. 

4. Évang, arabe^ cliap. 23. 

2. Thilo la donne en arabe avec une Iraduclion latine. Codex 
apocryphus Novi Tesiamenti, p. 3-61; Tischendorf seulement en 
latin, Èvangelia npocrypha, p. 445-433; Brunet, Évangiles apo- 
cryphes, p. 49-44; Dictionnaire des apocryphes, 1. 1, col. 4029- 
4044. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 229 

Ce livre est moins une histoire de Joseph, qu'un 
récit de ses derniers moments. La forme n'en est 
pas moins étrange que le fond ; le narrateur est 
Jésus-Christ lui^-^même, et c'est à ses apôtres qu'il 
raconte comment mourut ce saint personnage. 

Joseph n'est plus ici le maladroit ouvrier de 
l'Évangile arabe de l'Enfance. Il est de la race 
royale de David * ; et comme il était profondé- 
ment versé dans la connaissance des saintes Écri- 
tures, on l'avait reçu prêtre ^. Il exerce encore, il est 
vrai, le métier de charpentier, mais accessoirement 
et sans doute comme une simple distraction. Dans 
rÉvangile de la Nativité, il est représenté comme 
un homme fort âgé, au moment où il est désigné 
pour l'époux de Marie ^, et dans celui du Pseudo- 
Matthieu, comme veuf et ayant des enfants d'un 
premier lit ^. Ici, on donne des détails précis sur 
ce premier mariage. Il l'avait contracté à l'âge 
de quarante ans, et en avait eu quatre fils, Juda, 
Juste, Jacques et Simon, et deux filles, Assie et 
Lydie ^. Joseph perdit sa femme après avoir vécu 
quarante-neuf ans avec elle. Ce fut alors qu'il reçut 
Marie de la main du grand -prêtre; mais il ne de- 

4 . Hist. du cliarpentier Joseph^ chap. 2 et 7. 

2. a 11 était Savant dans la doctrinu de la loi, et il fut reçu 
prêtre dans le temple du Seigneur. » Ibid., chap. 2. 

3. Évang, de la NaHoitéy chap. 8. 

4. Évang, du Pseudo- Matthieu, chap. 8. 
B. Hist. du charpentier Joseph, chap. 2. 



230 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

vait l'épouser que plus tard. Elle était depuis trois 
ans dans sa maison, quand elle mit au monde 
Jésus. A ce moment, Joseph avait quatre-vingt- 
douze ans; mais, malgré ce grand âge, il était 
exempt des infirmités de la vieillesse *. 

On chercherait en vain quelques traits simples et 
touchants dans le récit de la fin de ce vénérable 
vieillard. Tout y est entaché de mauvais goût; la 
sécheresse s'y allie à une déclamation puérile, un 
dogmatisme étroit y étouffe partout le sentiment. 
Les regrets que Joseph éprouve sur son lit de mort 
au souvenir de ses péchés sont exprimés en termes 
baroques ^; Tallocution qu'il adresse à Jésus, qu'il 
invoque comme son protecteur, son libérateur et 
son Sauveur, est aussi extraordinaire que pleine 
d'invraisemblances 3, et les consolations que Jésus 
fait entendre à sa mère, sont en style de li- 
turgie. 

« ma mère chérie, lui dit-il, comme toutes 
» les créatures engendrées en ce monde , il tombe 

* sous la nécessité de mourir. La mort a des droits 
» sur tout le genre humain. Et toi aussi, ô ma 
» mère vierge, tu dois, comme le reste des mor- 
» tels, t'attendre à voir finir ta vie; mais ta mort, 

* aussi bien que celle de ce pieux vieillard, ne 

4. Hist, du charpentier Joseph^ chap. 29. 

2. I6id.,chap. 46. 

3. Ibid., chap. 47. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 231 

» sera pas la mort, mais la vie impérissable jusque 
» dans Téternité. Il faut même que je meure quant 
» au corps que j'ai reçu de toi *, » 

Cependant la Mort arrive avec la Géhenne et 
tout son lugubre cortège. A cette vue, Joseph se 
trouble; mais Jésus repousse la Mort et ses agents, 
et invoque son Père céleste. Aussitôt Michel et 
Gabriel descendent du ciel pour recevoir Tâme du 
mourant, l'enveloppent dans un involucre lumi- 
neux et l'emportent dans l'habitation des hommes 
pieux, à travers la foule des esprits de ténèbres 
qui se pressent sur leur passage . 

Celte histoire se termine par une conversation 

4. Hist, du charpentier JosefA, chap. 48. 

2. Ibid., chap. 24-23. Telles étaient les croyances des anciens 
chréliehs coptes sur la fin des hommes pieux, comme on le voit 
dans ce curieux passage du second des fragments traduits du 
copte par M. Dulaurier. « Lorsqu'un homme de bien vient 
à mourir, y est-il dit^ quatre anges se rendent auprès de lui. 
Crs quatre anges occupent tous un rang égal dans la hiérarchie 
céleste. L'un se tient debout près de la tête, l'autre auprès^ 
de ses pieds, dans Tallitude d'hommes qiii de leurs mains frotte- 
raient d'huile te mourant, jusqu'à ce que l'âme s'élève dégagée 
des liens du cot-ps; un autre tend un linge immense et d'une 
substance incorporelle, pour y recueillir celte âme sainte, qui 
elle-même s'y précipite. Un des anges prend les deux extrémités 
de ce linge par derrière; uiî autre saisit celles de devant, de la 
même manière que sur la terre les hommes disposent un corp.^ 
qu'ils veulent transporter. Un troisième ange les précède 
chantant des hymnes. Le cortège qui accompagne l'âme s'élève, 
avec elle au travers des airs en se dirigeant vers l'Orient. > 
Fragment des révélations apocryphes de saint Barthélémy, trad. 
du copte par Ed. Dulaurier, p. 46-'|8, 



232 ÉTUDES SLIl LES ÉVANGILES 

étrange, et qui n'est pas cependant hors de propos, 
entre Jésus et ses apôtres. Ceux-ci s'étonnent, non 
sans raison, qu'un homme que le Seigneur avait 
appelé son père selon la chaiç ait été moins favora- 
blement traité qu'Hénoch et qu'Élie et n'ait pas été 
enlevé au ciel, comme eux, sans passer par la 
mort. Le Seigneur leur apprend alors qu'Hénoch 
et Élie ne sont pas plus exempts que le reste des 
humains de la nécessité de la mort. A la fin des 
temps, ils reviendront sur la terre pour mou- 
rir *. 

Il ne fallait rien moins que cet enseignement 
pour que Joseph ne fût pas tenu pour inférieur 
aux personnages de l'Ancienne Alliance que Dieu 
avait comblés de ses faveurs 2. 

4. Hist. dti charp, Joseph, cliap 30 et 31. 

2. J'ai déjà fait remarquer que d'après Irénée, ni Hénocli ni 
Ëlie ne devaient goûter la mort, parce qu'ils avaient été supé- 
rieurs au péché, qui est la cause de la mort. La tradition sur ces 
deux hommes pieux de TAncien-Testament a donc complète- 
ment changé du u^ au iv^ siècle; elle a changé, parce que les 
idées sur le péché se sont modifiées; on ne croit plus qu'il puisse 
y avoir d'exception à la condamnation qui a été la suite du pé- 
ché du premier homme. Saint Éphrem parle déjà du retour 
d'Ilénoch et dlËlie sur la terre à la un des temps, pour y satis- 
faire à la loi qui veut que tous les descendants d'Adam passent 
par la mort; dans Photius, Cod,, 229^ éd. Bekker^ p. 252; Thilo, 
Codex apocryphus Novi Testamentiy p. 756-761 . Saint Augustin 
s'exprime dans le même sens. 11 dit d'Hénoch et d*Élie : Qui 
sane creduntur in exiguum temporis redituri in has terras, ut 
etiam ipsi cum morte confli^ant et quod primi hominis propa- 
gini dcbelur exsolvant. Contra Julian,^ iib. YI, cap. 30. 



ÉVANGILES APOCRYPHES OUTHODOXES 233 



§7. 



S 



Les derniers moments de Marie ont été, comme 
ceux de Joseph, l'objet de la légende. Ici, comme 
partout ailleurs, elle s'est très-peu inquiétée de la 
vraisemblance et elle n'a pas moins dédaigné tout 
sentiment poétique. Les fictions dont elle a sur- 
chargé un sujet en lui-même assurément fort tou- 
chant, sont pour la plupart puériles et ridicules. 
Elles sont reproduites dans plusieurs écrits ^ . Je les 
exposerai d'après celui qui me paraît le plus com- 
plet. C'est un opuscule arabe publié, pour la pre- 
mière fois, il y a dix ans, par M. Max. Enger, 
d'après un manuscrit de la bibliothèque de Bonn ^, 
mais qui paraît avoir été connu, du moins au moyen- 
âge, dans presque tout l'Orient. Il en existe en effet 
une traduction , ou, pour mieux dire, une imitation 
en grec 3, et peut-être aussi avait-il été traduit ou 
imité en copte. Un fragment d'un ouvrage en cette 
langue sur la mort de la Vierge , rapporté par 

L Dktionnah-e des apocryphes, t. li, col. 534-537 et 587- 
598. , 

2. Joannis apostoli de transitu beatœ Mariœ Virginis liber ex 
recensione et cum interpretatione Maxim. Engeri. Ëlberfeld, 
1854, in 80 de xix et 107 pag. On en a une traduction française 
dans le Dictionnaire des apogryphesy t. II, col. 503-532. 

3. Tbilo, Actœ S. Thomœ,^. xvili; Dictionnaire des apoery^ 
phes, t. II, coK 596 o99. 



i34 ËTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Zoega * et traduit en français par M, Dulaurier *, 
offre des analogies frappantes avec l'écrit arabe sur 
le même sujet. 

Les six chapitres dont il se compose sont pré- 
cédés d'un long prologue dans lequel il est raconté 
comment on arriva à la possession de ce livre, et 
qui a pour but évident de nous apprendre qu'il est 
l'œuvre de l'apôtre saint Jean. Les prêtres du 
mont Sinaï ayant écrit à Gyriaque, évêque de Jé- 
rusalem ^, pour lui demander une copie de l'histoire 
de la vie et de la mort de la sainte Vierge, celui-ci 
leur répondit que, d'après un livre de la main de 
Jacques, frère du Seigneur, l'apôtre saint Jean 
avait écrit, en six chapitres, le récit des* derniers 
moments et de l'Assomption de Marie, et que cet 
ouvrage devait se trouver à Éphèse. On envoya 
aussitôt du mont Sinaï des messagers dans cette 
ville. La Vierge, touchée de leur piété, apparut 
alors à saint Jean et lui dit : « mon fils, donne 
» ton livre qui contient l'histoire de ma sortie de 
» ce monde, à ces hommes venus à toi depuis le 



4. Zoega, Catalogus codicum coptkorum in musœo Borgiano. 

2. Fragment des révélations apocryphes de saint Barlhè' 
hmy, etc., trad. du copte par Dulaurier; Paris, 4835, p. 20-22. 

3. Il n'y a jamais eu cTëvéque de ce nom à Jérusalem; mais 
il a exislë un Gyriaque ou Hëriaque, évoque de Bahnèse en 
Egypte^ grand amateur de fables pieuses. On en fait ici un évê- 
que de la ville sainte. Il sera plus d'une fois question de lui plus 
loin. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES «33 

» mont Sinaï, afin que ce soit pour Dieu un sujet de 
» gloire. » L'apôtre, se rendant à ces vœux, fit 
connaître aux envoyés du mont Sinaï qu'il allait 
leur remettre son livre; et, en effet, ceux-ci étant 
entrés dans Téglise consacrée à saint Jean, le trou- 
vèrent sur l'autel. « Us le prirent avec une joie 
» extrême, et ils le donnèrent à un homme pour le 
» lire à la foule. Le témoignage des Pères, des 
» prophètes et des autres disciples y était écrit en 
» hébreu, en grec et en latin. » 

Le récit du passage de la sainte Vierge de ce 
monde au ciel est digne de cette préface. Il com- 
mence par nous montrer Marie, allant chaque jour, 
le matin et le soir, prier au saint sépulcre, sur le 
Golgotha. Les Juifs forment le dessein de la faire 
périr, pour mettre fin à cette dévotion de mauvais 
exemple. Sur ces entrefaites, ils ont connaissance 
d'une lettre adressée à l'empereur Tibère par Ab- 
gare, roi d'Édesse, pour le prier de ne pas trouver 
mauvais qu'il aille, à la tête d'une armée, châtier 
les Juifs de l'attentat qu'ils ont commis en faisant 
mourir le Seigneur. Lesprêtres de Jérusalem, renon- 
çant alors à user de violence, prient Marie de se re- 
tirer à Bethléhem, et pour éviter une sédition, elle 
quitte la ville sainte, suivie de trois des vierges qui 
la servaient. 

Le vendredi suivant, se sentant malade, elle 
demande à Jésus de faire venir auprès d'elle Jean et 



236 KTVDES SIR LES ÉVANGILES 

les autres apôtres. Jean arrive aussitôt, transporté 
sur une 'nuée. La sainte Vierge lui explique alors 
dans quel lieu il faut l'ensevelir et quelles précau- 
tions on doit prendre pour déjouer le complot formé 
parles Juifs de brûler sa dépouille mortelle. Paul 
et Pierre sont également transportés miraculeuse- 
ment de Rome à Bethléhem, Thomas de l'Inde, 
Matthieu et Jacques de contrées qu'on ne nomme 
pas. Ceux des apôtres qui étaient déjà morts 
sont ressuscites : ce sont Philippe , André frère de 
Simon Géphas, Luc, Simon le Cananéen, Marc et 
Barthélémy. Il est assez étrange que l'auteur de 
cet écrit mette Luc et Marc au nombre des apôtres 
et laisse de côté Jacques, fils d'Alphée, et Labbée, 
surnommé Thadée *. Les Évangiles canoniques 
étaient-ils donc tombés déjà dans un si profond 
oubli qu'une aussigrossière confusion fût possible? 
Une fois arrivés sur les nuées du ciel, avec la 
protection des anges qui leur servaient d'escorte, 
les apôtres célèbrent tous ensemble les louanges 
du Seigneur, et pendant ce temps les anges, se 
mêlant à leurs chants, montaient continuellement 
de la maison de la Vierge au ciel et descendaient 
du ciel auprès d'elle. La voix du Christ se fit même 
entendre au milieu de ces pieux concerts. Les Juifs 
de Bethléhem, épouvantés à la vue de ces prodiges, 

1. Matth.^n, 2 cl 3. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 237 

se hâtèrent d'en instruire les prêtres de Jérusalem. 

Il accourut aussitôt une foule immense de la ville 
sainte à Bethléhempour assister à ce spectacle extra- 
ordinaire. En môme temps, les malades affluaient de 
tous côtés auprès de la Vierge et s'en retournaient 
guéris de leurs maux. Il venait des femmes de tous 
les pays, de Rome, d'Alexandrie, des lieux les plus 
éloignés. Les filles des grands, des princes, des rois 
arrivaient, apportant de riches présents. Celle du roi 
d'Alexandrie était couverte d'ulcères; elle en fut dé- 
barrassée. Le fils de Sophron, roi d'Egypte, fut guéri 
d'une blessure qu'un lion lui avait faite à la tête. 
Bien d'autres guérisons eurent lieu. Environ deux 
mille huit cents malades furent rendus à la santé *. 

Cependant une foule de Juifs partirent de Jéru- 
salem pour chasser Marie de Bethléhem et se saisir 
des disciples du Christ. Mais à peine avaient-ils 
fait un millier de pas qu'il se produisit un miracle 
étrange. Leurs pieds furent arrêtés, et ne pouvant 
aller à Bethléhem, ils retournèrent à Jérusalem. 
Les prêtres, de plus en plus troublés, implorèrent 
l'aide du préfet de l'empereur, et comme celui-ci 
ne voulait pas. se rendre à leurs désirs, ils le mena- 
cèrent de le dénoncer à Tibère. Il céda alors et fit 

4. Tous ces faits sont présentés de telle sorte qu'ils semblent 
se passer dans la journée du vendredi. L'auteur de cet écrit ne 
lient pas le moindre compte du temps ni des dislances. Ses 
récits sont ceux d'un enf.int qui n'a pas encore une idée de la 
réalité des choses. 



138 ÉTUDES SUR LES ÉVAxNGILES 

partir pour Bethléhem une armée de trente mille 
hommes. Mais tandis qu'elle y entrait, les apôtres, 
portant la sainte Vierge, étaient transportés sur les 
nuées à Jérusalem. « Ils passèrent au-dessus de la 
» tête de leurs ennemis qui ne les virent même pas. » 
Ces prodiges répétés ne peuvent convaincre les 
prêtres de la vanité de leurs coupables complots. 
Ils veulent brûler la maison dans laquelle la sainte 
Vierge avait été déposée à Jérusalem *• « Ayant 
pris du feu et du bois, ils se rendirent, suivis d une 
grande multitude, à Tendroit où était la bienheu- 
reuse Marie. Le préfet et ses compagnons regar- 
daient de loin ce qu'ils faisaient. Et lorsqu'ils furent 
venus aux portes de la maison, un grand feu sortit 
de la porte et quiconque s'approchait était brûlé. 
Beaucoup de Juifs périrent à cette heure et les 
autres furent frappés de frayeur. » Saisi de terreur, 
le gouverneur reconnaît que Jésus est le fils de Dieu, 
et ayant réuni les habitants de Jérusalem , il fait 
ranger d'un côté ceux qui croyaient en Jésus et de 
l'autre ceux qui niaient qu'il fût le Christ. Là-dessus, 
il s'engage sur la messianité de Jésus une contro- 
verse qui ne se termine pas à l'avantage des Juifs. 
Cependant le fils du sultan, qui avait été miraculeu- 
sement guéri d'une maladie, monte à cheval, et 
Court à Rome raconter ces merveilleux événements 

4 . Cet écrit nous apprend que celle maison appartenait à 
Marie et calait située sur la monlagne de Sion, 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES i39 

aux disciples que Pierre et Paul avaient laissés 
dans cette ville- 

Le matin du vendredi suivant, l'Esprit saint 
ordonna aux apôtres de porter Marie à Gethsémané. 
Un Juif nommé Japhia, ayant voulu saisir le lit 
sur lequel elle était couchée, un ange lui coupa les 
mains avec un glaive de feu. Les mains du Juif 
restèrent attachées au lit. « Alors, Japhia se mit à 
» implorer les disciples et à pleurer, et, la face 
» contre terre, il dit : Ayez pitié de moi, ô disciples 
» de Jésus-Christ rédempteur. Et ils eurent com-? 
» passion de lui, et ils lui dirent : In^plore la vierge 
» Marie dont tu as voulu briser la litière et la pré- 
» cipiter dans la vallée. Et il se mit à crier et à 
» dire : ma Souveraine ! ô Mère du salut, aie 
» pitié de moi. Et elle dit à Pierre : Rendez-lui ses 
» poignets, et Pierre les prit et les remit en place, 
» en disant : Au nom de Jésus le Nazaréen, et par 
» les prières de sa mère, que ces mains reviennent 
» à leur place sans douleur, et elles furent réta- 
y* blies dans l'état où elles étaient, et il n'éprouva 
» aucun mal*. » 

Voici cependant venir Eve, la mère des humains, 
Anne, la mère de la Vierge, et Elisabeth, la mère 
de Jean-Baptiste. Chacune d'elles salue à son tour 
Marie. Puis vient la foule des patriarches, Adam, 

\. De transilio, heaiw Mnri(r, chap. 4. 



Î4Ô lÎTtDES Stft*LES ÉVANGILES 

Seth, Noé, Abraham, Isaac, Jacob, David, et tous 
les propfcètes et tous les saints, portés sur les nuées. 
Ils la saluent également. Hénoch, Élie, Moïse et 
les prophètes arrivent aussi sur des chars de feu, 
précédant le Christ qui apparaît enfin, accompagné 
de douze chars pleins d'une multitude infinie d'anges 
et entouré des Séraphins et des Vertus. 

« Marie, célébrée dans l'univers entier, dit-il, 
» me voici. — Seigneur, répond celle-ci. Et Jésus 
» reprend : « Lève-toi et vois les dons que j'ai 
» reçus de mon Père. » Et se levant, elle vit la 
> gloire et la lumière que les yeux ne pouvaient 
* supporter et qu'il est impossible de décrire. — 
» Seigneur, dit Marie, prends-moi avec toi. » Et 
» le Seigneur lui dit : « Tu seras en ton corps 
» dans le paradis jusqu'au jour de la résurrection; 
» les anges te serviront, et ton esprit pur brillera 
» dans le royaume du Père des béatitudes. » 

Les disciples lui demandent alors de prier pour 
eux et pour le monde, et, se rendant à leurs vœux, 
elle prie Jésus d'accorder sa grâce aux justes et aux 
pécheurs, et de veiller d'une manière plus spéciale 
sur ceux qui se sont réunis sous l'invocation de son 
nom. Le Seigneur lui répondit qu'il sera fait selon 
ses désirs. 

Le moment suprême était cependant arrivé. Le 
visage de la Vierge brilla d'une nouvelle splendeur, 
et le Seigneur, étendant la main, prit son âme pure 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 241 

qui fiit portée aussitôt dans les trésors du Père. 
Jésus étant remonté à son royaume étemel, escorté 
par les anges, le corps de Marie fut placé (Jansiine 
caverne, à Tei^trée de laquelle les apôtres posèrent 
une pierre. Mais pendant qu'ils étaient en prières, 
la Vierge sans tache fut portée en triomphe au 
Paradis sur des chars de feu. « Alors une nuée sou- 
leva tous les assistants et chacun revint à Tendroit 
d'où il était parti. Il ne resta que les disciples qui 
restèrent trois jours en prières, entendant toujours 
le chant des cantiques célestes. » 

Cependant, Tauteur qui a oublié qu'il a fait déjà 
arriver Thomas de l'Inde à Bethléhem, le fait ap- 
paraître en ce moment pour avoir occasion d'imiter 
la scène racontée dans l'Évangile de Jean, xx, 
24-29, mais non sans l'embellir de nombreuses con- 
tradictions. Thomas en effet, qui, dans son voyage, 
porté sur une nuée a rencontré au milieu des airs 
le corps de la bienheureuse Marie sur les épaules des 
anges^ et leur a même crié de s'arrêter pour qu'elle 
le bénît, ne laisse pas en arrivant au milieu des 
autres apôtres, de vouloir à tout prix s'assurer que 
le corps est dans la caverne, afin, ajoute-t-il, de 
pouvoir affirmer la vérité de ce qu'on lui raconte. 
« Tu te défies toujours de ce que nous te disons, lui 
» font remarquer les autres apôtres, de môme que 
» tu n'as pas eu confiance en nos paroles au temps 
» de la résurrection du Seigneur, jusqu'à ce qu'il 

16 



242 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

» t'eût montré lui-même les traces des clous dans 
» ses mains et de la lance dans son côté. » Et Tho- 
mas répond : « Vous savez que je suis Thomas; je 
» n'aurai pas de repos jusqu'à ce que j'aie vue le 
» sépulcre où a été enseveli le corps de Marie, sinon 
» je ne croirai pas. » On ouvrit alors la caverne, 
et grand fut l'étonnement des apôtres qui crurent 
que les Juifs avaient enlevé le corps. Heureusement 
qu'en ce moment, Thomas se ressouvient qu'il a vu 
la Vierge portée au ciel par les anges, qu'elle Ta 
béni, et qu'elle lui a même donné sa ceinture *. 

Marie arrivée dans le Paradis et après qu'elle eut 
reçu les hommages d'Hénoch, d'Élie, de Moïse, 
des prophètes, des patriarches et des élus, le Sei- 
gneur lui montra les biens qu'il a préparés pour les 
saints, c'est-à-dire des demeures belles et éclatantes, 



4. De transitu beatœ Mariœ, chap. 2. Celte scène a depuis 
été un peu mieux arrangée, t Thomas, incrédule à la résurrec- 
tion de Jésus-Clirist, refusa également de croire à la résurrec- 
tion el à Tassomplion du corps de Marie. Lorsqu'il vint au tom- 
beau de Marie avec les autres ap6tres et qu'il le trouva vide 
&ù corps qu'on y avait déposé trois jours auparavant, il ne vou- 
lut pas croire à la résurrection delà Vierge; mais il porta ses 
yeux au ciel, et il y vit Marie qui montait lentement au milieu 
des acclamations des anges et des saiuts. Au même moment, 
la ceinture de Marie lui tomba du ciel, comme autrefois tomba 
sur Elisée le manteau d'Élie. Saint Thomas crut alors plus fer- 
mement que les autres. On voit celle jolie scène dans un vitrail 
qui orne la chapelle latérale de l'église de Brou. • Didron, 4fa- 
nuel d'iconographie chrétienne, p. 287. Dictionnaire des apocry- 
phes, t. II, col. 525 et suiv., note 505. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 243 

des couronnes splendides et des arbres superbes et 
parfumés. Il lui fit ensuite visiter les différents 
deux, et à mesure qu'elle s'élevait dans les espaces 
célestes, elle était saluée et louée par les anges, les 
chérubins, les séraphins, la foudre et le tonnerre^ 
la lumière, la pluie et la rosée, le soleil, la lune et 
les étoiles, les âmes des disciples, des prophètes et 
des justes. Alors, « le Seigneur lui fit voir beaucoup 
de choses telles que Foôil ne peut les apercevoir, ni 
l'oreille les entendre, ni la langue en parler, ni 
l'esprit des hommes les comprendre; et ces choses 
seront données aux fidèles qui viendront au dernier 
jour et qui en jouiront dans tous les siècles *. » 

Marie levant ensuite les yeux, vit des taberna- 
cles innombrables, d'où s'élevaient à la fois une 
odeur d'encens et le chant dès cantiques. « Mon 
» maître et mon Seigneur, dit-elle à Jésus, qui sont 
» ces hommes qui se tiennent là? — Ce sont les 
» justes, répond le Seigneur, et cette lumière indi- 
» que en quel honneur ils sont auprès de moi', » 

1. De transitu beatœ Mariœ , chap. 5. Cette ascension de 
Marie à travers les différents cieux pourrait bien être une imi- 
tation de divers passages du Livre d*Hénoch» L'archange Michel 
montre aussi au patriarche c toutes les choses cachées des limi^ 
» tes du ciel, les réceptacles des étoiles, des rayons lumineux, 
» qui venaient éclairer les visages des saints », et le saint ange 
Uriel lui explique c le cours des luminaires célestes, selon leurs 
» ordres, Icors époques, leurs noms />, etc. Livre d^Hènoch, lxx, 
4 et suiv.; lxxi, 1 et suiv. 

%. Ce qu'il y a ici de tàk^a singulier, c'est qu'il est dit de ces 



2U ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

« Et voici que la bienheureuse Marie vit une 
* autre région, très-obscure, d'où sortait une 
» épaisse fumée, ainsi qu'une odeur fétide comme 
» celle du soufre; un grand feu y brûlait,. et un 
» grand nombre d'hommes y étaient et poussaient 
» des cris en pleurant. Et la bienheureuse Marie 
» dit : mon Seigneur et mon Diea, quels sont ces 
» gens qui sont dans les ténèbres et qui souffrent 
» de l'ardeur du feu? » Jésus lui répond que c'est 
la géhenne, ouverte aux pécheurs et préparée pour 
leur punition *. Marie, qui avait ressenti une grande 
joie en apprenant le bonheur des justes, « fut saisie 
» de tristesse lorsqu'elle vit ce qui était préparé 
» pour les pécheurs, et elle pria le Seigneur d'en 
» avoir pitié et de les traiter plus doucement, car la 
» nature de l'homme est débile, et il le promit. 

« Alors, la prenant par la main, Jésus la con- 
» duisit dans le paradis saint et splendide, accom- 

homnies qu'ils ne sont pas encore ressuscilés; ce sont leurs 
âmes qui se trouvent au ciel, en allendanl le jour de la résur- 
rection qui leur rendra leurs corps, et alors, dit Jésus-Christ à 
Alarie, c ils seront en possession d'une joie plus grande encore 
D que celle qu'ils goûtent en ce moment. » Hénoch eut aussi le 
bonheur de contempler les demeures des saints. Livre d'Hé- 
nochy XXX iz, 4 et suiv. 

4. Hénoch vit aussi c le séjour destiné aux âmes des hommes 
» injustes et pécheurs, aux âmes de ceux qui ont commis Tini- 
» quilé et qui se sont mêlés à la société des impies, auxquels 
» ils ressemblent. Leurs âmes ne seront point anétinties au jour 
» du jugement ; mais, enfermées dans ce lieu, elles n'en sorti- 
» ront jamais. > Livre d'Hénoch^ xxii, 14; un, 4 et suiv. 



EVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES i45 

» pagnée de totisles saints et de tous les justes *. » 
Il est raconté ensuite quelques-uns des nombreux 
miracles opérés par l'intercession de lasainte Vierge. 
Puis l'auteur de cet écrit fait remarquer que Marie 
vécut cinquante-neuf ans sur la terre , savoir trois 
ans avant d'entrer au Temple, douze ans et trois 
mois dans le Temple, neuf mois enceinte de Jésus, 
trente-trois ans avec le Seigneur, et enfin onze ans 
après qu'il fut monté au ciel ^, et il termine par ces 
paroles qui portent l'empreinte des croyances de son 
temps : « Nous espérons en son intercession auprès 
» de son fils bien-aimé pour le salut de nos âmes au 
» siècle des siècles. Amen. » 

- §8. 

L'histoire de la passion ne pouvait manquer de 

1. Liber de transita Mariœ, chap. 6. 

2. Ces nombres sont entièrement arbitraires. La tradition 
n'avait pas conservé la moindre donnée historique sur la mère 
de Jésus. C'est ce que prouve le silence que gardent sur elle et 
les écrits canoniques ot les pères apostoliques qui, la naissance 
miraculeuse de Jésus exceptée, ne disent pas un mot de la 
sainte Vierge. Ce qui le prouve encore mieux, ce sont les sup- 
putations différentes qu'on trouve dans les autres apocryphes 
sur la mort et i'assOmption de Marie. L'écrit attribué à Méliton 
la fait mourir vingt-deux ans après Jésus-Christ (Méliton, Livre 
du passage de la très-sainte Vierge^ chap. 3), et le fragment du 
livre copte sur la mort de la Vierge, traduit par M. Dulaurier, 
« quinz»^ ans après que le Seigneur fut ressuscité d'entre les 
morts. » Dictionn, des apocryphes, 1. 11, col. 535. 



246 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

parler à rimagination des premiers chrétiens et de 
donner naissance à un cycle de légendes. Elles 
sont moins nombreuses toutefois que celles qui sont 
relatives àla sainte famille etàrenfanceduSeigneur. 
Et cela se comprend. Les Évangiles canoniques 
ne disant presque rien ni de la famille ni des pre- 
mières années de Jésus, il y avait ici un champ à 
peu près complètement vide; la légende pouvait 
s'y développer librement, sans être arrêtée par des 
textes bibliques. Le récit de la Passion, au con- 
traire, est raconté au long dans les Évangiles 
canoniques; la légende se trouva par conséquent 
enfermée, sur ce sujet, dans un cadre qu'elle ne 
pouvait ni briser ni dépasser. Ainsi limitée, elle 
ne put qu'ajouter quelques détails aux faits déjà 
connus, dont elle ne pouvait changer le fond et 
avec lesquels elle ne pouvait pas mieux se mettre 
en opposition. 

Tous les écrits apocryphes relatifs à la Passion, 
d'ailleurs peu nombreux, se rattachent au nom de 
Pilate et ont eu, sans le moindre doute, pour pre- 
mier fond, un prétendu rapport du procurateur 
romain à Tibère, sur le jugement, la mort et la 
résurrection de Jésus-Ghrist ^ Dans cette pièce, 

4 . Ce rapport est en grec. Thilo, Codex apocryphus Novi Tes- 
tamenti^ p. 804-813; Tischendorf, Evangelia apocrypha, \), 414- 
425; Dictionn. des apocryphes, t. Il, col. 757-760; Fabricius, 
Codex apocryphus Novi Tesiam., pars 4, p. 300. 



EVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES M7 

la plus naïve ignorance des moeurs, des opinions 
et des préjugés d'un administrateur romain éclate 
à chaque ligne. « Je suis obligé, très-puissant 
Empereur, y fait-on dire à Pilate, quoique saisi de 
crainte et de terreur, de vous apprendre par ces 
lettres ce qu'un tumulte a causée dernièrement et ce 
que fait prévoir la fin de cet événement. A Jéru- 
salem, ville de cette province, que j'administre, la 
foule des Juifs m'a livré un homme nommé Jésus, 
l'accusant de plusieurs crimes, sans pouvoir le prou- 
ver par de solides raisons. Ils s'accordaient tous 
cependant à dire qu'il avait enseigné qu'il ne fallait 
pas observer le sabbat. » Vient alors l'indication 
de la plupart des miracles rapportés dans les 
Évangiles canoniques, « miracles, fait remarquer 
Pilate, plus grands que ceux des dieux que nous 
adorons. » Le gouverneur romain ajoute que, pour 
apaiser le tumulte, il a fait flageller Jésus et qu'il 
l'a fait ensuite crucifier, quoiqu'il n'eût trouvé en 
lui aucune trace de méfait et de crime. Aussitôt que 
Jésus fut attaché à la croix, la nature entière fut 
bouleversée; le soleil s'obscurcit, la lune prit une 
couleur de sang, les ténèbres couvrirent la terre, 
le sol s'entrouvrit, des morts ressuscitèrent en 
grand nombre ; Pilate cite parmi eux Abraham, 
Isaac, Jacob, les douze patriarches. Moïse et Jean- 
Baptiste. Trois jours après, le soleil jeta une clarté 
extraordinaire, et au milieu des éclairs, des hommes 



S46 ETUDES SUR LES EVANGILES 

couverts de vêtements brillants, environnés d'une 
grande gloire et suivis d'une grande foule, firent 
entendre ces mots d'une voix aussi éclatante que le 
tonnerre : « Le Christ crucifié est ressuscité. » Et 
aussitôt un grand nombre de Juifs qui avaient 
accusé Jésus furent engloutis dans les entrailles 
de la terre, toutes les synagogues de Jérusalem 
furent renversées et des fantômes terribles se mon- 
trèrent en tous lieux. 

Cette pièce est suivie d'une note qui nous 
apprend qu'à la lecture de ce rapport, Tempereur 
fut indigné de l'injustice de Pilate, et qu'il envoya 
immédiatement des soldats pour qu'on le lui amenât 
chargé de chaînes. 

A ce rapport écrit en grec, il faut joindre deux 
lettres latines du procurateur romain. L'une porte _ 
cette suscription : Pontius Pilatv^ régi Claudio 
svx) salutem; elle est placée d'ordinaire à la fin de 
l'Évangile de Nicodème *. L'autre, plus courte, a 
pour suscription ces mots : Ponims Pilatus Judeœ 
procurator Tiherio Cœsari imperatori S. P., et 
elle est datée du quatrième jour du mois d'avril. Elle 
a été imprimée pour la première fois en 1571 par 
Barth. Chassanié dans la quatrième partie de son 
Catalogus gloriœ mundi. Abr. Gronovius la trouva 
plus tard dans un manuscrit de Tacite de la biblio- 

1. Thila, Codex apocryphus Novi Testant., p. 796-800; Tis- 
chendorf^ Evangelia apocrypha^ p. 392-395. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES S49 

Ihèque Bodléienne et Tinséra dans la préface de 
son édition de cet écrivain latin, Leyde, 1721, 
in-4 *. 

Enfin on a, sous le nom d'Actes de Pilate *, un 
récit plus étendu du jugement, de la mort et de la 
résurrection de Jésus-Christ. Cet écrit, dont il existe 
un grand nombre de copies manuscrites dans les 
principales bibliothèques d'Europe, se trouve tantôt 
séparé, tantôt joint à un autre, contenant le tableau 
de la descente de Jésus-Christ aux enfers. Ces deux 
pièces forment par leur réunion, l'ouvrage connu 
sous le titre d'Évangile de Nicodème. 

Les Actes de Pilate sont-ils une amplification du 
rapport de Pilate à Tibère, ou bien ce dernier 
écrit est-il un abrégé du premier, ou bien encore 
n'y a-t-il aucun rapport de dépendance entre eux? 
Ce n'est pas le moment de rechercher laquelle de 
ces trois hypothèses est la plus probable. Mais ïl 
importe de faire remarquer que les deux pièces 
sont conçues dans le môme esprit et sont em- 
preintes du môme caractère. 

Dans les Actes de Pilate, le procurateur romain 

4. Thilo, Codex apocryphus Novi Testamenti, pars 4, p. 804 
et 802; Tischendorf, Evangelia apocrypha^ p. 444 et 442. 

2. Les Gesta Pilati sont en grec, mais on en a une ancienne 
traduction latine aropliBëe et modifiée. Tbilo, Codsx apocryphus 
Novi Testamenti, pars 4, p. 490-665; Tischendorf, Eoangelia 
apocrypha, p. 203-300 et p. 312-367; Brunet, Évangiles apocry- 
phes^ p. 230-254; Dictionn. des apocryphes, 1. 1, col. 4404-4420. 



«M) ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

s'exprime à peu près comme dans son rapport à 
Tibère et dans ses deux lettres. Il parle en homme 
versé dans la connaissance de l'Ancien Testament ; 
il en fait des citations fréquentes; il reproche plus 
d'une fois aux Juifs leur désobéissance à Dieu ; il 
leur rappelle les bienfaits dont ils ont été comblés 
constamment, et tout cela en des termes qui se 
comprendraient très-bien dans la bouche de Jésus- 
Christ ou dans celle de Jean-Baptiste, mais qui ne 
peuvent s'expliquer sous la plume d'un gouverneur 
romain. Il ne trouve rien de répréhensible en Jésus, 
il le renverrait absous de l'accusation portée contre 
lui, s'il ne craignait une sédition. Les prêtres juifs, 
au contraire, appuyés de la majorité du peuple, 
poursuivent le Seigneur à outrance. Ils ne l'ac- 
cusent pas seulement de violer le sabbat et d'être 
un magicien, mais encore de se donner pour le roi 
des Israélites et pour le fils de Dieu. Jésus n'est 
pas cependant sans défenseurs. Ses apôtres, il est 
vrai, gardent ici le silence, ou pour mieux dire, ils 
ne figurent pas même dans cet écrit *. Mais douze 
personnes considérables de la nation juive, à la 
tête desquels se place Nicodème, élèvent la voix 
en sa faveur. Us sont appuyés de tous ceux que le 
Seigneur avait délivrés de quelque maladie, et qui 
viennent raconter leurs guérisons, dans les mêmes 

1. Probablement par suite de ce qui est dit Matth*, xxvi, 31. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 251 

termes qu'elles sont rapportées dans les Évangiles 
canoniques, 

l^s continuelles invraisemblances de langage 
de Pilate, de Nicodème, des autres défenseurs de 
Jésus et môme des prêtres juifs, mises de côté, le 
récit du jugement du Seigneur ne s'écarte pas trop 
de celui des Évangiles canoniques. La seule addi- 
tion notable qu'on y remarque est la légende des 
étendards romains qui s'inclinent d'eux-mêmes de- 
vant Jésus-Christ, à son entrée dans le prétoire *. 

Le récit de la crucifixion est bref. Plusieurs 
des détails donnés par les Évangiles canoniques y 
sont omis ; mais on y trouve les noms des deux 
brigands qui s'appellent ici, celui de droite Dimas 
et celui de gauche Gestas ^, ainsi que celui du soldat 
romain qui perça de sa lance le côté de Jésus et qui 
est appelé Longin 3. 

Ce qui suit est, au contraire, un tissu de fables 
imaginées principalement dans l'intention de ré- 

I.Chap. *. 

t. Chap. 40. 

3. Ce Longin est devenu un personnage légendaire. D'après 
la Lègeiide dorée, il était le cenliirion qui resta auprès de la 
croix du Seigneur par ordre de Pilate. Les noiraclés arrivés à la 
mort de Jésus le convertirent à la foi chrétienne. Il renonça 
alors au service militaire, devint disciple des apôtres et se re- 
tira à Césarée, en Cappadoce, où il mera pendant vingt-huit 
ans une vie monastique et convertit un grand nombre de per- 
sonnes à Jésus-Christ, soit par ses exhortations, soit par son 
exemple. La légende dorée,' trad. par M, Gust» Çrunet, î8« série, 
p. 49 et 60, 



«M ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

pondre aux objections que les Juifs élevaient contre 
la réalité de la résurrection du Seigneur. Nicodème 
et Joseph d'Arimathée, accusés par les prêtres 
d'avoir p;'is parti pour Jésus, les accablent de leur 
côté de reproches. « Savez-vous, scribes et docteurs, 
leur dit celui-ci, que Dieu dit par le prophète : la 
vengeance m'appartient. Le Dieu que vous avez 
mis en croix est puissant ; il m'arrachera de vos 
mains. Tout le crime retombera sur vous, car le 
gouverneur a dit , après s'être lavé les mains : Je 
suis pur du sang de ce juste; et vous avez répondu 
à grands cris : Que son sang soit sur nous et sur 
nos enfants. Puissiez-vous, comme vous l'avez dit, 
périr à jamais 1 » A ces mots, les Juifs irrités jettent 
Joseph en prison; mais, ainsi qu'il l'avait annoncé, 
Dieu le sauva de leurs mains. Miraculeusement 
délivré, il fut transporté dans son habitation à 
Arimathée. 

Les soldats qui avaient été placés à l'entrée du 
sépulcre, viennent ensuite annoncer que Jésus est 
ressuscité. Aux reproches des Juifs ils répondent 
avec une rare présence d'esprit : Donnez-nous Joseph 
que vous gardiez en prison, et nous vous donnerons 
Jésus que nous gardions dans le sépulcre. Les Juifs 
achètent alors à prix d'argent leur silence; précau- 
tion inutile, car aussitôt arrivent un prêtre, un 
maître d'école et un lévite qui annoncent qu'ils ont 
rencontré Jésus en Galilée. Ils l'avaient trouvé assis 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 2K3 

au milieu de ses onze apôtres sur le mont des Oli- 
viers*, et après l'avoir entendu ordonner à ceux-ci 
d'aller prêcher sa doctrine dans le monde entier et 
de baptiser toutes les nations au nom du Père, du 
Fils et du Saint-Esprit, ils l'avaient vu monter au 
Ciel. Les prêtres donnent également de l'argent à 
ces trois hommes pour les engager à se taire et se 
hâtent de les renvoyer dans leur pays. 

Cependant ni les soldats ni les trois hommes de la 
Galilée ne gardèrent le silence sur les événements 
extraordinaires dont ils avaient été les témoins. La 
consternation se répandit parmi le peuple. Ce fut 
en vain que pour le. rassurer, les prêtres lui repré- 
sentèrent que les trois Galiléens ne méritaient aucune 
confiance et que les soldats avaient été gagnés par 
les disciples de Jésus qui avaient enlevé eux-mêmes 
son corps. On ne réussit pas à le calmer. Sur le 
conseil de Nicodème^ on se décida à faire venir 
Joseph à Jérusalem pour apprendre la vérité de sa 
bouche. Mais le récit que fit celui-ci de sa délivrance 
et d'une entrevue miraculeuse qu'il avait eue avec 
Jésus-Christ ressuscité, jeta le trouble dans l'âme 
des prêtres. On fit revenir à Jérusalem les trois 
Galiléens; on les interrogea l'un après Tautre avec 
le plus grand soin, et Anne et Gaïphe reconnaissant 
que, d'après l'Écriture elle-même, la parole de 

4. Le mont des Oliviers est dans la Judée, et non dans la 
Galilée. 



254 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

deux OU de trois témoins qui s'accordent ensemble, 
ne saurait être contestée, restèrent convaincus delà 
vérité de la résurrection de Jésus. 

§9. 

Un troisième groupe de légendes se rapportant 
à la descente de 'Jésus-Christ aux enfers se trouve 
réuni dans un écrit qui, joint aux Actes de 
Pilate, forme l'Évangile de Nicodème *. Mais cet 
écrit a d'abord été indépendant des Actes de Pilate; 
il en est encore séparé dans de nombreux manus- 
crits, et c'est sous cette forme que M. Tischendorf 
en a publié, dans sa collection d'Évangiles apocry- 
phes, le texte grec et deux traductions, il vaudrait 
peut-être mieux dire, deux imitations en latin, pré- 
sentant entre elles des différences notables *. 

Carinus et Leucius, fils du grand-prêtre Siméon, 
étaient ressuscites en même temps que Jésus-Christ 
et par sa puissance. Anne, Gaïphe et d'autres juifs 
de distinction, instiniits de ce prodige, vont les trou- 
ver à Arimathée et leur demandent comment et par 
qui ils ont été rappelés à la vie. Les deux frères 

4 . Le récit de la descente de Jésus-Christ aux enfers com- 
mence au chnpitre 47 de cet Évangile et en remplit les onze 
derniers chapitres. Thilo, Codex apocryphus Novi Testamentiy^ 
p. 666-795. 

2. Tischendorf, Evangelia apocrypha, p. 304-344 et 368- 
440. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 251 

demandent du papier, écrivent, chacun de son côté, 
ce qu'ils ont vu et entendu S et leurs écrits déposés 
en des mains différentes, se trouvent complètement 
identiques, ni plus ni moins grands l'un que l'autre 
et sans qu'il y eût même une lettre de différence *, 
preuve évidente de la vérité des événements extra- 
ordinaires qui y étaient racontés. Tel est le cadre 
dans lequel est présentée la légende de la descente 
de Jésus-Christ aux enfers. 

La scène se passe dans le lieu souterrain où sont 
retenus, après leur mort, les saints personnages de 
l'Ancienne Alliance. Au moment où le drame com- 
mence, ils s'entretiennent de leur espérance de voir 
bientôt la lumière se manifester dans le sombre 
empire de la Mort. Siméon les confirme dans cette 
pensée en leur annonçant qu'il a tenu dans ses bras 
l'enfant qui doit être la lumière des nations et la 
gloire du peuple d'Israël ^. Jean -Baptiste, qui sur- 
vient bientôt après, leur déclare qu'il est envoyé 
pour les prévenir que dans peu le fils de Dieu viendra 
visiter ceux qui sont assis dans les ténèbres et 
l'ombre de la mort *. Seth raconte alors à cette res- 
pectable assemblée ce que Michel , l'ange du Sei- 



4. Évangile de Nicodème, chap. 17. 

2. Ibid,, chap. 28. 

3. Siméon, qui n*est dans Luc, ii, 25-35, qu'un pieux Israé- 
lite, est devenu ici un grand-prêtre. 

4. Évangile de Nicodème, chap, 49. 



256 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

gneur, lui a révélé autrefois touchant ravénement 
du Christ 4. ' 

Tandis que les Êommes pieux se réjouissent 
de la prochaine venue du Seigneur , Satan , le 
prince de la mort, et Hadès ' s'entretiennent aus- 
si de Jésus. Satan déclare à Hadès qu'il s'ap- 
prête à s'emparer du prophète de Nazareth qui 
lui cause des désagréments sans fin , en gué- 
rissant ceux qu'il frappe de maladies et en res- 
suscitant ceux auxquels il enlève l'existence. 
Hadès, plus prudent, représente à Satan ^ qu'il 
pourrait bien se lancer dans une entreprise qui 
tournera à son désavantage et lui sera funeste. 
« Quel est donc ce Jésus? lui dit-il. S'il est telle- 
» ment puissant dans son humanité, je te le dis, en 
» vérité, il est tout-puissant dans sa divinité. Per- 
» sonne ne peut résister à son pouvoir. Et lorsqu'il 
» dit qu'il craint la mort *, il veut te tromper. » 
Quand il apprend de Satan que ce Jésus est celui 
qui a ressuscité Lazare, il s'écrie : « Je t'en conjure 
» par ta puissance et par la mienne, ne l'emmène 



1. Ibid., chap. 20. 

2. C'est la personniGcation de Tenfer. 

3. Satan se montre déjà ici avec ce caractère de fanfaron et 
de niais qu'il a constamment dans la littérature du moyen âge^ 
et qui en l'ait un personnage plus ridicule qu'odieux. 

4. Allusion aux paroles de Jésus, Matth.y xxvi, 39 et 42, et 
Luc, XXII, 42-44. Seulement, la scène rapportée dans ces pas- 
sages n'était pas arrivée au moment où Hadès en parle à Satan. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 257 

» pas vers moi ; si tu le fais, ceux que je tiens ici en- 
» fermés dans la rigueur de la prison et enchaînés 
» par les liens non encore rompus de leurs péchés, il 
» les dégagera et les conduira par sa divinité à la 
» vie qui doit durer autant que l'éternité *. » 

Ils parlaient encore, quand une voix retentit 
avec l'éclat du tonnerre et de l'ouragan : « Prin- 
ces, élevez vos portes, élevez vos portes éternelles, 
et le Roi de gloire entrera ! » A peine a-t-il en- 
tendu ces mots qu'Hadès dit à Satan : « Éloigne- 
» toi de moi et sors de mes demeures. Si tu es un 
» puissant combattant, combats contre le Roi de 
» gloire. Mais qu'y a-t-il de toi à lui? » Et jetant 
aussitôt Satan hors de ses domaines, il dit à ses im- 
purs ministres : « Fermez les cruelles portes d'ai- 
rain, poussez les verrous de fer, et résistez vail- 
lamment, de peur que nous ne soyons réduits en 
captivité, nous qui gardons les captifs. » Ces 
ordres sont inutiles ; toute l'armée des saints s'é- 
crie : « Ouvre tes portes pour laisser entrer le Roi 
» de gloire. » 

Alors David rappelle qu'il a prédit les miséri- 
cordes du Seigneur et annoncé qu'il briserait les 
portes d'airain et romprait les verrous de fer ^. 
Ésaïe rappelle également qu'il avait prophétisé que 

à . Évangile de Nicodème, chap. 9i\ . 
J. Dans le" texte grec, c'est le Psaume xxîv, 7, qui est cité, 
et, dans le latin, le Psaume cvii, ^5-17. 

47 



sm ÉTUDES sua Lks évangiles 

les morts se réTeiUeraient et que ceux qui sont 
dans le tombeau se relèveraient ^. En ce moment 
le Seigneur dé majesté arrive sous la forme d'un 
homme; il illumine les ténèbres éternelles et brise 
les liens qui retenaient les morts *. 

Haîdès, la Mort et leurs impies serviteurs sont 
saisis d'épouvante ; toutes les légions des démons 
sont frappées de terreur; tous les esprits impurs se 
courbent devant le Roi de gloire. Et celui-ci, écra- 
sant^ dans «a majesté, la Mort soxm ses pieds et sai^ 
sissant Satan, dépouille l'Enfer de sa puissance et 
commence par amener Adam à la clarté de sa lu- 
mière '. 

Cependant Hadès accable Satan de reproches et 
d'injures : « O Belzébuth, prince de perdition et 
» chef de destruction, dérision des anges de Dieu, 
> ordure des justes, qu'as-tu prétendu faire? Tu as 
» voulu crucifier le Roi de gloire, dans la ruine et 
» la mort duquel tu nous promettais de si riches 
» dépouilles. Comprends-tu la fdie de ta conduite? 
» Voici que ce Jésus dissipe par l'éclat de sa divî- 
» nîté toutes les ténèbres de la mort. Il a brisé les 
» profondeurs d^ plus solides prisons; il délivre 

1. Esaie^ XXX vi^ 49. On met aussi dans la t)oucbe d'Êsaîe 
les paroles de saint Paul, 1 Corinth., xv, 55, qu*on a peut- 
être confondues avec celles qui se trouvent dans Osée, xiii, 
U. 

Ji. Évan^e de Nieodèm^, diap. ti. 
3. J6R, chap. 23. . 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES im 

» les captifs et relâche ceux qui étaient dans les en- 
» fers. Nos empires et nos royaumes sont vaincus, 
» et nous n'inspirons plus d'effroi à la race hu- 

> maine. Satan, prince de tous les maux, père 
* des impies et des rebelles , qu'as-tu prétendu 
» faire? Ceux qui, depuis le commencement jusqu'à 
» présent, avaient désespéré du salut et de la vie, 
» ne font plus entendre ni plaintes ni gémisse- 
» ments. Leurs larmes ont été essuyées. prince 
» Satan, possesseur des clefs de l'enfer, tu as 
» maintenant perdu par l'arbre de la croix les 
» richesses que tu avais acquises par l'arbre d^ la 
» prévarication. Toute ton allégresse a péri, lor&- 
» que tu as attaché à la croix ce Christ, Jésus, 
» Roi de gloire. Tu as agi contre toi et contre 
» moi. Satan, prince de tous les méchants, au- 
» teur de la mort, source d'orgueil, pourquoi as-tu 
» osé, sans raison, crucifier Jésus injustement et 
» amener dans notre région le Saint et le Juste? » 

Comme le prince de l'enfer parlait ainsi à Satan, 
h Roi de gloire lui dit : « Le prince Satan sera 
» ^us ta puissance, dans la perpétuité des siècles, 
» à la place d'Adam et de ses fils qui sont mes 

> justes *• » Et, étendant sa main, le Seigneur dit : 
« Venez à moi, tous mes saints, qui avez mon 
» image et ma ressemblance. Vous qui avez été 

J. Évangile de Nicodème^ chdi^. Hé 



260 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

» condamnés par le bois, le Diable et la Mort, 
» vous verrez que le Diable et la Mort seront con- 
» damnés par le bois. » Aussitôt il dit à Adam, 
dont il tenait la main droite : « Paix à toi et à 
» tous tes fils, mes justes !.. » Adam et tous les 
saints se prosternant à ses pieds, entonnent un chant 
d'actions de grâces. 

Le Seigneur, étendant la main, fit le signe de 
la croix sur Adam et sur tous ses saints, et aux ac- 
clamations des patriarches et des prophètes , il les 
enleva de Penfer * et les introduisit dans la grâce 
glorieuse du paradis. Deux hommes, anciens des 
jours, vinrent au-devant d'eux. C'étaient Hénoch et 
Élie, tous deux destinés à reparaître sur la terre 
aux derniers temps, pour combattre l'Antéchrist, à 
être mis à mort à Jérusalem, et à ressusciter trois 
joure et demi après, pour être de nouveau enlevés 
vivants dans les nuées ^. 

Tandis qu'Hénoch et Élie expliquaient leurs fu- 
tures destinées aux rachetés de l'enfer, un homme 
d'un aspect misérable, portant sur ses épaules le 
signe de la croix, se présenta pour entrer dans le 
paradis. C'était le bon larron qui venait, conformé- 
ment à la promesse de Jésus, prendre place parmi 
les bienheureux ^. 

1. Évang. de Nicodéme, chap. 25. 

2. Ibid., chap. 26. 

3. /6id., chap. 27, 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 261 

A louïe de ce merveilleux récit des fils de Si- 
méon, les Juifs, vivement impressionnés, rentrèrent 
en eux-mêmes. Les prêtres ayant, en présence 
de Pilate, consulté la grande collection des livres 
qui étaient gardés dans le temple, il fut reconnu, 
par la supputation des temps S que Jésus, qui était 
apparu au moment prédit par les prophètes, était 
bien le Christ, le Fils de Dieu, le vrai Dieu tout- 
puissant, et l'on confessa qu'on ne Tavait crucifié 
que par ignorance ^. 



II 



Les légendes rapportées dans les . Évangiles 
apocryphes orthodoxes ne sont pas écloses de 
rimagination des auteurs des livres qui les rap- 
portent. Bien avant d'être mises par écrit, elles 
circulaient parmi les chrétiens, qui n'en mettaient 
nullement en doute la vérité historique. 

Gomment se sont-elles formées? dans quel but? 
dans quel milieu? Quelle est leur valeur réelle? 

4 . Il n'est pas nécessaire de faire remarquer que cette sup- 
putation des temps n'est conforme à aucune chronologie con- 
nue. 

2. Évang. de Nicodéme^ cbap. 39. 



292 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Quelle influence ont-elles exercée? C'est ce q.u'il 
convient d'examiner, avant de considérer de plus 
près les livres dans lesquels elles ont été re* 
cueillies. 

§1. 

Les Évangiles apocryphes orthodoxes, dont 
on vient de lire l'analyse sommaire, se distinguent 
des autres Évangiles apocryphes par ce carac- 
tère qiji leur est commun, que, tandis que ceux-ci 
s'étendent, comme les Évangiles canoniques, sur 
l'ensemble de la vie de Jésus, ceux-là n'en embras- 
sent chacun qu'un moment particulier. Les uns, et 
ce sont les plus nombreux, sont des recueils de lé- 
gendes relatives à la sainte Famille et à l'enfance 
de Jésus; d'autres, en plus petit nombre, se rap- 
portent à l'histoire de la Passion ; un autre enfin, 
présente le tableau de la descente du Sauveur aux 
enfers, 

, Or, sur ces trois moments delà vie du Seigneur, 
nos Évangiles canoniques sont bien loin de donner 
tous les détails qu'une curiosité bien légitime et 
presque invincible désirerait connaître. 

De la famille de Jésus ils ne nous apprennent pas 
autre chose que le nom de sa mère et celui de 
l'homme auquel elle était unie^ et de sa vie jusqu'à 
l'âge où il commença son œuvre, que queltjues cir- 



ËVANGILES APOGEYPUES ORTHODOXES i»^ 

constanees relatives à sa naissance et à ce ^ la 
suivit inxmédiatement ; Luc seul rapporte un événe- 
ment de son enfstnce ^ — Le récit de la Passion 
y occupe, il est vrai, une place relativement consi- 
dérable; mais que de faits laissés dans un demi- 
jour; que ^ détails qu on désirerait plœ étendus; 
que d'incidents on peut supposer y manquer! — 
La descente aux enfers y est entièrement passée 
sous silence ; un seul des autres écrits du Nouveau 
Testament en dit quelques mots pleins d'obscurité '. 
Et cependant qui n'éprouverait une vive satis- 
faction à connaître de près la famille de laquelle 
Jésus descendait ? à savoir comment furent remplies 
les années qui s'écoulèrent depuis sa naisi^nee jus- 
qu'au moment où il apparut comme un prophète en 
Israâ? à assister à toutes les péripéties du grand 
drame qui termina sa vie ? à suivre dans le reste du 
cours de leur existence les divers personnages, 
même les plus secondaires, qui y jouèrent un rôle? 
à être témoin de l'effet que produisit ^ mort, et 
pim encore sa résurrectitm, non pas tant sur ses 
disciples, ce que nous savons en partie, que sur 
Pilate qui avait été si facile à le condamner, et sur- 
tout sur les Juifs de Jérusalem qui Favaient pour- 
suivi avec tant d'acbamement? Ce sentiment ne 
pouvait être étranger aux premiers chrétiens. Ils 

2. 1 Pierre, m, 19 et 20. 



aei ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

durent trouver la tradition chrétienne bien réservée * ; 
et sous cette impression, par un entraînement facile 
à comprendre, ils la continuèrent et la complé- 
tèrent. 

Ce fut sur ce qu'on pourrait appeler les lacunes 
de l'histoire évangélique que Timagination des pre- 
miers chrétiens s'exerça. En même temps^ les faits 
indiqués seulement par les évangélistes fournirent 
des cadres vides que l'on se plut à remplir. C'est 
un fait qu'il importe de ne pas perdre de vue, la 
légende orthodoxe, je ne parle pas ici de celle qui 
se développa dans les Églises, dissidentes et qui 
suiyt d'autres procédés, la légende orthodoxe, c'est- 
à-dire celle qui se forma parmi la masse compacte 
des chrétiens qui constituaient l'Église proprement 
dite, ne refit pas la vie de Jésus-Christ el ne toucha 
pas à son enseignement. Elle ne poussa que dans 
les interstices de la tradition évangélique telle 
qu'elle est déposée dans les documents sacrés. Par- 
tout où elle put se rattacher par quelques points à 

1. Telle est bien la pensée qui se montre au fond de ces pa« 
rôles de Tauteur des Quœstiones et responsiones ad ortftodoxos, 
quœst, 446 ; « Comme il y a beaucoup de faits et de paroles du 
Seigneur qui n'ont pas été conservés dans les saintes Écritures, 
il est raisonnable de rechercher comment Jésus s'était procuré 
les vêtements qu'il porte après sa résurrection, comme aussi 
d'expliquer toutes les autres choses qui ne sont pas relatées dans 
THistoire sainte, » Justini Màrtyris opéra, p. 469, B, 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 265 

ces documents, elle eut grand soin de le faire, quoi- 
que, il est à peine besoin de le dire, avec une absence 
complète de sens historique. 

Nicodème figure dans le quatrième Évangile 
comme un pharisien qui n'est pas hostile au Seigneur; 
on exagéra ce fait, et' on fit de ce personnage un 
avocat de Jésus auprès de Pilate. Celui-ci ne parait 
pas 'avoir eu des préventions malveillantes contre 
le Seigneur; on le représenta comme ne cédant qu'à 
regret, et après une longue résistance, devant une 
révolte imminente. Des deux brigands crucifiés en 
même temps que Jésus, l'un manifeste des senti- 
ments de justice naturelle et l'autre persiste dans 
son endurcissement ; on imagina une histoire de 
ces deux hommes pour expliquer la difierence de 
leurs sentiments pour le Sauveur *. 

Un champ plus libre et plus vaste s'ouvrait pour 
tout ce qui concerne la Famille et l'enfance de 
Jésus-Christ. L'imagination des premiers chrétiens 
pouvait ici se donner les plus grandes libertés. 
Aussi est-ce sur ce sujet que la légende a poussé 
ses plus vigoureux rameaux. 

Qu'était-il advenu à la sainte Famille pendant 
cette fuite en Egypte que saint Matthieu se borne à 
annoncer? Dieu l'avait sans doute entourée de sa 
protection. Que de prodiges avaient été nécessaires, 

1. Comparez encore Évangile arabe, chap. 5, et Luc, vu, 36 
et suiv. 



28ft ÉTUDfRS SUR LE^ ÉVMGIUES 

sans dottte^ pour faire surmonter aux faibles fugitife^ 
un vieillard, une jeune femme et un tout petit enfant,, 
les difficultés de tous genres, les inévitables périls 
qui les attendaient sur une terre étrangère ! La piété 
naïve des- fidèles les suivait, non sans anxiété, à 
travers le désert, au milieu des idolâtres deFÉgypte; 
elle se plaisait à se représenter les miracles par 
lesquels Dieu les avait sauvés de la faim, de la 
soif, de la dent des bêtes féroces, des attaques des 
brigands, de la superstition, mère de la cruauté. 
On se racontait ce qui avait dû arriver dans ce 
pénible voyage; on finit par croire que ces récits, 
inventés par l'intérêt qu'inspirait la samte Famille, 
avaient un caractère réellement historique. 

Et Tenfance du Seigneur, comment s'était-elle 
passée? Il était impossible qu'elle eôt été semblable 
àcelle du commun des humains. A en juger d'ailleurs 
par les quelques mots qu'en disait saint Luc, Jésus, 
dans ses premiers ans, avait été aussi extraordinaire 
que dans son âge mûr. Que de prodiges ne dut*il 
pas alors accomplir? Quelles connaissances sur- 
humaines ne dut-il pas posséder ? On donna ici, Eest 
vraiy dans le travers j on lui supposa une science 
tenant plus des puériles erreurs de la magie que des 
conceptions de la saine raison, et les miracles qu'on 
lui attribua étaient plus propres à manifester sa 
puissance que la charité infinie qui distingua ses 
enseignements. Mais cette science était celle des 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES Î6? 

temps et des lieux où les légendes de Fenfance du 
Seigneur prirent naissance, et la force paraissait un 
signe plus manifeste de la divinité que la douceur 
et la bienveillance. Une fois qu'on se fut imaginé 
que l'enfant Jésus avait possédé ces connaissances 
et opéré ces miraGles, on fut conduit par une transi- 
tion inévitable à croire que ce qui avait dû être, 
avait réellement été. 

Quelle piété n'avait pas dû marquer la jeunesse 
de la Vierge choisie par Dieu pour donner le jour 
au Sauveur du monde? De quelles faveurs divines 
n'avâit-elle pas dû être entourée dès ses premiers 
ans? De quelles bénédictions n'avaient pas dû égale- 
ment être comblés ceux de qui elle tenait la vie? 
Cette Famille, élevée au-dessus de toutes les autres, 
avait sans le moindre doute joui de faveurs excep- 
tionnelles. Il ne pouvait en être autrement j on 
aimait à en tracer le tableau, et ce tableau, idéal 
d'abord, finit par être tenu pour une réalité. 

Qu'était devenue Marie après que son divin fils 
fut enlevé au ciel? Le quatrième Évangile racontait 
que Jésus, en mourant, l'avait mise sous la protec- 
tion de son disciple bien-aimé. Mais il n'y avait 
pas un seul mot, dans les saintes Écritures, sur ses 
derniers moments. Il n'était pas possible que la mère 
du Sauveur eût subi le sort commun de la race hu- 
maine, que le corps qui avait enfanté le Christ eût 
senti la pourriture. Elle avait pu mourir, sans doute^ 



268 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

mais certainement son divin fils n'avait pas permis 
qu elle restât dans le sépulcre. Il ne pouvait en être 
autrement ; TAssomption de Marie était une néces- 
sité pour le sentiment des chrétiens ; elle fut [bien- 
tôt une incontestable vérité. 

Et Joseph, quel intérêt ne devait-il pas inspi- 
rer? Ce chaste époux de la sainte Vierge avait été 
inévitablement un homme hors ligne. Les écri- 
vains sacrés ne nous apprennent presque rien de 
sa vie. Pourquoi les évangélistes ne font-ils plus 
mention de lui, quand ils parlent de la mère, des 
frères et des sœurs du Seigneur * ? Sans doute 
alors il avait cessé de vivre. Que ses derniers mo- 
ments avaient dû être édifiants? La sainte Vierge 
et le Sauveur l'assistèrent à cette heure suprême; 
les anges vinrent certainement recueillir son der- 
nier soupir, et Satan fit de vains eflforts pour trou- 
bler la fin de ce juste et se rendre maître de son 
âme. 

Tel fut le sentiment qui donna naissance à ces 
légendes. Dans une pieuse et naïve vénération pour 
les divers personnages de l'histoire évangélique , 
on se figura d'abord ce qui avait dû être, on finit 
par se persuader qu'il en avait été ainsi qu'on se 
l'était figuré. 



1. Matthieu, xu, 47; xni, 33; ilfarc, m, 32; Luc, vni, 20; 
J^aw, XIX, 33-27. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 269 

Il faut maintenant remarquer que, dans la mise 
en œuvre de cette donnée première et générale, je 
veux dire dans la formation des traits de détail 
de la légende, on a mis souvent à contribution les 
documents sacrés. C'est ainsi que l'histoire de Joa- 
chim et d'Anne, parents de la Vierge Marie, est 
calquée d'assez près sur ce que le troisième de nos 
Évangiles canoniques raconte d'Elisabeth et de Za- 
charie * et en partie aussi sur ce qui est rapporté, 
dans r Ancien-Testament, d'Elkana et d'Anne, le 
père et la mère de Samuel ^. C'est ainsi encore que 
dans ce qu'on raconte dans l'Évangile arabe , des 
guérisons opérées parles langes dans lesquels l'en- 
fant Jésvis avait été enveloppé ^, on a imité le récit 
de la guérison de la femme qui toucha le bord du 
manteau du Seigneur ^. 

On a aussi plus d'une fois tenu compte des tra- 
ditions répandues parmi les Juifs. La légende de 
la descente du Seigneur aux enfers entre autres 
contient une foule de traits imités des légendes 
juives. Ce qu'on y dit des instructions que Seth 
avait reçues de l'archange Michel, est emprunté, à 
ce qu'il parait, à un livre apocryphe attribué à 
Esdras ^. C'était également une opinion générale 

^ . Luc, I, 5-25, 57-84 . 
2 • 4 Samuel, i, 4-41. 

3. Évangile arabe, chap. 30, 33, 34. 

4. Matth., IX, 20-22. 

5. Dictionnaire des apocryphes, 1. 1, col. 387-389. 



t!0 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

parmi les Juifs, qu'Adam ressusciterait le premier 
d'entre les morts. Citons encore l'explication que 
l'enfant Jésus donne à Zachée , dans l'Évangile 
de Thomas, des mystères contenus dans les let- 
tres de l'alphabet *. La cabale, dont au moins les 
premiers éléments remontent très-vraisemblable- 
ment aux premiers siècles de l'ère chrétienne, atta- 
chait une grande importance à des explications de 
ce genre et trouvait dans les lettres de l'alphabet 
une foule de sublimes mystères; on en a la preuve 
dans les chapitres 2-5 du Sepher Jetzira. 

Un certain nombre des légendes des Évangiles 
apocryphes orthodoxes se sont formées sous l'in» 
fluence de doctrines ecclésiastiques. Si l'on a fait 
de Joseph un vieillard de quatre-vingt-dix ans, au 
moment où il reçut Marie dans sa maison, si Ton 
raconte qu'il ne fut pas son époux, mais son tuteur, 
et comme un second père à la garde duquel les 
prêtres la confièrent, si on lui a donné une pre- 
mière femme de laquelle il avait eu des fils et des 
filles, c'est uniquement par suite de la croyance de 
plus en plus dominante que la mère de Jésus était 
restée vierge après avoir mis le Seigneur au monde, 
comme elle l'était auparavant. Les Évangiles par- 
lent des frères et des sœurs de Jésus; on répondit 

1. Évangile de Thomas^ chap. 6; Évangile arahe^ cbap. 48. 
Irénée, adv, hœres» lib. I, cap. 210. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES «71 

à l'objection qu'on pouvait tirer de là contre la 
constante virginité de Marie, en faisant naître ces 
frères et ces sœurs d'un premier mariage de 
Josepli. 

L'histoire de l'ascension d'Hénoch et d'Élie, en- 
levés au ciel sans avoir passé parla mort, était en 
opposition avec la doctrine du péché originel. La 
mort esl la conséquence du péché d'Adam ; tous 
les hommes doivent mourir, parce que tous ont 
péché en Adam, c'est l'apôtre saint Paul qui le 
dit *, et voilà cependant deux des descendants 
d'Adam qui ne sont pas morts. Oh para à cette dif- 
ficulté par la légende qu'à la fin des jours Hénoch 
et Élie reviendraient sur la terre et subiraient le 
sort commun de toute la race humaine *. Celte lé- 
gende paraît avoir été regardée comme fort impor- 
tante; elle est du moins reproduite dans deux 
Évangiles qui sont entièrement indépendants Tun 
de l'autre, savoir, dans l'histoire du charpentier 
Joseph (ch. 31) et dans l'Évangile de Nicodème 
(ch. 25). 



4. 4 Corinth.yXV, 22, 

5. Celte légende n'existait pas encore ati n« siècle. Dans 
les Quœstiones et re^pomiones ad orthodoxos^ quœst. 32, il n'est 
nullement question de la mort future d'Hénoch et d'Élie; ils y 
sont, au contraire, déclarés Immortels, parce qu'ils n'ont pas 
desobéi à Dieu, k mort n'étant le résultat que de la déso- 
béissance aux prescriptions divines. Justini Jlfartyris ofera^ 
p. 411, A. . 



172 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Certains détails de ces légendes ont été inspi- 
rés par le désir de mettre la tradition évangélique 
en parfait accord avec des croyances universelle- 
ment admises par les chrétiens. J'en citerai un 
exemple. 

Jésus, en sa qualité de Messie, devait descendre 
de David. Il est désigné en effet plusieurs fois dans 
les Évangiles canoniques comme le fils du roi-pro- 
phète *. Saint Matthieu et saint Luc avaient-ils cru 
établir cette filiation en rapportant la généalogie 
de Joseph ? Probablement, car autrement on ne 
s'expliquerait pas du tout la présence d'une pièce 
de ce genre dans leurs écrits. On s'aperçut plus 
tard qu'elle ne prouvait rien quant à la descen- 
dance du Seigneur, puisque aucun lien de pa- 
renté ne le rattachait à Joseph. Si Jésus descend 
de David , ce dont aucun chrétien ne doutait^ ce 
ne pouvait être que par sa mère »• Mais il n'y a 
pas, dans les Évangiles canoniques, un seul mot 
sur la tribu à laquelle appartenait Marie. Il fallut 
suppléer à ce silence. On n'y songea que fort tard. 
Saint Augustin fut-il le premier à comprendre que, 
pour affirmer l'origine royale de Jésus, il fallait se 
rattacher à la filiation maternelle? ou était-il seu- 
lement l'écho d'une opinion déjà répandue de son 

4 . Matth., IX, 27; xv, 22; xx, 30, 31; Marc, x, 47, 48; Luc, 
xvm, 38, 39; J«an, vu, 42. 
2. Strauss, Nouvelle vie de Jésus, t. Il, p. 42. j 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES ÎTS 

temps? Je ne sais, mais il est certain qu'il protesta 
avec force contre le manichéen Faustus qui, sur la 
foi d'un Évangile apocryphe, assurait que Joachim, 
le père de Marie, appartenait à la tribu de Lévi *. 
Cet ouvrage, niétantpas canonique, ne pouvait pas, 
disait saint Augustin, le contraindre, et il était dis- 
posé à admettre les hypothèses les plus aventurées 
sur Joachim ou ses ascendants plutôt que de re- 
noncer à croire que le sang royal eût coulé dans ses 
veines '. Il fallait à tout prix que la sainte Vierge 
fût de la tribu de Juda et de la famille de 
David. Au vi« siècle, la légende a suppléé au si- 
lence des Évangiles canoniques, et l'Évangile apo- 
cryphe de la Nativité de Marie commence par ces 
paroles : « La bienheureuse et glorieuse Marie 
toujours vierge , de la race royale et de la 
famille de David, etc. » 

4 . On ne sait quel est cet Évangile. 

2. Ac per hoc illud quod de generatione Mariœ Faustus po- 
suit quod patrem habuerit ex tribu Levi, sacerdotem quemdam 
nomine Joachim, quia caoonicum non est, non me constringit; 
sed etiam si hoc crederem, ipsum potius Joachim dicerem ali- 
quomodo ad David sanguinem pertinuisse, et aliquomodo ex 
tribu Juda in tribum Levi fuisse adoptatum, vel ipsum vel ejus 
atiquem progenitorem^ vel certe in tribu Levi ita natum, ut de 
stirpe David consanguinitatem aliquam duceret. Augustin, 
Opéra, t. VIIl, col. 656; Contra Faustum, lib. XXIil, cap. 9. 



18 



274 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 



§2. 

Des souvenirs historiques, conservés par la tra- 
dition, n'ont-ils pas eu quelque part à la formation 
de ces légendes? On l'a prétendu; mais je ne sau- 
rais le croire. Le père et la mère de Marie ne sont 
désignés dans aucun document par d'autres noms 
que par ceux de Joachim et d'Anne . * Est-ce là un 
indice, comme on l'a soutenu, que ces noms^ 
transmis par une tradition constante, avaient bien 
réellement appartenu aux personnages auxquels on 
les donne ? En aucune manière. Si la perma- 
nence d'une tradition suffisait pour en garantir 
la vérité historique, on ne devrait pas s'ar- 
rêter aux noms de Joachim et d'Anne ; il faudrait 
également tenir pour des faits réels que le soldat 
qui perça Jésus de sa lance s'appelait Longin, et la 
femme guérie d'une perte de sang, Véronique; que 
Joseph était presque centenaire quand il fut uni à 
Marie ; que les mages qui vinrent de l'Orient adorer 
l'enfant Jésus, étaient au nombre de trois, ni plus 
ni moins, etc. Si ces deux derniers traits sont des 
fictions manifestes^ des fictions dont l'origine n'est 

i. Le père de Marie est désigné chez les Arabes sous le nom 
d'Âmran, Le Coran, trad. par Savary, 1. 1, p. 53; mais ce nom 
ne se retrouve dans aucune tradition d'origine chrétienne. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES «76 

pas douteuse et s'explique sisément*, le caractère de 
permanence d'une légende ou de quelque détail 
d'une légende ne peut être une présomption de sa 
valeur historique. Le nom d'Anne pourrait bien 
avoir été emprunté à la prophêtesse qui reçut l'en- 
fant Jésus dans ses bras ' et plus probablement 
encore à la mère de Samuel ^, dont l'histoire a servi, 
en plusieurs points, de modèle à celle de la mère 
de la vierge Marie, et celui de Joachim attribué à 
son père par suite de quelque circonstance acci- 
dentelle, dont le souvenir ne s'est pas conservé. 
Peut-être aussi pourrait-on, en tenant compte du 
sens étjrmologique de ces noms, supposer, avec 
BoUandus, qu'ils -ont été donnés aux parents de 



4 . Joseph a été présenté comme un vieillard^ d'un côté, pour 
établir (pi'il avait déjà de nombreux eofants , et , d'un autre 
côté, pour rendre encore plus certain qu'il avait été étranger 
à la naissance de Jésus. Quant aux mages, ce sont vraisem- 
blablement, d'après Le Nain de Tiilemont, les trois présents 
offerts par eux à l'enfant Jésus, qui ont donné lieu de dire 
qu'ils étaient au nombre de trois. Mémoires pour servir à l^his" 
toire ecdésiastùiue, t. I, p. 455. 41 est plus probable encore 
que le sens mystique que Ton attachait au nombre trois est 
entré pour quelque part dans cette détermination du nombre 
des mages. EnQn, on voulut aussi voir en eux des représentants 
des trois grandes nations de l'Orient. C'est bien évidemment 
dans cette intention que l'un d'eux est présenté d'ordinaire 
soud les traits d'un nègre; il venait au nom des Éthiopiens 
reconnaître la divinité du Sauveur, comme les deux autres au 
nom des Arabes et des Perses. 

2. Luc, u, 36. 

3. i Samuel, i, 10, 41, 49 etsuiv.; u, 4, 44. 



276 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Marie pour marquer qu'ils sont les antécédents 
directs et, en un certain sens, les préparateurs de 
l'économiede la grâce. Anne signifie, en eflTet, la 
grâce, et Joachim *, Dieu a dressé, a préparé 2. 

La légende a dû nécessairement donner des 
noms aux personnages qu'elle mettait en scène. Et 
si les noms d'Anne et de Joachim sont toujours attri- 
bués aux parents de la Vierge, c'est que la fable 
de la sainte famille se répandit de bonne heure 
parmi les chrétiens et ne varia plus que dans quel- 
ques détails insignifiants. Il n'est pas une seule 
donnée historique qui permette de supposer que ces 
noms n'aient pas été imaginés en même temps que 
le fond même de la légende, ifout nous oblige à 
croire que le souvenir des ascendants de Jésus 
n'existait déjà plus à la fin du premier siècle. 
C'était' de la personne et de l'enseignement du Sau- 
veur, de l'œuvre qu'il avait accomplie, que les 
apôtres avaient à répandre la connaissance. L'his- 
toire de sa famille était entièrement en dehors de 
ce cadre, n'y avait rien à faire, et avec d'autant 
plus de raison que les cÊrétien^ ne tardèrent pas à 
regarder Jésus, non comme le fils d'un homme, 
mais comme le fils de Dieu et que dès lors les liens 

4. En hébreu a">pn^ a"»D">T> ou a">piW; dans les LXX, 
'leoaxifji,, Deu8 erexit^ ou encore Deus stat, 

2. Le Nain de Tillemont, Mémoires pour servir à ^histoire 
ecclésiastique, t. I, p. 483. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES t77 

qui Tavaient rattaclié à l'espèce humaine étaient 
chose indifférente, sans la moindre importance. Le 
quatrième Évangile se borne à parler de Tincarna- 
tion du Verbe en termes métaphysiques, et Tauteur 
de Tépître aux Hébreux le compare à Melchisédec, 
qui était sans |)ère et sans mère*. La généalogie 
de Joseph n'a pris place, dans le premier et le troi- 
sième Évangile, que parce qu'il convenait d'établir 
que Jésus descendait de David, le Christ devant, 
suivant les croyances messianiques des Juifs, être 
de la race du roi-prophète. Le nom de Marie, 
quoique cité plus d'une fois dans les récits évangé- 
liques^, resta longtemps dans l'ombre; on parle de 
la naissance miraculeuse du Christ, c'était une 
preuve de sa mission divine; on s'occupe fort peu, 
ou, pour mieux dire, pas du tout de sa mère. Ce 
n'est que quand les pratiques ascétiques se glissent 
dans le christianisme, quand on se met, à l'exemple 
des ascètes de l'Egypte et de l'Asie, à attacher une 
valeur morale à la virginité, que le nom de Marie 
reparaît avec éclat, et depuis ce moment grandit 
sans cesse. 

On chercherait en vain dans les légendes dont se 
composent les Évangiles apocryphes orthodoxesf, en 



4 . Hébreux, viii, 3. 

2. Mais jamais avec le sentiment de vénération profonde qui 
se montre dans les Évangiles apocryphes orthodoxes, et même 
parfois peu révérencieu sèment. Matth,, xii, 46-50; Jean, n, 4. 



rs ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

dehors des quelques passages empruntés aux Évan- 
giles canoniques, le moindre fait réellement histori- 
que. Les mœurs, les idées, les sentiments des chrétiens 
deTâgeapostoliquey font complètement défaut. Ces 
écrits sont une preuve aussi triste qu'incontestable 
de la rapidité avec laquelle le christianisme primi- 
tif dégénéra et tomba dans la vulgarité et la super- 
stition. Toutes les légendes relatives à la famille de 
Jésus en relèvent la position sociale ; Joachim est 
un homme très- riche; Anne, sa femme, a une 
suivante, une sorte de dame de compagnie; Joseph 
est tantôt un prêtre, exerçant accessoirement, et 
paur sa seule satisfaction, Tétat de charpentier, 
tantôt Tentrepreneur en chef des travaux d'entre- 
tien du temple. Cette vanité puérile n'était pas 
dans l'esprit juif. Les rabbins les plus illustres 
avaient exercé des métiers manuels, sans que leur 
dignité s'en trouvât blessée *. Ce sentiment n'avait 
pas été moins étranger aux chrétiens de l'âge 
apostolique', Dans le principe, le christianisme 
avait été la religion des faibles, des pauvres ; il s'en 

4 . Hillel avait, pendant quarante ans, vécu du travail de ses 
mains. C'était d'ailleurs une coutume sanctionnée par la religion 
en Israël, d'enseigner un état aux enfants^ quelle que fût leur 
position de fortune. Quicunque filium suum, dit le Talmud, 
non docetaliquod opificium est ac si doceret eunTlatrocinium. 
Tosaph, in Kiddusch 1. Winer^ Bihlisch, Redworterbuch^ article 
Handwerke, 

5. Gomme Hillel, saint Paul avait vécu de son travail. Son 
métier était de faire des tentes. Actes^ zvin, 3. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 279 

faisait gloire. On n'aurait pas pensé alors à vanter 
la richesse et la position relevée de la famille du 
Seigneur. 

Une piété puérile, mesquine, déjà semblable à 
celle qui fleurira plus tard dans la vie cénobitique 
et monacale, tient une grande place dans presque 
toutes les légendes des Évangiles apocryphes ortho- 
doxes, principalement dans celles qui sont relatives 
à la sainte Famille. Joseph et Marie, et avant eux 
Joachim et Anne, sont des gens confits en dévotion. 
On leur prête des habitudes dévotes, étrangères 
aux mœurs juives et fort différentes de la mâle 
piété des premiers chrétiens. 

Pilate n'est plus ici le chevalier romain scep- 
tique et incrédule, qui se rit de la simplicité de 
ceux qui croient à la vérité. Il tient fort à s'instruire 
et ne demande pas mieux que de se convaincre de 
la divinité de Jésus. Il connaît à fond l'histoire des 
enfants d'Israël, et, du haut de son tribunal, il 
adresse aux ennemis du Christ des reproches 
dignes d'être mis dans la bouche d'un prophète*. 
Dans sa relation à Tibère de la condamnation du 
Seigneur, il parle en chrétien et confesse que les 
miracles de, Jésus sont bien autrement grands que 
ceux des divinftés païennes. 

Il n'est pas une seule de ces légendes qui se soit 

1 . Évangile de Nkodème, ix ; plusieurs des passages de celte 
allocution sont tirés de rËcriture sainte. 



fSO ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

formée tout d'une pièce. Sur un premier fond se 
sont déposées des couches successives. Chacune 
d'elles a crû avec le temps, jusqu'à ce qu'elle ait 
atteint son dernier degré de développement. 
Crescit eundoj c'est la loi générale de la forma- 
tion de la tradition. 11 importe même de remarquer 
qu'elles n avaient pas toutes, au moment où elles 
furent recueillies dans les Évangiles apocryphes 
orthodoxes, reçu leur forme définitive. Il en est 
plusieurs qui continuèrent plus tard de s'étendre et 
de grandir, comme aussi il en naquit de nouvelles 
qui sont par cela même étrangères à ces Évangiles 

Il convient de donner une idée du mode de foi- 
mation de ces légendes. Ne pouvant les examiner 
toutes,, j'en prendrai deux pour exemples : celle 
qui est relative à saint Joseph et celle de la des- 
cente de Jésus-Christ aux enfers. La première 
avait atteint tout son développement, quand elle 
fut recueillie dans l'histoire du charpentier Joseph; 
la seconde n'est, dans la seconde partie de l'Évan- 
gile de Nicodème, que sous ce qu'on peut appeler 
sa forme moyenne, elle ne se compléta que plus tard. 

Les Évangiles canoniques ne nous apprennent 
pas autre chose de Joseph sinon qu'il appartenait 
à la famille de David, et qu'il était un artisan * . Il n'y 
a pas un seul mot qui puisse faire supposer une 

4. Voyez dans l'appendice no 5. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 281 

différence d'âge considérable entre lui et Marie. 
C'est par ce dernier point que la légende commença. 
Il est aisé d'en comprendre la raison. Il fallait 
mettre hors de tout doute la virginité constante de 
Marie; c'était y réussir en grande partie que de pré- 
senter Joseph comme un vieillard de plus de quatre- 
vingt-dix ans. 11 n'était plus dès lors que l'époux 
nominal de la sainte Vierge, ou, pour mieux dire, 
il était son tuteur plutôt que son époux. Tous les 
Evangiles apocryphes orthodoxes sont unanimes sur 
son grand âge. Cet accord est une preuve que ce fut 
là le point de départ de la légende qui le concerne. 
Une seconde couche ne tarda pas à se déposer 
sur ce premier fait. Dans le Protévangile, les prê- 
tres convoquent tous les Israélites veufs, pour 
choisir Tépoux auquel la sainte Vierge sera unie ^ 
Pourquoi donc les veufs? C'est qu'on avait be- 
soin d'expliquer que ceux qui, dans les Évan- 
giles canoniques, sont appelés les frères de Jésus ' 
n'étaient pas en réalité ses frères. Comment au- 
raient-ils pu l'être, Marie étant toujours restée 
vierge? On n'avait pas encore imaginé de préten- 
dre qu'ils étaiont les cousins du Seigneur. Cette der- 
nière explication, qui ne date que de Jérôme ^, au- 

1. Protévangile, chap. 8. Dans VÉvang. du Pseudo-Matth,^ 
chap. 8, Joseph déclare qu'il est vieux et qu'il a déjà des en- 
fants. 

2. Matth,, XII, 47; xiii, 55; Marc, m, 32; Luc, viii, 20. 
X3. Jérôme, EpUt. ad Helvidiam, S 7 et 8, Augustin, Adv, 



S8S ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

rait rendu inutUe la légende du grand âge et du 
premier mariage de Joseph. Que sont donc ces 
frères de Jésus ? tout simplement des enfants issus 
de ce premier mariage de Tépoux de la sainte 
Vierge. Il fallait en conséquence qu'il fftt veuf, 
puisqu'il devait avoir des enfants quand il épousa 
Marie. 

Toute cette histoire est encore vague. Elle se pré- 
cisa peu à peu ; on y mit des dates, des noms pro- 
pres, en un mot, tout ce qui constitue la réalité 
vivante. Ces détails étaient arrêtés quand fut écrite 
rhistoire du charpentier Joseph. On y raconte en 
effet que ce saint personnage avait contracté son 
premier mariage à l'âge de quarante ans, qu'il avait 
vécu quarante-neuf ans avec sa première femme, 
qu'il était âgé de quatre-vingt-neuf ans, quand Ma- 
rie lui fut confiée, qu'il ne devait l'épouser que trois 
ans après, et que c'est avant l'expiration de ces trois 
ans que Jésus naquit, par conséquent avant qu'il 
fftt l'époux de la sainte Vierge. On n'avait d'abord 
parlé que des fils de Joseph ; on se ravisa plus 
tard, 11 est question dans les Évangiles canoniques, 
non pas seulement des frères de Jésus, mais aussi 
de ses sœurs *. On donna donc aussi des filles à 

Fauiitm, lib. XXII, §. 35. In Joann, Homil. X. Pierre Chry- 
sologue, 8ermoi9, dans Opéra, ëdit. Theoph. Raynaud, Paris, 
4639, p. 45. C'est celte opinion que l'Église a déûnitivement 
adoptée. 
4. Matth.f XIII, 56; Marc, vi, 3. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES S83 

Joseph. Il se trouva alors qu'il avait eu de son pre- 
mier mariage quatre fils, Jude, JusteJS Jacques et 
Simon, et deux filles, Assie et Lydie ', 

La légende n'est pas encore complète; il y 
manque un détail. Il n'est parlé de Joseph dans les 
Evangiles canoniques que dans les premiers chapi- 
ires^. Plus tard, quand Jésus eut entrepris sa 
grande mission de révélateur, il n'est plus fait 
mention que de sa mère, de ses frères et de ses 
sœurs. Et Joseph? sans doute il était mort, puis- 
qu'on n'en parle plus; et cela était dans l'ordre de la 
nature, puisqu'il était tellement âgé, quand il fut 
uni à la sainte Vierge. On pouvait donc raconter 
l'histoire édifiante de ses derniers moments; c'est ce 
qu'on ne manqua pas de faire ; l'histoire du char- 
pentier Joseph en est, comme on l'a vu, le récit. 

La légende de saint Joseph se trouva ainsi com- 
plète. 

La légende de la descente de Jésus-Christ aux 
enfers mit plus de tempsàatteindre sa forme parfaite; 
elle passa par des phases mieux marquées que la pré- 
cédente. Le point de départ en est dans un passage 
fort obscur de la première épltre de saint Pierre. 
Jésus-Christ, y est-il dit, alla prêcher aux esprits 

4 . On trouve Jozes au lieu de Juste dans Matth,^ xiii, 55. 

2. Hist, du charpentier Joseph, chap. S. 

3. MMh., I, 46, 18, 49, 20, 24; ii, 43, 44; Luc. i, 27; ii, 
3, 46, 43; m, 23; jv^22; Jean, i, 45; vi, 42. 



Î84 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

qui sont en prison, lesquels autrefois, du temps de 
Noé, furent désobéissants *. Le sens de ces paroles 
semble déterminé par cette déclaration de l'auteur 
de cette épître, au chapitre suivant : « L'Évangile 
a été prêché à ceux qui sont morts, afin qu'après 
avoir été condamnés selon les hommes dans la 
chair, ils menassent selon Dieu une vie spiri- 
tuelle *. » On peut conclure de là que, dans l'in- 
tervalle qui s'écoula de sa mort à sa résurrection, 
Jésus-Christ annonça l'Évangile du salut à ceux 
qui étaient détenus dans le sombre empire de la 
mort. 

Cette croyance avait déjà pris une forme plus 
précise au milieu du second siècle. Justin Martyr 
la trouve exprimée de la manière suivante dans un 
prétendu passage de Jérémie, qu'il accusait les 
Juifs d'avoir fait disparaître des écrits de ce pro- 
phète : « Le Seigneur Dieu, y était -il dit, s'est 
souvenu de ses morts d'Israël,, qui sont endormis 
dans la terre des tombeaux, et il est descendu vers 
eux pour leur faire connaître la bonne nouvelle du 
salut *. » Ceux auxquels Jésus-Christ se serait 
adressé dans les enfers sont déterminés avec plus 
de précision que dans la première épître de saint 
Pierre ; mais le fond de la croyance est le même. 

1. 1 Pierre, m, 48-20. 

ï. Ibid,, IV, 6. 

3. Juslin Mdrtyr, Dialog, cum Tryph.y § 72. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 285 

Irénée l'entend dans le même sens *, et de son côté 
Tertullien assure que ce n'est pas seulement pour 
satisfaire à la loi générale qui pèse sur Thuma- 
nité que le Christ est descendu aux enfers, mais 
que c'est encore pour s'y faire connaître aux pa- 
triarches et aux prophètes et les mettre en état 
d'avoir part aux bénéfices de son œuvre *. 

Clément d'Alexandrie élargit le cercle, sans 
toutefois le briser. Aux hommes pieux de l'An- 
cienne Alliance auxquels le Sauveur se manifeste, 
il joint les hommes justes d'entre les païens, s'ap- 
puyant sur cette raison que Dieu ne fait pas accep- 
tion de personne, et que le juste ne diflfère pas 
du juste, qu'il soit grec ou "qu'il vive sous la 
Loi 3. 

Quoi qu'on pense de la vérité historique de la 
descente de Jésus-Christ aux enfers, on ne saurait 
méconnaître que l'explication qu'en donnent les 
écrivains ecclésiastiques du second et du troisième 
siècle ne soit une grande et belle conception; et 
l'on ne peut qu'applaudir à ces paroles de Cyrille 
de Jérusalem : « Voudriez- vous faire participer 

4 . Nunc autem tribus diebus conversalus est , ubi erant 
mortui. Irénée, Adv. hœres., lib. V, cap. 31. Et propter hoc 
Dominum in ea quae sunt sub terra, descendisse, evangt-lizan- 
tem ot illis adventum suum, remissione peccatorum existente 
his qui credunt in eutn. Irénée, ibid,, lib. IV, cap. 27. 

2. Tertullien, de Anima, § 7, 55 et 58. 

3. Clément d'Alex., Strom., lib. VI, cap. 6. 



286 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

les vivants aux fruits de la grâce et en priver ceux 
qui ont vécu antérieurement ^ ? » 

Mais au iv^ siècle, cette pensée élevée n'est pins 
comprise. Le sens ecclésiastique s'est développé 
dans la même proportion que le sens philosophique 
s'est amoindri- Encore un peu, et les sages de l'an- 
tiquité seront rejetés avec dédain, avec tous les in- 
crédules, aux peines éternelles. L'œuvre de Jésus- 
Christ aux enfers tourne au concret plus qu'au spi- 
rituel, Qu'a-t-il été faire dans les lieux souterrains? 
Achever la défaite de Satan , anéantir sa puis- 
sance, briser son empire et arracher de ses mains 
les patriarches et les prophètes qu il retenait dans 
ses ténébreuses demeures. Quant au reste des hom- 
mes, on ne s'en occupe plus. 

C'est dans ce sens grossier que la légende de la 
descente de Jésus-Christ «lUX enfers est exposée 
dans les sermons des orateurs chrétiens du rf^siède. 
Elle est devenue un thème de rhétorique. Les 
prédicateurs en parlent fréquemment, les théolo- 
giens très-rarement; Chrysostome, Cyrille de Jéru- 
salem, Eusèbe d'Émèse, Éphrem, d'autres encore, 
représentent en termes énergiques et pompeux, 
Satan vaincu, écrasé sous les pieds du Sauveur, la 
Mort, jusqu'alors reine des épouvantements, frappée 
à son tour de terreur, les portes d'airain de l'enfer 

4. Cyrille de Jérusalem, Opéra, ëdit. Milles, Ozford, 470S, 
p. 53, Cateches.y IV, g 8. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES «7 

arrachées et brisées, et au-dessus de ces ruines du 
royaume souterrain, le Christ victorieux emme- 
nant avec lui, vers les demeures éternelles, tous 
les hommes pieux de l'Ancienne Alliance. 

C'est à ce point de développement que l'auteur 
de la seconde partie de TÉvangile de Nicodème 
recueillit cette légende. Elle ne s'arrêta pas là ce- 
pendant. Il y avait une lacune dans ce tableau. 
Grégoire de Nazianze semble s'en être aperçu le 
premier. Jésus-Christ tira-t-il des enfers tous les 
morts sans exception ou seulement ceux qui avaient 
cru *? Poser cette question, c'était la résoudre. Il 
est évident que les justes seuls avaient pu être déli- 
vrés. Et les autres? Ils restèrent certainement sous 
la puissance de la Mort et de Satan. 

Les demeures souterraines n'avaient donc pas 
été détruites en entier. Une partie en existait en- 
core, celle où étaient les impies, les incrédules, les 
pécheurs endurcis, les grands criminels. L'enfer se 
composait, on ne saurait en douter, de deux dépar- 
tements distincts. Il ne pouvait se faire que les 
hommes pieux de l'Ancienne Alliance, que même 
les pécheurs repentants ou disposés à la repen^ance, 
eussent été confondus dans un môme lieu, avec les 
hommes pervers, incapables de revenir au senti- 
ment du bien, condamnés à des tourments mérités. 

4 . Grégoire de Nazianze, Oratio 42 in Pascha, 



«88 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Le Sauveur avait brisé les portes de la demeure 
souterraine où les premiers avaient été retenus 
jusqu'alors; il avait laissé les seconds dans la téné- 
breuse prison où ils continuent à subir les peines 
dues à leurs crimes. 

C'est sous cette nouvelle forme que la légende de 
la descente de Jésus-Christ aux enfers est mise en 
œuvre dans les Actes de saint André et de saint 
Paul, dont M. •Dulaurier a traduit un fragmerit 
du copte. Saint Paul, qui a pénétré dans les profon- 
deurs de Fabîme, raconte à saint André ce qu'il y 
a vu, et termine son récit en ces termes : « J'ai vu 
» les rues de TAmentès désertes, personne ne les 
» habitait, et les portes que le Seigneur avait bri- 
» sées étaient en morceaux. Tu vois ce fragment de 
» bois qui est dans "ma main et que j'ai rapporté 
» avec moi; il formait le seuil des portes que le 
» Seigneur a détruites. J'aperçus aussi dans une 
» partie de T Amentès un grand espace dont la vue 
» était agréable. En ayant demandé la destination, 
» on me répondit : C'est là qu'habitaient Abra- 
» ham, Isaac, Jacob et tous les prophètes. J'en- 
» tendis ensuite une multitude de coupables criant 
» et gémissant dans un autre endroit ; mais je ne 
» pus les apercevoir. Ayant demandé alors quels 
» étaient ces lieux, on me dit que c'étaient ceux où 
» le Seigneur n'avait pas pénétré lors de sa des- 
» cente ; c'est le séjour des pleurs et des grince- 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 289 

» ments de dents ; c'est là où vont les meurtriers, 
» les empoisonneurs, ceux qui précipitent les en- 
» fants à Peau *• » 

Tel est aussi le sens dans lequel saint Augustin 
entend cette légende. Jésus-Christ descendit aux 
enfers, d'après lui, pour en retirer Adam, les pa- 
triarches, les prophètes et les autres justes qui n'y 
avaient été renfermés que par suite du péché origi- 
nel. Quant aux hommes, auxquels, en outre de ce 
péché originel, on avait à reprocher quelque faute 
capitale. Us avaient été laissés dans les peines du 
Tartare ; le Sauveur avait ainsi en partie détruit 
Tenfer, et en partie il l'avait laissé subsister ^. 

Ajoutons enfin que, bientôt, après cette légende 
fut rattachée à la doctrine du purgatoire, avec la- 
quelle elle n'était pas sans analogie, La partie de 
l'enfer de laquelle le Sauveur avait retiré les 
hommes pieux de l'Ancienne Alliance, devint le 

4 . Fragments traduits du copte par Jf . Dulaurier, p. 28 et 

2. Descendit ad inferna, ut Adam protoplastum, et patriar- 
cbas, et prophetas, omnesque justes, qui pro originali peccato 
ibidem detinebantur, liberaret; et ut de vinculis peccati ab- 
solulos, de eadem captivitate et inferni loco suo sanguine re- 
demptos, ad supremam patriam et ad perpétuée vitae gaudia 
revocaret. Reliqui qui supra originale peccatum principalem 
culpam commiserunt, ut asserit Scriptura, in pœnali tartaro 
remanserunt..... Partim roomordit infernum pro parte eorum 
quos liberavit; partim reliquit^ pro parte eorum qui pro prin- 
cipalibus criminibus in tormentis remanserunt. Augustini opéra, 
i. VI, coU 1740; Sermo de SymhoU), § 7. 

19 



WO ÉTUDES SUR L,ES ÉVANGILES 

séjour temporaire des hommes pieux de la Nou- 
velle, qui allaient s'y purifier jusqu'à ce qu'ils eu 
fussent délivrés à leur tour comme l'avaient été 
. avant eux ceux des Israélites qui avaient été fidè- 
les à la Loi *. 

§3. 

Il faut chercher la patrie des légendes recueil- 
lies dans les Évangiles apocryphes orthodoxes non 
en Occident, mais dans les Églises de l'Orient. 
C'est des Grecs qu'elles passèrent aux Latins, qui 
pendant longtemps ne les connurent qu'imparfaite- 
ment, et tinrent la plupart d'entre elles pour des in- 
ventions des hérétiques. Saint Augustin s'en dé- 
fiait, peut-être parce qu'il voyait les Manichéens en 
faire usage, et à la -même époque, Innocent P' les 
repoussait, en condamnant les écrits apocryphes 
qui les contenaient ^. Quelques-unes, il est vrai, 
étaient admises sans contestation ; mais on en fai- 
sait peu d'usage. On a vu que TertuUien, et après 
lui saint Augustin, n'élèvent pas le moindre doute 
sur celle de la descente de Jésus -Christ aux en- 
fers. Cependant , tandis que les prédicateurs grecs 

i . G. Holger Waage, De œtate articuli quo in symhoîo apos^ 
tolicQ traditur Jesu Christi ad inferos descenaus, commentatio^ 
p. 154. 

â. Epistola ad Exsuperium* 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES Mi 

du' IV® siècle en font fréquemment de brillants ta- 
bleaux dans plusieurs de leurs sermons, les écri- 
vains ecclésiastiques de l'Occident sont, sur ce sujet, 
de la plus grande sobriété. Tertullien n'en fait 
mention dans aucune de ses règles de foi; je 
crois même qu'il n'en parle que dans le passage 
que j'ai rapporté plus haut, et saint Augustin ne 
l'expose que dans un seul de ses sermons De Sym- 
bolo^ ; dans les autres Un'en dit rien, et quoiqu'il ait 
retouché le Symbole des apôtres usité dans les 
Églises d'Afrique, il ne paraît pas avoir eu un seul 
moment l'intention de l'y introduire. Ce fut près 
d'un siècle après lui, qu'on y inscrivit l'article 
Descendit ad inferna, « il est descendu aux en- 
fers, » qui ne se trouvait auparavant que dans 
le Symbole des apôtres de l'Église d'Aquilée. 

Dans l'Orient, au contraire, ces légendes furent 
connues de bonne heure; elles y devinrent très- 
populaires. On en a la preuve dans le grand nom- 
bre d'Évangiles apocryphes grecs , syriaques , 
coptes, dans lesquels elles furent recueillies. On 
peut supposer avec quelque vraisemblance' que 
c'est là où elles se propagèrent d'abord, qu'elles 
avaient pris naissance. 

On a d'autres raisons de le croire. 

\ . Tai cilé plus haut ce qu'il en dit. Ce sermon est le pre- 
mier quMI composa; il est de Tannée même où il fut ordonné 
prêtre. 



m ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Les mœurs et les usages qui sont supposés dans 
. plusieurs des légendes rapportées dans les Évangiles 
apocryphes orthodoxes, principalement dans les 
Évangiles de l'Enfance, appartiennent à TOrient. 
Ce n'est que là que des enfants peuvent jouer sur 
les toits des maisons, qui sont toujours surmontées 
d'une terrasse ' . Ce n'est que dans la Syrie et dans 
l'Arabie qu'un homme riche peut garder lui-même 
ses troupeaux, comme il est raconté de Joachîm ^. 
Ce n'est que parmi les Juifs qu'une grande dou* 
leur se manifeste par les démonstrations auxquelles 
se livre Joseph, en s'apercevant que Marie est en- 
ceinte 3. Ce n'est encore que parmi des descen- 
dants d'Israël qu'a pu se former la légende de Za- 
chée. L'idée d'attribiier une valeur et un sens 
mystique aux lettres de l'alphabet leur appartient 
en propre. NuUe autre part que dans les écoles 
rabbiniques, on n'a cherché des mystères dans les 
ornements des manuscrits et tenu compte des traits 
intérieurs, aigus, écartés, redoublés, dont se com- 
posaient les caractères de l'écriture ou dont la cal- 
ligraphie, si estimée en Orient, les embellis- 
sait *• 
On pourrait môme arriver à un plus grand 



1. Evangile de Thomas, chap. 9. 

2. Protévangile, chap. 4. 

3. Ibid,, chap. 43. 

4. Évangile de ThomaSy chap. 6 et 44. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 293 

degré de précision, et répartir les diflFérents groupes 
de ces légendes entre les diverses Églises de 
rOrient. A certains traits caractéristiques, il me 
semble qu'on peut reconnaître une origine syria- 
que à la plupart de celles qui sont relatives à la 
sainte Famille, tandis que d'autres traits paraissent 
indiquer que celles qui se rapportent à la Passion 
ont pris naissance à Alexandrie ou dans T Asie- 
Mineure. Les légendes qui se rattachent au 
nom de Pilate sont empreintes d'un sentiment hos- 
tile aux Juifs, qui trahit une origine ethnico-chré- 
tienne. Ce n'est guère que parmi des chrétiens sortis 
du sein du paganisme qu'on pouvait dépeindre le 
procurateur romain, un païen, comme plus favora- 
ble à la cause chrétienne que les enfants d'Israël, et 
représenter ceux-ci sous les plus noires couleurs, 
comme on le fait dans les Actes et les diverses Let- 
tres de Pilate. Les Évangiles de l'Enfance, au 
contraire, ne renferment pas la moindre allusion 
blessante pour les descendants d'Israël; on ne 
semble pas même les y tenir pour des ennemis du 
christianisme. 

Quelques détails semblent indiquer pour ces der- 
nières une origine judéochrétienne. On ne saurait 
en douter pour la légende de Zachée. Elle est tout 
à fait probable pour celle de la naissance de Jésus 
dans une caverne. J'ai déjà fait remarquer qu'elle 
est connue de Justin Martyr, et ce Père de l'Église 



294 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

tenait, selon toutes les vraisemblances, ses pre- 
mières notions chrétiennes des chrétiens de la Sa- 
marie ou des contrées voisines. 

Les légendes relatives à la sainte Famille parais- 
sent être parties de la Syrie, pour s'étendre de là 
dans l'Arabie, dans la Parse et dans l'Egypte. 
Elles constituent encore le principal fond des 
croyances chrétiennes des quelques communautés 
qui s'y sont maintenues. Elles y éclipsèrent de 
bonne heure et presque si complètement la tradi- 
tion canonique, que c'est presque uniquement dans 
ces légendes que les musulmans ont puisé ce qu'ils 
racontent de l'histoire primitive du christianisme. 

Enfin on a quelque raison de supposer que la 
plupart des plus anciens Évangiles de l'Enfance 
ont été composés par des chrétiens appartenant à 
des Églises judaïsantes, qu'ils ont même été écrits 
primitivement en syriaque. Le nom de Jacques, au- 
quel est attribué le Protévangile, était en vénéra- 
tion dans ces Églises. L'Évangile arabe a eu 
sans le moindre doute pour premier fond des docu- 
ments syriaques. Diverses circonstances semblent 
indiquer que celui de Thomas était primitivement 
écrit dans cette langue. Le texte grec que nous en 
avons, porte tous les caractères d'une traduction; 
le style embarrassé, confus, incorrect, de plusieurs 
passages, en semble un indice certain *. 

<. Borberg, Bibliothek der neutestamentl. Apocryphen^ t. I, 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 3QB 

Il est plus difficile de se prononcer sur la patrie 
de la légende de la descente de Jésus-Christ aux 
enfers. Sous la forme qu'elle a dans la seconde 
partie de l'Évangile de Nicodème, elle est em- 
preinte d'une couleur judaïsante assez bien mar- 
quée. L'enfer qui y est supposé ne diffère en rien 
du Scheol. C'est bien là les demeures souterraine» 
dans lesquelles les enfants d'Israël plaçaient ceux 
qu'ils perdaient; ce qui est dit dans cet écrit des 
révélations communiquées à Seth par l'archange, 
se rapporte à une tradition juive, peu connue sans 
doute en dehors de la famille de Jacob ; et il en 
était probablement de même de la tradition d'après 
laquelle Adam devait le premier ressusciter d'entre 
les morts. 

Mais en quelque lieu que ces légendes se soient 
formées, un fait me parait certain, elles ont pris 
naissance dans les classes populaires. On peut déjà 
le conjecturer de cette circonstance assurément 
fort remarquable, qu'on n'y trouve à peu près point 
de traces d'enseignement dogmatique. Je n'ignore 
pas qu'on a voulu découvrir dans plusieurs d'entre 
elles des intentions théologiques, mais je ne sau- 

p. 78, note 33. Thilo, Codex apocryphus Novi Testamenti, 
note sur le chap. 43 de Y Évangile de Thomas. Les Actes de 
Thomas, qui ont vraisemblablement pris i\aissance dans le môme 
milieu que l'Évangile du même nom, ont été certainement 
composés en syriaque. Dictionnaire des apocryphes, t. II, col. 
4021, note 1080. 



296 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

rais partager ce sentiment. Quelques-unes ont été, 
il est vrai, alléguées plus tard comme des argu- 
ments polémiques contre certaines hérésies; mais 
elles ne se formèrent pas dans ce but. Qu'au 
IV* siècle on ait trouvé dans la légende de la des- 
cente de Jésus-Christ aux enfers, une réfutation 
de l'opinion d'Apollinaire, que le Logos tient lieu 
d'âme humaine au Seigneur, je le veux bien ; mais 
au moment où elle naquit, on ne prévoyait certes 
pas la future doctrine des deux natures du Christ, 
et l'on ne pouvait songer à forger si longtemps à 
l'avance une arme contre l'apollinarisme *. Il ne 
faut voir dans ces fables pieuses que ce qu'il y a, 
c'est-à-dire des récits naïfs destinés à exalter la 
sainte Famille et surtout le Sauveur. 

On est confirmé dans Topinion qu'elles naquirent 
au sein de la foule, quand on considère la profonde 
ignorance qu'elles supposent dans leurs auteurs. Ce 
n'est pas aux puérilités qui y abondent que je fais 
ici allusion : il est inutile de les signaler; l'analyse 
que j'ai présentée des Évangiles apocryphes ortho- 
doxes les a mises suffisamment en relief. Je veux 
parler ici des incroyables méprises historiques et 
géographiques qu'on y rencontre. Chaque fois 
qu'il y est question d'histoire ou de géographie, 
on est assuré d'y trouver autant d'erreurs que 

4 . On verra plus loin que la seconde partie de TËvangile de 
Nicodème n'a pas de but dogmatique. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 297 

de mots. Il suffira d'en citer quelques exemples. 
Dans les Actes de Pila te, le mont des Oliviers, au 
pied duquel était Béthanie, bourg situé aune demi- 
heure de Jérusalem *, est placé dans la Galilée '• 
Dans le prologue de ce même écrit, Joseph et Gaïphe 
sont présentés comme les deux grands-prêtres des 
Juifs, quand on sait qu'il n'y avait jamais qu'un seul 
grand-prêtre. Au chapitre premier de l'Évangile 
arabe de l'Enfance, Thistorien juif Josèphe est con- 
fondu avec le grand-prêtre Gaïphe, erreur étrange 
dont il est difficile de découvrir l'origine. Dans 
l'Histoire du charpentier Joseph , cet époux de la 
Vierge, tout en étant de la tribu de Juda et de la 
famille de David, est un des prêtres du temple du 
Seigneur ', au mépris de la loi de Moïse et de la 
coutume constante des Juifs, d'après lesquelles ceux 
là seuls pouvaient exercer le sacerdoce qui étaient 
de la tribiTde Lévi. Dans le Livre de la mort et de 
Tassomption de Marie, il est parlé d'un roi d'E- 
gypte qui régnait alors et qui s'appelait Sophrin *. 
On y trouve aussi que le fils du préfet de Jéru- 
salem, après avoir été guéri de douleurs d'entrailles 
par la saintiVierge, se hâta d'aller à cheval, de cette 
ville à Rome, pour y raconter aux chrétiens les 

4 . Jean, xi, 18; Marc, xi, 1; Luc, xix, 29; xxiv, 50. 

2. Évangile de Nicodème, chap. 14. 

3. Hist. du charpentier Joseph, chap. 2, 6 et 7. 

4. Liber de transitu, chap. 3. Dictionnaire des apocryphes, 
t. U, col. 518. 



»8 ËTUDES SUR LES ÉVANGILES 

nombreux miracles opérés par la mère du Christ *. 

Il est évident que des erreurs aussi grossières 
n'ont pu être commises que par des hommes com- 
plètement étrangers à toute culture littéraire. 

Eufin la vulgarité de ces légendes est un indice 
certain du milieu dans lequel elles prirent nais- 
sance. Ce n'est pas la naïveté, comme on l'a sou- 
vent répété, qui en est le caractère dominant, c'est 
bien plutôt une conception commune^ vulgaire, 
parfois grossière. Il y a absence totale de cette 
simplicité touchante et de cette profondeur de sen- 
timents que recouvrent^ sans les cacher, les formes 
rudes et incultes des chants des peuples primitifs. 
Elles ne différent presque en rien des noêls et 
des mystères du moyen-âge, dont elles sont en réa- 
lité les antécédents, et qui d'ailleurs n'en sont d'or- 
dinaire que des imitations. 

On peut donc regarder comme un fait certain que 
les légendes recueillies dans^les Évangiles apocry- 
phes orthodoxes n'ont pas pris naissance dans le 
monde lettré où la doctrine chrétienne se formait et 
se débattait. Elles constituent ce qu'on pourrait ap- 
peler le christianisme d'en bas, de la* foule peu 
capable de comprendre le spiritualisme chrétien et 

1 . Dictionnaire des apocryphes, t. II, col . 522. L'auteqr de 
ce récit s'imaginait sans doute qu'on pouvait aller de Jérusa- 
lem à Rome comme on allait à Damas ou aux frontièrea de l'A- 
rabie. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES Î99 

qui le remplaçait par des fables pieuses. Mais c*est 
là précisément une des raisons qui les recomman- 
dent à notre étude. Ces légendes, expression de la 
manière dont la masse des fidèles entendait le 
christianisme, sont les seuls documents qui nous 
permettent de nous faire une idée de l'état religieux 
•des chrétiens des premiers siècles. Les livres des 
écrivains ecclésiastiques ne nous font connaître que 
le christianisme d'en haut, je veux dire des lettrés 
et des savants. Qu'y avait-il au-dessous de cette 
couche qui naturellement ne descendait pas très- 
bas ? La foi aux prodiges, aux miracles, aux lé- 
gendes, et cette foi ne différait en rien de celle du 
moyen-âge. 



§4. 

C'est surtout à cause de l'influence extraordi- 
naire que ces légendes ont fini par exercer sur les 
croyances et les pratiques de l'Église, qu'il importe 
de les considérer de près. Les écrivains ecclésias- 
tiques antérieurs au iv* siècle n'en ont qu'une 
connaissance très-imparfaite. Quelques-uns d'entre 
eux ont entendu parler de la tradition qui fait 
naître Jésus dans une caverne aux environs de 
Bethléhem. Justin Martyr, Origène et Tertulliei^ 
savent que le Seigneur descendit aux enfers après 



aOO ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

sa mort, mais ces détails n'ont pas à leurs yeux une 
importance telle qu'il faille les introduire dans les 
symboles ecclésiastiques. IjCS choses changèrent 
de face vers le milieu du iv® siècle. 

Le christianisme devenu la religion de l'État, 
l'Église se trouva dans de nouvelles conditions 
d'existence. Il fallut parler publiquement à la. 
foule, l'entretenir dans la foi, répandre l'instruc- 
tion et surtout l'édification, La chaire chrétienne 
fut dressée, et il se forma parmi les chrétiens un 
nouveau genre de littérature, la prédication, qui 
eut pour mission de mettre à la portée des fidèles 
les conceptions métaphysiques des théologiens. On 
ne pouvait le faire qu'en leur parlant le langage 
qu'ils comprenaient et qu'en tenant compte de ce 
qui était leur nourriture religieuse la plus habi- 
tuelle, c'est-à-dire les légendes répandues dans les 
classes ignorantes qui formaient naturellement le 
plus grand nombre. 

Les^ nécessités de la prédication tirèrent sans 
doute toutes les légendes du cercle des classes 
peu éclairées au sein desquelles elles avaient pris 
naissance et étaient restées renfermées jusqu'alors. 
Ce qui peut le faire croire, c'est que plusieurs 
docteurs de l'Église continuèrent à faire peu de 
cas de ce cycle de fables longtemps encore après 
qu'il avait été comme sanctionné par la poésie et 
l'éloquence. Mais si le niveau intellectuel n'avait 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 30i 

pas baissé, si Tétude de la philosophie antique 
n'avait pas été de plus en plus délaissée par les 
directeurs des Églises, si le flot de la superstition, 
n'avait pas monté, le christianisme d'en bas n'au- 
rait pas si facilement envahi, submergé le chris- 
tianisme d'en haut, et les légendes populaires 
remplacé les conceptions plus spiritualistes des 
Clément d'Alexandrie et des Origène. La plupart 
des fictions dont elles ne sont que des développe- 
ments étaient déjà des croyances géE^érales ou 
allaient le devenir. Les docteurs de l'Église appor- 
taient avec eux, du sein de la masse des fidèles, 
d'où en définitive ils sortaient, la croyance à la 
constante virginité de Marie, à la descente de 
Jésus-Christ aux enfers, à l'assomption de la sainte 
Vierge, A mesure que le sentiment chrétien per- 
dait de son spiritualisme primitif, il inclinait da- 
vantage vers les conceptions concrètes dont les 
légendes étaient l'expression. 

Quoi qu'il en soit, au milieu du iv® siècle, du 
moins dans l'Orient, les fables pieuses que nous 
trouvons recueillies dans les Évangiles apocryphes 
orthodoxes sont partout accueillies sans défiance 
et même avec faveur. 

Bien différent d'Irénée, qui repoussait comme 
une invention des hérétiques tout ce qui n'était pas 
constaté par la tradition écrite ou du moins par 
une tradition bien établie, et quoique écrivant. 



aOI ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

comme lui, contre les hérésies, Épiphane ne voit 
aucun inconvénient à admettre que le père de 
Marie s'appelait Joachim S et sa mère Anne^. 
Il ne s'arrête pas à ce détail qui, quelque insigni- 
fiant qu'il fût en lui-même, ouvrait cependant la 
porte à bien d'autres fables. Il n'est pas éloigné 
d'admettre que la sainte Vierge n'est pas morte, 
comme le commun des humains ^, Il sait, comme 
l'enseignait la légende, que Joseph était plus qu'oc- 
togénaire, quand il épousa Marie *, qu'il ne fut son 
mari que nominalement, qu'il avait eu d'abord 
six enfants d'une première femme ^. 

Grégoire de Nysse fait un usage immodéré des 
légendes. On retrouve dans un de ses sermons sur 
la naissance de Jésus-Christ ^ la plupart de celles 
qui ont été recueillies dans les Évangiles de l'En- 
fance. Il y raconte que la sainte Vierge fut élevée 
dès ses jeunes ans dans le temple^. Il y assure 

4. Adv. hœres,^ lxxviii, § 47. 
8, I6t(i., §41. 

3. Ihid,, Li, § 20; Lxxxviii, § 8. 

4. /6td., LXXVIII, §47 et 20. 

5. Ibid., XXVIII, § 7; Li, § 40; Lxxviil, § 8 et 9. Épiphane leur 
donne d'autres noms que V Histoire du charpentier Joseph, chap. 2 ; 
il dit que, d'après FÉcriture, ils s'appelaient Jacques, José, Si- 
méon, Jude, Salomé et Marie. Les frères de Jésus sont bien en 
effet désignés par ces noms dans Marc, \i, 3; mais on ne ren- 
contre nulle part dans le Nou veau-Testa ment les noms de ses sœurs. 

6 . Oratio in diem natalem Domini nostri Jesu Christi, dans 
Gregorii Nyssenis operà\ Paris, 4638, t. I, p. 339 et suiv. 

7. J6td., t. I, p. 346 et 347. 



ÉVANGILKa APOCRYPHïlS ORTHODOXES 309 

dans des termes qui ne diffèrent presque en rien 
de ceux du Protôvangile * et de TÉvangile de la 
Nativité de Marie 2, qu'elle était vierge quand elle 
conçut, vierge quand elle enfanta, vierge encore 
après avoir enfanté ^, Il y parle du bœuf et de 
Tâne qui, placés de chaque côté de la crèche, 
adoraient l'enfant Jésus, et il ne naanque pas de 
faire remarquer, comme le fit aussi plus tard 
l'Évangile du Pseudo-Matthieu *, qu'il y a là l'ac- 
complissement d'une prophétie ^. Dans le môme 
discours, il parle des parents de la sainte Vierge, 
et il ajoute qu'il a appris ce qu'il en dit d'un écrit 
apocryphe ^, qui est certainement celui que nous 
avons sous le titre de Protévangile. 

La légende de la descente de Jésus-Christ aux 
enfers lui est également connue. Il en parle dans un 
autre de ses sermons 7, et avec des détails assez 
analogues à ceux qu'on trouve dans la seconde 
partie de l'Évangile de Nicodème, pour qu'on soit 
autorisé à croire que cette légende était déjà à cette 
époque arrêtée dans ses traits principaux ®. 

4. Protévangile, cbap. 19. 

2. Évang. de la Nativité de Marie, chap. 13. 

3. Grégoire de Nysse, Opéra, t. I, p. 344. 

4. Évang. du P8e^^do•Maith,, chap. 14. 

5. Grégoire de Nysse, Opéra, t. I, p. 

6. 'Hxouca TOivuv à7roxpu<pou tivo; lOTOptaç. Ibid.^ t. I, p. 346, G. 

7. In sancto Pascha et de tridm festo HesurrectUmis Christi 
oratio. 

8. « Les portes de fer de Te^mpirQ de la mort furent alors 



301 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

C'est surtout cette légende que les orateurs et les 
poètes chrétiens du iv^ siècle aiment à citer et à dé- 
velopper. Elle dut cette préférence, on le com- 
prend sans peine, au caractère dramatique qui lui 
est propre et aux traits énergiques et brillants qu'elle 
pouvait fournir à la poésie et à l'éloquence. . 

Grégoire de Nazianze ou l'auteur de la tragédie 
de Jésus souffrant ç{\ji on lui attribue, représente le 
Christ vainqueur de THadès, du Serpent et de la 
Mort, et délivrant tous ceux qui avaient été retenus 
jusqu'alors dans les lieux souterrains *. 

Chrysostome en déroule plus d'une fois le gran- 
diose tableau devant l'assemblée des fidèles ^. 
M. Alf. Maury qui, dans son histoire de l'Évangile 
deNicodème, cite plusieurs passages de ce Père de 
l'Église relatifs à. ce sujet, fait remarquer qu'il en 
parle en des termes qui rappellent souvent ceux de 
l'Évangile apocryphe ^. 

brisées, dit-il; ouveTptêvKrav at ai^nipai toû ôavàtou wOXai. » Gré- 
goire de Nysse, Opéra, t. I, p. 385, D. 
\ , AiQi|/Yi ^à vucpol);, où auXXYi^ÔnioT] vsxpotç, 

Poaïj Te wavTttç œv èXeùÔspo; pwvd; 

NixTiv Te Xowrbv xaT* tvavTicov exetç, 

A^TQV, oçû), ÔàvaTOv to^upw; wavTÔv. 

Christus patiens, dans Gregorii Nazianzeni opéra; Paris, 4644, 
t. II, p. 279, D. 

2. Chrysostomi opéra; Paris, 4738, t. I, p. 564, D; t. II, 
p. 399; t. IV, p. 459, A; t. V, p. 474, B. 

3. Croyances et légendes de Vantiquitéy par Alf. Maury, 2« éd., 
p. 304, 302, 304, 309, etc. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 305 

Cyrille de Jérusalem sait aussi que le Seigneur 
est descendu aux enfers pour racheter les justes * ; 
que la Mort fut frappée d'épouvante en voyant 
arriver dans son empire ce nouveau venu qui n'é- 
tait pas lié de ses chaînes, et qu'elle prit la fuite, 
tandis que les prophètes. Moïse, Abraham, Isaac, 
Jacob, David, Samuel, Isaïe, saint Jean-Baptiste, 
accouraient au-devant du Sauveur 2. 

Citons enfin un passage de saint Êphrem, 
dans lequel cette légende est présentée sous les 
couleurs les plus vives ^ « Cependant, tandis que la 
» Mort était dans la joie de son triomphe, que 
» l'enfer s'enorgueillissait de sa victoire, alors 
» qu'ouvrant ses portes, il engouffrait indistincte- 
» ment dans son sein les hommes de tous les âges 
» et de toutes les générations, et que, comme un 
» tyran crael, il sévissait également contre les 
» bons et les innocents, n'épargnant pas môme les 
» hommes les plus saints, voilà que son audace va 
» jusqu'à mettre la main sur celui qui est la sain- 

1 . KarnXôgv gi; tol XfltTayôovi* iva xaxEÎÔev XuTpwaeTai tcÙ; Jotaî&u;. 
Cyrille de Jérus., Opéra, p. ^^yCateches., iv, § 8. 

2. Ê^EirXa-p 6 Oàvaro; Otcopiâoai; xxivov riva MftTcXOovra i{; ^^mv, 
^Yi9{Apî; Tci; aÙTo6i {av) xarfixo'p^tvcv... l'^u^tv é OoévaTo;,.., ^poocrpr/cv 
cl à-yiot, etc. Cyrille de Jërus., Opéra, p. 497; Cateches,, xiv, 

3. J*en emprunte la traduction à M. Alf. Maury, Croyances 
et légendes de l'antiquité, 2® édit., p. 320 et 324 . Voyez dans ce 
môme ouvrage plusieurs autres passages des Pères^ relatifs à 
cette légende de la descente de Jésus-Christ aux enfers. 

20 



806 ETUDES SUR LES ÉVANGILES 

» teté et l'innocence même, jusqu'à vouloir ré- 

> duire au nombre de ses sujets celui qui est la 
» force et la puissance. Il l'entraîne dans son té- 
» nébreux empire; il l'y dépose. Succès éphémère, 

> car il n'a pu l'y retenir. Ce roi triomphe de son 
» ennemi par son courage, et sort de ce séjour 
» dans tout l'éclat de son triomphe. 11 se saisit de 
» la Mort, la terrasse dans son propre empire pour 
» l'enchaîner ensuite et l'enfermer^ dans un cachot 
» éternel. Il saisit en outre et foule aux pieds ce 
» lâche brigand qui s'en prend sans cesse à notre 
» espèce; il déracine cet Enfer dont l'estomac in- 
» satiable dévore tous les mortels et décompose 
» tous les corps. Les mauvais démons tremblent à 
» sa voix; les antres ténébreux de l'Enfer s'é- 
» branlent ; il culbute et l'armée de la Mort et son 
» chef. En présence de sa défaite, la Mort pou^e 

> des hurlements lamentables qui faisaient reten- 
» tir tout l'Enfer. 

» Aux rugissements du lionceau, les portes du 
» Tartare se sont brisées ; les murs de la cité de 
» délices se sont ébranlés; les forts sont tombés dès 
» que la voix du Christ, du fils du Très-Saint, 
» s'est fait entendre. La Mort a été frappée de 

> terreur ; elle a courbé son front orgueilleux qui 
» osait s'élever à rencontre du Christ, qui la châ- 
» tiée, renversée et foulée à ses pieds. Le Christ a 
» appelé à lui Adam qui croupissait au fond de cet 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 1:07 

» obscur cachot, il l'a déchargé de ses chaînes et 
» rendu à sa gloire première *. * 

Les autres légendes tiennent une moindre place 
que celle de la descente de Jésus-Christ aux en- 
fers, dans les écrits des Pères de l'Église orientale 
du iv^ siècle ; elles ne leur sont pas cependant in- 
connues. Chrysostôme, en parlant de la virginité 
constante de Marie, montre qu'il n'est pas étran- 
ger à celles que nous trouvons réunies dans les 
Évangiles de l'Enfance ^. 

Une fois admises par les écrivains ecclésiasti- 
ques, ces légendes ne pouvaient manquer d'exercer 
une influence marquée sur les croyances et les 
pratiques de l'Église. Elles lui ont donné d'abord 
un grand nombre de saints qui, sans elles, n'au- 
raient certainement pas eu de place dans la véné- 
ration des fidèles, qui môme n'auraient jamais été 
connus. Ce sont les légendes recueillies dans les 
Actes de Pilate, qui seules nous ont appris que la 
femme que le Seigneur guérit d'une perte de 
sang^ s'appelait, Véronique*, la femme de Pilate' 
Procula ^, le soldat qui perça de sa lance lo 

4 . Saint Éphrem, Opéra, t. VI, p. 384 et 382. 

2. Chrysostôme, Opéra, t. lî, p. 341, A; t. VIII, p. 241, B. 

3. Matth., IX, 20 22. 

4. Évang, de Nicodème, chap. 7. Alf. Maury, Croyances et 
légendes de Vantiquité, p. 333 et suiv. 

5. Évangile de Nicodème^ cliap. 2. Les Grecs célèbrent sa fête 
le 23 octobre. 



a08 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

côté de Jésus Longin S et le bon larron Dismas* ; 
et si leurs noms étaient restés inconnus, les légen- 
des postérieures n'auraient certainement pas raconté 
leur conversion, leurs vertus et leurs miracles, et, 
par suite, ils n'auraient pas été inscrits au nombre 
des bienheureux. Ces légendes ont rendu le même 
service au père et à la mère de la sainte Vierge. 
C'est à elles que l'on doit d'avoir un saint Joachim 
et une sainte Anne ^. 

Ce qu'il y a de plus extraordinaire, c'est que, 
partout où elles sont en désaccord avec les Évangi- 
les canoniques, leur version a été préférée à celle 
^des livres saints. 

Saint Matthieu fait naître Jésus à Bethléhem, 
et saint Luc, plus précis, dans l'étable de l'hô- 
tellerie de cette ville; la légende, au contraire, 
dans une caverne des environs. C'est à la légende 
que s'en rapportent Eusèbe *, Théodoret ^j Épi- 



4. Ibid»^ chap. 40. Le Nain de Tillemonf, Mémoires poitr 
servir à V histoire ecclésiastique, 1. 1, p. 477-479. 

2. ÉvangUe de Nicodème, chap. 40. Sa fête se célèbre chez 
les Grecs le 40 mars, et, chez les Latins, le 25 du môme 
mois. 

3. Les Grecs célèbrent la fôte de sainte Anne, la mère de la 
Vierge, le 9 décembre, et les Latins le 26 juillet. Fabricius, 
Codex apocryphus Novi Testamenti, pars 2, p. 402. Celle de 
saint Joachim est célébrée par les Latins le 20 mars'. Le Nain de 
Tillemont, Mémoires, t. I, p. 483 et 484. 

4. Busèbe, Demonst. evangel,, lib. III, cap. 2-. 

5. Théodoret, de Curandis affectionibus Grœcorum, lib. VïIL 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 309 

phane ', Jérôme 2, Chrysostôme ', comme l'avaient 
fait d'ailleurs avant eux, Justin Martyr * et Ori- 
gène ^. Socrate et Sozomène racontent qu'Hélène, 
mère de Constantin, avait fait élever une église 
à côté de cette caverne qui avait vu naître le 
Seigneur ^. 

Les Évangiles canoniques parlent des frères et 
des sœurs de Jésus. La légende les donne pour 
des enfants de Joseph, issus d'un premier mariage. 
Au IV® siècle, cette version est adoptée par les Pères 
de l'Église; elle a été suivie par la plupart des an- 
" ciens écrivains ecclésiastiques. 

Nicodème n'est dans l'Évangile de saint Jean, 
le seul des écrits du Nouveau-Testament dans le- 
quel son nom soit mentionné, qu'un pharisien 
penchant vers le christianisme, mais trop pusilla- 
nime pour braver l'opinion publique en se décla- 
rant ouvertement pour le Seigneur. La légende, 
lui prêtant un courage et une hardiesse qui n'étaient 
certes pas dans son caractère, nous le montre plai- 
dant résolument devant Pilate la cause de Jésus- 

1. Épiphane, Hœres,^ xx, 47, % \. 

2. Jérôme, Epistola xiii etxvii, § 27. 

3. Chrysostôme, HomiL VIII in Matlh. 

4. Justin Martyr, Opéra, p. 303 et 304. Dialog, cum Tryph,, 
§78. 

5. Origène^ Contre Celse.iràd. franc, par Bouhéreauj Ams- 
terd., 1700, in-4^ p. 30. 

6. Socrate» Hist eccles., lib, I, cap. H; Sozomène, Hist. ec- 
cl$s,, lib. II, cap. 2. 



310 ÉTUDES SUR LES âVÂNGILES 

Christ^ et ne craignant pas de résister en face aux 
chefs de la synagogue et à la foule ameutée. Sur 
ce premier fond s'élevèrent plus tard de nouvelles 
fables. Nicodôme, défenseur du Seigneur devant le 
tribunal du procurateur romain, devint naturel- 
lement un chrétien fervent*, et, malgré les récits 
contradictoires de la légende sur ses destinées pos- 
térieures, l'Église n'a point laissé de l'inscrire au 
nombre des bienheureux. La mémoire de l'hon- 
nête, mais prudent pharisien, est célébrée toutes les 
années le 3 août. 

Certains détails de ces légendes avaient môme 
pénétré dans la liturgie de l'Église romaine. On 
chantait autrefois dans l'office de la Circoncision du 
Seigneur : In medio diiorum animalium jacehat 
inprœsepio : « Il était couché dans la crèche entre 
les deux animaux, » ainsi qu'il est raconté dans l'É- 
vangile du Pseudo-^Matthieu ^. . 

La fête de l'Assomption de la sainte Vierge n'a 
pas d'autre origine que la légende. A cette fête ^, 
on chante dans l'Église romaine : Assumpta est 



4. Le Nain deTillemont, Mémoires ^ 1. 1, p. 454 et 355; t. II, 
p. 40, 25-29. 

5. Thilo, Codex apoeryphus Novi Testamenti, p. 384, note. 
Dans le Bréviaire romain, on ne trouve actuellement que ces 
mots : jacehat inprœsepio, 

3. Celte fôte^ qui se célébrait autrefois en janvier, l'est au- 
jourd'hui, comme on le sait, le 15 août, Gorî, Th^iaur\^î vête» 
rum diptychorum, t. III, p. 343« 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 31i 

Maria in cœlum, gaudent angeliy laudantes Do^ 
minum; Maria virgo assumpta est ad œtherum 
thalaînunij in quo Rex regum stellato sedetsolio *. 
Les détails relatés dans ces paroles rappellent soit 
le livre arabe de Tramitu Mariée^ qui dépeint le 
chœjir des anges entourant la Vierge, au moment 
où elle est enlevée au ciel, soit celui de Méliton, 
dans lequel le Seigneur remet l'âme de Marie aux 
anges pour la porter dans le paradis. Les livres ca- 
noniques du Nouveau -Testament ne disent pas 
un mot de cet événement ; ils n'en font pressentir 
en rien l'accomplissement futur ni môme la proba* 
bilité. Les écrivains ecclésiastiques des quatre pre- 
miers siècles n'en parlent pas davantage, excepté 
Épiphane qui, comme je l'ai déjà fait remarquer^ 
ne semble pas pouvoir croire que la sainte Vierge 
ait subi le sort commun de tous les mortels. Ce 
n'est qu à la fin du vi« siècle que l'assomption de 
la Vierge est passée dans les croyances générales. 
Jean Damascène en parle avec tous les détails qu'on 
retrouve dans les divers livres apocryphes de 
Transita Mariœ ^. 

§5. 

Un fait moins important, mais digne cependant 
d'être noté, c'est que l'art chrétien a cherché plus 

1. Gbri, tftid., p. 344. 

2. Métaphrasie, dans son de Ortu, viia et ohitu 6ea*« Kir- 



312 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

souvent ses inspirations dans ces légendes que dans 
les récits des Évangiles canoniques et que, comme 
l'Église, il a préféré les premières aux seconds, 
quand il y avait désaccord entre eux. 

Dans tous les tableaux d'église, sans exception, 
anciens ou modernes, Joseph est invariablement 
représenté sous les traits d'un vieillard, conformé- 
ment à la donnée constante des Évangiles de l'En- 
fance *. 

Il n'en est pas un seul dans lequel il ne tienne à 
la main soit un rameau verdoyant et fleuri, soit 
une baguette surmontée d'une colombe. On re- 
trouve là la légende du bâton que le grand-prêtre 
lui remit, quand il fallut, par un miracle, connaî- 
tre la personne à laquelle la vierge Marie serait 
confiée ^. 

Dans la plupart, sa tête est ornée d'une mitre, 
parce qu'il a plii à la légende de transformer en 
prêtre le modeste charpentier de Nazareth ^. 

M. Tischendorf rapporte que dans un grand ta- 
bleau qui se trouve à Venise, on voit la sainte 
Vierge tout enfant monter seule, et sans aucune 

ginisj reproduit également les diverses légendes recueillies dans 
ces écrits. Dictionnaire des apocryphes, t. If, col. 5SI4-536 et 
595-598, 

^, Protévang., chap. 9; Évangile de la Nativité de Murie, 
cbap. 8; Évangile du Pseudù-Matth., chap. 8. 

2. Proiévangile, cbap. 9; Évangile de la Nativité de Marie, 
chap. 8. 

3. Hist, du charpentier Jôteph^ cirap.2, * 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 313 

aide, les quinze marches du Temple, au grand 
étonnement de ses parents et de la foule. Cette lé- 
gende se retrouve dans deux des Évangiles de 
l'Enfance *• 

Plusieurs églises des monastères grecs ont des 
tableaux de l'Annonciation, dans lesquels Marie est 
peinte une' cruche àlamaîn, auprès d'une fontaine, 
au moment où Tange lui fait connaître les desseins 
de Dieu à son égard. Cette scène, qui ne répond en 
rien au récit du troisième des Évangiles cano- 
niques ^, est au contraire conforme à celui des 
Évangiles apocryphes ^. 

Le cycle des légendes de la mort et de l'assomp- 
tion de la sainte Vierge a élé fréquemment re- 
présenté par la peinture et la sculpture, aussi bien 
chez les Grecs que chez les Latins. Un anaglyphe 
grec, reproduit par Gori, nous montre Marie sur 
son lit de mort, entourée des apôtres que Dieu 
avait ramenés auprès d'elle, des diverses parties 
du monde *. Baronius reconnaît que cette scène 
est tirée des livres apocryphes ^. Nous lavons vue 



f . Tischendorf, de Evangeliorum apocrypharum origine et 
usu, p. 406. 

2. Luc, I, 28. 

3. Protévangile, chap. M; Évangile du Pseudo-Matthieu, 
chap. 9. 

4^ Gori, Thésaurus veterum diptychoruvi, t. IIJ, p.. 340 et 
341. 
5, Baronius, Annal, ctd çinn, 4:J> f U. • • 



314 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

dans le livre arabe de Transitu Mariœ; elle se re- 
trouve dans l'ouvrage sur le même sujet attribué à 
Méliton S dans un fragment sur la mort de la 
Vierge, traduit du copte par M. Dulaurier *, et 
dans bien d'autres anciens écrits de ce genre. 

J.B. Passerusreproduit une peinture grecquedans 
laquelle la mort de la Vierge, -h xoifAYictç t9îç Ôsotoxou, 
est représentée avec les mômes détails que dans le 
livre arabe De transitu Mariœ. Jésus-Christ, en- 
touré des apôtres, reçoit dans ses mains l'âme de sa 
mère. L'âme est figurée par un tout petit enfant. 
Sur le premier plan se trouve le Juif dont les mains 
viennent d'être coupées par un ange qui tient une 
épée à la main ^. 

On trouve également dans une peinture repro- 
duite par Gori, la scène de l'assomption de la 
Vierge, entièrement conforme au récit qui en est 
fait dans le livre arabe de Transitu Mariœ *. Celle 
qui se voit sur un vitrail de l'église de Brou * sup- 
pose un développement postérieur de cette légende, 
puisqu'elle contient un détail qui n'est ni dans 
l'écrit arabe publié par M. Enger, ni dans le livre 

4 . Dictionnaire des apocryphes, t. Il, coL 589 et 590. 

2. Ibid., col. 535. 

3. J. fi. Passeras, In monumenta sacra expositiones; Florence, 
4759, in-fol., p. 44-44, à la fin du t. Ill du Thésaurus, de Gori. 

4. Gon, ibid.y p. 342. 

5. Didron, Manuel d'iconographie chrétienne, p. S87; Dicti4>n. 
des apocryphes, t. II, col. 52S. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 31K 

de la mort et de rassomption de la Vierge attribué 
à Méliton. 

Il n'est peut-être pas un seul tableau représen- 
tant la naissance de Jésus-Christ, dans lequel ne 
figurent l'âne et le bœuf, de chaque côté de la 
crèche. « Les sarcophages chrétiens des Catacom- 
bes, dit M. G. Brunet, offrent divers exemples 
de pareilles représentations *. » La légende seule 
parle des deux animaux qui adorent l'enfant 
Jésus. Les Évangiles canoniques n'en font pas men- 
tion. \ 

La légende de la descente de Jésus aux enfers a 
également fourni à Tart chrétien quelques éléments 
souvent mis en œuvre. « Plusieurs représentations 
de l'école byzantine, dit M. Maury , en rappellent 
d'une manière frappante diverses circonstances. 
Sur quelques-uns des diptyques décrits par Gori*, 
on voit Jésus, les pieds sur les portes de Tenfer, 
figuré, comme le Ténare, par un antre, ou sur le 
démon qu'il a terrassé, tirer par la main soit Adam, 
soit un des saints de T Ancienne Alliance 3. Sur la 



4. G. Brunet, Éoangiles apocryphes, 2^ éd., p. 21 i, note 15, 
et Touvrage d'Arringhi, auquel il renvoie : Roma suhterranea^ 
1. 1, p. 185, 347 et 349, 

5. Gori, Thésaurus veterum diptychorum, t. III, p. {\2, 264, 
344, tahul. xiv^ xxxii et l. 

3. Et attraiLÎt Adam ad suam claritatem. Évangile de Nko^ 
dème, cbap. %i; ThWo^ Codex apocryphus Novi Testantenti, 
p. 727, et dans le texte grec, xal U^dmoi xat ïl^it?» tov wpoiç«- 



316 ÉTUDES §UR LES ÉVANGILES 

porte de la cathédrale de Pise, on a représenté la 
même scène, Jésus portant la croix, foulant aux 
pieds Satan ou la Mort S et retirant des enfers, 
caverne qu'ombrage un palmier, les justes entre 
lesquels on reconnaît à leurs couronnes David et 
Melchisédec 2. 

Cette légende se retrouve dans^des peintures de 
divers manuscrits du ix'' au xii® siècle. Sur un 
manuscrit grec, publié par d'Agincourt ^, le Christ 
est représenté portant la croix grecque et gravis- 
sant le sommet de l'empire de la Mort. Au fond 
git Satan, lié par des chaînes sur les portes brisées 
de son horrible demeure. Le Sauveur amène à lui 
les saints *. Sur un Eocidtet latin *"*, le Christ, en- 
touré d'une vaste auréole, portant la croix latine 

Tepx À^ajA. Évangile de Nicodème, chap. 24; Thilo, Codex apo^ 
cryphus Noui Testamentiy p. 740; Tischendorf, Evangelia apo- 
crypha, p. 379. 

4 . Tune rex gloria majestate sua conculcans mortem et corn- 
prehenidens Satan principetn. Évangile de Nicodème, chap. 22 ; 
Thilo, Codex apocryphus Novi Tesiamenti, p. 727; Tischendorf, 
Evangelia apocrypha, p. 379. 

2. Th. Mamachius, de Anhnabus justomm in sinu Abrah., 
p. 1020. 

3. Seroux d'Agincourt^ Histoire de Vart par les monuments. 
Peinture, pi. 59. 

4. Asûpo u.eT' l{i.oû Trâvreç caoi ^\% tcù ^ûXoj^ et dans le latin : 
Venite ad me, sancti mei omnes. Èoajigile de Nicodème^ 
ch. 24; Thilo, Codex apocryphus Novi Testamenti, p. 740 
et 741. 

5. Seroux d'Agincourt, Histoire de Vart par les monuments^ 
Peinture, pi. 53. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 317 

sur son épaule, prend une main que lui tend, un 
des justes plongés dans les flammes *. » 



ni 



Après avoir essayé de donner une idée de l'ori- 
gine et du caractère des légendes qui ont été recueil- 
lies dans les Évangiles apocryphes orthodoxes, et 
de l'influence qu'elles ont exercée de bonne heure, 
il convient de jeter un coup d'œil sur ces Évangiles 
eux-mêmes. Cet examen ne peut manquer de jeter 
encore quelque jour sur les fables pieuses qui y 
sont rapportées, et en particulier de nous mettre en 
mesure de fixer l'âge de chacune d'elles avec un 
plus grand degré de précision. 



§ 1- 



Les Évangiles que nous avons à considérer ici 
ont été composés à peu près de la même manière 
que nos trois premiers Évangiles canoniques. 

*4 .' Alf. ' Maury, Croyances et légendes de V antiquité, p. 328- 
331. . ^ 



318 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Les auteurs de ces derniers ouvrages ne se pro- 
posèrent que de mettre par écrit la tradition chré- 
tienne telle qu'elle était de leur temps, ou pour ' 
mieux dire ce qu'ils en connurent. Remplissant 
uniquement l'olOGlce de rapporteur, dans le sens le 
plus étroit du mot, ils recueillirent ce que les chré- 
tiens au milieu desquels ils vivaient, avaient appris 
et racontaient à leur tour de la vie et de l'ensei- 
gnement du Seigneur; ils écrivirent en quelque 
sorte sous la dictée de la tradition, ou ils réunirent 
et coordonnèrent des pièces qui n'étaient elles- 
mêmes que la tradition écrite. Sauf la très-courte 
préface qui est en tête du troisième de ces Évan- 
giles, et dont la langue et le style rappellent le 
grec classique, il n'y a rien dans ces écrits qui 
porte l'empreinte de la personnalité de ceux qui 
les ont composés. La forme même ne leur appar- 
tient pas; cela est évident pour le troisième. Celui 
qui a écrit la phrase qui sert de préface, aurait 
présenté tout ce qui suit dans un autre langage et 
dans un autre style, s'il l'avait rédigé lui-même, 
c'est-à-dire s'il avait fait autre chose que mettre 
en ordre des documents antérieurs, soit écrits, soit 
oraux. On peut conclure de là qu'il en est de même 
de Matthieu et de Marc, dont les récits ne diffèrent 
en rien, quant à la forme, de ceux de Luc. 

Les Évangiles apocryphes orthodoxes sont éga- 
lement, pour la plupart, des œuvres impersonnel- 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 3i9 

les *. Pour tous, sans exception, le fond, et pour 
le plus grand nombre la forme elle-même, furent 
donnés par la tradition telle qu'elle était à Tépoque 
où chacun d'eux a été mis par écrit. Leurs auteurs, 
si toutefois il est permis de se servir de ce mol qui, 
pour la plupart de ces livres, ne répond en au- 
cune façon à la réalité des choses, ne se donnèrent 
pas d'autre peine que de recueillir les légendes qui 
se racontaient autour d'eux, et que de les transcrira 
telles qu'ils étaient habitués à les entendre. 

Quelques-uns de ces ouvrages sont, il, est vrai, 
le produit d'un certain travail de rédaction ; je 
veux parler du Rapport de Pilate, des deux par- 
ties qui composent l'Évangile de Nicodème , de 
l'Histoire du charpentier Joseph et du Livre de la 
mort et de l'assomption de la Vierge. Mais le fond 
tout entier en fut également fourni par la tradition, 
et la preuve, c'est que les légendes qui y sont 
rapportées se trouvent dans une foule d'anciens 
écrivains ecclésiastiques qui ne les empruntèrent 
pas certainement à ces livres. Ces apocryphes sont 
donc comme les autres, des recueils de récits ré- 
pandus parmi les chrétiens, à l'époque où ils fu- 
rent composés. La forme sous laquelle ils y sont 
présentés appartient seule à leurs auteurs, et 
sauf en quelques très-rares passages , elle fait 

i . C'est ce qu*a parfaitement compris Borberg, Bihliothek 
der neutestaméntl, ApocrypheHy 1. 1, p. 6. 



320 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

peu d'honneur à leur goût et à leur jugement. 

Tous ces écrits ne sont donc, si je puis ainsi 
dire, que des transcriptions des légendes nées dans 
les quatre ou cinq premiers siècles. Et c'est cette 
circonstance précisément qui leur donne quelque 
intérêt à nos yeux. Ils lui doivent d'être pour nous 
des témoins naïfs et véridiques de la rapidité avec 
laquelle la fradition évangélique s'altéra et se char- 
gea, comme d'une végétation parasite^ de fables 
puériles et ineptes. 

On a prétendu que ces Évangiles avaient été 
écrits dans des intentions dogmatiques et polémi- 
ques, c'est-à-dirç dans le dessein d'établir des 
doctrines orthodoxes ou de repousser des opinions 
tenues pour hérétiques. Je ne saurais me ranger 
à cette opinion. Comme les légendes qui y sont 
recueillies, ils n'ont pas pris naissance dans le 
monde où se débattaient les questions théologiques. 
Ils ont été composés pour la plupart dans les classes 
inférieures, et dans tous les cas, dans un milieu qui 
ne prenait part aux grandes querelles dogmatiques 
que par le mouvement des passions qu'elles ne 
pouvaient manquer d'exciter dans l'Église tout 
entière, mais qui était incapable de les comprendre, 
de s'en rendre compte et de les juger. Quelques- 
uns, il est vrai, pourraient bien avoir eu pour auteurs 
de hauts dignitaires de TÉglise : je veux parler de 
l'Histoire du charpentier Joseph et du Livre de la 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 32i 

mort et de Tassomption de la Vierge; mais ils ap- 
partiennent à une époque et à un pays où domi- 
nait, avec le monachisme, une ignorance profonde 
et où la superstition avait de bonne heure envahi 
la religion. En somme, ces Évangiles constituèrent 
pendant longtemps une sorte de littérature reli- 
gieuse inférieure, au-dessus de laquelle se déve- 
loppa, dans une indépendance presque complète, 
la grande littérature théologique. 

Qu^onles examine de près, on n'y découvrira pas 
un mot qui trahisse une intention polémique. On n'y 
trouve ni anathème contre des dissidents, ni même 
la moindre allusion à des adversaires de l'Église. 
Les fictions qu'on y raconte et les faits évangéliques 
qu'on y môle en une certaine proportion, supposent 
sans doute certaines croyances, et ces croyances 
pouvaient devenir la base de certains dogmes; elles 
le devinrent même plus tard *. Mais on ne voit pas 
que les auteurs de ces écrits portent si loin leurs 
vues. Ils se meuvent dans le cercle de la foi obs* 
cure; ils ne montrent nulle part la moindre préoc- 
cupation théologique. C'est leur accorder une portée 
d'esprit qu'ils n'avaient pas que de prendre leurs 
compilations pour des écrits de tendance. La seule 
tendance qui s'y montre est la superstition la plus 
aveugle. 

4. Par exemple, tout le cycle des doctrines relatives à la sainte 
Vierge se trouve déjà en germe dans la plupart de ces écrits. 

21 



Zîî ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

C'est se créer à plaisir des chimères que de voir 
dans les Évangiles de l'Enfance le dessein de réfuter 
les sectaires qui soutenaient que Jésus n'était de- 
venu le Christ qu'au moment où, après avoir été 
baptisé par Jean, il avait reçu le Saint-Esprit. On 
prétend en vain que le récit des miracles de l'En- 
fant Jésus a pour but de prouver que, dès son 
jeune âge, il fut le maître de la nature et, par con- 
séquent, participant à la divinité. Ces légendes sont 
telles qu'elles excluent toute arrière-pensée dog- 
matique. Elles portent en elles-mêmes la preuve 
qu'elles ne sont issues que d'une pieuse crédulité, 
avide de retrouver dans l'enfance de Jésus des 
prodiges analogues à ceux que les Évangiles cano- 
niques racontent de son âge mûr. On ne saurait 
attribuer d'autre mobile que ce sentiment à ceux 
qui les ont mises par écrit. 

C'est principalement dans la seconde partie de 
l'Évangile de Nicodème qu'on a voulu voir des in- 
tentions polémiques et dogmatiques. Cet écrit aurait 
été dirigé, assure-t-on, contre Apollinaire. On en 
donne deux raisons : 

On prétend d'un côté que la légende qui y est 
mise en œuvre, implique que ce fut, non la nature 
divine de Jésus, mais sa nature humaine qui des- 
cendit dans l'empire de la Mort et de Satan, son 
corps étant resté dans le sépulcre. Il suivrait donc 
de là que Jésus-Christ, contrairement à l'assertion 



EVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES «23 

d'Apollinaire, avait une âme humaine, une âme de 
Tnême nature que la nôtre. 

D'un autre côté, on fait remarquer que la se* 
conde partie de l'Évangile de Nicodème fut com^ 
posée, selon toutes les vraisemblances, au iv® siècle, 
c'est-à-dire à l'époque à laquelle l'erreur d' Apol- 
linaire se produisit et rencontra une vive opposi- 
tion *. 

Que conclure du rapprochement de la date et du 
sujet de cet écrit, sinon qu il fut composé contre 
cette hérésie *? 

Ces raisons me paraissent insuffisantes. J'ai déjà 
fait remarquer qu'Athanase est le seul des anciens 
écrivains ecclésiastiques qui ait opposé à l'apollina- 
risme la légende de la descente de Jésus-Christ 
aux enfers, et qu'aucun autre des Pères de l'Église 
qui ont écrit contre cette hérésie n'y a eu recours. 
J'ajouterai maintenant que, pour la faire valoir 
contre Apollinaire, il faut l'entendre dans un 
certain sens, et elle n'est entendue dans ce sens ni 
par la majorité des Pères de l'Église, ni dans la 
seconde partie de l'Évangile de Nicodème. 

Elle ne peut, en eflPet, devenir un argument eh 
faveur de l'âme humaine de Jésus-Christ, qu'à la 
condition d'admettre que la partie divine du Sau- 

4 . Apollinaire mourut probablement en 380. 
2. King, Historia symboli aposlolorum^ cap. 4, g 86. Alfred 
Maury, Croyances et légendes de F antiquité, p. 3^4 et suiv. 



324 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

veur n'a pu descendre dans Tempire de la Mort et 
de Satan. Or cette supposition, qui est la base né- 
cessaire du raisonnement que Ton en tire, pour 
prouver que le Seigneur avait une âme humaine, 
ne s'impose pas rigoureusement, bien loin de là. 
La plupart des anciens écrivains ecclésiastiques 
ne s'y sont pas arrêtés. Justin Martyr ne fait au- 
cune distinction entre la divinité et l'humanité du 
Christ descendant aux enfers. Celui qui va annon- 
cer la bonne nouvelle du salut aux morts d'Israël 
endormis dans la terre des tombeaux, c'est le Sei- 
gneur-Dieu, Kuptoç ô 0eoç * . Épiphane, le grand 
ennemi des hérésies, ne trouve rien de contraire à 
l'orthodoxie à soutenir que la nature divine du 
Sauveur accompagna son âme aux enfers^ et que 
ce fiit par la vertu de cette nature divine qu'il en 
fit cesser les douleurs *• Telle est aussi l'opinion 
de Gaudence ^, de l'école d'Augustin *, et de 



4. Justin Martyr, Opéra, p. 298, Didog. cum Tryph,, § 72. 

2. Épiphane, Expositio fidei, § 47; Opéra, éd. Migne, t. II, 
col. 846. 

3. Gorpore in sepulcro posito, divinitas cum anima hominis 
in inferna descendons. Gaudentius, ad Benevol, sermo 4 0. 

4. Descendit ad inferna, id est, in anima comitante divinita- 
tem, corpore vero in sepulcro quiescente. Augustini opéra, t. v, 
col. 2074 , sermo 240, § 4 . Augustin ne trouve rien d'impossible 
à la présence de la divinité de Jésus-Christ dans les enfers. Jésus- 
Christ, dit-il à Ëvodius, était dès avant sa mort, et dans le {sein 
d'Abraham par sa sagesse et sa présence béatiûque, et dans les 
enfers par sa puissance vengeresse; car où n'est-il pas, quant à 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 325 

presque tous les anciens écrivains ecclésiastiques. 

Quel argument peut-on tirer de cette légende 
contre Apollinaire, si la divinité du Christ l'a ac- 
compagné aux enfers, et, à plus forte raison, si 
c'est le Seigneur-Dieu, comme dit Justin Martyr, 
qui y est descendu? Et c'est précisément dans ce 
dernier sens qu'elle est présentée dans la seconde 
partie de l'Évangile de Nicodème. Il n'y est pas fait 
une seule allusion à l'âme de Jésus-Christ, le mot 
n'y est même pas. Le Sauveur y est toujours le Roi 
de gloire*, le Seigneur de Majesté*, le Christ^, 
le Seigneur Dieu^; c'est par l'éclat de sa divi- 
nité qu'il dissipe les ténèbres de la Mort s, c'est 
comme rédempteur qu'il descend dans^Hadès^ 

Sous cette forme, la légende de la descente de 
Jésus-Christ aux enfers, ne peut fournir le moindre 
argument contre l'apoUinarisme , et ce n'est pas 
ainsi qu'aurait dû la comprendre et la présenter 
quiconque aurait eu l'intention de la tourner contre 
cette hérésie. Aussi cette intention ne peut être at- 
tribuée en aucune sorte à l'auteur de cet écrit. Il 



sa divinité qui ne saurait être contenue ni renfermée par aucun 
lieu? EpistoLy olxiv, § 8. 

1. Évangile de Nicodème^ chap. 22, 23, 24. 

2. J6td.,chap. 22. 

3. J6i(i.,chap. 23 et 24. 

4. Ibid,, chap. 25. 

5. Ibid.y chap. 24. 

6. Ibid., chap. 25. 



32^ ÉTUDES SUH LES ÉVANGILES 

parle da Seigneur sur le ton de la foi naïve de son 
temps; on ne saurait combiner ses paroles avec la 
moindre intention polémique, et l'impression que 
laisse la lecture de cette pièce, c'est que celui qui 
y a mis en œuvre la légende de la descente de 
Jésus-Christ aux enfèrs, ne se proposait pas d'autre 
but que de contribuer à l'édification des fidèles. 

§2. 

. Les Évangiles apocryphes orthodoxes sont, 
comme les légendes qui y sont recueillies, d'âges 
fort différents. Les trois plus anciens sont le 
Protévangile de Jacques, l'Évangile de Thomas 
et le Rapport de Pilate sur le jugement, la mort et 
la résurrection de Jésus-Christ. 

Le Protévangile, recueil de fables relatives au 
père et à la mère de la sainte Vierge et à celle-ci 
jfusqu au moment où elle mit au monde Jésus, 
dont la naissance y est aussi racontée, fut, comme 
je l'ai dit, rapporté d'Orient par Guill. Postel qui 
lui donna le nom sous lequel il est désigné depuis, 
parce que les faits qui y sont racontés sont anté- 
rieurs à l'histoire évangélique proprement dite. 
Mais il en existait à cette époque bien d'autres 
exemplaires en Occident; seulement ils étaient 
ensevelis dans la poussière des bibliothèques ^ 

1. Le Protévangile était connu dans TOccident au moyeu- 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 327 

Ce livre est attribué à Jacques, frère du Sei- 
gneur. Il est à peine nécessaire de faire remarquer 
que c'est sans la moindre raison et contre toute 
vraisemblance. Jusqu'au xii® siècle, il n'est cité 
que sous le nom de Jacques ou d'un certain 
Jacques. Plus tard on supposa que ce Jacques était 
le frère du Seigneur. Cette supposition, fruit de 
l'ignorance, fut évidemment inspirée par le désir 
de relever l'importance et l'autorité de cet écrit. 

On ne saurait douter qu'il ne soit très-ancien. 
Quelques-unes des légendes qui y sont rapportées, 
sont connues de Justin Martyr *, de TertuUien ^ et 
de Clément d'Alexandrie ^. Ce ne serait pas là 
toutefois une preuve qu'il existât alors, car il pour- 
rait se faire que ces anciens écrivains ecclésiastiques 
eussent emprunté les faits dont ils parlent, soit à 
d'autres écrits *, soit à la tradition orale '. Mais 

âge. l\ est cité à cette époque par plusieurs écrivains ecclé- 
siastiques, et on en a des imitations dans les langues vulgaires. 
Thilo, Codex apocryphus Novi Testamentif p. xcv, o, ci, etc. 

1. Justin Martyr, Dialog, cum Tryph., § 78. 

S. « Zacharie est égorgé entre le vestibule et Tau tel, laissant 
sur la pierre Tineffaçable empreinte du« sang qu'il a versé. » 
TertuUien, de Scorpiaco, § 8, comp. Protémng,, chap. 24. 

3. Clément d'Alexandrie, Stromat.y lib. VII, cap. 16 : « Quel- 
ques-uns veulent qu'ayant été examinée par la sage-femme 
après l'enfantement, Marie ait été trouvée vierge. » Comp. 
Protévangile, chap. 19 et 20. 

4. C'est le cas pour Justin Martyr, qui tenait certainement 
la légende de la naissance de Jésus dans une caverne, d'un 
Évangile judaïsant. 

5. ¥àhnci\xs,Codexapocryph,NoviTestam»,^dirs\jf, 40,note6. 



323 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Origène, en rapportant la légende qui donne les 
frères de Jésus pour des enfants issus d'un premier 
mariage de Joseph, dit qu'il trouve cette explica- 
tion dans le livre de Jacques *, et cette légende se 
trouve, en effet, dans le Prolévangile ^. 

Cet écrit existait donc au commencement du 
m® siècle; il remontait certainement bien plus haut, 
on ne comprendrait pas autrement comment il au- 
rait acquis déjà à ce moment une assez grande no- 
toriété pour être cité par Origène. 

Était-il alors tel que nous le possédons? Je ne vois 
pas de raison d'en douter. Il a pu subir quelques- 
unes de ces modifications qui n'ont été épargnées à 
aucun ouvrage ancien; mais il n'y a pas lieu de 
croire qu'elles en aient troublé sensiblement le fond 
ni qu elles en aient altéré le caractère général • 

Lorsque Postel assura que le livre qu'il rappor- 
tait de l'Orient était lu dans le culte public chez les 
Grecs, on n'accueillit ses paroles qu'avec défiance; 
on crut assez généralement que ce qu'il en disait 
n'était qu'une invention destinée à faire valoir la 
découverte qu'il en avait faite ; on alla même jus- 
qu'à le soupçonner d'avoir fabriqué lui-même cet 

1. a Quelques-uns affirment que les frères de Jésus étaient 
les fils que Joseph avait eus d'une première femme, avant d'é- 
pouser Marie. Ils se fondent sur l'Évangile intitulé selon Pierre 
ou sur le livre de Jacques. » Origenes opera^ t. XI, p. ttZ, 
Comment, in Evang, Matth. 

2. Prolévangile, chap. 9 et 47. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES^ 329 

écrit *. Rien n'était plus vrai cependant que ce qu'il 
en racontait. C'est un fait certain que dans plu- 
sieurs églises grecques on lisait au xvi® siècle des 
passages de cet Évangile à la fête de Joachim 
(9 septembre), à celle d'Anne (25 juillet), à celle de 
la Conception (8 décembre), à celle de la Naissance 
de Marie (8 septembre), à celle de sa présentation 
au temple (21 novembre), à bien d'autres encore. 
Cet usage remontait vraisemblablement très-haut, 
et il ne serait pas impossible qu'il existât encore 
aujourd'hui *. 

Ce n'est pas à dire que les chrétiens grecs aient 
jamais tenu ce livre pour canonique, comme Postel 
semblait le croire. Mais ils le regardaient comme 
un ouvrage très-ancien, édifiant, recommandable 
à plusieurs égards et se rattachant plus ou moins 
directement à saint Joseph, dont la mémoire est en 
grande vénération parmi eux ^. Ils le rangeaient 
parmi ce qu'on pourrait appeler les hagiographes 
chrétiens. On ne saurait en douter, quand on voit 
que dans la plupart des manuscrits dans lesquels 
il se trouve, il est au milieu d'homélies et de 
martyrologes qui ont dû servir aussi bien au culte 

1. Voyez dans Tappendice le n© 7. 

2. Borberg, Bibliothek der neutestamentl. Apokrypiien, t. I, 
p. 42. Thilo, Codex apocryphus Novi Testamenti, p. lviii-lx. 

3. Kdw. von Murait, Briefe ûber den Goltesdicnst der mor^ 
gen-landischen Kirche^ 4838, cité par Borberg, ibid., 1. 1, p. 44, 
note 43. 



330 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

public qu'à Fédification des simples particuliers. 
Cette opinion est vraisemblablement ancienne; il 
n'y aurait rien d'extraordinaire qu'elle datât des 
premiers siècles de l'Église. 

Ce n'est pas seulement parmi les Grecs qu'il a 
joui de cette haute estime. Il n'était pas moins 
considéré dans toutes les autres Églises de l'Orient. 
On en a la preuve dans les traductions qui en furent 
faites en syriaque et en arabe * et dans les em- 
prunts qu'en ont fait les écrivains ecclésiastiques 
orientaux, entre autres l'évêque nestorien Salomon 
de Bassora ^. 

L'Évangile de TEnfance qui porte le nom de 
Thomas l'Israélite n'est guère moins ancien que le 
Protévangile. Irénée le connaissait certainement. 
Il fait mention, en eifet, d'une légende qui était 
rapportée dans un ouvrage hérétique ^ et cette 
légende se trouve dans cet Évangile *. Origène, 
en énumérant divers Évangiles apocryphes an- 
ciens, cite celui-ci sous le nom même d'Évangile 
selon Thomas^. Il existait donc dans la seconde 



1. Tliilo, Codex apocryphus Novi Testamenti, p. lxvii-lxix, 

2. Thilo, tbid,, p. lxix-lxxii. 

3. Irënëô, Adv, hœres,, lib. I, cap. 47. C'est la légende da 
maître d'école Zachée. 

4. Évangile de Thomas, çhap. 6 et 44. 

5. Origène, HomiL I in Lucam^ 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 33i 

moitié du second siècle, et vraisemblablement il 
remontait plus haut. 

J'ai déjà fait remarquer que les légendes qui y 
sont recueillies ne peuvent être nées que parmi les 
chrétiens de la Syrie et que, selon toutes les vrai- 
semblances, cet Évangile, composé dans ce pays, 
fut écrit primitivement en langue syriaque. Le 
texte grec que nous en avons ne serait alors qu'une 
traduction; mais il faut ajouter que cette traduc- 
tion serait l'ouvrage d'un homme peu cultivé. Le 
langage, en outre des obscurités et des incorrections 
sans nombre qu'on y remarque, est plat, trivial, 
et bien inférieur à celui du Protévangile. Que les 
copistes du moyen-âge en aient en partie corrompu 
le texte, comme le prétend Thilo, on peut l'ad- 
mettre sans peine; mais on ne saurait les rendre 
responsables des défectuosités presque constantes 
de la langue, et de la bassesse et de la trivialité 
du style. 

Cet écrit tel que nous l'avons est certainement 
mutilé. Il y a une lacune évidente du chapitre dix- 
huitième au dix -neuvième. On dirait même que 
celui-ci n'est pas de la même main que ce qui 
précède. La langue et le style en ^ont m.eilleurs. 
Peut-être cette supériorité a-t-elle sa raison dans 
les emprunts qui ont ici été faits à Luc, ir, 50-52. 
Mais il ne serait pas impossible que la fin de cet 
Évangile eût été supprimée et remplacée par ce 



333 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

chapitre dix-neuf qui est une imitation du passage 
du troisième Évangile canonique que je viens 
d'indiquer. Quoi qu'il en soit, s'il faut s'en rappor- 
ter à la chronographie de Nicéphore, cet écrit se 
composait de treize cents lignes •; dans sa forme 
actuelle, il est loin d'atteindre ce chiffre. 

On a déjà vu par l'analyse que j'ai donnée des 
légendes qu'il rapporte, que les prodiges qui y sont 
attribués à l'enfaiit Jésus sont tous ou ineptes ou 
révoltants, et que la plupart sont inspirés par un 
déplorable sentiment de vengeance ou par une 
méchanceté diabolique. Est-ce à cause de C8 carac- 
tère, comme le pense Borberg ^, que cet Évangile 
a été vu en général d'un mauvais œil p:r le^ an- 
ciens chrétiens, et qu'il a été attribué, au iv^ siècle, 
aux Manichéens, les hérétiques les plus odieux à 
cette époque ^ ? Ce ne serait pas impossible . Cependant 
ces miracles ne paraissent pas avoir excité une ré- 
pugnance aussi prononcée qu'on serait tenté de le 
supposer. Ils ont été reproduits dans des Évangiles 
apocryphes postérieurs, entre autres dans le Pseudo- 
Matthieu, et celui-ci n'a pas laissé de jouir d'une 
certaine réputation dans les Églises latines; 

1. Eùa>f]ftXiov xxTà ôwjAîa ornx«v aï. Stichometria vetus ad cal' 
cem chronographiœ Nicephori patriarchœ Constantinopolif cilë 
par Fabricius, Codex apocryphus Novi Testament^ pars 4 , p. 4 43. 

8. Borberg, Blbliothek der neutestamentl. apokryphen, t. I, 
p. 60. 

3. Cyrille de Jérusalem, Cateches.y iv, § 22; vi, § 18. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 333 

J'incline à croire qu'on l'attribua aux Mani- 
chéens uniquement parce que, par suite de circon- 
stances que j'ai expliquées *, ces hérétiques en 
firent usage. A une époque où les connaissances 
historiques étaient à peu près nulles, et où l'esprit 
critique faisait entièrement défaut, on tira, du fait 
qu'ils s'en servaient, cette conclusion qu'ils en 
étaient les auteurs. Mais cet Évangile est anté- 
rieur de plus d'un siècle à la naissance du mani- 
chéisme ^. Le décret de Gélase contre les apo- 
cryphes est plus dans le vrai que Cyrille de 
Jérusalem, en disant seulement que les Manichéens 
s'en servirent \ 

Un fait assez extraordinaire, c'est que cet écrit 
porte l'empreinte de deux tendances dogmatiques 
différentes, contraires même. 

Dans un grand nombre de passages, il est parlé 
de Joseph comme du père véritable, réel, de l'en- 
fant Jésus; on peut même dire que c'est là le ton 
général de cet Évangile, « Son père, » est-il tou- 
jours dit de Joseph par rapport à l'enfant Jésus : et 



4 . 2e partie, iv. 

2. Ce qui est manifeste, puisqu'il ëtait connu d'Origène et 
même d'Irénëe, et qu'il est par conséquent antérieur à ce der- 
nier. 

3. Ëvangelium nomine Thomse quo utuntur Manicbœi, apo- 
cryphum. Décret de Gélase contre les apocryphes. Je rapporte 
dans l'appendice, no 8, ce décret, qui est un document impor- 
tant pour l'histoire des apocryphes chrétiens. 



334 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

« son fils », est-il toujours dit de l'enfant Jésus 
par rapport à Joseph * . 

Dans d'autres passages, au contraire, on semble 
vouloir établir que Jésus est un être qui n'a rien de 
commun avec la nature humaine. « Cet enfant 
» n'est pas un être qui ait été fait 2, dit de lui 
» Zaehée; il peut dompter le feu; peut-être a-t-il 
>> été fait avant la création du monde ^. Il est quel- 
» que chose de grand, ou un Dieu, ou un ange, ou 
» un je ne sais trop quoi*. » La foule s'écrie ailleurs 
en l'adorant : « En vérité, l'esprit de Dieu réside 
» en cet enfant ^. » Ailleurs encore : « Cet enfant 
» est en vérité un Dieu ou l'ange de Dieu, car tout 
» ce qu'il ordonne s'accomplit aussitôt ^. » 

Si l'on considère que ces deux manières de par- 
ler de Joseph et de l'enfant Jésus ne se trouvent 
jamais simultanément dans un même récit, mais 
que chacune d'elles ne se rencontre que dans des 
légendes d'où l'autre est absente, on sera porté à 
croire que l'on a recueilli dans cet Évangile deux 

\. Évangile de Thomas^ chap. 2, 3, 4, 6, 42, 13. 

2. Dans le texte grec, ToiîTo rh 7ï(4i^wv ^yi^svyj; eux eVti. Thilo, 
Codex apocryphus Novi Testamenti^ p. 294. 

3. Tdyjx TciîTc irpô rn; )6off(i.o«&ta5 èori •y8-^ivvv)ri,£vcv. Évangile de 
Thomas, chap. 7. Thilo, Codex apocryphus Novi Testamenti^ 
p. 294. 

4. ToÛTO T^ TtOTS [Aî-jf* 8<XtIv, ^ Osàj, ^ oij^i\o^, ^ Tl eiTTEV où/- 

cl^a. Ibid. 
6. Évangile de Thomas, chap. 10. 
6. Ibid»^ chap, 47. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 838 

séries de légendes d'origines différentes, sinon 
quant au milieu dans lequel elles se formèrent, du 
moins quant à l'époque à laquelle elles prirent 
naissance. On ne saurait douter, ce me semble, 
qu'elles ne soient nées, les unes aussi bien que les 
autres, parmi les chrétiens judaïsants de la Syrie. 
Mais ne pourrait-on pas expliquer la différence 
qui les distingue en supposant que les unes sont 
antérieures et les autres postérieures à l'introduc- 
tion de la théosophie gnostique dans ces anciennes 
Églises ? 

Celles dans lesquelles Joseph est appelé le père 
de l'enfant Jésus, et l'enfant Jésus, le fils de Joseph 
indiquent nécessairement la doctrine primitive des 
chrétiens judaïsants, doctrine qui ne donnait Jésus 
que pour le plus grand et le dernier des prophètes 
et qui ne lui attribuait ni une nature surhumaine, 
au sens propre du mot, ni une naissance miracu- 
leuse. Celles, au contraire, dans lesquelles l'enfant 
Jésus est présenté comme un être étranger, par son 
^origine et par sa nature, à la terre, impliquent le 
docétisme ou toute autre théorie théosophique, d'a- 
près laquelle Jésus était un être surnaturel. C'est 
un fait certain qu'il y eut des Églises judaïsantes qui, 
envahies par le gnosticisme, abandonnèrent la pre- 
mière de ces deux doctrines pour suivre la seconde. 
Les deux ordres de légendes répondraient à ces 
deux moments dogmatiques différents. 



336 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

• § 3. 

De ces deux anciens' écrits apocryphes dérivent 
tous les autres Évangiles de TEnfance. 

L'Évangile de la nativité de Marie n'est qu'une 
sorte de remaniement, en langue latine, des dix- 
huit premiers chapitres du Protévangile, c'est-à- 
dire de la partie de cet écrit qui est relative à la 
naissance, à la jeunesse et au mariage de la sainte 
Vierge. Mais la vénération pour la mère du Sau^ 
veur y est encore plus prononcée, et par suite le 
surnaturel de la légende qui la concerne a pris de 
nouveaux développements. Cette circonstance en 
déterminerait la date de la composition, si elle n é- 
tait déjà marquée très-catégoriquement dans la for- 
mule trinitaire par Iquellea il se termine : « Il arri- 
va, lorsqu'ils y furent (à Bethléhem), que le terme 
étant accompli, elle enfanta son fils premier-né S 
comme nous l'ont enseigné les saints Évangélistes, 
Notre-Seigneur Jésus-Christ qui, étant Dieu avec 
le Père, le Fils et le Saint-Esprit, vit et règne dans 
tous les siècles *. » Or cette formule ne date que 
d'Augustin, Un écrit dans lequel elle se rencontre 

4 . Peperit filium suum primogenitum est tout simplement la 
traduction de Luc, ii, 7, ^Ttxe tgv ulèv aOr^; tbv wpwTOToxcv, 

2. Évangile de la Nativité de Marie^ chap. 40; Thilo, Codex 
apocryphus Novi Testamenti^ p. 336. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 337 

ne peut remonter au delà du milieu du v® siècle *. 

Le but de cet Évangile est encore plus manifeste 
que Tépoque à laquelle il a été composé. C'est une 
glorification de la Vierge. A-t-on voulu y com- 
battre l'opinion des Manichéens, opinion qui avait 
été aussi, à ce qu'il paraît , celle des Montanistes, 
que Marie était de la tribu de Lévi, et établir par 
l'autorité d'une sorte de supplément aux livres 
saints, qu'elle appartenait à la tribu de Judaet àla 
famille de David? On ne saurait l'admettre; mais il 
est évident qu'on y a recueilli les légendes relati- 
ves- à l'histoire de la sainte Vierge, telles que les 
avait amendées le besoin de réfuter l'opinion des 
Montanistes et des Manichéens, et que, sans s'être 
proposé un but polémique, on y a adopté la thèse 
que Marie était du sang royal, thèse que d'autres 
circonstances encore que la nécessité de réfuter des 
hérétiques, avaient conduit l'Église à supposer et 
à recevoir comme une vérité incontestable. 

On a dans l'histoire des opinions qu'on se fit, 
dans les premiers siècles, de l'origine de la mère 
du Sauveur, un exemple frappant des modifications 
que les changements dans la croyance apportent 
dans la manière de se représenter les faits évaiigé- 
liques. C'est un fait incontestable que dans une 

^. Tischendorf, de Evangeliorum apocryphorum origine et 
mu, p. 46. 

sa 



338 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

foule de cas, an lieu de modeler les croyances 
sur les faits, on a arrangé les faits d'après les 
croyances. 

Dans le principe, on n*avait pas douté que Jésus- 
Christ ne fût le fils de Joseph et de Marie. Joseph 
étant de la tribu de Juda et de la famille de Dayid, 
on pouvait assurer de ce point de vue que Jésus 
était bien du sang royal, ainsi que devait Tôtre le 
Mesrfe, L'origine de Marie n'est indiquée dans au- 
cun des Évangiles canoniques. La tradition était 
par conséquent entièrement libre de la faire naître 
danS'la tribu qu'elle voudrait. On jugea conve- 
nable de supposer qu'elle appartenait à celle de 
Lévî. Ce choix ne fut pas fait au hasard; il fut 
dicté par le désir de réunir en Jésus les préroga- 
tives de la royauté et celles du sacerdoce. C'est 
vraisemblablement dans cette pieuse intention que 
les Montànistes prétendaient que la mère du Sau- 
veur était de la race sacerdotale. Mais cette opi- 
nion, qui pouvait paraître fort orthodoxe aussi 
longtemps que, Joseph étant regardé comme le 
père de Jésus le Seigneur appartenait par lui à la 
tribu de Juda et à la famille de David, devint une 
hérésie dès qu'il fut irrévocablement admis qu'il 
n'y avait aucun lien de parenté entre Jésus et Jo- 
seph; et comme Jésus, en tant que le Messie, devait 
être de la race royale, il fallut de toute nécessité 
que sa mère fût de la tribu de Juda et de la fa- 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 339 

mille de David, puisqu'il ne tenait à l'humanité que . 
par elle. Cette nécessité logique ne paraît pas avoir 
été aperçue de longtemps * ; on se contentait, pour 
rattacher Jésus-Christ à David, des généalogies de 
Joseph rapportées dans le premier et le troisième 
(les Évangiles canoniques, quoique en réalité elles 
ne prouvent rien pour Torigine du Seigneur; mais 
elle n'échappa pas à saint Augustin, qui soutint 
avec la plus grande énergie que la famille de la 
sainte Vierge devait être de la tribu de Juda *. 

Ce fait, fondement de la croyance chrétienne 
tout entière, puisqu'il nous certifie que Jésus était 
bien le Messie annoncé par les prophètes, prit place 
dès lors dans la légende de la sainte Vierge. L'au- 
teur de rÉvangile de la Nativité de Marie n'eut 
garde de l'oublier. C'est par là qu'il entre en ma- 
tière, ainsi que je l'ai déjà fait remarquer. « La 
iienheureuse et glorieuse Marie, toujours vierge, 
de la race royale et de la famille de David », tels 
sont les premiers mots de cet écrit. 

L'Évangile de la Nativité de Marie ne reproduit 
qu'en partie le Protévangile, en le modifiant toute- 
fois d'après des croyances qui s'étaient développées 

4. Pour Tertnllien cependant Marie descend de David, D9 
came Cbristi, §24. 
2. Co7Ura Faustum, lib. XXIU, § 4 et 9, cité plus haut, 

p. %n et «a. 



340 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

depuis que celui-ci avait été composé. Un autre 
Évangile latin, plus complet, embrasse à la fois les 
légendes relatives à la sainte Famille et à Marie, et 
celles qui concernent l'enfance de Jésus. Il est 
par conséquent une sorte de combinaison du Prot- 
évangile et de TÉvangile de Thomas l'Israélite. 
L'auteur de ce nouvel Évangile apocryphe avait- 
il ces deux écrits sous les yeux? c'est fort probable; 
mais s'il les suit en général, il ne se borne pas à les 
reproduire littéralement. Cet Évangile n'est ni une 
traduction latine, ni même un simple remaniement 
des deux autres. Il en diffère en plusieurs points : il 
y manque des légendes rapportées soit dans l'Évan- 
gile de Jacques soit dans celui de Thomas, et on y 
en trouve d'autres qui leur sojit inconnues; en gé- 
néral les récits y sont plus développés. 

Peut-être pourrait-on expliquer les rapports qui 
existent entre cet Évangile et les deux autres, 
en supposant que son auteur a voulu corriger les 
écrits de Joseph et de Thomas d'après les vues 
nouvelles qui. régnaient de son temps, et en même 
temps les compléter en y ajoutant les légendes 
que ceux-ci avaient omises ou qui, plus probable- 
ment, s'étaient formées depuis. 

Quoi qu'il en soit, ce nouveau recueil de lé- 
gendes est désigné le plus ordinairemenf sous le 
nom d'Évangile du Pseudo-Matthieu, par cette 
raison, que dans la plupart des manuscrits, il est 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 341 

donné pour une traduction latine d'un ouvrage 
écrit en hébreu par saint Matthieu, bien que, dans 
un certain nombre d'autres manuscrits, il soit attri- 
bué à saint Jacques, le frère du Seigneur, le même 
auquel on rapporte la composition du Protévan- 
gile *. Dans les manuscrits.de la première catégo- 
rie, il est précédé de deux lettres, l'une adressée à 
saint Jérôme par deux évoques, Ghromatius et 
Héliodore, et l'autre adressée par saint Jérôme, sous 
forme de réponse, à ces deux évêques 2, Ghroma- 
tius et Héliodore annoncent à saint Jérôme qu'ils 
avaient trouvé dans des livres apocryphes, des dé- 
tails sur la naissance de la sainte Vierge et sur la 

4 . Dans le^ manuscrits où il est attribué à Joseph, il y a^ à la 
place des deux lettres [dont il va être question, une courte pré- 
face qui est présentée comme écrite par Joseph lui-même, et 
dans laquelle il y assure qu'il a vu, de ses propres yeux, les 
événements qu'il raconte. On s'accorde à 'reconnaître que les 
manuscrits dans lesquels il est donné pour Tœuvre de saint 
Matthieu, sont plus anciens que ceux dans lesquels il est attribué 
à Joseph. C'est un des manuscrits de cette dernière catégorie 
que Thilo a fait imprimer dans son Codex apocryphus Novi Tes- 
tamenti; M. Tischendorf, au contraire, a choisi un de ceux de 
la première. 

21. Dans quelques manuscrits, ces deux lettres sont en tête 
de l'Évangile de la Nativité de Marie. Mais, comme m le verra 
par l'analyse que je vais en donner, elles se rapportent bien plu- 
tôt à rÉvangile du Pseudo-Matthieu qu'à l'Évangfle de la Nati- 
vité de la Vierge. Thilo les joint cependant à celui-ci; mais 
M. Tischendorf, qui avait d'abord suivi cette Opinion dans son 
de Evangeliorum apocryphorum origine et usu, les joint à l'É- 
vangile du Pseudo-Matthieu dans ses Evangelia apocrypha. 



342 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

naissance et l'enfance du Sauveur; mais quils 
avaient hésité d'y ajouter foi, dans la crainte 
d'être trompés par des inventions des hérétiques. 
Tandis qu'ils réfléchissaient là-dessus, ajoutent-ils, 
deux hommes de Dieu, Arménius et Virginius, 
leur avaient appris que lui, Jérôme, possédait un 
livre écrit en hébreu par le bienheureux Évangér 
liste Matthieu, et contenant le récit de la naissance 
et de la jeunesse de la Vierge aussi bien que de 
la naissance et de Tenfançe du Sauveur. En consé- 
quence, ils le prient de le traduire en latin et de 
leur communiquer cette traduction qui, en leur 
faisant connaître ce qui est vrai, les mettra en 
mesure de confondre les impostures des hérétiques. 

Saint Jérôme leur répond que ce livre est en 
effet Toeuvre de saint Matthieu qui l'avait écrit en 
hébreu, pour qu'il restât inaccessible à la foule et 
ne fût connu que des hommes pieux ; mais que, 
un manichéen du nom de Seleucus l'ayant publié 
en le défigurant, il n'y avait pas d'inconvénient à 
le traduire ; qu'il y voyait même cet avantage de 
le ' faire connaître tel que l'apôtre l'avait écrit et 
de démasquer les erreurs qu'y avait introduites 
l'hérésie. 

Ces lettres *, destinées à servir de préface à 

4 . Dans d'autres manuscrits, on trouve, à la place de la lettre 
de saint Jérôme que je viens de rapporter, une réponse toute 
différ.ente. Dans celle-ci^ saint Jérôme n'attribue plus ce livre k 



ÉVANGILES APOGa¥PHE§ ORTHODOXES 343 

rÉvangile du Pseudo-Matthieu, avaient pour bpt 
évident de le recommander à' la piété des fidèles^ 
eu lui donnant un certificat d'authenticité. La 
fausseté n'en est pas douteuse; maig, comme Bor- 
berg le fait remarquer *, le faussaire a fait preuvo 
d'une habileté peu commune en les mettant sous 
les noms de Ghromatius, d'Héliodore et de saint 
Jérôme. 

I^es deux premiers ne sont nullement des per- 
sonnages fictifs. Ghromatius était évêque d'Aquilée 
et HéUodore d'Altinum, Ils étaient l'un et l'autre 
en correspondance suivie avec saint Jérôme qui 
leur dédia sa traduction des divers livres bibliques 
qui portent le nom de Salomon, et son commentaire 
sur Habacuc. C'est sur leur demande qu'en 390 
il traduisit en latin le livre de Tobie. Cette circon- 
stance a probablement inspiré au faussaire l'idée de 
faire demander à saint Jérôme par ces deux évoques 



saint Matlhieu; il le donne pour Toeuvre de Seleucus, et il re- 
conûait qu'il contient bien des fables. Mais, iait^l remarquer^ 
comnne en réalité de grands miracles ont dû entourer la nais- 
sance et la jeunesse de la Vierge^ il ne voit pas de danger pour 
la foi k s'édifîer de la lecture de ceux qui y sont rapportés. 
CeU» lettre serait-elle la plus ancienne et aurait-elle été ren^f^a- 
cée par Tautre^ parce qu'on ne la prouvait p^s suffisante pour 
recommander et faire valoir TÉvangile du Pseudo-Sfattbieu? 
J'inclinerais à le croire. Dans toi^s les cas, elle n'est pas plus 
authentique que la précédente et que celle des deux ëvé^ues, 
CbromaU^gs et Hëliodore, 
4. Borberg, ihid., i. I, p. 213 et 2U. 



3i4 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

une traduction du prétendu Évangile hébreu dé 
saint Matthieu, et la lettre par laquelle saint Jérôme 
leur dédia sa traduction de Tobie, et qui en est la 
préface, a servi sans le moindre doute de modèle 
à la réponse que l'on attribue ici au savant anacho- 
rète de Bethléhem. 

Si ces lettres ne peuvent pas nous convaincre dô 
Tauthenticité de l'Évangile du Pseudo-Matthieu, 
elles peuvent du moins nous servir à fixer approxi- 
mativement l'époque à laquelle, il a été composé. 
Il n'est pas antérieur à la fin du iv® siècle; mais 
ce serait, ce me semble, en porter la date de la 
composition beaucoup trop tard que de lui donner 
pour auteur quelque moine savant du temps de 
Gharlemagne *. Le plus vraisemblable, c'est qu'il 
est du vi° siècle, époque à laquelle les préventions 
des Latins pour les Évangiles apocryphes et les 
légendes qu'ils rapportent, avaient commencé à se 
dissiper ^. 

■û. 

L'Évangile arabe de l'Enfance a été pour l'Orient 



4 . Doctus quidam monachus circa lempora Caroli magni hu- 
jus Evangelii auctor exslitit. Tischendorf , de Evangeliorum 
apocryphorum origine et msm, p. 48. On peut croire que M. Tis- 
chendorf a renonce à cette hypothèse; du moins il n'en parle 
plus dans les prolégomènes de son édition des Évangiles apo- 
cryphes. 

2. Tischendorf; de Evangeliorum apocryphorum origine et 
mu, p. 47. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 348 

ce que l'Évangile du Pseudo-Matthieu fut pour les 
Églises latines, je veux dire une compilation des 
légendes relatives à la sainte Famille et à Marie et 
de celles qui se rapportent à l'enfant Jésus. Cette 
compilation est toutefois plus étendue et plus com- 
plète que celle que l'on a dans le Pseudo-Matthieu. 
On a déjà vu que cet Évangile arabe se compose 
de trois parties, dont la première et la dernière 
sont des imitations^ l'une du Protévangile et l'autre 
de l'Évangile de Thomas, et dont la seconde est 
un recueil de fables orientales sur l'enfant Jésus. 
D'autres éléments y sont encore entrés. On y a 
tenu compte de plusieurs données des Évangiles 
canoniques, en les travestissant toutefois plus ou 
moins*. L'auteur connaissait les Évangiles; il les 
désigne en bloc sous le nom d'Évangile parfait ou 
complet 2. 

Cette compilation est passablement décousue. 
On y a rassemblé une foule de récits de miracles, 
sans se donner la peine de mettre chacun d'eux à 
la place qui lui convient, encore moins de bien 

i. Pour les emprunts faits aux Évangiles canoniques, voyez 
Évangile arabe, chap. 6, 9, 26, 50 et 53. 

2. Évangile arahe^ chap. 25. Lo nom d'Évangile parfait ou 
d'Évangile complet, par lequel sont désignés ici les Évangiles ca- 
noniques, a ëlë sans doute imaginé pour marquer que ces Évan- 
giles embrassaient l'ensemble de la vie du Seigneur, tandis que 
ceux des apocryphes, qui étaient connus de l'auteur de cet 
écrit, n'en comprenaient chacun qu'une partie. 



U6 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

marquer la suite des évéuementô qu'on y raj>porte. 
Ainsi au chapitre seizième l'ange ordonne à Joseph 
d'aller s'établir dans la ville de Nazareth; aux 
chapitra; suivants on voit la sainte Famille à 
Bethléhem, et la suite du récit laisse croire qu'elle 
y est décidément fixée; ce qui y est raconté sup- 
pose constamment qu'elle est dans le voisinage 
de Jérusalem, par conséquent à Bethléhem. Il n'en 
est rien toutefois, car après la fête à l'occasion de 
laquelle Jésus, âgé alors de douze ans, avait été 
conduit à la ville sainte, c'est à Nazareth, où l'É- 
vangile ne l'avait pas encore amenée, qu'il nous 
apprend qu'elle retourne *. Les confusions ou les 
sous-entendus de ce genre ne sont pas rares* Ils ne 
peuvent s'expliquer que par Tincapacité de l'au- 
teur, ab indiligentia compilatorisj comme dit 
M. Tischendorf. 

Cet Évangile ai;abe n'e^t pas un ouvrage ori- 
ginal, mais une traduction. Thilo et M. Tischendorf 
ont donné des preuves irrécusables qu'il avait été 
traduit du syriaque. 

On y trouve de nombreux détails qui ne sont 
propres qu'à la Syrie. Ce n'e^ que là que Caïphe 
et l'historien Josèphe étaient tenus pour une même 
personne; cette bizarre confusion se retrouve au 
chapitre premier de cet Évangile. Le titre de 

1. Évangik ar(ihe, diap. 53, 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 347 

Dame (Mrat), qui y esjt constamment et exclusive- 
ment donné à Marie, n'apparaît dans aucun autre 
écrit arabe ; il est, au contraire, en usage parmi les 
Syriens qui ne désignent pas autrement la sainte 
yierge. C'est encore une opinion répandue parmi 
eux que Jésus-Christ naquit l'an 369 de l'ère 
d'Alexandre *. Cette donnée est admise par cet 
Évangile ^. 

On y remarque cette singulière particularité 
qu'au mot Jésus se trouve toujours jointe la qua- 
lification de Seigneur (Rab, domimis, maître, ou 
Alrab le maître) ^ et à celui de Messie la qualifi- 
cation de prince, de chef (Alsid, dominateur , prin- 
ceps) 3. Ces deux locutions, particulières aux Nés- 
toriens, sont une conséquence de leur doctrine de 
la distinction des deux natures dai^s le Sauveur, 
qui est le Christ en tant que Dieu et Jésus en tant 
qu'homme. Quand ils parlent du Christ, ou en 
d'autres termes quand ils considèrent le Sauveur 
dans sa nature divine, ils le qualifient de domina- 
teur ; quand ils parlent de Jésus, c'est-à-dire quand 
ils considèrent le Sauveur dans sa nature humaine, 
ils rappellent le Seigneur *. Cette distinction et les 



\ . Borberg, ihid., t. I, p. 145, note 6. 

2. Évangile arabe, chap. 2. 

3. Alsid Almassyah, Évang. arabe, chap. 6, ii, 15, 46^ etc. 
Alrab Issah. Ibid,, chap. 7, 47, 21, 22, etc. 

4. Borberg, ibid,, 1. 1, p. i4i, note 2. 



348 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

locutions auxquelles elle a donné naissance se 
retrouvent dans tous les écrits nestoriens; elles ne 
se présenteraient pas certainement dans l'Évangile 
arabe, s'il avait été composé au milieu des Coptes 
qui sont monophysites. On ne saurait y en expli- 
quer la présence qu'en admettant que cet Évangile 
fut écrit primitivement en syriaque par un nesto- 
rien, et que celui qui le traduisit en arabe en rendit 
le texte mot à mot, sans bien comprendre la portée 
et la valeur de cette manière de parler de Jésus- 
Christ, ou sans y arrêter son attention et y atta- 
cher de l'importance. 

Il faut encore considérer que la plupart des 
fables qui y sont rapportées sont populaires chez les 
Nestoriens. Abulfarage et Salomon , évêque de 
Bassora, en mentionnent plusieurs dans leurs 
écrits. Ce dernier parle entre autres de la prédic- 
tion de la naissance de Jésus-Christ par Zoroas- 
tre S des deux voleurs que la sainte Famille ren- 
contra dans sa fuite en Egypte et qui furent plus 
tard crucifiés avec Jésus-Christ, de Tidole d'Her- 
mopolis qui tomba et se brisa au moment que l'en- 
fant Jésus entra dans cette ville, du roi d'Egypte 
qui reconnut l'origine divine du Seigneur, et de 
bien d'autres légendes contenues dans cet Évangile. 

i. Évangile arahe^ chap. 7. 

2. Assemani Bibliotheca orientalis, t. III, pars i, p. 309 et 
suiv. Thilo, ibid.j p. xxxii et suiv. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 349 

Ajoutez encore que cet écrit existe en syriaque. 
On en a un exemplaire parmi les manuscrits de 
la Bibliothèque du Vatican *; la Bibliothèque im- 
périale en possède un autre ^. Ces manuscrits con- 
tiennent sans doute le texte original de cet ou- 
vrage. Il y aurait quelque intérêt à les comparer 
avec la traduction arabe. 

Mais si cet Évangile est l'œuvre d'un Nestorien, 
c'est une hypothèse pleine d'invraisemblance de 
l'attribuer à Nestorius lui-même , comme on Ta 
avancé plus d'une fois. Il est impossible qu'un sec- 
taire qui prétendait que Jésus ne différait en rien, 
en naissant, du reste des hommes, et qu'il ne 
reçut communication de la nature divine que plus 
tard, en considération de ses éminentes vertus ^, 
ait composé ou seulement arrangé un écrite dans 

4 . Assemani Bibliotheca orientaîis, 1. 1, p. 585. 

2. No 433 des manuscrits syriaques. Thilo, ibid,, p. xxxi. 

3. Par opposition à Apollinaire, qui soutenait que Jésus- 
Christ n'avait pas d'âme humaine, le Logos lui en tenant lieu, 
Nestorius, patriarche de Constantinople en 428, prétendit d'a- 
bord non-seulement que la nature humaine était parfaitement 
distincte de la nature divine dans le Sauveur, mais encore 
qu'elles formaient en lui deux personnes différentes, ayant cha- 
cune ses attributs distincts. Entraîné ensuite par l'ardeur de la 
discussion qui s'engagea sur ce point, il en vint à déclarer que 
Jésus-Christ, au moment de sa naissance, possédait la nature 
humaine seule, et que ce ne fut que plus tard qu'il mérita, 
pour ses éminentes vertus, que le Verbe s'unît à lui, non par 
une union hypostatique, mais par une simple adjonction, par 
une sorte de société morale. 



350 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

lequel, contrairement aux principes qu'il soutient, 
on représente le Seigneur en possession, dès sa 
naissance, de pouvoirs extraordinaires, et qui com- 
mence par ces paroles de Jésus au berceau, à sa mère : 
« Moi, que tu as enfanté, je suis Jésus, le fils de 
Dieu, le Verbe, ainsi que l'ange Gabriel l'a an- 
noncé, et mon Père m'a envoyé pour le salut du 
monde*.» 

Des chrétiens de la Syrie au milieu desquels il 
prit naissance, cet Évangile ne tarda pas à passer 
aux chrétiens de la Perse, qui étaient presque tous 
Nestoriens, comme leurs voisins. On sait par les 
récits des voyageurs que plusieurs des légendes 
qui y sont contenues sont répandues parmi les 
Persans. « Le calendrier des Persans, dit Chardin, 
» marque la naissance de Jésus-Christ au troisième 
» jour dii septième mois; et quant à sa vie, leurs 
» légendes contiennent non-seulement ce qui s'en 
» trouve dans les Évangiles, mais encore tous 
» les contes qu'il y a dans les légendes des chrê^ 
» tiens orientaux et notamment dans une légende 
» arménienne intitulée l'Évangile-Enfant * » (c'est- 
à-dire l'Évangile de l'Enfance). 

i. Émng, arahé, chap. 4. 

2. Voyages d^ Chardin^ édit. de Langlès, t. IX, p. 424. D*a« 
près ce que Chardin rapporte de cette légende, on peut conclure 
qu'elle offrait la plus grande analogie avec TËvangile du Pseu- 
do-Thomas. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 3M 

Ange de la Brosse nous apprend encore qu'un de 
ces miracles esl également connu des Persans; 
c'est celui qui est raconté dans le chapitre trente- 
sept de notre Évangile. Voici comment il esit rap- 
porté par cet ancien orientaliste : « Il est dit dans 
* un livre apocryphe des Perses, intitulé : TjE'n- 
» fhnee de Jésus-Christ, que le Sauveur a exercé 
» le métier de teinturier, et qu'avec une seule 
» teinture^ il donnait aux étoffes diverses couleurs. 
» C'est pourquoi chez les Persans il est vénéré dés 
» teinturiers comme leur patron, et une maison de 
» teinturier s'appelle la boutique du Christ *. » 

Cet Évangile fut aussi connu des Coptes. En 
avaient-ils une traduction dans leur langue, 
comme le suppose Thilo? C'est possible; mais ils 
pouvaient le lire dans notre traduction arabe, et il 
est certain que les légendes qui y sont recueillies 
ieur étaient familières. Un fragment d'un manus- 
crit copte dont parle Zoega *, raconte la chute des 
idoles adorées dans une ville d'Egypte, à la voix 
de la sainte Vierge ^. Un écrit faussement attri- 
bué à Théophile d'Alexandrie et intitulé : Historia 

4. Ange de la Brosse, Lexicon persicum, Amsterdam, 4684^ 
in-fol., au mot Tinctoria ars. Brunet, Évangiles apocryphes, 
p. i06. 

2. Zoega, Cataîogus codicum coplicorum^ no cxix, p. 323, cité 
par Thilo, îb%d,y p. xxxvii. 

3. É^mgile arabe, cbap. 10, Évangile du Pseudo-Matthieu, 
châp, S3» 



352 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

fugœ Deiparœ et S. Josephi in jEgypium *^ les 
deux ou trois Homélies de l'évêque Gyriaque sur 
des miracles opérés par l'enfant Jésus pendant le 
séjour de la sainte Famille en Egypte ^^ et un 
opuscule inédit portant.le titre : De miraculis bea-- 
tœ Virginisy et qui se trouve parmi les manuscrits 
de la Bibliothèque Impériale ^, rapportentplusieurs 
des légendes contenues dans notre Évangile arabe. 
Il parait qu'elles sont encore répandues dans les 
Églises de ce pays. « Les Coptes, dit Thévenot, ont 
» plusieurs histoires fabuleuses tirées des livres 
» apocryphes qu'ils ont encore parmi eux. Nous 
» n'avons rien d'écrit de la vie de Notre-Seigneur 
» durant son bas âge *; mais eux ils en ont bien 
» des particularités ; car ils disent que tous les 
» jours il descendait un ange du ciel qui lui appor- 
> tait à manger ^, et qu'il passait le temps à faire 
» avec de la terre des petits oiseaux, puis il souf- 
» fiait dessus, et les jetait après en l'air, et ils s'en- 
» volaient ^. » 

1. Assemani Bibliotheca orientalis, t. II, p. 517, et t. III, 
pars i, p. 286 et 643. 

2. Thîlo, Ibid., p. xxxviii-XL. 

3. Thilo, /6td., p. XXXVII. 

4. Du temps de Thévenot, nos Évangiles apocryphes, si re- 
cherchés pendant le moyen-âge, étaient complètement oubliés. 

5. Thévenot rapporte ici par erreur, à Jésus-Christ, un mira- 
cle qui concerne la sainte Vierge. 

6. Voyages de M. ds Thévenot, liv. II, ch. 75. Évang. arabe, 
chap. 36. Thévenot parle aussi de la légende du sycomore ou du 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 353 

Cet Évangile, qui fournissait l'aliment le plus 
ordinaire à la piété et à l'édification des chrétiens 
de l'Egypte, était, selon toutes les vraisemblances, 
employé, parmi eux, dans le culte public. Ils 
avaient de nombreuses fêteS consacrées au souvenir 
des principaux événements de la fuite en Egypte. 
Le 22 du mois de mai et les deux jours suivants 
ils célébraient l'arrivée de la sainte famille dans 
leur pays. Le 8 juin était l'anniversaire du miracle 
qui fit jaillir la source à laquelle Marie se désal- 
téra, et qui rendait encore la santé aux malades qui 
allaient y chercher la guérison de leurs maux. Le 
25 du mois de mai, jour auquel, d'après la tradition, 
l'enfant Jésus avait planté en terre un bâton qui 
avait poussé des branches et était devenu un oli- 
vier, était consacré à célébrer le souvenir de ce fait 
miraculeux* . Il paraît qu'à chacune de ces fêtes on 
lisait le passage de cet Évangile dans lequel était 
raconté l'événement qui en était l'objet. Il est vrai- 
semblable qu'on y ajoutait même des explications ; 
de sorte que -chacune de ces légendes devint le 
noyau d'un nouveau développement légendaire. 
Les homélies de Gyriaque, dont j'ai déjà parlé, et 
sur lesquelles j'aurai plus tard à revenir, avaient été 

du figuier de Mataréa (Évangile arabe^ chap. H) dans ses 
Voyages, liv. Il, chap. 8. 

4 . Pendant des siècles, on montra cet arbre à Bak, non loin 
de Moharrak. 

23 



354 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

composées pour des fêtes de ce genre et n'étaient 
qu'un tissu de fables relatives à la sainte Vierge. 

Cet Évangile était en grande estime dans tout 
rOrient ; on le mettait sur la même ligne que les 
Évangiles canoniques ; il passait pour l'œuvre de 
saint Pierre. « Les chrétiens, dit un écrivain 
» arabe, ont cinq Évangiles, dont quatre sont très- 
» connus, tandis que le cinquième n'est reçu que 
» par un petit nombre d'entre eux. Ce cinquième 
» Évangile est appelé l'Évangile de l'Enfance ; il y 
» est raconté ce que fit le Messie pendant sa jeu- 
» nesse. On l'attribue à Pierre ^ » 

Presque toutes les légendes qui y sont rappor- 
tées sont connues des musulmans*. Us les ont prises, 
sans le moindre doute, dans ce livre qui ne leur était 
pas inconnu, comme on vient de le voir par la ci- 
tation précédente d'Ahmed Ibn Edris. Il est certain 
toutefois qu'ils ont eu encore d'autres sources d'in- 
formation sur l'histoire évangélique. On trouve, en 
effet, dans leurs écrits d'autres légendes que celles 
de l'Évangile arabe , mais elles sont'du même ca- 

4. Ahmed Ibn Edris, cité par J. H. Hottinger dans son Hist. 
eccles. ^euli xvi, pars 2, p. 76 et 77. Fabricius, Codex apoery" 
pkus Nûvi Testamenti, pars 4 , p. 453. 

2. Sur les légendes chrétiennes connues des musulmans, on 
peut consulter un Mémoire de Schmidt, Sagen von Jesu ans dem 
Coran, dans Bibliothek fur die Kritik nnd Exégèse des neuen 
Testaments, 4796, 1. 1, p. 4tO et suiv., divers articles de la Bi- 
bliothèque orientale de d'Heitelot, et les notes de Thilo et de 
M. Gust. Brunet sur les Évangiles apocryphes. 



ÉVANGILES APOCKIPHES OaTHODOXES 35S 

ractère. Les musulmans n'ont puisé leurs connais- 
sancêS singulièrement défectueuses de PhistoiFe pri- 
milite dii christianisme que dans d$s apocryphes. 
Les Évangiles canoniques ne paraissent pas leur 
àyoir été familiers. Probablement ils les trouvaient 
trop simples; les fables des apocryphes étaient plus 
de leur goût. 



§4. 

Le Rapport de Pilate à Tibère sur la condamna-^ 
tion, la mort et la résurrection de Jésus-Christ est 
une des plus anciennes pièces apocryphes, 

Justin Martyr y renvoie ceux qui mettaiei^t en . 
doute la vérité de l'histoire évangélique : « Voilà, 
dit-il, après avoir rapporté les traits les plus sail- 
lants de la vie du Seigneur, « voilà des faits dont 
» vous pouvez encore vous convaincre par vous- 
» mêmes, puisque vous avez la relation envoyée 
» par Ponce Pilate de tout ce qui s'est passé *• » 

TertuUien le donne également pour une preuve 
incontestable, non suspecte, du fondement histo- 
rique des croyances chrétiennes. Il termine un ta- 



Casaubon) [xaôgîv ^uvadOs. Justin Martyr, Apologie f, § a5, dans 
Opéra, p. 84, C. 



356 ÉTUDES SUR LES EVANGILES 

bleau de la vie de Jésus-Christ par ces mots : 

< Pilate, chrétien dans le cœur, rendit compte de i 

» tout ce que je viens de dire, à l'empereur Ti- 



> bère *. 



Le Nain de Tillemont prétend, il est vrai, que 
la pièce à laquelle ces deux écrivains ecclésiasti- 
ques en appellent était le véritable Rapport de 
Pilate à Tibère 2, et non celui que nous possédons. 
Celui-ci est si manifestement l'œuvre d'un faus- 
saire, que, d'après le savant auteur des Mémoires 
pour servir à V histoire de V Église ^ Justin Martyr 
et Tertullien n'auraient pu le tenir pour authen- 
tique. Il suppose, en conséquence, que, le rapport 
de Pilate à Tibère s' étant perdu, un faussaire, 
pour réparer cette perte regrettable, fabriqua la 
pièce que nous avons et qui existait déjà au iv^ siè- 
cle. Cette pièce, aussi bien que les deux lettres 
latines qui portent le nom de Pilate, étaient tenues 
pour fausses, à ce qu'il assure, parles anciens écri- 
vains ecclésiastiques. Eusèbe, selon lui, les con- 
damne formellement ^. 

Ces assertions n'ont pas le moindre fondement *. 

4 . Ea omnia sirper Christo Pilatus, et ipse jam pro sua con- 
scienlia christianus, Caesari tune Tiberio nuntiavit. Tertullien, 
Apologet., cap. 2i . 

2. Voyez dans l'appendice no 9. 

3. Le Nain de Tillemont, Mémoires pour servir à l'histoire de 
V Église, 1. 1, p. i5i-i53, U\ et 542. 

4. S'il y eut un rapport de Pilate à Tibère, il dut rester dans 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 357 

Les préventions de Le Nain de Tillemont en faveur 
des anciens écrivains ecclésiastiques ont ici obs- 
curci son jugement. Prétendre que Justin Martyr 
et Tertullien n'auraient pu se méprendre sur le 
caractère de la pièce qui nous est parvenue sous le 
titre de Rapport de Pilate à Tibère , c'est se faire 
une idée singulièrement exagérée du tact histo- 
rique de ces deux écrivains. On sait ce qu'il faut 
penser du discernement de Justin Martyr en fait 
d'histoire. Un homme qui avait vu les soixante- 
douze cellules dans lesquelles avaient été renfer- 
més les auteurs de la version des Septante S la co- 
lonne érigée en l'honneur de Simon le Magicien * 
et le siège sur lequel s'asseyait la vénérable sibylle 
de Cumes, pour rendre ses oracles ^, n'était pas des 
mieux qualifiés pour distinguer une pièce supposée 
d'une pièce authentique. Tertullien, de son côté, 
n'est pas difficile quand il s'agit de témoignages 
favorables au christianisme ^. 

Qu'on remarque maintenant que ce que celui-ci 
dit du document dont il invoque l'autorité convient 

les archives de Tempire. Comment alors les chrétiens du ii« siè- 
cle en auraient-ils eu connaissance? 
4. Justin Martyr, O'peray p. i 48, Ad Grœcos cohortatio^ § i3. 

2. Justin Martyr, Opéra, p. 69, G, Apologie \'^, § 56. 

3. Justin Marlyr, Opéra, p. 35, A et B, Ad Grœcos cohortatio^ 
§37. 

4. Par exemple, quand il assure que les empereurs eux- 
mêmes auraient cru au Christ, s'ils eussent pu être empereurs 
à la fois et chrétiens. — Sed et Cœsares credidissent super Gbristo, 



358 ÉTUDES SUH LES ÉVANGILES 

très-bien au rapport tel que nous l'avons, et nulle- 
ment à un rapport tel qu'un gouverneur romain au* 
raitpu l'adresser au chef de l'empire* Dans la pièce 
queTertuUien avait sous les yeux, Pilate parlait en 
chrétien, ipse jam pro sua conscientia ehHstia-^ 
nus; ce sont les expressions dont il se sert- C'est 
bien là le langage que luifait tenir, dans le rapport 
qui est parvenu jusqu'à nous, le faussaire qui Ta 
composé; mais ce n'est pas certainement celui 
qu'aurait tenu Pilate en écrivant à l'empereur. 
Qui croira qu'il eût laissé percer des Sentiments 
chrétiens, en eût-il été pénétré, dans une pièce offi- 
cielle ? Rien n'est plus contraire d'ailleurs à ce que 
nous savons de son caractère que le ton général 
de cet écrit. Mais Justin Martyr et Tertullien ne 
doutèrent pas un seul instant qu'à la vue de la 
mort et de la résurrection de Jésus-Christ, le gou- 
verneur romain n'eût éprouvé des sentiments 
analogues à ceux que la mémoire de ceè deux 
grands événements produisait en eux-mêmes. 

Quant à la condamnation dont Eusèbe frappe 
un rapport apocryphe de Pilate à Tibère, Le Nain 

si et christ iani potuissent esse Gsesares. Apolog,, cap. ti. Au 
reste, Le Nain de Tillemont, ayant moins d'égards à garder 
envers Tertullien qui, après tout, fut un hérétique, qu'envers 
Justin Martyr, que TÉglise tient pour un saint, reconnaît que le 
premier peut bien n'avoir pas été plus exact dans l'histoire qu'en 
beaucoup d'autres choses. {Mémoireé pour tenir i l'hi$toir$d$ 
l'éslié», 1. 1; p. 447.) 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 359 

de Tillemont commet une méprise. Ce que l'évéque 
de César ée repousse comme une pièce fausse, c'est, 
non celle que nous avons encore, mais un écrit que 
l'empereur Maximin avait fait fabriquer sous le 
nom de Pilate, écrit rempli de blasphèmes et d'im- 
piétés contre le Sauveur et destiné, selon ses 
ordres, à être publié en tous lieux, pour prévenir 
les esprits contre le christianisme *. Cette pièce 
n'avait rien de commun avec celle qui nous a été 
transmise comme étant de la main de Pilate, et qui 
respire, au contraire, à chaque ligne, une admira- 
tion sans bornes pour Jésus-Christ. Selon toutes 
les vraisemblances, Eusèbe a tenu celle-ci pour 
authentique. Dans tous les cas, il ne doutait pas que 
Pilate n'eût fait un rapport à l'empereur et que ce 
rapport ne fût favorable au Seigneur ^. 

D'un autre côté, M. Tischendorf croit que le 
document dont Justin Martyr et TertuUien invo- 
quent le témoignage est, non celui qui nous est 
parvenu avec le titre et sous la forme d'un rapport 
de Pilate à l'empereur, mais l'écrit qui forme la 
première partie de l'Évangile de Nicodème et qui 
existe séparément sous le titre d'Actes de Pilate ^. 

1. Eusèbe, Hist, eccles., lib. TX, cap. 5, 7 et 9; Nicéphore, 
Hist, eccles,, lib. VII, cap. 26. 

2. Eusèbe, Hist. eccles.^ lib. II, cap. 2; Chronic, lib. Il, éd. 
Scaliger^ p. 203. Fabricius, Codex apocryphus Novi Testamenti, 
pars i, p. 2.47.219; pars t, p/ 480 et suiv. 

3. Tischendorf, Evai^gelia apocrypha, p. l%uI'L\v» 



360 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Cette opinion me paraît manquer de vraisem- 
blance. 

En effet, ce (jue Tertullien dit des sentiments ex- 
primés par le gouverneur romain dans cette pièce 
convient bien mieux au Rapport qu'aux Actes de 
Pilate. Dans le premier de ces deux écrits, Pilate 
se présente lui-même comme « saisi de crainte et 
de terreur » à la vue et encore au souvenir de ce 
qui s'est passé sous ses yeux. Il va même jusqu'à 
déclarer les miracles de Jésus supérieurs à ceux des 
divinités du peuple romain. C'est bien d'un homme 
animé de tels sentiments qu'on peut dire, avec Ter- 
tullien, qu'il était déjà chrétien au fond du cœur, 
ipse jam pro sua conscientia christianus. On ne 
saurait l'affirmer aussi positivement du gouverneur 
romain des Actes de Pilate. Il y montre sans doute 
une constante bienveillance pour le Sauveur ; mais 
il ne se prononce pas toutefois aussi énergiquement 
en sa faveur que dans le Rapport. 

Ce qui me paraît le plus décisif contre l'opinion 
de M. Tischendorf, c'est que Justin Martyr et Ter- 
tullien en appellent ou croient en appeler à une 
pièce officielle; sans cela, leur argumentation 
n'aurait pas de sens. Or, des deux écrits, le rap- 
port de Pilate à Tibère est le seul qui affecte cette 
forme. 

On peut conclure de là, .ce me semble^ que c'est 
de ce document que veulent parler Justin Martyr 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 361 

et TertuUien, et, par conséquent, que cette pièce 
existait déjà vers le milieu du second siècle. 

L'Évangile de Nicodème se compose de deux 
ouvrages apocryphes qui, dans le principe, étaient 
distincts et séparés, qui sont d'âges différents, et 
qui n'ont été réunis que fort tard. Le premier est 
formé des seize premiers chapitres et, dans un grand 
nombre de manuscrits, porte le titre à^ Actes de 
Pilate * ; le second comprend les dix derniers cha- 
pitres, du dix-septième au vingt- septième^, et con- 
tient un récit de la descente de Jésus-Christ aux 
enfers^. 

Que ces deux écrits aient été séparés dans l'ori- 
gine, c'est ce qui ne peut soulever le moindre 
doute *. Des douze manuscrits grecs consultés par 
M. Tischendorf, deux ou trois seulement ont les 
deux parties réunies. La traduction copte ne ren- 
ferme que les Actes de Pilate. Les manuscrits latins, 
les seuls qui portent le titre d'Évangile de Nico- 
dème, contiennent, il est vrai, les deux ouvrages se , 
suivant sans interruption, comme on le voit dans le 

1. En grec : 'TffOfJLviiaaTa tc5 Kupîou tq[jlwv liQacû Xpiorou wpax- 
ôî'vra 67Pt novTiou niXàrou . 

2. Le 28* chapitre, qu'on y trouve dans Thilo, Codex apocry- 
phus Novi Testamentif p. 789-795, n'existe pas en grec et n'est 
que dans la traduction latine. 

3. Cette seconde partie n'a qu'un titre latin dans Tischen- 
dorf, Emngelia apocrypha, p. 304 . 

4. Thilo, ibid,^ p. cxvui; Tischendorf, ibid., p. lv. 



3W ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Codeco apocryphus Nom Testamenti de Thilo, et 
dans la traduction française de M. Brune t; mais 
primitivement il n'en était pas de môme. Grégoire 
de Tours nous en fournit la preuve. 11 parle des 
Actes de Pilate, il les cite comme un ouvrage qu" il 
avait sous les yeux * ; mais quoiqu'il connaisse la 
légende de la descente de Jésus-Christ aux enfers ', 
il ne fait mention d'aucun livre dans lequel il en au- 
rait vu le récit. Le manuscrit des Actes de Pilate qu'il 
possédait ne contenait donc pas la seconde partie de 
rÉvangile de Nicodème et n'en portait pas le 
nom. 

Les Actes de Pilate, dans les manuscrits grecs où 
ils se trouvent seuls, comme aussi dans la traduc- 
tion copte qui, comme je viens de le dire, n'a pas 
le récit de la légende de la descente de Jésus- 
Christ aux enfers, ont une conclusion propre ; et 
cette conclusion est ou omise ou modifiée dans les 
quelques manuscrits grecs qui contiennent les deux 
ouvrages, et naturellement aussi dans les manus- 
crits latins. De même le livre de la descente de Jé- 
sus-Christ aux enfers a un commencement qui lui 
est propre dans les manuscrits grecs où il est seul; 
et ce commencement se trouve modifié dans les 
manuscrits où les deux écrits sont réunis. Cette 

4 . Grégoire de Tours, Historia Francorum^ lib. I, cap. 21 et 
^4. QusB gesta, dit-il, apud nos hodie retinentur scripta, 
3. Grégoire de Tours, de Miraculis, lib* I, cap. 3. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 363 

double opération, on le comprend sans peine, fut 
nécessaire pour fondreles deux ouvrages en un seul. 

Ajoutez qu'il n'est fait mention d'un Évangile de 
Nicodème dans aucun des anciens écrivains ecclé- 
siastiques. Il est au contraire question, probable- 
ment dans quelques-uns d'entre eux, et certaine- 
ment dans Epiphane *, de l'écrit qui forme la pre- 
mière partie de cet Évangile, et sous le nom môme 
d'Actes de Pilate. On lit, il est vrai, dans un Sy- 
naxarium Grœcorum: « On dit que Nicodème avait 
le premier exposé dans un livre particulier le récit 
delà passion et de la résurrection du Christ ^ ». 
Mais ce passage a été interpolé ^ ; il se pourrait même 
que l'ouvrage lui-môme ne fût que du xiv® siècle. 

Enfin on ne saurait comparer les deux écrits, 
sans rester convaincu qu'ils sont de deux auteurs 
différents. On en donne, entre autres, une preuve 
qui me paraît décisive. Deux passages des Évan- 
giles canoniques sont cités dans l'un et dans l'autre. 
Si les deux ouvrages étaient de la môme main, les 
deux passages seraient identiques ; mais il n'en est 
rien. Le bon brigand dit à Jésus-Christ, dans les 
Actes de Pilate, chap. 10 * : Souviens -toi de moi, 

4. Epiphane, Hœres., l, § 4 . 

2. Synaxarium Grœcorum, Y enise, 1579, p. 75; Leû Allatius, 
De lihrU eeclBêiast, grmiSy Paris, 4645, p. SI35; FabriciUs, Co- 
dex apocryphus Novi Testamenti, pars 4 , p. 223. 

3. Léo Allatius, ibid.; Tischendorf, Evângelia apocrypha^ 
p. u:^. 



364 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

» Seigneur, dans ton royaume, » Mv^fcÔTiTe pu, 
Kupie, èv T-^ paat^éia aou, et dans la Descente de Jésus- 
Christ aux enfers, chap. 10: « Seigneur, quand tu 
» régneras, ne m'oublie pas, » Kupte, ore paciXsuaeiç, 
(jLïî (jLou êTTiXocÔYi. — Dausles Actes de Pilate, chap. 14, 
Jésus -Christ dit à ses apôtres : « Celui qui aura 
» cru et qui aura été baptisé sera sauvé, mais celui 
» qui n'aura pas cru sera condamné, » ô TCicTeuaaç 
xai PaTTTicÔeiç awÔyfceTai, 6 Se aTUicTYfcaç xaTocx.pi6Yf<7eTat ; 
dans la Descente aux enfers, chap. 2, cette déclara- 
tion est présentée -en d'autres termes : « Celui qui 
» croira en lui sera sauvé, mais celui qui ne croira 
» pas en lui sera condamné, » iva ôgtiç TricTeuav) Tupoç 
aÙTOv (jwÔYiceTai, oodTt; Se o6 iriaTeùaei etç aÙTov xaTaxpi- 
ÔvfceTat. Il n'est plus question du baptême dans cette 
dernière citation, et cette omission est d'autant plus 
étrange que ces paroles sont mises ici dans la 
bouche de Jean-Baptiste *. 

Que conclure de ces différences, sinon que l'au- 
teur d'un de ces écrits ne citait pas l'Écriture sainte 
avec la même exactitude .que l'auteur de l'autre? 
peut-être même qu'ils ne se servaient pas des mêmes 
Évangiles? Mais dans un cas comme dans l'autre, 
on doit admettre que les deux ouvrages ne sont pas 
du même écrivain. 

A quelle époque ont-ils été réunis ensemble pour 
former l'Évangile de Nicodème? Au plus tôt au 

1 . Tliiio, Codex ajH)cryphfi8 Noci Testamentij p. lvi. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 368 

VIII® siècle. Du temps de Grégoire de Tours *, ils 
étaient encore séparés, je l'ai prouvé plus haut. Ils 
sont réunis au x® siècle. Le manuscrit d'Einsiedeln, 
le plus ancien de ceux dans lesquels ils se présen- 
tent sous cette nouvelle forme, est seulement de 
quelque peu antérieur à cette date ^. Depuis ce 
moment, l'Évangile de Nicodème est constitué. 
Vincent de Beauvais le cite sous ce titre ^, et à 
peu près à la même époque, Jacques de Voragine 
le met à contribution dans son Historia Lombar- 
dica^ (la Légende dorée). 

Il est probable que c'est dans TOccident que les 
Actes de Pilate et le récit de la descente de Jésus- 
Christ aux enfers furent joints ensemble, et que 
l'ouvrage qui en résulta fut nommé l'Évangile de 
Nicodème. On a même supposé que ce travail avait 
été exécuté dans l'Église anglo-saxonne. Il est cer- 
tain du moins que les plus anciennes traductions 
en langue vulgaire de cet Évangile sont en anglo- 
saxon^ et dans l'idiome du Pays de Galles^. Il 

1 . Grégoire de Tours vécut de 544 à 596. 

2. Primus quidem conjunctas partes latinus codex Einsidlen^ 
sis testatur, quem sœculo decimo priorem existimant. Tischen- 
dorf, Evangelia apocrypha, p. lxii. 

3. Vincent de Beauvais mourut en 1 264. 

4. Jacques de Voragine mourut en 1298. 

5. Guill. Cave, Hist» litter. scriptorum ecclesiast., p. 42. 
Celte traduction fut imprimée à Oxford, en 1698, in-4o, par les 
soins d'Edouard Thwaites. Thilo, Codex apocryphus Novi Tes- 
tamenti, p. cxlii-cxlvi. 

6. Archeologia J5n7anmca,p. 256. 



aë6 ÉTLDKS SUH LES EVANGILEâ 

faut ajouter que pendant le moyen âge il fut, dans 
la Grande-Bretagne, un des livres les plus popu- 
laires et les plus estimés * ; ce qui s'explique bien cer- 
tainement par cette circonstance, qu'un des person- 
nages qui y jouent les premiers rôles, Joseph d'Ari- 
matfaée, passait pour avoir apporté le christianisme 
dans cepays^ et en était regardé comme Tapdtre *. 
Mais cette hypothèse ne laisse pas que de soule- 
ver bien des difficultés. Si c'est en Occident que 
les Actes de Pilate et le récit de la descente de 
Jésus-Christ aux enfers ont été réunis ensemble, et 
seulement vers le viii® ou le ix® siècle, comment 
les trouve-t-on également réunis dans des manus- 
crits grecs? Les Églises latines ont copié en beau- 
coup de choses les Églises grecques; mais celles-ci 
ont fait très-peu d'emprunts à celles-là; elles ont 

1. On peut en juger par ce que rapporte Érasme que, dans le 
vestibule de la calhëdraie de Canterbury se trouvaient quelques 
livres^ parmi lesquels était rÉvangiie de Nicodème. Erasmi 
opera^ Lugduni^ t. I, p. 783, Colloq. famiL 

2. Il n'y a rien dans cet Évangile lui-môme qui permette de 
l'attribuer de préférence à Nicodème, Joseph d'Arimathëe avait 
tout autant de droits à lui donner son nom. En réalité, c'est 
Pilate qui y est représenté comme le véritable auteur, c Toutes 
ces choses que les Juifs avaient dites dans leur «yna^ogue^ e8t4I 
dit dans cet Évangile, chap. 28, Joseph ei Nicodème ies commu- 
niquèrent aussitôt au gouverneur, et Pilaie écrivit tout ee que 
les Juifs avaient dit touchant Jésus, et déposa touies ee* paroles 
dans les registres |>ublics de son prétoire. » Thilo, Codex apeery» 
phui Novi TestameuH, p. 788. Brunn, Disquùitio idstorico-eri-- 
tica de indole, œtate et usu libri apocrypki, vulg^ inseripti : 
Evangelium Nicodemi^ p. 32, 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 367 

même repoussé systématiquement tout ce qui appar- 
tenait en propre à l'Occident, depuis le moment que 
les liens qui avaient uni les deux Églises dans les 
premiers siècles commencèrent à se relâcher. 
L'Évangile de Nicodème existe cependant en grec 
aussi bien qu'en latin ; le titre en est même men- 
tionné dans le-^'i/na^armm grec *, quej 'ai déjà cité. 
Gomment ce livre était-il passé des Latins aux Grecs? 
On n'a pas la moindre donnée historique de laquelle 
on puisse tirer, par induction, une solution quel- 
conque de ce problème. Une seule supposition est 
possible, c'est que cet Évangile, qui fut très^répandu 
en Occident, qui fut même inséré dans un roman de 
chevalerie, ayant été porté en Orient pendant les 
croisades, quelque Grec érudit arrangea d'après lui 
les textes grecs des Actes de Pilate et du récit de 
la descente du Seigneur aux enfers. 

Quant au motif qui put faire réunir ces deux 
écrits ensemble, il n'est pas difficile à deviner. La 
descente de Jésus- Christ aux enfers est un épisode 
intéressant de la partie de l'histoire du Sauveur 
racontée dans les Actes de Pilate. Elle eut lieu 



4. Mais seulement, il est vrai, d'après un ouï-dire. Aé-^nan 
p.»vTût à; )cai Nad^yiu-oç *outoç X67rrop.6pô; rà Karà to waôoç to5 Xpt- 
srm Tuù T7tt àvaara^iy ouvrà'YpiXTt ^t%7ouifr,aè iç^âvoç <vavn«v le Ttç 
ovya'YW'Y^ û)v, xal aHpiêsaTÈpov xoù xàç PouXà; rS>v 'Icu^aiwv xat Xo- 
'Ycuç xat àipXwç Ta TtàvTa êiîwç. Synaxarium Grœeorum, Venise, 
4ë7d, p. 7$; Léo Âihtim^d^Libns ecclesiiuticif Grœcorumt Pa- 
ris, 4etô, p« m. 



368 ÉTUDES SUH LES ÉVAxNGILES 

pendant le temps qui s'écoula de sa mort à sa ré- 
surrection. Il était tout naturel d'enjoindre le récit 
à celui de ces deux grands événements. Cette raison 
suflSt pour expliquer la formation de l'Évangile de 
Nicodème. 

Examinons maintenant chacune des deux par- 
ties qui le composent. 

Les Actes de Pilate remontent fort haut, pour le 
moins au milieu du second siècle. Brunn fait re- 
marquer avec raison qu'il y est parlé de Jésus- 
Christ en des termes qui rappellent le langage des 
Évangiles synoptiques, et qu'il n'y a pas un seul 
mot qui ressemble même de loin aux conceptions 
christologiques consacrées au concile de Nicée * , 
il aurait pu ajouter, et à celles des écrivains ecclé- 
siastiques du III® siècle et même de ceux de la fin du 
second. Jésus y est présenté comme le Messie an- 
noncé par les prophètes, mais nulle part comme le 
Verbe de Dieu, et encore moins comme Dieu. 
On peut conclure de là que cet écrit fut rédigé 
avant que ces conceptions christologiques fussent 
arrêtées, avant même qu'elles eussent commencé à 
se développer. 

Cette détermination de l'époque à laquelle ce 
livre fut composé, trouve une nouvelle preuve dans 
un fait rapporté par Épiphane. Les quartodéci- 

4 . Brunn, Disquisitio historica critica de indoUy œtdte et tmi/j^- 
bri apocryphij vulgo inscripti: Evangelium Nicodemi, p. 73 et 3. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 369 

mans, à ce que rapporte ce Père de l'Église, se 
vantaient de trouver la confirmation de leur opi- 
nion particulière sur la date de l'institution de la 
sainte Cène dans le livre des Actes de Pilate *. Il 
y est dit, faisaient-ils remarquer, que le jour de la 
crucifixion de Jésus-Christ fut le 8 des kalendes 
d'avril, qui est le 25 mars^. Or cette désigna- 
tion ne se rencontre ni dans le rapport de Pilate 
à Tibère, ni dans sa lettre latine à cet empereur, 
ni dans sa lettre latine à Claude; elle ne se trouve 
que dans la préface du livre qui est connu sous le 
nom d'Actes de Pilate. Ce livre est donc celui 
dont les quartodécimans invoquaient le témoi- 
gnage. Il existait par conséquent dans la seconde 
moitié du second Mècle, époque à laquelle eurent 
lieu les discussions entre les chrétiens de l'Orient 
et ceux de l'Occident sur le jour auquel Jésus- 
Christ avait célébré la pâque. 

Tous ceux des critiques qui se sont occupés, de 
nos jours, des Évangiles apocryphes, s'accordent à 
donner pour auteur aux Actes de Pilate un Juif 

4. kfnh Tû)V ÂxTwv ^TÎÔEV niXocTou aùxouai rh àxp(€itav tupr.xtvat. 
Épiphane, Hœres., l, § 1 . 

2. Gesta^Pilati^ prœf. ; Tbilo, ibid,,i%; Tischendorf, tôR, 
p. 205. Êv oXç (les Actes de Pilate) èp.çépeTai t^ «pb oxtw xaXav- 
Bm aTïptXXtwv tov Swrîipa Trewovôevai. Épiphane, Ibid, Ghrysostome 
dit aussi que les Actes de Pilate fixent le temps de la Pâque, en 
racontant que le Sauveur a souffert le huit des calendes d'avril. 
Chrysostomi opéra ^ éd. Savil., t. V, p. 942, Homil. VII in 
Pascha, 

24 



370 ETUDES SUR LES ÉVANGILES 

converti au christianisme*. Cette hypothèse, mise 
en avant par Brunn *, quand on tenait l'Évangile 
de Nicodème pour un ouvrage tout d'une pièce et 
pour Tœuvre d'un seul auteur, aurait dû, ce me 
semble, être abandonnée ou du moins précisée, 
depuis qu'il est reconnu que cet Évangile se com- 
pose de deux parties primitivement distinctes et 
d*époques fort différentes. Brunn l'appuyait sur 
des considérations empruntées les unes à la pre- 
mière partie et les autres à la seconde. Si ces con- 
sidérations avaient quelque valeur^ il s'ensuivrait, 
chose étrange, que deux ouvrages, composés l'un 
vers le milieu du second siècle et l'autre au moins 
deux cents ans plus tard, vers la fin du quatrième, 
auraient eu également pour auteurs des Juifs con- 
vertis. Cette singulière rencontre donne à cette 

4. Brunei, Évangiles apocryphes ^^^^ édît.,p. 214 et 8*5. J.-J. 
Hoffmann, dans son Lexicon universaîe^ Taltribue tout simple- 
ment aux hérétiques. Puisque ce livre est plein d'erreurs, qui 
pourrait l'avoir composé, sinon des hérétiques? L'opinion la plus 
singulière est celle qui le donne pour une œuvre de Grégoire de 
Tours. C'est sous son nom qu'il était indiqué dans un ancien 
catalogue de l'université de Cambridge. In calalogo manuscrip- 
lorum Angliae codicum, p. 127, dit Ger. Vossius, Gregorio Tu- 
ronensi quoque tribuitur libellus de passione Domini, quem ipse 
Gesta Pilati videtur nominasse. Error iste mihi ex eo videtur 
abortus, quod codici fuerit Gregorii Turonensis a non nemine 
subjectus. De Hist, latin., lib. II, cap. %%, p. 265. Peut-être 
aussi cette erreur venait-elle des citations de cet apocryphe 
qu'on trouvait dans VHistoria ecclesiastica Francomm* 

2. Brunn, ibid.t p. 64 et suiv. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 371 

hypothèse un certain air d'invraisemblance qui 
suffirait pour la faire rejeter. 

Tenons-nous-en cependant au livre des Actes de 
Pilate. Sur quoi se fonde-t-on pour en attribuer la 
composition à un Juif converti au christianisme? 
Est-ce sur le sentiment de violente animosité qui 
y éclate à chaque page contre les Juifs, sentiment, 
dit-on, assez ordinaire à des convertis à Tégard 
de leurs anciens coreligionnaires? Mais ce senti- 
ment était-il donc à cette époque inconnu parmi 
les chrétiens? De bonne heure on rejeta sur les 
docteurs de la loi, sur les pharisiens, sur les 
prêtres juifs, sur la race d'Israël tout entière, 
l'odieux de la condamnation du Seigneur, et par 
suite on amnistia d'autant le procurateur romain, 
dont on oubliait trop la déplorable légèreté. Il n'y 
a donc rien dans ce trait qui oblige à voir un Juif 
converti dans l'auteur de ce livre. 

Voudrait- on trouver dans les aveux des prêtres 
et des docteurs de la loi, par lesquels se termine cet 
écrit S une preuve que l'auteur avait eu Tintention 
« d'opposer à l'incrédulité des sectateurs de Moïse 
le témoignage des contemporains de Jésus- 
Christ ^? » Mais qui ne voit que, si l'on représente 
ici le grand-prêtre, le sacrificateur et les docteurs 
de la loi comme reconnaissant à la fin que Jésus 

1. Thilo, ibid,, p. 259-26Ô, 300, 364.367. 

2. Brunet, ibid., p. 2U et ÎIB; Thiîo, ibid,, p. lxv. 



372 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

était bien réellement le Messie, c est tout simple- 
, ment par suite, d'un côté, de l'ignorance historique 
qui régnait alors, et d'un autre côté, des préventions 
d'hommes qui ne pouvaient comprendre que les 
raisons qui les rattachaient au christianisme n'eus- 
sent pas produit le même eflfet sur ceux qui avaient 
été témoins des miracles du Sauveur? Encore ici il 
n'y a rien qui puisse n'appartenir qu'à un Juif con- 
verti au .christianisme. 

Mais comment peut-on chercher un Juif converti 
dans l'auteur des Actes de Pilate, quand on yren- 
contre des erreurs qui certainement ne se seraient 
pas produites sous la plume d'un enfant d'Israël ? 
Un Juif n'aurait pas ignoré que le temple qui exis- 
tait du temps de Jésus-Christ n^était pas celui que 
Salomon avait fait bâtir* et que ce roi mit sept ans ^, 
et non quarante-six, à le faire construire. Il n'aurait 
pas mis dans la bouche des prêtres et des docteurs de 
la loi une phrase telle que celle-ci : « Nous avons 
pour loi de ne guérir personne le jour du sabbat ^. » 
Ces erreurs, et bien d'autres encore, montrent dans 
l'auteur de cet écrit un homme entièrement étran- 
ger à l'histoire et aux mœurs du peuple d'Israël. 

Et non-seulement l'auteur des Actes de Pilate 
n'est pas un Juif, mais encore le but qu il sepro- 

4 . Évangile de Nicodème, chap. 4. 

2. I Rois^ VI, 38. 

3. Évangile de Nicodème^ chap. 2. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 373 

pose n'est nullement de convaincre les Israélites, 
par les prétendus témoignages de leurs pères, de 
la vérité de l'histoire évangélique. S'il met au 
nombre des accusations que les chefs de la syna- 
gogue portèrent devant Pilate contre Jésus-Christ 
les arguments par lesquels les Juifs de son temps 
cherchaient, dans la controverse avec les chrétiens, 
à combattre le christianisme et à en rabaisser le 
fondateur, c'est par suite de ce malentendu trop 
fréquent par lequel les historiens inintelligents 
transportent dans les événements du passé les 
idées et les manières de penser de leurs contem- 
porains. Il ne se doute même pas que les adver- ^ 
saires du Seigneur eurent soin de ne faire valoir 
contre lui, au tribunal de Pilate, que des raisons 
politiques. Les Juifs purent trouver utile à leur 
cause de reprocher aux chrétiens en général, et aux 
chrétiens judaïsants plus spécialement, la naissance 
illégitime de leur maître et le peu de respect qu'il 
avait montré, en certaines circonstances, pour la loi 
de Moïse. Mais ces arguments, bons pour la con- 
troverse, auraient peu touché le gouverneur 
romain. C'est cependant là-dessus que l'auteur des 
Actes de Pilate insiste de préférence. S'il touche 
aux raisons qui seules purent faire impression sur 
le procurateur romain, ce n'est que parce qu'elles 
lui étaient en quelque sorte imposées par le récit 
des Évangiles canoniques, et encore n'est-ce qu'en 



374 ËTUDËS SUR LES ÉVANGILES 

passant qu'il indique que les Juifs représentèrent 
le Seigneur comme un agitateur public, dangereux 
à la domination romaine. Quoi qu'il en soit, c'est 
tout simplement une histoire du jugement, de la 
mort et delà résurrection du Sauveur quil a pré- 
tendu raconter; son ambition n'allait pas plus loin 
que d'embellir le récit qu'en avaient fait les Évan- 
giles canoniques, des traits nouveaux qu'y avait 
sgoutés la légende. 

Cet écrit n'est pas une simple compilation, comme 
les Évangiles de l'Enfance. Bien des passages des 
Évangiles canoniques y sont rapportés textuelle- 
ment ou en abrégé *, et probablement il s'y trouve 
plus d'un emprunt à différents ouvrages qui ont 
péri. Mais ce ne sont là que des matériaux que 
Tauteur a mis en œuvre, dans une composition qui 
lui appartient en propre. Il est même digne de re- 
marque qu'il traite avec une grande liberté les 
données qu'il tire des Évangiles canoniques. Ainsi 
ce n'est pas par les ordres des chefs de la syna- 
gogue que Jésus-Christ est arrêté ^, et ce n'est 
pas par eux qu'il est conduit à Pilate après avoir 
d'abord comparu devant le sanhédrin '. D'après 
les Actes de Pilate, il était encore en liberté 

4. Émngile de Nicodème^ chap. 1, 8, 3, 4^ 6,7, etc. 

2. Matth.f XXVI, 47; Marc, xiv, 43; Luc^ xxii, 52; Jean^ 
XVIII, 42. 

3. Matth., XXVI, 57; xxvii, 2; Marc, xiv, 53 ; Luc, xxii, 84; 
xxiii, 1; Jean, xviii^ 43, 28. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 375 

quand le gouverneur romain le cite. lûi>-méme 
directement devant son tribunal ^. .Pilate se mon- 
tre ici de plus en plus convainôu de Tinno- 
cence du Seigneur 2, tandis que dans les Évan- 
giles canoniques , il procède à ce jugement avec 
une légèreté inexcusable ^ Contrairement au récit 
de saint Jean, les Juifs ne se font pas le moindre 
scrupule d'entrer dans le prétoire *, et c'est avant 
que Jésus-Christ expire, qu'un soldat lui perce le 
côté d'un coup de lance \ Quelquefois même le 
récit des Évangiles canoniques est amoindri; 
Ainsi, ce n'eSt pas la foule qui, des palmes à la 
main, reçoit triomphalement Jésus à son entrée à 
Jérusalem ; ce sont seulement des enfants qui, te- 
nant des rameaux dans leurs mains , criaient : 
Salut, fils de David, tandis que d'autres étendaient 
leurs vêtements sur le chemin ^. * 

Faut-il, avec Brunn, conclure de ces écarts que 
nos quatre Évangiles canoniques n'étaient pas 
alors tels que nous les avons ^? Je ne saurais 

1. Évangile de Nicodème^ chap. 1 . 

2. Ibid. 

3. Matth,, XXVII, 24 et 25; Marc, xv» 40-45; Jean^ xix> 6. 

4. Jean, xyiu, 28 ; Évangile de Nicodème, chap. 2. 

5. Jean^ xix, 30 et ^k\ Évangile de Nicodème, chap. 40. 

6. Matlh., XXI, 8-40; Jean, xii, 42 et 43; Émngiiede Nico- 
dème, chap. 4. 

7. Ex his omnibus id jure eliciendum est, auctorem nostrum 
Evangelia quatuor canonica non talia, qualia nunc 8ut)t, cogno^ 
visse. Brunn, ibid,^ p. 55. 



376 ÉTUDES SUR LES EVANGILES 

Tadmettre. La seule conclusion légitime qu'on 
puisse en tirer, c'est que nos Évangiles n'avaient 
pas encore, du moins aux yeux de l'auteur des 
Actes de Pilate, l'autorité qui leur fut bientôt 
après universellement reconnue. . 

Ce livre eut certainement l'Orient pour patrie. 
S'il fallait s'en rapporter à ce qui est dit dans la 
préface, il aurait été écrit en hébreu par Nicodème 
et traduit en grec par un Israélite, docteur de la loi, 
du nom d'Emée, la dix-huitième année du règne 
de Théodose *. Cette indication n'a pas la moindre 
valeur *. Les actes de Pilate furent écrits primitive- 
ment en grec. La langue et le style rappellent 
ceux du Nouveau-Testament ', et les citations de 
TAncien-Testament y sont faites d'après la version 
des Septante ^. 

A quelle époque a-t-il été traduit en latin? On 
l'ignore complètement. Il n'est pas une seule donnée 
historique qui puisse autoriser quelque hypothèse 
un peu vraisemblable. Les copistes du moyen-âge 

4 . C'est de là sans doute qu'est née la fiibie qui rapporte que 
l'empereur Théodose trouva ce livre dans le prétoire de Pilale, 
parmi les registres publics. Brunn, ibid., p. 33. 

2. Tischendorf, Evangelia apocrypha, p. lxv et lxvi ; Brunn, 
ibid,, p. 66. 

3. Brunn, ibid,, p. 62-64. 

4. Il faut ajouter que cet écrit a subi, à diverses reprises, 
des altérations et des remaniements de plus d'un genre. Il y a 
de nombreuses discordances entre les manuscrits. Alf. Maury, 
Cro^nces et légendes de Vantiquité, p. 291 . 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 377 

se sont permis sur ce point les plus singulières 
fantaisies. Dans un manuscrit de la version latine 
[codex hodlejan , 2513), on l'attribue à saint Am- 
broise : Passio Domini, y est-il dit, a 'S. Amhrosio 
degrœcoin latinum translata, quœ reperta fuit in 
prœtorio Pontii Pilati. Les deux indications se va- 
lent: la traduction est de saint Ambroise, de même 
que le livre a été trouvé dans le prétoire de Pilate. 

La seconde partie de TÉvangile de Nicodème re- 
monte tout au plus à la seconde moitié du quatrième 
siècle. 11 ne saurait y avoir le moindre doute sur ce 
point. J'ai déjà fait remarquer que la légende de 
la descente de Jésus-Christ aux enfers a succes- 
sivement revêtu trois formes différentes, ou, pour 
mieux dire, a été entendue et expliquée dans trois 
sens différents. A la fin du second siècle et pen- 
dant tout le troisième, on croit que le Seigneur est 
descendu dans les lieux souterrains, d'abord pour 
se soumettre à la loi commune à toute la race hu- 
maine, qui veut que l'homme, après la mort, aille 
dans THadès, et ensuite pour annoncer la bonne 
nouvelle* du salut aux générations éteintes et 
faire participer au salut quiconque se convertirait à 
la foi. Au quatrième siècle et au moins pendant la 
première moitié du cinquième, on se figure qu'il est 
descendu dans les enfers pour achever son œuvre 
en brisant la puissance de la Mort et de Satan, et 



378 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

en tirant des profondeurs du Scheol les hommes 
justes de TAncienne Alliance qui avaient attendu 
et annoncé son avènement sur la terre. Enfin, à par- 
tir du milieu du cinquième siècle ou du commence- 
ment du sixième, cette dernière explication de la lé- 
gende prend un plus grand degré de précision : on 
distingue entre les saints et les justes que le Sei- 
gneur a délivrés et les impies et les pécheurs en- 
durcis qu'il a laissés dans les tourments de Tenfer. 
Il n'a pas détruit l'enfer, à proprement parler; il a 
seulement brisé les portes de la partie où les pa- 
triarches et les prophètes avaient été retenus jus- 
qu'à ce moment, et maintenant que ce lieu n'est 
plus fermé à jamais, les saints et les justes de la 
Nouvelle Alliance, qui y sont conduits après leur 
mort, pourront à leur tour en sortir en temps op- 
portun. La doctrine du purgatoire est déjà en 
germe dans cette nouvelle interprétation de la lé- 
gende *. 

Quelle est celle de ces trois explications d'après 
laquelle elle est racontée dans la seconde partie de 
l'Évangile de Nicodème ? Ce n'est certainement ni 
la première ni la dernière. Elle y est exposée dans 
le sens de la seconde, dans le même sens que lui 
donnent Ghrysostome, Grégoire de Nysse, Cyrille 
de Jérusalem, tous les orateurs chrétiens du qua- 
trième siècle* Cette partie de l'Évangile de Nicodème 

1 , Hevue niiderney t. xxxm, p. 443-447. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 379 

nô peut être d'une autrer époque. Elle est de la fin 
du quatrième siècle ou du commencement du cin- 
quième. On ne saurait en placer la composition ni 
plus haut ni plus bas. 

Par là se trouve écartée Thypothèse de M. Ti- 
schendorf sur Torigine de cet écrit, dans lequel 
il ne voudrait voir que la reproduction plus ou 
moins modifiée d'un opuscule apocryphe du second 
siècle ^ S'il y a eu au second siècle quelque opus- 
cule consacré au récit de la descente- de Jésus- 
Christ aux enfers, cette légende y était certaine- 
ment présentée dans le sens dans lequel elle était 
entendue à cette époque; par conséquent cet écrit 
du second siècle et la seconde partie de l'Évangile 
de Nicodème ne pouvaient avoir rien de commun 
que le fait qui fait le fond même de cette légende, 
c'est-à-dire ce thème très-simple, que le Seigneur 
descendit aux enfers dans l'intervalle qui s'écoula 
de sa mort à sa résurrection. Sur ce fond commun, 
les auteurs de ces deux ouvrages avaient élevé des 
édifices non pas seulement distincts, mais encore 
entièrement différents dans leur ordonnance géné- 
rale et dans toutes leurs parties. Le plus ancien 
n'aurait pas mieux -pu servir de modèle au second 
que l'explication que TertuUien, Clément d'Alexan- 
drie et Origène donnent de cette légende, à celle 

\ . Tischendorf, tJvangelia apocryphay p. lxviu . 



380 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

qu'en présentent les prédicateurs du quatrième siècle . 
Si celle-ci n'est pas et ne peut pas être un remanie- 
ment ou un développement de celle-là, la seconde 
partie de l'Évangile de Nicodème n'a pu être une 
imitation ou une amplification d'un opuscule du 
second siècle sur le même sujet, en supposant toute- 
fois l'existence d'un semblable ouvrage *. 

Cet écrit ne serait-il pas une sorte de compila- 
tion des divers passages des écrivains ecclésiastiques 
du quatrième siècle, relatifs à cette légende? Cette 
hypothèse ne manque pas d'une certaine vraisem- 
blance. M. Alf. Maury, qui l'a proposée, a mon- 
tré, avec l'érudition et la sagacité qui le distinguent, 
les rapports frappants qui se trouvent entre les ta- 
bleaux que les orateurs chrétiens du quatrième siècle 
tracent de la descente de Jésus-Christ aux enfers, 
et des traits nombreux de la seconde partie de 
l'Évangile de Nicodème 2. 

Ces ressemblances ne me paraissent pas cepen- 
dant une preuve sufiisante de cette ingénieuse 

4. Dans tous les cas, cet ouvrage ne serait pas la Frédica- 
tion de saint Pierre, comme M. Tischendorf semble disposé à 
le croire. La Prédication de saint Pierre n*a rien de commun 
avec la légende de la descente de Jésus-Christ aux enfers, 
comme on a pu s'en convaincre par l'analyse que j'en ai faite 
dans la première partie et par la table des matières qu'en 
donnent les EécognitionSy et que je transcris dans Tappen- 
dice. 

2. Alf. Maury, Croyances et légendes de l'antiquité^ p. 295- 
324. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 381 

hypothèse. Elles peuvent s'expliquer autrement 
que par une imitation des sermons d'Eusèbe d'É- 
mèse, de Ghrysostome, de Cyrille de Jérusalem, 
par Tauteur de notre Évangile. Mais surtout il 
me semble que cet Évangile aurait un caractère 
littéraire et une pureté de langage qu'il n'a pas, 
s'il se composait d'emprunts faits à ces orateurs 
chrétiens. Le fond est le même des deux côtés, 
c'est incontestable; mais les expressions et le style 
diffèrent , et il s'en faut de beaucoup que tous les 
détails que contient TÉvangile se retrouvent dans 
les tableaux que les prédicateurs chrétiens de cette 
époque tracent de cette légende. 

D'un autre côté^ on est bien moins autorisé à sup- 
poser que ceux-ci aient puisé ce qu'ils en disent 
dans cet Évangile lui-même, comme on l'a soutenu 
plus d'une fois. Les Pères de TÉglise n'ont pas 
dédaigné de faire des emprunts à des livres apo- 
cryphes, on ne saurait le contester^ mais il est 
rare qu'ils n'indiquent pas eux-mêmes les écrits 
qu'ils mettent à contribution, ou qu'ils n'en parlent 
pas comme d'ouvrages répandus de leur temps et 
plus ou moins autorisés.'U n'est pas un seul écrivain 
du quatrième siècle qui fasse mention d'un Évangile 
apocryphe de la descente de Jésus-Christ aux en- 
fers; je ne crois même pas qu'il en soit question 
dans aucun des Pères grecs des âges suivants. Cet 
Évangile, quoique d'origine grecque, a été bien 



38à KTrDKS SUR LKS KVAxVGILES 

plus connu dans l'Occident que dans TOrient. 
Une seule hypothèse me parait capable de tout 
expliquer : c'est que Ton a puisé de part et d'autre 
à une source commune, je veux dire à la tradition 
orale. La légende de la descente de Jésus-Christ 
aux enfers était évidemment très-répandue dans 
les Églises de l'Orient, On se la racontait en 
tous lieux ; on n'en mettait nulle part en doute la 
vérité. Les prédicateurs en parlèrent comme d'un 
fait connu, accepté de tout le monde^ propre à 
faire impression sur leurs auditeurs; et d'un autre 
côté, il se trouva un homme pieux qui crut utile 
à l'édification des fidèles de la mettre par écrit. 

Cette partie de l'Évangile de Nicodème fut, 
comme la première, écrite en grec. A quelle épo- 
que fut -elle traduite en latin? Probablement peu 
de temps après qu'elle eut été composée. Cette tra- 
duction paraît avoir été fort répandue en Occident, 
à partir du milieu du cinquième siècle. Ce fut en 
partie, on peut du moins le conjecturer, par suite 
de l'action qu'elle y exerça- sur les esprits que, vers 
le commencement du siècle suivant, l'article « 11 est 
descendu aux enfers » fut admis dans le symbole 
des Apôtres des Églises d'Afrique * . Il ne se trouvait 

4. Sermons 445 et 434 de Tempore, dans Augustini opéra. 
Paris, 48321-4838, t. V, col. 297St et 2976. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 383 

auparavant que dans celui de l'Église d^Aquilée *. 
L*Évangile latin de la descente de Jésus-Christ 
aux enfers est toutefois moins une traduction 
qu'une imitation de l'original grec. Il contient bien 
des traits qui manquent à celui-ci, entre autres la 
fin du chap. 27 et tout le chap. 28. La ver- 
sion latine A, publiée pour la première fois par 
M. Tischendorf, a même de plus un chap. 29®, 
renfermant la lettre de Pilate à l'empereur 
Claude. Il convient encore de faire remarquer que 
le texte latin présente des variations très-nom- 
breuses dans les divers manuscrits *. 



L'histoire du charpentier Joseph n'a pas été 
composée en arabe. Le texte que nous en avons en 
cette langue n'est qu'une traduction.- On en a la 
preuve dans le style qui est plein d'incorrections. 
Un homme connaissant si mal sa langue aurait été 
tout à fait incapable d'une composition de ce genre. 
Ce n'est pas sans doute qu'elle ait une grande va- 



4. Rufin, Eocpositio in symholum apostolorumy à la fin de 
Cy^iani opéra, Oxford, OOî, p. 460. 

5. On peut s*ea convaincre en comparant les deox textes 
latins publiés par M. Tischendorf. 



384 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

leur littéraire, mais elle l'emporte sous ce rapport, 
et de beaucoup, sur les Évangiles de l'Enfance. La 
rédaction de ceux-ci ne demandait pas la moindre 
culture littéraire. Il s'agissait tout simplement de 
mettre par écrit des légendes qui étaient connues 
de tous les chrétiens. Dans Thistoire du charpen- 
tier Joseph, au contraire, le travail de broderie est 
infiniment plus considérable que le thème général 
fourni par la tradition, et ce travail suppose une 
faculté de combinaison qui n'appartenait pas cer- 
tainement à un homme aussi peu cultivé que celui 
que nous fait connaître la langue de cet opuscule *. 
De quelle langue a-t-il été traduit en arabe? De 
l'hébreu, selon Wallin, et la raison qu'il en donne, 
c'est qu'un grand nombre de livres apocryphes ont 
été écrits dans cette langue. Il est inutile de faire 
remarquer que cette raison n'est pas concluante; la 
plupart des livres apocryphes auraient pu être 
écrits en hébreu, qu'il ne suivrait nullement de là 
que celui-ci eût dû l'être. Mais il y a plus, elle 
manque d'exactitude. Il n'est pas un seul des 
Évangiles apocryphes que nous avons appelés or- 

4 . C'est ce qu'avait déjà fait remarquer Wallin dans la pré- 
face de sa traduction de cette histoire du charpentier Joseph. 
Arabice libellum, dit-il, primitus conscriptum esse vix putamus. 
Ita conjiciendi primam nobis ansam dédit sermonis arabici im- 
puritas : naevis enim et solaecismis quam saepissime scatet : 
quam culpam non tam auctori suœ utique linguae ejusque genii 
gnaro, quam translatori potius minus accurato tribuendam forte 
non iromerito censemus. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 385 

thodoxes, qui aient été composés dans cette langue. 
L'Évangile du Pseudo-Matthieu et celui de Nico- 
dème se donnent, il est vrai, pour des traductions 
de l'hébreu; mais on a vu que le premier a été 
composé en latin et le second primitivement en 
grec; en les présentant comme traduits de Thé- 
breu, on a voulu tout simplement en relever l'au- 
torité et faire croire à leur origine ancienne et 
apostolique; 

L'histoire du charpentier Joseph n'aurait-elle 
pas été traduite du syriaque, comme l'Évangile 
arabe de l'enfance? Je ne saurais l'admettre. Je ne 
trouve rien dans ce récit qui rappelle les opinions 
nestoriennes, comme c'est le cas pour l'Évangile 
arabe de l'enfance, et qui oblige, par cqnséquent, à 
en placer la composition dans la Syrie *. Je ne crois 
même pas qu'on l'ait rencontré en langue syria- 
que. On en connaît bien un manuscrit en caractères 
syriaques, mais il est en langue arabe 2, et le fait 

4. Un dominicain, Isidore de Insolanis, assure, dans sa Summa 
de donis S, Josephi (partie iv, chap. 9), que les chrétiens catho- 
liques de l*Orient lisent dans leurs églises, le 20 des kalendes 
de juillet, la vie de ce saint, écrite en hébreu, et il ajoute qu'il 
en donne une analyse d'après. une traduction latine faite en 
1340. Mais ce témoignage isolé ne peut avoir le moindre poids. 
Ce dominicain Isidore peut avoir pris un livre écrit en arabe ou 
en copte ou en syriaque, pour un écrit hébreu; ou peut-être ne 
parle-t-il de cet écrit hébreu que d'après des renseignements 
incertains ou erronés. 

2. ïhilo, ibid., p. xxii; Asseman, Biblioth, oriental,, t. 1, 
p. 585. 

25 



386 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

qu'on ait écrit avec ces caractères l'histoire arabe 
du charpentier Joseph, évidemment dans le but de 
la mettre plus facilement à la portée de ceux des 
chrétiens de la Syrie qui avaient quelque teinture 
de la langue arabe, me semble une preuve irrécu- 
sable que ce livre n'a jamais existé en syriaque. 
Pourquoi, dans le cas contraire^ en aurait-on écrit 
en caractères syriaques le texte arabe? 

L'opinion la plus vraisemblable, c'est qu'il fut 
composé primitivement en copte. D'abord il en 
existe des manuscrits en cette- langue, aussi bien 
dans le dialecte sahidique que dans le dialecte 
memphitique. Écrit primitivement dans l'un de ces 
deux dialectes, il fut plus tard, ou peut-être en 
même temps, arrangé dans l'autre, pour que tous 
les chrétiens coptes pussent le lire facilement *. En- 
suite c'est parmi ces chrétiens que ce livre était le 
plus répandu, et c'est d'eux que le culte de saint Jo- 
seph a passé dans l'Église catholique. * On pré- 
» tend, dit Le Nain de Tillemont, que les Coptes 
» et les autres Orientaux en font une fête fortsolen- 
» nelle le 20 de juillet, auquel ils mettent sa mort 
H sur l'autorité d'une vie pleine de fables ^. Bol- 

4. Thilo, ibid., p. xxii et suiv. 

2. GeUe vie pleine de fables est précisément notre apocryphe. 
La date de la mort de Joseph est indiquée dans le prologue. 
« Son départ de ce monde, y est- il dit, arriva le 20 du mois 
d'Âbib. » Mais au chapitre 29, il est placé au 26 de ce même 
mois. C'est celte dernière date qui correspond au 20 juillet. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 387 

>» landus croit que les Carmes ont apporté d'Orient 
» celte fête en l'Église d'Occident, et que les Gor- 
» deliers Tayant reçue en 1399, elle s'est ensuite 
» répandue dans toutes les Eglises latines*. » Il est 
certain que ce saint était en grande vénération 
parmi les chrétiens de l'Egypte et de l'Ethiopie 2. 

On peut supposer avec la plus grande vraisem- 
blance que cette histoire fut composée en vue de la 
fête de saint Joseph, pour être lue ce jour-là dans 
le culte public, comme on lisait partout, aux anni- 
versaires de la mort des confesseurs de la foi, les ac- 
tes de leur martyre. Cette pièce est très-bien ap- 
propriée à cette destination. Elle est, en effet, moins 
une histoire des derniers moments de Joseph 
qu'une homélie sur cet événement touchant ^. On 
sait que les Coptes avaient un assez grand nombre 
d'homélies de ce genre qui étaient lues à certaines 
fêtés dans le culte public. Un archevêque de Bah- 
nèse, nommé Cyriaque^ en avait composé plu- 
sieurs. Sylvestre de Sacy a donné une notice sur 
deux de ces homélies de Cyriaque dans une lettre 
adressée à Birch, et que celui-ci a publiée en 1815*. 

1. Mémoires pour servir à Thist, ecclès,, 1. 1, p. 79. 

2. Thilo, ibid., p. xvi. 

3. Borberg, ibid., t. I, p. 90 et 94. 

4. Sous ce tilre : Appendices ad cod. apocryph. Novi Testa- 
menti a mro illustrissimo Silv. de Sacy cum D. Andréa Birch 
communicatœ et ab hoc editœy Havniae, 1815. J'en rapporte un 
passage, cité par Thilo, dans l'appendice n^ 40. 



388 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

A quelle époque peut-on placer la composition 
de cet écrit? On en appelle d'ordinaire, pour en 
axer la date, à deux traits qui y sont men- 
tionnés. 

Il est question au chapitre 26 du règne de mille 
ans. Jésus dit à Joseph mourant que son corps 
tout entier se conservera sans éprouver la moindre 
corruption jusqu'au banquet de mille ans. L'auteur 
de cet écrit était donc millénaire. Or, dit-on, cette 
croyance disparut de l'Église dans le courant du 
troisième siècle; on ne saurait par conséquent 
placer la composition de ce livre à une époque 
postérieure. 

Ce raisonnement ne me paraît pas concluant. Il 
part d'une supposition qu'on ne peut accepter. Que 
la croyance au règne de mille ans ait été décidé- 
ment repoussée par les Pères de l'Église à partir du 
milieu ou de la an du troisième siècle; qu'il ait vu, 
dès ce moment, diminuer peu à peu le nombre de ses 
partisans, je le veux bien. Que peut -on conclure de 
là pour rÉyrypte, la terre promise de l'ascétisme et 
du fanatisme ? Toutes les exagérations religieuses 
s'étaient acclimatées au milieu de ce monde de 
moines et d'anachorètes qui la peuplaient. Il faut 
lire la curieuse description que, vers la fin du 
quatrième siècle, Ruûn d'Aquilée fait de la ville de 
Bahnèse, pour se faire une idée des superstitions 
de toutes sortes qui régnaient chez ce peuple de ce- 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 389 

nobites et de solitaires. Il n'y avait pas, dit-il, un 
seul coin qui n'eût son courent ; ulliis omnino an-- 
gultcs ejus monachorum habitationibus vacat *. 
La doctrine du chiliasme aurait disparu de tout le 
reste de la chrétienté, qu'elle pouvait très-bien se 
maintenir encore dans ce nid de fanatisme et d'igno- 
rance, avec toutes ses anciennes excentricités. 

L'autre trait me paraît fournir une preuve plus 
acceptable. Au chapitre 5 il est parlé de la mort 
de la sainte Vierge en termes entièrement étrangers 
au cycle de légendes dont cet événement est de- 
venu le thème au commencement du sixième 
siècle. Dans le courant du siècle précédent, la 
croyance que Marie était montée au ciel après 
sa mort avait commencé à se répandre. ^ S'il n'y a 
pas la moindre trace de cette légende dans un livre 
qui a pris naissance dans un lieu si avide de 
superstitions, c'est évidemment qu'il avait été écrit 
avant qu'elle y eût pénétré. Il est donc anté- 
rieur à la fin du cinquième siècle. 

1. Rufin, Vitœ Patrum, çap. 5. 

2. Au ive siècle, la légende de l'assomption de la sainte 
Vierge est encore inconnue; on y préludait cependant. Épiphane, 
je Tai déjà fait remarquer, ne sait trop si Marie est morte ou non. 
Ce qui est encore un doute deviendra bientôt une affirmation. 
On saura au siècle suivant que, comme son fils Jésus, Marie est 
également montée au ciel après sa mort. La légende s'arrondira 
peu à peu pendant le courant de ce siècle; au vi^, elle aura at- 
teint toute sa perfection et pourra donner lieu à une fête, anni- 
versaire de l'assomption de la sainte Vierge. 



390 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Il me parait superflu de discuter l'hypothèse qui 
attribue cet écrit à un Juif converti au christia- 
nisme. Au quatrième et au cinquième siècle, il était 
rare qu'un enfant d'Israël embrassât la religion 
chrétienne. Dans tous les cas, jamais un Juif, 
comme je l'ai déjà fait remarquer, ne se serait avisé 

de faire un prêtre d'un homme de la tribu de Juda. 

« 

Le livre de la mort et de l'assomption de la 
sainte Vierge nous est aussi parvenu en arabe. 
Gomme le précédent, il a été certainement composé 
en Egypte, et, comme lui encore, pour être lu dans 
le culte public. On ne saurait douter qu'il n'ait eu 
cette destination, quand on remarque le soin qu'on 
a eu de raconter dans le prologue que, dès qu'il 
eut été trouvé sur l'autel de l'Église d'Éphèse, on 
en fit la lecture à la foule des fidèles accourus 
pour assister à la découverte miraculeuse de cet 
écrit. Ce détail qui, en lui-même, n'a pas plus d'Im- 
portance que de vérité historique, a été évidera^ 
ment inséré ici à dessein, pour justifier Temploi de 
cet apocryphe dans les cérémonies ecclésiastiques. 

De même que l'histoire du charpentier Joseph, le 
livre arabe du passage de la sainte Vierge : De 
transitu heatœ Mariœ,, est moins un récit des der- 
niers moments et de l'assomption de Marie qu'une 
homélie sur cette édifiante légende. La forme 
même de cet écrit le prouve suffisamment. C'est à 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 391 

un auditoire chrétien que l'auteur s'adresse. Il 
parle en prédicateur et non en narrateur. 

Après une invocation à Dieu, il entre en ma- 
tière en ces termes : « Il est également juste de 
» célébrer la gloire de son adorable et parfaite 
» mère, qui fut cachée aux hommes lorsqu'elle 
» vécut et qu'elle se transporta vers celui que nul 
» œil n'a vu, que nulle oreille n^a entendu, que 
» l'esprit de Thomme ne peut comprendre *. 
» Nous attendons et espérons l'intercession de 
» Marie, afin d 'arriver au séjour éclatant et à la 
» gloire durable. Et vous, ô frères très-chers, 
» bienheureux et élus, qui êtes passé des ténèbres 
» de la rébellion et de la désobéissance à la lumière 
» de l'obéissance et de la soumission, nous vous 
» assurons que la Vierge sans tache, Marie, la troi- 
» sième fête ^, à midi, était sortie de sa maison et 
» était. allée au sépulcre du Christ. » C'est bien 
là le commencement d'un sermon et non d'une nar- 
ration historique. 

La fin porte le môme caractère. Après avoir 
rapporté la légende des derniers moments et de 
l'ascension de Marie au ciel, le prédicateur ne 

1. L'auteur applique ici à Dieu des paroles de saint Paul 
(I Corinth.^ 44,9), qui se rapportent, dans le discours de l'apô- 
tre, à la croyance chrétienne. 

2. Celte troisième fôte est celle des trois instituées en Thon- 
neur de la sainte Vierge dans rËglise copte, qui se célébrait le 
45 du mois d'Ab, comme on le verra plus loin. 



3W ÉTUDES SUR LES ÉVAxNGILES 

croit pas sa tâche achevée. Il éprouve encore le 
besoia d'entretenir ses auditeurs des avantages^ 
qu'on retire de Tintercession de la sainte Vierge. 
Pour les en convaincre, il rapporte un certain 
nombre de miracles - opérés par Marie en faveur 
de ceux qui ont invoqué son secours. Ici c'est une 
mère qui Timplore pour le salut de son enfant 
tombé dans un puits, et Marie le lui rend sain et 
sauf. Là elle apparaît à un malade qui a recours à 
elle, et qu'elle rend à la santé. Ailleurs elle fait 
retrouver à un marchand qui l'invoque la bourse 
qu'il avait perdue. 

Puis, après avoir dit, comme dans le quatrième 
Évangile canonique des miracles de Jésus-Christ *, 
qu'un nombre infini de livres ne suffirait pas 
pour raconter tous les prodiges qu'elle a opérés, il 
apprend à ses auditeurs que les apôtres fixèrent 
alors trois jours pour célébrer sa mémoire bénie, et 
que le Sauveur lui-même sanctionna ce qu ils ve- 
naient de décider. Enfin il finit par ces mots : 
« Nous espérons en ses prières auprès de son fils 
» chéri, pour délivrer nos âmes dans les siècles des 
» siècles. Amen. » 

Cette homélie, cela se comprend sans peine, fut 
écrite en vue de la troisième des fêtes que les apô- 
tres, selon notre apocryphe, instituèrent en son 

i. Jean^ xxi, S5. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 393 

honneur; c'est celle qui se célébrait, comme il est 
dit ici, « au quinzième jour du mois d'Ab, qui est 
le jour de sa sortie de ce monde et le temps où les 
fruits des arbres mûrissent *. » C'est à cette fêté 
qu'elle était lue chaque année dans les églises coptes. 

On peut conclure de là qu'elle est de la fin du 
sixième siècle. La fête de l'Assomption de Marie 
ne fut en effet établie en Orient que du temps de 
Grégoire-le-Grand^. Il se pourrait toutefois que les 
Coptes eussent pris l'initiative et devancé les autres 
Églises orientales dans la célébration de cette so- 
lennité. Mais cetfe supposition, qui ne manque 
pas d'une certaine vraisemblance, ferait tout au 
plus remonter d'un demi-siècle la date de la com- 
position de ce livre. 

On ne peut tirer aucun renseignement précis de 
la mention qui est faite d'un écrit : De transitu 

\ • Les deux autres fêtes de la Vierge se célébraient, la pre- 
mière « le second jour après la nativité du Seigneur, pour que 
» les sauterelles cachées dans la terre périssent et que les.mois- 
» sons prospèrent, et pour que les rois soient protégés par Ma- 
» rie et qu'il n'y ait pas de guerre entre eux; et la seconde, le 
» quinzième jour du mois d'Alar, pour que les insectes ne sor- 
» tent pas de terre et ne viennent pas détruire les moissons, ce 
» qui amène la famin^ et fait périr les hommes contre lesquels 
» Dieu est irrité. » De transitu B, Mariœ, cap. 6, Diction, des 
Apocryphes, t. ii^ col. 531. Ce passage indique clairement que 
cet opuscule fut composé au milieu d'un peuple d'agriculteurs. 

2. Des Odoards-Fantin, Dictionnaire du gouvernement, des 
lois, des usages et de la discipline de l'Église, t. I, p. 478. Gré- 
goire-le-Grand mourut en 604. 



394 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

heatœ Virginis Mariœ dans le décret de Gélase * 
sur les apocryphes. Car, d'un côté, on ne sait si le 
décret est réellement de Gélase, ni, dans le cas où il 
serait authentique, s'il n'a-pas été interpolé à diver- 
ses reprises, et, d'un autre côté, il n'est pas probable 
que le livre de l'Assomption de la Vierge, dont il y est 
question, soit notre apocryphe arabe; on pourrait 
croire bien plutôt qu'on a voulu parler de celui qui est 
attribué à Méliton et qui porte précisément ce titre. 
Ce qui est certain c'est qu'aucun écrit De tran- 
situ heatœ Virginis MaricCy n'est connu des écri- 
vains ecclésiastiques des cinq premiers siècles. Un 
ouvrage de ce genre est bien supposé dans une , 
épltre attribuée à saint Jérôme^, et dans le trente- 
cinquième sermon De sanctis de saint Augustin ^. 
Mais ces deux écrits ne sont pas des auteurs dont 
ils portent les noms; il n'y a pas aujourd'hui le 
moindre doute sur leur non-authenticité*. 



4 . Gélase fut élu pape en 492. 

2. Àd Paulam^ et Eustochium, de Assumptione beatœ Mariœ 
sermo, dans Jérôno^, Opera^ t. V, p. 82. 

3. C'est le sermon 208 de l'Appendix dans Augustini opéra, 
Paris, 1832-38, t. V, col. 2880. 

4. « Dans le dernier tome de saint Jérôtpe, dit Grancolas, il 
y a plusieurs autres lettres ou traités qui ne sont point de lui; 
entre autres, la lettre de l'assomption de la Vierge. Il y est parlé 
des erreurs d'Eutiche, dont l'Orient était infecté. Quelques-uns 
l'attribuent à Sophronius. Au temps de Gharlemagne, cette let- 
tre fut mise par Paul Diacre et par Alcuin dans l'office de VK- 
glise pour faire une partie des leçons au jour de Tassoniption. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 395 

Cet écrit ne serait-il pas l'œuvre de cet arche- 
vêque de Bahnèse dont je parlais il y a un mo- 
ment ? On sait que Gyriaque s'était appliqué à 
recueillir et à propager les légendes chrétiennes. 
Il avait composé une vie de Pilate, imitation sans 
doute de quelques-uns des opuscules apocryphes 
relatifs à ce personnage, les deux sermons dont 
Sylvestre de Sacy a donné une analyse, et quel- 
ques autres ouvrages de ce genre, parmi lesquels 
on cite un discours de « l'Assomption du corps de 
la bienheureuse Vierge Marie » Ce discours se 
trouve, à ce que dit Thilo, dans un manuscrit du 
Vatican (n^xLii), et Asseman en parle dans sa Bi~ 
bliotheca orientalisy t. III, pars I, p. 643 et suiv. ^ 
II importerait de vérifier s'iL offre quelque rapport 



La lettre onzième sur Tassomplion est sans doute du môme au- 
teur. » La critique abrégée des ouvrages des auteurs ecclésiasti- 
ques, t. I, p. 359 et 360. — Le 350 sermon de Sanctis n'est pas 
de saint Augustin. On y trouve, en eiïet, une citation du traité 
de Vita et obitu sanctorum, d'Isidore, qui vivait au vue siècle, 
et cette citation est indiquée comme ëlant de cet écrivain. Cela 
suffit pour prouver jusqu'à l'évidence que ce sermon est posté- 
rieur à l'évêque d'Hippone. C^ qu'il y a de plus singulier, c'est 
que l'auteur de cet écrit, tout en admettant que la vierge Marie 
a été enlevée au ciel, hodiema die ad cœlos assumpta fttisse ira- 
ditur virgo Maria, § 2, est d'avis qu'il faut repousser les livres 
apocryphes qui racontent ce fait, respuere apocrypha; et il ajoute : 
Et quidem sunt nonnulla sine auctoris nomine de ejus assum- 
ptione comcripta, quœ, ut dixi, (ta caventur, ut ad confirmant 
dam rei veritatem legi minime permittuntur, 
4. Thilo^iJtd., p. xl. 



396 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

avec le De transitu heatœ Virginis Mariœ publié 
par M, Enger ^ 

Il est certain du moins que cet apocryphe se 
rattache en quelque sorte au nom de Gyriaque. 
C'est à lui, est-il dit dans le prologue, que les 
moines du mont Sinaï s'adressèrent pour avoir 
l'histoire des derniers moments delà sainte Vierge. 
Gyriaque ne donna pas, il est vrai, ce livre à leurs 
envoyés ; mais il leur indiqua où ils le trouve- 
raient. La présence du nom de ce prélat dans le 
prologue de cet apocryphe est pour le moins singu- 
lière. On serait tenté d'en conclure que l'auteur de 
ce prologue a voulu donner pour un écrit de l'apôtre 
saint Jean un livre de l'archevêque de Bahnèse, dans 
l'intention de lui attribuer une autorité qu'il n'aurait 
pas eue par lui-même. D'un autre côté, il connaît 
fort mal Gyriaque, puisqu'il en fait un évêque de 
Jérusalem, à moins toutefois, ce qui ne serait pas 
improbable, qu'il n'ait cru nécessaire, pour faire 
valoir la fable qu'il raconte, de transformer le pré- 
lat copte en évêque de la vUle sainte. 

Il est fâcheux que ce Gyriaque soit si peu con- 
nu. Tout ce qu'on sait de lui, c'est qu'il était ar- 
chevêque de cette singulière ville de Bahnèse ^ 

\ . J*entends avec le corps de l'ouvrage, car le prologue est 
certainement d'une autre main. 

2. Bahnèse était à Touesl de ce monastère de Baisous qui avait 
été élevé en un lieu où, selon la tradition, Tenfaftt Jésus, ac- 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 397 

dont Rufin nous a laissé une si curieuse descrip- 
tion, et qu'il fut l'auteur de la septième des neuf 
liturgies éthiopiennes. Hors de là, son nom ne se 
trouve dans aucun ancien document *. 

Cette histoire des derniers moments et de l'as- 
somption de la sainte Vierge ne resta pas enfermée 
dans le cercle des chrétiens de TÉgypte : elle fut 
traduite ou pour mieux dire imitée en langue 
grecque. Il existe, en etfet, un écrit grec, encore 
inédit *, dans lequel cette légende est racontée dans 
le môme ordre et avec tous les détails de notre 
apocryphe arabe. Thilo se proposait de le com- 
prendre dans son Corpus apocryphorum. L'ana- 
lyse qu'il en donne ^ concorde entièrement avec 
le récit de ce dernier, et comme celui-ci, il est 
présenté comme Toeuvre de l'apôtre saint Jean *. 

compagne de la Vierge, de Joseph et de Salomô, avait fait une 
halle pendant la fuite en Egypte. 

4. Ë novem liturgiis iËtbiopicis septima inscribitur nomine 
Heriacos sive Gyriaci archiepiscopi Bahnse. Quo tempore vixe- 
ril ille Gyriacus uullo monuraento indicatur. Lequien, Onews 
christianus, t. II, col 580. 

2. Fabricius, Codex apocryphiis Nov, Testam., pars 4, p. 352 
et 353. 

3. Dans les prolégomènes de son édition des Acta S, ThomcPy 
Leipz., 4823, in-8o. Cette analyse est reproduite dans le Dic- 
tionnaire des apocryphes, t. II, col. 596 et 597. 

4. Dans un manuscrit de la bibliothèque impériale de Vienne, 
col apocryphe grec porte le nom de Jacques, frère du Seigneur. 
Fabricius, ibid.^ pars 1, p. 59 et 60. Le copiste a cru sans 
doute devoir attribuer à Jacques, qui avait raconté dans le 



r 



:»8 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Il a dû être très-répandu parmi les chrétiens de 
l'Église grecque, à en juger du moins par le nom- 
bre relativement considérable de copies qu'en pos- 
sèdent les grandies bibliothèques de l'Europe ' ; 
mais il ne remonte pas très-haut. 11 n'est cité eu 
effet que par des écrivains grecs du moyen-âge, et 
il est resté inconnu à tous ceux de l'Occident. 

Jean Damascène ne le connaissait pas. Dans le 
premier des deux sermons qui portent son nom, le 
seul qui soit de lui ^, De dormitione seu assump- 
iione heatœ Mariée, il suit la légende telle qu'elle 
est dans le faux Méliton. Le premier qui, à ce 
qu'il semble, en ait fait mention dans l'Orient, est 
un moine de Jérusalem, du nom d'Épiphane. 11 
invoque en effet dans un livre sur la sainte Vierge, 
De vita sanctœ Mariœ, l'autorité de saint Jean, 
c'est-à-dire qu'il s'en réfère à notre apocryphe 
grec qui était attribué à cet apôtre. Mais ce moine 
Épiphane ne vivait, à ce qu'on croit, que vers le 
XII® siècle. 

La légende de l'Assomption de Marie n'est pas 
inconnue des écrivains ecclésiastiques latins; mais 

Protévangile l'histoire de la naissance et de la jeunesse de 
Marie, le récit de ses derniers moments et de son ascension. 

1. On trouve cet apocryphe dans les manuscrits suivants de 
la Bibliothèque impériale : C 770, 1021, 1173, 1215, 1504. D/c- 
tionnaire des apocryphes, t. Il, col. 595. 

2. Le second de ces sermons n*est pas de Jean Damascène, 
puisqu'on y cite Eutliimius, qui vivait au xi^ siècle. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 399 

ils n'en parlent que d'après la version du faux 
Méliton, jamais d'après celle de notre apocryphe 
grec qui n'était pas arrivé jusqu'à eux. Il faut 
laisser de côté Grégoire de Tours, qui vivait à une 
époque où cet apocryphe n'existait probablement 
pas encore. Mais c'est bien, à ce qu'il semble, au 
faux Méliton que Vincent de Beauvais emprunte 
ce qu'il raconte de la mort de Marie *; dans tous 
les cas, ce n'est pas à notre apocryphe grec. On a 
d'ailleurs une preuve positive que pendant le 
moyen-âge les Latins ne connaissaient aucun écrit 
attribué à saint Jean sur la Vierge Marie. L'au- 
teur du trente-cinquième sermon De sanctis, dont 
il a été déjà question ^, le dit en termes fort 
clairs ^. Il n'y avait pas de son temps d'autre 
apocryphe sw cette légende qu'un ouvrage sans 
nom d'auteur ^. 

1. Spéculum historiale, lib. VHï, cap. 75. Dictionnaire des 
apocryphes, t. Il, col. 533-535. 

2. L'auteur de ce sermon est probablement Fulbert, évoque 
(le Chartres, qui vivait au xi» siècle. Augustini opéra, t. V, 
col. 2880, note b, 

3. Nec ipse qui hanc (Wariam) accepit ante crucem Domini 
in sua , id est , Joannes evangelista , de hoc posleris aliquid 
relinendum scriplis mandaverit. Nullus enim hoc fidelius nar- 
rare potuit, si illud Deus manifestari voluisset, quam ille utique 
qui hanc nutriendam suscepit, nec contra morem -filius matrem 
reliquil. Restât ergo ut homo mendaciter non fingat apertum, 
quod Deus voluit manere occullum. Augustini opéra, t. V, col? 
2884. 35 sermo de Sanrtis, § 3. 

4. Nonnulla sine aucloris nomine de ejus assumplione con- 
scripla. Augustiyii opera^ t. V, col. 2884 , 35 sermode Sanctis, § 2. 



400 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Ni l'apocryphe grec dont parle Thilo, ni l'a- 
pocryphe arabe publié par M. Engcr, ne sont 
cependant les plus anciens ouvrages consacrés 
au récit des derniers moments et de l'assomp- 
tion de Marie. Cette légende se trouve exposée 
sous une forme plus simple, moins complète, soit 
dans un écrit copte que Zoêga a fait connaître, 
dans son catalogue des manuscrits en langue copte 
du musée Borgia *, soit dans un .opuscule grec 
qui porte le nom de Méliton^. Le fond du récit 
est le même dans ces deux. écrits. Quelques détails 
nouveaux que contient le dernier sont un indice 
qu'il est postérieur à l'autre, et qu'il présente la 
légende de la mort et de l'assomption de la sainte 
Vierge, à un moment plus avancé de développe- 
ment. Elle n y a pas cependant encore atteint le 
degré de perfection qu'elle a aussi bien dans l'apo- 
cryphe arabe que dans l'apocryphe grec dont 
Thilo fait mention. 



1. Georges Zoëga, Catalogus codicum copticorum manuscrip- 
torum quœ in museo Borgiano Veliti^is adservantur. Rome, 1840, 
ia-fol. M. pulaurier a Iraduit en français ie lexle copte que 
rapporte Zoëga, dans la brochure que j*ai dëjà eu occasion de 
citer plusieurs fois, et dont il serait à désirer que l'auteur don- 
nât une nouvelle édition. Cette traduction française est aussi 
dans le Dictionnaire des apocryphes, t. 11, col. 535 et 536. 

2. Cet écrit, attribué à Méliton, dont le texte grec se trouve 
imprimé dans plusieurs grands recueils, a été traduit en français 
dans le Dictionnaire des apocryphes^ t. Il, col. 587-598. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 401 



IV 



Ces Évangiles apocryphes, d'un caractère si peu 
élevé et si peu spiritualiste, dans lesquels la vul- 
garité des conceptions et la bassesse du style s'al- 
lient à la superstition la plus puérile, ont été bien 
plus répandus, depuis le cinquième siècle jusqu'au 
seizième, autant dans les Églises de l'Orient que dans 
celles de l'Occident, que les Évangiles canoniques 
auxquels ils sont inférieurs sous tous les rapports. 
Ce fut au reste cette infériorité qui en fit la for- 
tune. 

Aussitôt que la littérature ancienne, devenue sus- 
pecte, ne fiit plus étudiée et que les souvenirs de la 
culture gréco-latine furent éteints, la société s'af- 
faissa sur elle-même. Les invasions des barbares 
accélérèrent le mouvement de dissolution dans 
l'Occident ; un despotisme imbécile hâta la décré- 
pitude en Orient. L'intelligence descendit au ni- 
veau des Évangiles apocryphes orthodoxes, et ce 
qui n'avait été, dans les premiers siècles, que la 
littérature d'en bas, fut maintenant seul compris, 
seul goûté. Les contes absurdes dont ces écrits sont 
pleins devinrent le seul élément qui pût plaire à des 
esprits grossiers et superstitieux. Aussi tandis que 
les saintes Écritures, enfermées dans les couvents, 

26 



401 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

inconnues même de nom à la foule, n'attiraient les 
regards que des quelques hommes qui se livraient 
à l'étude, les Évangiles apocryphes dé Jacques, 
de Thomas, du Pseudo-Matthieu, de Nicodème, 
traduits dans toutes les langues, étaient la nourri- 
ture habituelle de la piété et les sources auxquelles 
on allait puiser la connaissance de l'histoire évan-- 
gélique. 

Dans l'Orient, ces Évangiles furent en si grand 
honneur qu'en un grand nombre d'Églises on en 
lisait des parties dans le culte public à certaines 
fêtes. On a vu que chez les Coptes, l'Histoire du 
charpentier Joseph avait été composée pour la fête 
de ce saint, et le livre du Passage de Marie pour 
celle de ses trois fêtes qui se célébrait au milieu du 
mois d'Ab. Le Protévangile de Jacques avait été 
également introduit dans le culte public parmi 
les Grecs. Dans les Églises orientales, où l'on 
célébrait l'anniversaire de plusieurs des événements 
racontés dans les Évangiles de l'Enfance, on lisait 
à ces solennités, soit les chapitres de ces Évangiles 
relatifs au sujet de la féte> soit des amplifications 
oratoires de ces chapitres *. 

Ces écrits n'existent pas seulement en grec, mais 
encore en copte, en arménien, en arabe, en syriaque '. 

4. Thilo, Codex apocryphus Novi Testament^ p. xxxvi, XL, 

XI.V1I, XLVIÎI, LXVIU. 

%, Thilo^ ibid.y p. cLVi et fluiv. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 403 

lisse répandirent dans tout l'Orient *• Ils y sont en- 
core en vénération partout où il s'est conservé quel- 
ques vestiges de christianisme. Thévenot, Chardin, 
tous les autres voyageurs qui ont parcouruxes con- 
trées, sont unanimes sur ce point. Et telle était l'es- 
time qu'on avait pour eux, telle était la supériorité 
qu'ils avaient acquise sur les Évangiles canoniques, 
que ce n'est que par eux que les musulmans ont 
appris tout ce qu'ils savent du christianisme pri- 
mitif2. 

L'histoire de ces Évangiles en Occident nous 
intéresse davantage et nous est mieux connue. 
Nous voyons que jusqu'à l'époque de la renais- 
sance des lettres, ils n'y furent ni moins estimés 
ni moins populaires qu'en Orient. En vain Jérôme % 

i. Il est probable que, quand on pourra explorer avec une 
entière facilité l'Egypte, l'Ethiopie, la Syrie et l'Arabie , on y 
trouvera de nombreux manuscrits de nos Evangiles apocryphes. 
Telle est du moins l'opinion de ^A. Tischendorf, le plus compé- 
tent des érudits sur ce point. De Evangeliorum apocryph, origine 
et usUy p. 36. 

2. Ils ontj il est vrai, un certain nombre de légendes relatives 
à Jésus- Christ et à la sainte Vierge, qui ne se trouvent pas dans 
nos Évangiles apocryphes. À quelles sources les ont-ils pui- 
sées? Je ne sais; mais peut-être à d'autres apocryphes qui nous 
sont encore inconnus. Dans tous les cas, elles sont, je l'ai déjà 
fait remarquer, du même genre que celles des Évangiles de l'En- 
fance, et n'ont pas le moindre rapport avec les récils des Évan- 
giles canoniques. Thilo, i&/(2., p. 432-458; Brunet, ibid., p. 103 
etsuiv.; Ti&chenûovî^ de Evangeliorum apocryphomm origine 
et mu, p. 94-94. 

3. Jér6me, Contra Helvid,, § 42. 



404 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Innocent *, Alcuin 2, et d'autres encore', condam- 
naient les fables qui y sont contenues; le goût du 
merveilleux, favorisé par l'ignorance profonde de 
ces temps de ténèbres, l'emporta sur leur autorité. 
Dans ces légendes extravagantes, on ne trouvait 
rien d'incroyable et de déraisonnable. Ce n'est pas 
seulement la foule illettrée qui tenait ce langage , 
c'étaient encore des hommes placés à la tête des 
Églises. Telle est l'opinion entre autres de l'auteur 
d'un écrit sur l'Évangile de saint Matthieu, inséré 
par Montfaucon dans son édition des œuvres de 
Ghrysostome *. 

Grégoire de Tours les jugeait plus favorable- 
ment encore. Gomment aurait-il pu mettre en 
doute les prodiges absurdes qui y sont racontés, 

^. Innocent 1er, Epistola ad Exuperium, dans Biblioth, Pa^ 
tram, éd. Galland, t. VIIÏ, p. 561. Cette lettre est de Tan 405. 

2. Alcuin, Opéra, éd. Froben, t. II, p. 540. 

3. Pierre Damien blâme ceux qui, poussés par une vaine curio- 
sité, vont chercher dans des écrits apocryphes des détails que 
les évangélistes ont jugé inutile de rapporter Petr, Damiani 
sermo III^ de nativitate, Eadmer s*exprime dans le même sens 
dans son De exceîlentia virginis Mariœ^ cap 2, dans opéra B. An-- 
selmi cantuar., Paris^ 4724, p. 135; ces avertissements si sou- 
vent répétés sont une preuve que les écrits apocryphes avaient 
alors de nombreux admirateurs. S'ils n'avaient été ni plus appré- 
ciés, ni plus répandus qu'aujourd'hui, on n'aurait pas senti la 
nécessité d'en condamner la lecture. 

4. Historia qusedam non incredibilis neque irrationabilis. 
Chrysostomi opera^ t. VI, p. xxiv. C'est de l'Évangile du Pseu- 
do-Matthieu qu'il s'agit ici. L'auteur de cet écrit, intitulé Opus 
imper fectum in Matthœum, vivait probablement au vi® siècle. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 405 

quand il en voyait de tout aussi incroyables s'ac- 
complir chaque jour autour de lui, sous ses yeux ? 
Les Actes de Pilate lui paraissent un écrit véridique. 
Il y prend, en Tembellissant encore de quelques 
miracles nouveaux, la légende de l'emprisonne- 
ment et de la délivrance de Joseph d'Arimathée*. 
Avec rÉvangile du Pseudo-Matthieu, il regarde 
les frères de Jésus-Christ comme les enfants d'un 
premier mariage de Joseph*; il raconte l'appari- 
tion du Seigneur, après sa résurrection, à Jacques 
le Juste, telle qu'elle est rapportée dans l'Évangile 
des Hébreux ^. 

Plus tard, ils gagnent encore en estime et en 
crédit. Fulbert, évoque de Chartres au xi® siècle, 
exprime le pegret, dans un sermon sur la Nativité 
de la Vierge, que Tinterdiction lancée par les 
Pères contre ces livres ne permette pas de lire en 
ce jour dans l'église, celui qui raconte la nais- 
sance et la jeunesse de Marie ^. Cette défense ne 



4. Hist. ecclésiastique des Francs, liv. 1, ch. 20. 

2. Ibid., liv. I, chap. 21 . 

3. Il avait pris probablement ce récit dans saint Jérôme, à 
moins que la traduction latine que ce Père de TËglise avait 
faite de cet Évangile n'existât encore et ne fût entre ses 
mains. 

4. Hac itaque die pecuiiariter in ecclesia recitandus esse vi- 
detur ilie liber qui de ortu ejus (Mariae) et vita scriptus in- 
veniebatur, si non judicassent eum Patres inter apocryplia 
enumerandum. Fulbert, Sermo I de Nativitate Mariœ, dans 
Bibliotheca Patrum, Lyon, t. XVllI, p. 38. Dans un autre ser- 



406 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

l'empêche pas cependant d'en rapporter de nom- 
breux passages, soit dans ce sermon^ soit daos un 
autre sur le même sujet *• 

Au xin« siècle, Vincent de Beauvais partage le^ 
scrupules de Fulbert, mais ^ ne prise pas moins 
que lui ces Évangiles. Tout en reconnaissant que 
les récits qu'on y lit peuvent soulever des doutes , 
il ne laisse pas de reproduire plusieurs passages 
de l'Évangile de l'Enfance et de citer l'Evangile 
de Nicodème ^. 

A la môme époque, l'Évangile de la Nativité de 
Marie est inséré presque en entier dans la Légende 
dorée. Trois siècles avant, la célèbre Roswitha l'a- 
vait mis en vers hexamètres *• Vers le milieu du 
XVI® siècle, Ludolphe Saxo, prieur des Chartreux à 
Strasbourg^ composa une vie du Christ d'après les 
quatre Évangiles canoniques et des légendes tirées 

mon sur le même sujet, il prévient ses auditeurs contre les 
fables de TÉvangile qui passait pour avoir été traduit de l'hé- 
breu par saint Jérôme (le Pseudo-Matthieu); mais il finit par 
dire que, quoiqu'il y ait bien des paroles et des faits qui pa- 
raissent impossibles, il n'est pas défendu aux fidèles de le lire. 
Sermo Ul^ dans Bihlioth, Fatrum, t. XVIII, p. 40. 
i- Fulbert, Sermo H, dans Biblioth, Patrum, t. XVllI, p, 39. 

2. Spéculum naturale, cap. 9. 

3. Spéculum historiale, lib. VI, cap. 64, 65 et 66; lib. VII, 
cap. 40 et suiv. 

4. Historia nativitatis laudabilisque conversationis intactœ 
Dei genitricis, tel est le titre de ce poëme latin. Il se trouve 
dans Tëditionde 47Q7 des œuvres de Roswilha, p. 73 et suiv. 
Brunct, Évangiles apocryphes^ p. 168. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 407 

des Évangiles apocryphes, et une vie de sainte 
Anne, tirée presque uniquement de l'Évangile de 
la Nativité^de la Vierge. 

On pourrait citer sans fin des faits de ce genre. 
Il est très-peu de sermons et d'écrits d'édification 
du moyen-âge, dans lesquels on ne trouve un mé- 
lange bizarre des livres canoniques et des livres 
apocryphes, et môme dans lesquels ceux-ci ne 
tiennent une plus grande place que ceux-là. 

Les Évangiles apocryphes eurent pour les 
simples fidèles des charmes irrésistibles *. On les 
mit à leur portée dans des traductions en langues 
vulgaires *, quelques-uns même furent traduits en 
vers. On cite entre autres une traduction versifiée 
en langue d'oc de l'Évangile de l'Enfance ^; elle 
est probablement du treizième siècle*. Il existe 
aussi une traduction de ce genre, dans la même 
langue, de TÉvangile de Nicodème; elle est pro- 
bablement de la môme époque que la précé- 

4. HaBC fabula hominibus .aBvi medii muUum placuit et va- 
riis modis repelita est. Tischendorf, Evangelia apocrypha, p. 
Lxxiv. Il s'agit ici de la légende de la mort de Pilate, mais les 
autres ne furent pas moins du goût des hommes de cette époque, 
et ne furent pas reproduites moins souvent. 

2. Thilo, ibid», p. u, cvii, cxvi. 

3. Raynouard en a donné des extraits à la fin du premier vo- 
lume de son Lexique nman. M. Brunet en rapporte le com- 
mencement dans ses Évangiles apocryphes^ p. 58-64 . 

4. II serait curieux de savoir comment cet Évangile arabe 
fut connu dans la France méridionale au moyen«âge. 



406 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

dente *. De tous les Évangiles apocryphes ortho- 
doxes, ce dernier fut incontestablement le plus po- 
pulaire. On le traduisit dans presque toutes les lan- 
gues vulgaires de TEurope. Thilo a , donné des 
détails pleins d'intérêt sur ces traductions *, et en 
réalité ce n'est pas là une des pages les moins cu- 
rieuses de l'histoire littéraire du moyen-âge. 

Les traductions anglaises de cet Évangile furent 
surtout nombreuses. Cela devait être, car à l'inté- 
rêt que cet apocryphe présente par lui-même se 
joignait pour les Anglais une sorte d'intérêt natio- 
nal , puisqu'un des personnages qui y jouent un 
rôle considérable, Joseph d'Arimathée, passait 
pour avoir apporté le christianisme dans leur pays'. 
Aussi de très-bonne heure on le fit passer dans la 
langue vulgaire. Il y en a une traduction en an- 
glo-saxon qui doit remonter très-haut dans le 
moyen-âge. Elle a été imprimée à Oxford en 1698, 
in-4^, par les soins d'Ed. Thwaites *. Une version 

4 . M. Raynouard en cile quelques fragments dans son Leasique 
roman. On en a rapporté un passage dans le Dictionnaire des 
apocryphes, t. I, col. 4099 et 4100. 

2. Thilo, ibid,. p. cxlii-clx. 

3. Thilo, ibid,, p. cxLViii, note 449, et p. 596. La légende 
du saint Graal se rattache au nom de Joseph d'Arimathée, et a 
par là en quelque sorte ses racines dans l'Évangile de Nico- 
dème. Le Nain de Tillemont, Mémoires, t. I, p. 704 et 705. Dic- 
tionnaire des apocryphes, t. I, col. 1095. 

4. Dans un recueil intitulé Heptatenchus, liber Job^ et Evati 
gelium Nicodemi, anglosaxonice , D'autres traductions anglaises 
ont été imprimées à Londres en 4507, 4509^ 4529, etc. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES . 409 

en langue du Pays de Galles est vraisemblable- 
ment encore plus ancienne. Parmi les traductions 
plus modernes, on en cite une du célèbre Wiclef. 

Il en existe aussi un grand nombre en langue 
allemande; la plupart restées inédites sont enfouies 
dans la poussière des bibliothèques, mais plusieurs 
ont été imprimées, une entre autres avant la fin du 
XV® siècle *. 

Les traductions françaises ne paraissent pas avoir 
été guère moins nombreuses. Il en est une qui a 
eu cette singulière destinée d'être insérée dans le 
roman de Pérceforest, dont elle forme le soixante- 
sixième chapitre du troisième livre ^. Cet Évan- 
gile fut ensuite traduit, avec ce roman, en ita- 
lien. Une autre ancienne traduction française de cet 
Évangile a été imprimée, Paris, 1497, in-4®. 

Ces apocryphes, presque tous d'une forme bar- 
bare, ont cependant exercé une influence considé- 
rable sur la littérature. — Le fait est évident pour 
les mystères, pour ceux du moins qui se rappor- 

4. Fabricius, Codex apocryphus Novi Testamenti, pars 1, 
p. 235-237. 

2. Ce chapitre porte ce titre : Gomment le roy Arfaran s'en 
alla en lysle de vie publier la foy catholicq et racompter au long 
la passion et résurrection de Jésus-Christ au roy GadiiTer Des- 
cosse et au roy Pérceforest Dangleterre, à la sage royne et 
aux aultres et du contenu des lettres que Pylate escrypuit 
à Claudius empereur de Romme. Voyez dans l'appendice, 
n^ll. 



410, ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

tent à rhistoire évangélique. Le fond de la plupart 
d'entre eux est emprunté aux Évangiles apocry- 
phes ; quelques-unes de ces compositions del'enfance 
de Tart dramatique dans l'Europe chrétienne les 
suivent môme pas à pas. Tel est un mystère de la 
Conception qui reproduit le Protévangile tout en- 
tier *. Tel encore un mystère de la Passion *, dans 
lequel tout le cycle légendaire de ces Évangiles est 
mis en scène. « Il s'ouvrait, dit l'auteur du Dic- 
tionnaire des apocryphes, par la pastorale tou- 
chante de Joachim, comme dans les apocryphes, 
sous le nom d'Évangile de la Nativité de la sainte 
Vierge, et se terminait à la résurrection, c'est-à- 
dire avec l'Évangile de Nicodème. Les autres 
Évangiles apocryphes composaient le corps de l'ou- 
vrage 5 ». 

Ceux des ouvrages de ce genre qui ne serrent 
pas de si près les fables recueillies dans les Évan- 
giles apocryphes, en sont cependant des imitations. 
Tels sont tous ceux qui reproduisent les légendes 
relatives à la mort et à l'assomption de la Vierge. 
Ce n'est pas sans doute dans l'apocryphe arabe que 
les auteurs de ces mystères ont puisé, mais la plu- 
part des fables rapportées dans cet écrit se trouvent, 

4. Paris, Alain Lobriao, in-io goth. Bibliothèque du théâtre 
Jrancai$y 1. 1, p. 58 et 69. 
%. 11 esi du xiiie siècle. 
3. Dictionnaire des apocryphes, t. I, préface, p. xxxi. 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 4ii 

comme on Ta vu, dans bien d'autres; elles étaient 
populaires au moyen-âge *• 

Cette époque a vu naître bien d'autres composi- 
tions dont le fond et parfois même tous les détails 
étaient empruntés à nos apocryphes. On peut citer 
entre autres un poëme du quatorzième siècle, en 
langue franco -normande, intitulé YAdvocatte 
Notre-Dame ou la vierge Marie plaidant contre 
le diable et attribué à Jean de Justice ^, et la Vie des 
trois Maries, autre poème composé au treizième 
siècle par un religieux nommé Jean Venette, et mis 
en prose par J, Douin au commencement du quin- 
zième^. L'un et l'autre reproduisent la plus grande 
partie des Évangiles de l'Enfance et des livres 
apocryphes du'Passage de la Vierge. 

Des poètes plus célèbres ne paraissent pas avoir 
dédaigné de faire des emprunts à ces anciens re- 
cueils de légendes pieuses, principalement à TÉ- 
vangile de Nicodème. Ce dernier écrit ne parait 
pas avoir été inconnu au Dante, à Milton et à 
Klopstock. 

Le poète allemand pourrait bien en avoir eu la se- 

4 . Sur les Myslères du trépassement et de l'assomption de 
la sainte Vierge, Dictionnaire d^ apocryphes, t. II, col. 537 et 
suiv. 

2. Ce poëme a ëlé publié par M. Â. Chassant, d'après un 
manuscrit de la bibliothèque d'Évreux. Paris, 4855, in-S<>. Dic- 
tionnaire des apocryphes, t. II, col. 538. 

3. Dictionnaire aes apocryphes, t. II, col. 538-540. 



412 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

conde partie présente à l'esprit, quand il composa 
le seizième chant de sa Messiade. La description 
qu'il y fait, de la descente de Jésus-Ghrist aux en- 
fers, ne suit pas sans doute celle qu'en présente 
l'Évangile de Nicodème; mais elles ont l'une et 
l'autre en commun des images et des traits de dé- 
tail, dont l'identité du sujet ne sufl5t pas, ce me 
semble, à expliquer les ressemblances. Je citerai 
entre autres le discours de Satan maudissant, dans 
son désespoir, les princes des ténèbres: On ne peut 
s'empêcher, en le lisant, de. se rappeler les repro- 
ches pleins de mépris et de violence, sous lesquels, 
dans l'apocryphe, Hadès accable le prince du 
mal. 

Il me semble impossible de ne pas voir une ins- 
piration de l'Évangile de Nicodème dans ces quel- 
ques strophes du quatrième chant de r Enfer du 
Dante. C'est Virgile qui parle : 

' « J'étais nouveau en ce lieu, lorsque j'y vis ve- 
nir un Puissant, couronné du signe de la victoire. 

» 11 en tira l'ombre du premier Père, celle de 
son fils Abel, celle de Noé et celle de Moïse, légis- 
lateur et obéissant ; 

» Le patriarche Abraham, et le roi David; Is- 
raël et son père et ses enfants, et Rachel, pour la- 
quelle il fit tant; 

» Et beaucoup d'autres, et il les fit heureux; et 



ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 413 

je veux que tu saches qu'auparavant les âmes hu- 
maines n'étaient pas sauvées *. » 

Milton n'a-t-il pas également puisé quelques 
images dans cet Évangile ? La description de l'En- 
fer au second chant du Paradis perdu en rappelle 
plusieurs traits de la seconde partie. Ces épaisses 
portes d'airain qui repoussent toute espérance de 
fuite, ces forts verrous, ces pesantes barres de fer 
qui les assujettissent, ces grands mugissements 
semblables à un puissant tonnerre se retrouvent 
dans cet Évangile. On y entend par deux fois une 
voix comme celle du tonnerre et le bruit de 
l'ouragan. Et quand Adès ordonne à ses cruels 
ministres d'empêcher le Roi de gloire d'entrer 
dans son royaume, il leur crie : « Fermez les 
cruelles portes d'airain et poussez les verrous de 
fer 2. » 

Enfin, quand, au troisième chant, le Rédemp- 
teur fait connaître son futur triomphe sur l'enfer, 
on croirait lire une sorte de résumé de la seconde 
partie de l'Évangile de Nicodème : « Je me lèverai 
victorieux, dit Jésus-Christ; je subjuguerai mon 

1. Dante, deW'Jn/lgrno, canto IV, terzetti 48-21. 

2. Evang, de Nicod,^ chap. 21. ÂocpaXiaaTs xaXûc xal t<rxupûc 
tkç wuXa;, Ta; xoXxàç xai toù; iao-xXoùç tgI); ai^Yipou;. Tbilo, ibid,, 
p. 7U et 716. Tischendorf, ibid,, p. 307. Et facta est vox 
magna ut tonitruum. Thilo^ ihid., p. 749. Tischendorf, ihid,^ 
p. 376. 



414 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

vainqueur. Il sera dépouillé de son orgueilleux bu- 
tin. La Mort se frappera de sa propre main, et, dé- 
sarmée de son dard destructeur, elle sera renversée 
dans Toubli; cependant je traverserai les airs en 
triomphe, traînant à ma suite Tenfer captif, en dé- 
pit de l'enfer, et les princes des ténèbres chargés de 
chaînes. D'un œil satisfait, tu me verras, relevé par 
ta main, anéantir tous mes ennemis et triompher en- 
fin de la Mort, qui de son énorme cadavre rassa- 
siera le tombeau. Alors, entouré de la multitude que 
j'aurai rachetée, je rentrerai dans les cieux. > 



FIN 



APPENDICE 



N« 1. 



ÉVANGILE SELON LES HÉBREUX. MATTHIEU, XVIII, 34 et 32. 



(Jérôme, Adv, Pelagian,, lib. iif, 
ch. 1*.) 

Si peqcaverit frater tuus in 
verbo, etsatis libi fecerit, sep- 
ties in die suscipe eum. — 
Dixit illi Simon discipulus ejus: 
Septies in die? — Respondit 
Dominus et dixit ei : Etiam ego 
dico tibi , usque septuagies 
septies. 



ToTS 7rpoaeX06i>v aurû ô Ilarpoc 
étire * Kupte, iroaoxi; à{xàp-nQ96i ct( 

Ae'-ya aÙTw ô lYiaoOç' ou Xi'^tù 
xovrobct; iTrrà' 



N« 2. 



ÉVANGILE SELON LES HÉBREUX. 

(Orig., Tractât. VIH in Matth., 
XIX, 19«.) 

Dixit ad eum alter divitum : 
Magister^ quid bonum faciens 
vivam? Dixit ei : Homo, leges 
et prophetas fac. Respondit ad 
eum : Feci. Dixit ei : Vade, 
vende omnia quae possides et 
divide pauperibus, et veni, se- 
quere me. " 



MATTHIEU, XIX, 46-24. 

Kai ISoxi el( TrpcaeXOciv eiirev au- 
TÛ * At^aoxxXe à-^oAï , rt àfaOov 
Trctiiab), îva Siîù Çwyiv aCuviov ; — 
'O ^è elwev auTÔ * Tt (xe Xe-yeiç 
K^aAw'f où^eiç à'^aObc, eî [atj tl;, 
d 0eo(. Et ^t OiXet; etaeXOelv et; 
Tïiv ÎJoTiv, nipYiaov ràç evroXoé;. — 
Aé-yei auTû ; ïloiotç ; *0 ^à 'Iyi- 
ogOç etwe* Tb où çoveuaeiç- Où 
(xoix'ùaeiç • Où xXe'iJeiç • Où 4»*"- 



i. Jérôme ne rapporte pas le lexte grec. 
2. Le texte grec est perdu. 



27 



418 ÉTUDES SUR 

Cœpit autem dives scalpere 
caput suum et non placuit ei. 
Et dixit ad eum Dorainus : 
Quomodo dicis : Legem feci et 
prophetas, quoniam scriptum 
est in lege : Diliges proximum 
tuum sicut te ipsum, et ecce 
multi fratres lui filii Abrahae 
amicti sunt stercore, morien- 
tes prae famé, et domus tua 
plena est multis bonis et non 
egreditur omnino aliquid ex ea 
ad eos. 

Et conversas dlxit Simonî 
discipulo suo sedenti apud se : 
Simon fili Joannae, facilius est 
camelum înlrare per Foramen 
acus, quam divitem in regnum 
cœlorum. 



LES ÉVANGILES 

^oii-apTupiiagi;, — Tî{i.a tov wa- 
T^pa cou , )cal tyiv [i.yiTê'pa • jcaî • 
À-yainaaei; tov irXnaîov ocu w; (leau- 

TOV. — AsVeI aÙTû) V6*Vl<ïX05 • 

riavTa rauTa è<puXaÇa{i.y4V U veo- 
rflroç {ji.&u * tÎ Iti udTspro; — É<pYi 
aÙTô & 'ly.coO? • Eî ôiXe»; TsXetoç 
eivai, uira-YS, itwXTiadv aou ta Oirap- 
Xcvra, xal ^o? tctwx&î; * J^*' ^^^? 
Bïjaaopov iv c^pavô • )t«i ^tOpo, 
dbftoXoûôei |iAi. — Àîtoûaaç ^à 6 
vgavîffîco; tov X^pv àiriiXôs Xuirou- 
(ji.evoç • rjv "^«p ^X^v )cnn{/.aTa woX- 
Xa.— *0 ^è 'Iriffoûç elirs toî; |i.aôrr 
TOt; auTcu • Ip-viv Xê-yw u(M', on 
^uoîcoXttJÇ TcXcuoicç e^!T£>iUffSTal 6Î; 
TYjV paaiXeîav twv oùpavwv.— IlaXiv 
S'i Xs-^w «JMV, eùxoirwTepov £<xti 
ïfa[i.YiXov Sià TpumrjaaTOc çacpt^oç 
^isXôaîv, ^ irXcùffiov eîç tyiv ^««yi- 
Xsiav toO ©eoO ewsXôeîv, 



N^ 3. 



ÉVANGILE DES ÉBIONITES. 
(Epiphane, Hceres., xxx, 1 13.) 

Tou Xaou PaTrricÔevToç, ^X6a xcrl 
*l7l<JoOç xal têotirtiaÔYi hnh toO 
'Itoàvvoo. Kal û>ç àvfXôev àiro tou 
u^aTOî, 'javoîx'n<J*v ot oùpavoi, xat 
ei^e Tb «v6u|i.a toû ©sou Tb a-yiov 
Iv el^ei frspiivTepà^ xaTgXBouoYiç xal 
ÊiceXôoôoYi; eîç aOTov. Kat ^wvr) 
j-^évETO iïi T0Î3 GÛpavou, Xé-Youaa • Su 
[i.ou et ô àvxmfiTo;, e^ aoi YiO^o'xvjaa. 
Kai raXiv • Ê-yw oi^jxspov •ye'^^vvviîca 



MATTHIEU, III^ 13 17. 

ToT8 «otpx'YivÊTai 6 'Imaou; àiro 
Tw; TaXiXaiaç liîl tov 'lopîavxjv 
wpbç TGV IwavvYiv, TOU PairrioÔYjvat 
uff' aÙTOu. — *0 $ï I«àvvr,ç S'ie- 
îcwXuev aÙTOv >^'y«v • É-jfw XP^'*^ 
êxw î>iTb aoO pawTicÔTÎvai, xai ou 
IpXTp wpo; fxe; — Àiroxpiôeiç ^i é 
Iyioou; eîffe wpb; aÙTo'v • Açtç apTf 
o3t« •^àp Wp67Ç0V loTÎv Tn|MV irXïi- 
pwaai ràcrav ^ixaiooOvYiv. ToTi 
àçiYiaiv aÙTov. — Kal pa-maOïlç o 



APPENDICE 



410 



çw; iU^(x, 'O î^cûv ô *I««irvr,î Xs- tGÇ. Kal î^cO dlYSwxôïKiW «ÔT& oi 



6^' ôv riii^ôx.fi'soL. Kal tots ô 'Icaocv- 

(Tcu, xûpis, oti |Ai PocTTTiaov. *0 ^f 
IxwXuêv aÙTw, Xe-ywv • A^êî, oti 
cûtwç eiTÎ Trpewov TrXTipwÔTivai 
:râvra. 



9WVYI SX Twv cùpavwv Xs-^oua* • où- 
^) eù^oxYjira. 



No 4. 



JEAN, IX, 2 et 3. 

2. Kal r.pwTYiaav aùrbv et p.a- 
Ô-flTal auTcu, X<-^ovT8ç' ^aêêi, Tt< 
ruapriv) cutoç -Î) ci '^ovêî; aùm, 
tva Tu^Xoç levvviôti; 3. 'ATtexpiôn 
'Iri<T0Û5' cÛTS cuTOç "«{lapTEv, turê 
oî -^ovs!; aÙTou, àXX' iva cpavgpwÔTÎ 
Ta ep-j^a tcû 0£cS Iv aùrû. 



HOMÉLIE, IX, § 22. 

Ài^(X9)(aXâ; iftp.ôv ffepl Tou 'ex 
^evyjTti; 'tniptO xxl àva€xé(J>avTo; 
trop' aÙToG éÇstrfCwv ipwnooamv^ 
Il cStoç ^aaptev ^ cl «^cvÊt; aitou, 
fva TuçXo; 'yîwtiÔri, àirexplvaTô ' 
c5Tê cStoç Ti •^aapTÊv, cûts cl "jfc- 
V8t5 auTcu, àXX' iva ^0 aÙTcu cpa- 
vspwÔvi -JQ ^uvap.iç tcu 0eou t^; 
àpciaç î«(i.6vyi xà «|i.apnou.aTa. 



N^ 5. 



ANALYSE DE LA PRÉDICATION DE PIERRE, xr,puY(Aa Ilstpou. 
Recogniliones, lib. III, cap. 75. 

Primus ergo liber ex his, quos prius misi ad te, continet de 
verbo prophetoo et de proprietate inlelligenlise legis secundum 
id, quod Moysi traditio docet; 

Secundus de principio continet, utrum unum ait principium 
an multa; et quod non ignorée hebraeorum lex, quid sit immen- 
sitas ; 



420 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Tertius de Deo et his quse ab eo instituta sunt ; 

Quartus, quod quum mulli dicantur Dii, unus sit verus 
Deus secundum testimonia scripturarum ; 

Quintus^ quod duo sint cœli, quorum unum sit istud visibile 
firmamentum, quod et transibit, aliud vero aeteroum et invi- 
sibile; 

Sextus de bono et malo, et quod bono cuncta subjiciantur a 
Pâtre, malum autem qua re et quo modo et unde sit, et quod 
cooperetur quidem bono, sed non proposito bono^ et quas sint 
signa boni, quse vero mali, et quae sit dififerentia dualitsitis et 
conjugationis ; 

Septimus, quae sint quœ prosequuti sint apostoli apud popu- 
lum in templo; 

Octavus de verbis Domini, quae sibi vîdentur esse contraria, 
sed non sunt, et quae sit horum absolutio; 

NonuSy quia lex quœ a Deo posita est justa sit et perfecta et 
quae sola possit facere pacem ; 

Decimus de nativitate hominum carnali et de regeneratione 
quae est per baptismum, et quae sit in homine carnalis seminis 
successio et quae animae ejus ratio, et quo modo in ipsa est li- 
bertas arbitrii, quae quoniam non ingenita est, sed facta est, im- 
mobilis a bono esse non poterat. 



N^ 6. 

Dans le premier de nos Évangiles canoniques, Joseph est dé- 
signé simplement comme un ouvrier, Wxtuv, faber (Matth., xiii, 
55). a D'où lui est venue cette sagesse? disent de Jésus-Christ 
les habitants de sa ville natale, et les puissances qu'il déploie? 
N*est-il pas le fils de l'ouvrier? » Oùx ^«^'î *<^^ » to5 téxtovoç uîoç; 
le même mot revient dans le passage parallèle de Marc, vi, 3 ; 
mais il est ici appliqué à Jésus-Christ lui-même, a Celui-ci n'est- 
il pas l'ouvrier?» oùx o&toç é<mv ô t^xtcûv; ce qu'il faut en- 
tendre sans doute dans ce sens: N'est -il pas un ouvrier, 
comme son père? 

En quel état particulier Joseph était-il ouvrier? Les écrits 
canoniques ne le disent pas; mais de bonne heure la tradition 
en fit un charpentier. Dans Téva^gile de Thomas, chap. 43, il 



APPENDICE 42i 

est désigné également comme ouvrier, rexTuv, fdber; mais il est 
ajouté aussitôt quMI fabriquait des jougs et des charrues ; dans 
le môme chapitre, il fait un lit^ et dans TEvangile arabe, 
chap. 38 et 39, des portes, des cribles, des coffres, et môme 
un trône pour le roi de Jérusalem. Cette tradition se retrouve 
dans Justin Martyr. Ce Père de TÉglise ne désigne, il est vrai, 
Joseph que comme un simple artisan ; mais comme il dit que 
Jésus-Christ, pendant sa jeunesse, fabriquait des jougs et des 
charrues, c'est-à-dire était charpentier *, et que, d'après ce 
qu'on peut induire du passage de Marc cité plus haut, il exerçait 
la môme profession que son père Joseph^ Justin Martyr entend 
évidemment que celui-ci était également charpentier {Dialog. 
mm Tryph., § 88.) 

Cette tradition, qui est celle de tous les Évangiles apocryphes 
orthodoxes, est la plus généralement admise, et c'est d*après 
elle que tous les traducteurs français du- Nouveau-Testament 
ont rendu le mot tsxtuv de Mattfiieu et de Marc par charpentier. 
Elle a été cependant plus d'une fois rejetée. D'après quelques 
Pères de l'Église, Joseph aurait été serrurier 2. D'autres écri- 
vains ecclésiastiques prétendent qu'il était orfèvre, cet état leur 
paraissant sans doute plus relevé que celui de serrurier. Cor- 
nélius à Lapide invoque un passage d'un sermon d'Augustin, 
pour assurer qu'il était maçon. On ne trouve rien de semblable 
dans Augustin, et c'est probablement par des raisons mystiques 
et dans un sens allégorique qu'on a fait un maçon de Joseph. 

NO 7. 

Henri Estienne fut un de ceux qui s'élevèrent avec le plus de 
vivacité contre ce que Postel racontait du Protévangile. Le pas- 

1. Dans le Talmud, Jésus est appelé le Charpentier, d'après Le Nain 
de Tillemont, Mémoires pour servir à l'histoire eccUsiastiqm, tom. I, 
p. 414. 

2. Théophile d'Antioche, Comm. in Matth., xiir, 55; Hilaire, In 
Matth,, XIV. Ambroise (Comm, in hucam, m, 2), qui le donne pour 
un charpentier, dit cependant qu*il travaillait avec le vent et le feu, 
ce qui désignerait un serrurier. Le Nain de Tillemont, t6û2., t. I, 
p. 504. 



m ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

sage suivant de Y Apologie pour Hérodote, chap. 33, § a et 3, 
mérite d'être mis sous les yeux du lecteur. 

a Yoici encores une autre invention que le diable a trouvée 
pour abuser du nom de TEscriture^ prévoyant bien que quelque 
jour le simple populaire se voudrpit enquérir des points contenus 
en la Bible, et congnoistroit quand on passeroit plus avant, c'est 
que craignant de perdre ses droits, faute de les moDstrer par . 
ses lettres et instrumens, il en a supposé un grand nombre pour 
s'en servir à l'endroit de toutes personnes qui ne pourroyent 
s'appercevoir de la fausseté. Qui sont ces instrumens supposez? 
Un tas de livres qui ont emprunté le nom de quelques apostres, 
ou disciples des apostres, et cependant contiennent une doctrine 
totalement répugnante à la leur : voire contiennent aucunes fai- 
bles de telle sorte que les oreilles ne les peuvent non plus porter 
que celles qu'on trouve en TAIcoran de Mahomet. Or n'est ce 
d'aujourdhuy que le diable s'est aidé de ce moyen pour ruiner 
entant qu'en luy seroit les fondemens de nostre religion : (car 
nous savons qu'il y a assez long temps qu'il a mis en lumière 
Evangelium Nicodemi, Evangelium Thomœ, Evangelium Bar- 
thdomœh Evangelium Nazareorum^ liber Pastoris et autres), 
mais encores aujourdhuy il s'efforce d'infecter le monde d'une 
nouvelle puanteur de tels livres, comme il l'a bien montré par 
celuy qui est intitulé : Protevangeliumj sive de natalibus Jesu 
Christi et ipsius matris virginis Mariœ, Car pour faire avouer 
ce tresprophane livre entre ceux de la saincte et sacrée escri- 
ture, il luy a faict usurper le nom de saint Jacques, le disant 
cousin germain et frère de Jésus-Christ. Et cependant que nous 
est il raconté là? » 

Tci vient une analyse à la fois exacte et spirituellement faite 
du Protévangile. Il est inutile de la rapporter; je l'omets, et je 
transcrit ce qui suit. 

« Je laisseray lire le demeurant à ceux qui pourront avoir la 
patience de le lire, ou il-y-^ choses encore beaucoup pires en 
toutes sortes. Mais je prieray le lecteur de considérer comment 
le diable s'est mocqué évidemment de la chreslienté en faisant 
publier ce livre, et a aveuglé les yeux de plusieurs. Car il l'a pu- 
blié par le moyen d'un qui apertement s'est efforcé par ses 
escrits de faire un meslinge de la religion Mahomelique, Judaic- 
que (si religions se doivent nommer) avec celle des Chrestiens : 



APPENDICE 423 

par un qui a preschë publiquement et soustenu des hérésies les- 
quelles ne sont seulement pleines de blasphème, mais répu- 
gnantes à l'honnesté naturelle, voire des payens. Qui est cestuy 
là? Guillaume Poste]. Et comment (dira quelcun] a-t-il esté pos- 
sible que le livre venant de la main de ce monstre exécrable, 
n*ait point esté tenu pour suspect, qui de soymesme le devoit 
estre quand il fust sorti de la main d'un ange? C'est en quoy 
nous devons congnoistre que le diable s'est évidemment moc- 
qué de la chrestienté, comme j'ay dict, et a bouché les yeux à 
plusieurs de ceux mesmement qui devoyent estre les plus clair- 
voyans. Il est vray que je confesseray bien que la mescbanceté 
du susdict n'estoit pas alors si bien descouverte qu'elle a esté 
depuis : mais elle l'estoit assez pour congnoistre qu'il se falait 
donner garde de luy. Lequel je laisseray comme estant (Dieu 
merci) assez congnu pour le présent : et viendray au stile dudeit 
livre. Je di donc et veux soustenir devant toutes gens qui ont 
quelque jugement en telles choses, que plusieurs hébraismes 
que nous y lisons, sont supposez, estant toutesfois meslez parmi 
autres que nous sçavons estre vrays et ordinaires en la saincte 
escriture. Au demeurant quant à la simplicité des façons de 
parler, on voit bien aussi que c'est une chose affectée, et qui se 
dément soy mesme. Quant au contenu, il est certain qu'il a esté 
forgé par un tel esprit que celuy dudict Postel (si d'aventure luy 
mesme n'en est l'auteur) en dérision de la religion chrestienne. 
Mais pour fairela fourbe meilleure, on y a inséré par forme de 
rapsodie quelques propos des evangelistes ; item on-y-en-a mis 
quelques uns auxquels on a veu qu'on pouvoit donner couleur 
par quelques passages du vieil Testament : comme ce qui est dit 
des eaux de redargution. Voilà jusques ou est venue l'impudence 
et la mescbanceté d'aucuns esprits diaboliques. Or si quelcun 
est curieux de voir plusieurs escrits semblables, ainsi supposez 
par la cautele et astuce de Satan, il en trouvera un grand amas 
en un livre appelé Orthodoxographa theologiœ sacrosanctœ ^j et 
orné de plusieurs autres titres, qui semblent estre totale* 

i. Henri Estienne veut parler ici du recueil publié par J.-J. Gri- 
nœus, sous ce titre : Monumenla SS. Patrum orthodoxographa, hoc 
est, thœologie sacrosanctœ ac sincerioris fidei doctores, Bâle, 1569, 
2 vol. in-folio. 



424 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

ment mis en despit de la religion chrestienne. D'autant que si 
une grand*part des choses qui y sont contenues sont ortho- 
doxes, il est certain que nous avons des choses en Bible, qui ne 
sont point orthodoxes ; et faut necessairemeut choisir ausquels 
escrits on donnera ce titre, veu qu'en le donnant aux uns^ on 
Teste aux autres, entant qu'ils se contrarient. Que si quelcun 
allègue qu'aucuns sont traduits de l'hebrieu^ aucuns du grec, 
quand bien il aura prouve cela, il n'aura pas beaucoup gangné : 
car la response est aisée, que le diable peut aussi bien estre 
diable en hebrieu et en grec qu'en autre language. De ma part 
je me suis attaché à ce Protevangelion plustost qu'à un autre, 
pource qu'il est attribué à saint Jacques cousin germain et frère 
de Jésus-Christ, ainsi que porte le titre. Car la première impres- 
sion de ce livre ^ qui est en petite forme, avec des apostilles, ha 
ce titre^ Protevangelion sive de natalibus Jesu Chrisii et ipsius 
matris virginis Mariœ, sermo historiens divi Jacobi minoris, 
consobrini et fratris domini Jesu, apostoU primarii et episcopi 
christianorum primi Hierosolymis, 11 est vray qu'en l'impression 
qui est au volume susdict intitulé Orthodoxographa , on n'a 
point foict ce saint Jacques cousin germain et frère, mais seu- 
lement frère. Je me suis attaché (di-je) à ce livre, plustost 
qu'aux autres, a-fin que les lecteurs jugeassent par ceci ce que 
peut estre des autres. Car si ils ont osé publier telles choses sous 
le nom de saint Jacques, que peut-on penser qu'ils auront publié 
sous le nom de Nicodème, et tant d'autres qui sont contenus au 
volume susdict? » 



DU RAPPORT DE PILATE A TIBÈRE SUR LA MORT 
ET LA RÉSURRECTION DE JÉSUS CHRIST. 

Avant de rechercher, avec le Nain de Tillemont, si le rapport 
de Pilate à Tibère, cité par Justin Martyr et Tertullien, était, 
non celui qui est parvenu jusqu'à nous, mais la pièce officielle 

1. La première impression est de Bàle, 1552, in-8«. 



APPENDICE 4Î6 

envoyée à l'empereur par le procurateur romain, il ne serait pas 
hors de propos de se demander s'il est probable que Pilate ait 
jugé nécessaire d'instruire Tibère de la condamnation de Jésus- 
Christ. On en appelle à Texemple de Pline et à des passages de 
TertuUien et d'Eusèbe pour montrer que les gouverneurs des pro- 
vinces rendaient compte à l'empereur do ce qui se passait d'in- 
téressant dans les pays soumis à leur juridiction, et on conclut 
de là qu'il n'y aurait rien de surprenant que Pilate eût prévenu 
Tibère de la mort de Jésus. A vrai dire, il n'est besoin d'aucune 
autorité pour être convaincu que des rapports arrivaient néces- 
sairement de toutes les provinces au centre du gouvernement. 
Mais la condamnation de Jésus dut-elle paraître à Pilate un de 
ces faits importants dont il était nécessaire que l'empereur fût 
instruit? Il est permis d'en douter. Il est impossible que le gou- 
verneur romain ait vu cette mort du môme œil que les chrétiens, 
qu'il en ait soupçonné l'importance, qu'il ait prévu les consé- 
quences immenses qu'elle aurait pour les générations futures. 
Pour cet esprit léger, cette condamnation n'était que la suite 
d'une querelle des Juifs sur quelques points de -leur religion ; i^ 
n'attacha certainement qu'un fort mince intérêt à une affaire dans 
laquelle il ne pouvait^ à son jugement^ y avoir en jeu qu'une 
absurde superstition. 

Selon toutes les vraisemblances, Pilate ne vit dans la mort de 
Jésus qu'une exécution capitale, qui ne différait en rien de toutes 
les autres, et les condamnations de ce genre étaient trop fré- 
quentes et n'offraient pas un degré suffisant d'importance, quand 
il ne s'agissait pas de citoyens romains, pour qu'on jugeât néces- 
saire d'en instruire l'empereur. 



NO 9. 

DÉCRET DE GÉLASB CONTRE LES APOCRYPHES. 

Ce qu'on désigne sous le nom de décret de Gélase contre les 
apocryphes est la troisième et dernière partie d'une pièce qui est 
donnée pour une décision prise par un concile tenu à Rome en 
494 et composé de soixante-dix évéques. Les deux autres parties 
ont pour but de déterminer, la première, quels sont les livres 



4S6 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

canoniques reçus par rÉglise, et^ la seconde, quels sont les divers 
ouvrages des écrivains chrétiens qu'elle approuve, custodienda et 
reeipienda opéra. Mais ce qui est fort singulier, c'est que le cata- 
logue de ces derniers écrits est donné sous ce titre : De apocry^ 
phis Bcripturis, D'un autre côté, la troisième partie, c'est-à-dire 
celle qui donne le catalogue des écrits réellement apocryphes, 
mentionne un assez grand nombre d'ouvrages qui ne sont nulle- 
ment apocryphes et qui sont bien des auteurs dont ils portent 
les noms ; mais il faut ajouter que la plupart de ces auteurs ne 
passent pas pour orthodoxes aux yeux de TÉglise. Le mot apo- 
cryphe est pris, dans la seconde partie de cette pièce, dans un 
autre sens que dans la troisième. Dans le premier cas, il signifie 
évidemment des ouvrages qui ne font pas partie de TÉcriture 
Sainte, mais qui sont conformes à la saine doctrine, et dans le 
second des ouvrages qui ne font pas partie de TÉcriture Sainte 
et qui, de plus, sont contraires à la foi de TÉglise. 

L'emploi de ce terme en doux sens tout à fait différents, dans 
cette pièce, prouve, ce me semble, qu'elle n'est pas tout entière 
de la même main. Il est probable que, sans parler des nombreuses 
interpolations qu'elle a reçues, après qu'elle eut pris ia forme 
sous laquelle elle nous est parvenue, elle fut composée en trois 
moments distincts. Elle ne devait comprendre, dans le principe, 
que la liste des livres saints. On trouva convenable, plus tard, de 
joindre au catalogue des écrits canoniques l'indication des prin- 
cipaux ouvrages des écrivains ecclésiastiques. Plus tard encore, 
on jugea utile d'indiquer les livres non approuvés par l'Église et, 
en un certain sens, dangereux pour la foi, à côté de ceux qui y 
étaient conformes et qui étaient propres à la défendre et à la for- 
tifier. . 

La première partie, celle qui contient la nomenclature des 
livres saints, est-elle l'œuvre d'un concile romain tenu en 494? 
C'est possible. Cependant Baluze fait observer qu'il n'est pas 
parlé de ce concile avant le ix* siècle, et que Jean de Ferrières, 
Hincmar de Rheims, et Nicolas 1er sont les premiers qui en fas- 
sent mention. Le décret contre les apocryphes offre encore plus 
d'incertitude. Baluze fait également' remarquer qu'il n'en est 
question nulle part avant la même époque; que ni Gennade, ni 
saint Isidore, ni Honorius d'Autun n'en ont rien dit; que Denis 
le Petit ne le cite pas dans sa collection des papes; enfin qu'il y 



APPENDICE 427 

a des manuscrits dans lesquels ce décret porte le nom de Da- 
mase, et d'autres dans lesquels il est attribué à Hormisdas ^ 

Quoi qu'il en soit, je crois utile de le mettre sous les yeux du 
lecteur. Je le transcris tel que le donnent Labbe et Gossart dans 
leur Sacrosancta concilia^ t. IV, col. 4260-1266. 

Voici d'abord le titre général de la pièce elle-môme : 

Concilium Romanum I quo a LXX episcopis lihri sancti ûw- 
thentici ab apocryphis sunt discreti 2, sub Gelasio, anno Domini 
CCCCXCIV, Asterio atque Prœsidio consulibus. 

Immédiatement après vient la liste des livres deTAncien-Tes- 
tament 3, sous cette rubrique : Ordo Hbrorum veteris Testa- 
menti quem saneta et catholica romana suscipit et veneratur Eccle- 
sia, digestus a beato Gelasio papa I, cum septuaginta episcopis. 
Puis vient la liste des livres du Nouveau-Testament, avec ce titre : 
Idem ordo scripturarum novi et œtemi Testamenti, 
' La seconde partie porte ce titre particulier : Gelasiipapœ de- 
creium ctim septuaginta episcopis habitum de apocryphis scrip- 
turis. 

Enfin la troisième partie, qui est celle que je rapporte en en- 
tier, est conçue en ces termes : 



NOTITIA LIBRORUM APOCRYPHOR0M QUI NON RECIPIUNTUR. 

In primis ariminensem synodum a Gonstantio Gonslantini 
augusti filio congregatum, mediante Tauro praereclo, ex tune et 
nunc et usque in seternum confilemur esse damnatum. 

Item itiaerarium nomine Pétri apostoli, quod appellatur sancti 
Glementis libri octo^apocryphum. 

Actus nomine Andreae apostoli, apocryphum. 

Actua nomine Tbomae apostoli, apocryphum. 

Actus nomine Pétri apostoli, apocryphum . 

Actus nomine Philippi, apocryphum. 



i. Notœ ad Gratian., p, 444. 

2. Ces mots, ab apocryphis discrelif ont pu donner l'idée d'ajouter à 
cette partie soit la seconde, soit à la fois la seconde et la troisième. 

3. Cette liste est conforme au canon de TËgUse catholique. 



ISS ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Evaogelium nomine Thaddasi, apocryphum. 

Evangelium nomine MatthiaB, apocryphum. 

Evangelium nomine Pétri apostoli, apocryphum. 

Evangelium nomine Jacobi minoris, apocryphum. 

Evangelium nomine Barnabae, apocryphum. 

Evangelium nomine Thom» quo utuntur Manichsei, apo- 
cryphum 1. 

Evangelium nomine Barlholomaei apostoli, apocryphum 3. 

Evangelium nomine Andreœ apostoli^ apocryphum. 

Evangelia quse falsavit Lucianus, apocrypha. 

Liber de infantia Salvatoris, apocryphum. 

Evangelia quse falsavit Esitius 3, apocrypha. . 

Liber de nativitate ^ Salvatoris et de Maria et obstetrice^, apo- 
cryphus. 

Liber qui appellatur Pastoris, apocryphus. 

Libri omnes quos fecit Lucius ^, discipulus diaboli, apo- 
cryphi. 

Liber qui appellatur fundamentum, apocryphus. 

Liber qui appellatur Thésaurus, apocryphus. 

Liber de filiabus AdsB geneseos^ apocryphus. 

Gentimetrum de Ghristo, virgilianis compaginatum versibus, 
apocryphum. 

Liber qui appellatur actus Teclse et Pauli apostoli, apocry- 
phus. 

Liber qui appellatur Nepotis, apocryphus. 

Liber Proverbiorum qui ab haereticis conscriptus et sancti 
Sixti 7 nomine prsBnotatus est, apocryphus. 

Revelatio quae appellatur Pauli, apocrypha. 

Revelatio quse appellatur Thomse apostoli, apocrypha. 

Revelatio quse appellatur Stephani, apocrypha. 

1. Dans quelques manuscrits : Evangelia nomine Thom» qnibos 
utuntur Manichœi, apocrypha. 

2. Dans quelques manuscrits : Evangelia nomine Bartholomsei apos- 
toli, apocrypha. 

3. Alias, Hesychius. 

4. Alias, infantia. 

5. Alias, obstetrice ejus. 

6. Alias, Lucius. 

7. Alias, Xysti. 



APPENDICE 429 

Liber qui appellatur Transitas, id est, assumptio Sanctae Ma- 
rine, apocryphus. 

Liber qui appellatur Pœnitentia Adae, apocryphus. 

Liber Ogiae nomine gigantis ^ qui ab haeriticis cum dracone 
post diluvium pugnasse perhibetur, apocryphus. 

Liber qui appellatur Testamentum Job, apocryphus. 

Liber qui appellatur Pœnitentia Origenis, apocryphus. 

Liber qui appellatur Pœnitentia sancti Gypriani, apocryphus. 

Liber qui appellatur Pœnitentia Jaunis et Mambrœ, apocryphus. 

Liber qui appellatur Sortes apostolorum, apocryphus. 

Liber qui appellatur Laus apostolorum 2, apocryphus. 

Liber canonum apostolorum, apocryphus. 

Liber physiologus qui ab haereticis conscriptus est et B. Am- 
brosii nomine signatus 3, apocryphus^ 

Historia Eusebii Pamphili, apocrypha. 

Opuscula Tertulliani, apocrypha. 

Opuscula Lactantii ^, apocrypha. 

Opuscula Africani, apocrypha. 

Opuscula Portumiani et Galli, apocrypha. 

Opuscula Montani, Priscillae et Maximillœ, apocrypha. 

Opuscula omnia Fausti ManichsBi, apocrypha. 

Opuscula Gommodiani, apocrypha. 

Opuscula alterius Glementis Alexandrini, apocrypha. 

Opuscula Tatii ^ Cypriani, apocrypha. 

Opuscula Arnobii, apocrypha . 

Opuscula Tyconii, apocrypha. 

Opuscula Gassiani ^, presbyteri Galliarum^ apocrypha. 

Opuscula Victorini Pictaviensis 7, apocrypha. 

Opuscula Fausti RegensisGalliarum^ apocrypha. 

Opuscula Frumenti caecl, apocrypha. 

Epistola Jesu ad Abagarum 8 regem, apocrypha. 



i. 


Alias, 


de Vegia nomine gigante 


2. 


Alias, 


Lnsus apostolorum. 


3. 


Alias, Praenotatus. 


4. 


Alias, 


Firmiani. 


5. 


Alias, 


TharsiouTurcii. 


6. 


Alias, 


Gassionis. 


7. 


Alias, Perabionensis. 


8. 


Alias 


» Ahgarum. 



430 ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 

Epistola Abagari ^ ad Jesum, apocrypha. 

Passio Quirici 2 et Julitae, apocrypha. 

Passio Georgii, apocrypha. 

Scriptura quœ appellatur Gonlradictio 3 Salomonis, apocrypha. 

Phylacteria omnia, quae non angelorum (ut iili conQDgunt) sed 
ddBmonum magis arte conscripta sunt, apocrypha. 

Haec et omnia his simiiia quaa Simon Magus, Nicolaus, Gerin^ 
thus, Marcion, Basiiides, Ebion, Paulus eliam Samosatenus^ Pho- 
tinus^ et Bonosus, et qui simili errore defecerunt, Montftnus 
quoque cum suis obscœnissimis sequacibus, Apoliinaris, Yalen- 
tinus, sive Manichaeus, Faustus Africanus, SabelHus, Arius^ Ma- 
cedonius, Ëunomius, Novatus, Sabbatius, Gœlesiius, Donatus, 
Eustathius, Jovinianus,PeIagus, Julianus Gelanensis, Gœlestinus, 
Maximinus, Priscillianus ab Hispania, Nestorius Gonstantinopoli* 
tanus^ Maximus ^, Unicus S, Lampelius 6, Dioscorus, Eulyches, 
Petrus et alius Pelrus, e quibus unus Alexandriam, alius Anlio- 
chiam maculavit, Acacius Gonstantinopôlitanua cum consor- 
iibus "^ suis; necnon et omneshœretici, eorumque discipuli, sive 
schismatici ^^ docuerunt vel conscripserunt, quorum nomina 
minime retiuentur non solum repudiata, verum etiam ab omni 
Romaiia catholica et apostolica ecclesia eliminatis, atque cum 
suis auctoribus auctorumque sequacibus sub anathematis indis- 
solubili vinculo in aelemum confitemur esse damnata , 



N« 10. 

Thilo donne l'extrait suivant de la notice de Sylvestre de 
Sacy sur deux des homélies de Cyriaque. (Codex apocryphus 
Novi Testament i, p. xxxix et xl.) 

1. Alias, Abgari. 

2. Alias, Cyrici. 

3. AliaSy Inlerdictio. 

4. Alias, Maximianus. 

5. Alias, Cynicus. 

6. Alias, Lapicias. 

7. Alias, sociis. 

8. Alias, quod. 



APPENDICE 43i 

c Le premier de ces deux discours a pour objet de célébrer le 
jour où Jésus-Christ enfant, accompagné de la sainte Vierge, de 
Joseph et de Salomé, lors de sa fuite en Egypte, s'arrêta au lieu 
nommé aujourd'hui le monastère de Baisous, situé à l'est de 
Bahnésa. Ce jour est le 25 du mois de Paschous. Suivant cette 
légende, l'enfant Jésus fit en ce lieu un grand nombre de mira- 
cles; entre autres choses il planta en terre les trois bâtons d'un 
berger et de ses deux fils, et sur-le-champ ces bâtons devinrent 
trois arbres couverts de fleurs et de fruits, qui existaient encore 
du temps de Cyriaque. Cyriaque prétend avoir appris toutes ces 
particularités de diverses visions qu'est un moine nommé 
Antoine, en conséquence desquelles il fit faire des fouilles en cet 
endroit : on y trouva un grand coffre fermé contenant tous les 
vases sacrés d'une église, avec une inscription qui apprit que le 
tout avait été caché, au commencement de la persécution de 
Dioclélien, par le prêtre Thomas qui desservait cette église, 
l'ordre lui en ayant été donné dans un songe. Le coffre ouvert, 
on y trouva les vases sacrés et un écrit que Ton lut et qui con- 
tenait toute l'histoire de l'arrivée de l'enfant Jésus avec ses* 
parents en ce lieu le 25 du mois de Paschous, et le récit de tous 
les miracles par lesquels il y avait manifesté sa divinité. Cette 
relation était écrite de la main de Joseph, époux de là sainte 
Vierge. Elle est fort longue. Après l'avoir hie, Cyriaque fit bâtir 
en ce lieu une église dont la construction fut encore accompa- 
gnée de visions et la desserte confiée au moine Antoine. Cyriaque 
raconte en finissant comment un homme qui avait souillé cette 
église et y avait commis des dégâts, fut tué à peu de distance de 
là par un monstre envoyé de Dieu. — Le second discours de 
Cyriaque a pour objet l'arrivée et le séjour de Tenfant Jésus et 
de ses parents en un lieu de la provincls de Kous, lieu nommé 
aujourd'hui le couvent brûlé. Ce discours est fait pour être lu le 
7 de Barmondi, jour anniversaire de l'arrivée de la sainte famille 
en ce lieu. Le tissu de cette légende est tout à fait semblable à 
celui de la précédente. » 



43i ÉTUDES SUR LES ÉVANGILES 



No H. 

Voici en quels termes l'Évangile de Nicodème est introduit 
dans le roman de Perceforest. C'est Natael, chapelain d'Arfaran, 
qui parle. 

a Madame et vostre compaignie, si desires a scavoir, comment 
le sainct propbelte fu^ traicte en son vivant, ce n'est pas mer- 
veilleSy et j'en scay bien parler ; car lorsque mon maislre, que je 
servoye adonc qui estoit nommé Joseph Dabarimathie, Pylate 
estoit souverain chevalier des Juifs ; car cest raison que vous 
scaches, si tost que Joseph mon maistre eut despendu de la croix 
le vray crucifix e( mis en son sepulchre, Nycodemus qui estoit 
des maistres manda Joseph mon maistre, et jailay avec luy. 
Mais quand il vint à Nycodemus^ il fut receu a grant joye ; car 
tous deux tenoient le prophette a tressainct homme, et moult 
leur pesoit de sa mort et du tort que Ion luy faisoit. Adonc parla 
Nycodemus et dit : Joseph, jentens que vous aves despendu le 
prophette de la croix. Sire, dist Joseph, il est vray, et lay mis 
en un sepulchre que jayoye fait faire. Joseph, dist Nycodemus, 
je le vous dis pource que les seigneurs de la loy en sont moult 
troubles, si fais doubte qu'il ne vous en preigne mal. Sire, dist 
Joseph, de si noble besogne ne me peulc prendre mal, que plus 
grant bien ne men advienne après : car ils ont a tort mis a mort 
le sainct prophette. Si ay grant merveille ou ils en prindrent 
loccasion : Car par faulx témoins et jugemens ils l'ont juge, et 
vous, qui estes des secrets, en scauriez mieulx parler que les 
forains; si vous prie que me veuillez compter la manière du 
traictement. Certes, dist Nycodemus, je ne fus oncques consen- 
tant de sa mort; aincoys le destournay a mon pouvoir. Mais que 
apresent je vous racompte^ comment il fut traicte^ ce ne ferai 
je pas; car trop demeureriez céans, et je suis tenu pour soupe- 
conneux, pourquoi vous en irez et je retiendrai votre clerc, 
auquel je feray mettre par escript toute la passion du bon pro- 
phette a toutes les heures que jauray loysir. Et ainsi je demouray 
avec Nycodemus, et Joseph se partit, qui ce jour fut prins des 



APPENDICE 433 

maistres de la loy et mis en prison^ dont je ne le veis devant ian 
ensuyvant. Et toutes foys me fist depuis Nycodemus escripre 
mot a mot : car il y fut toujours présent, laquelle passion jay 
sur moy escripte de ma propre main, et mal voluntieri; yrois sans 
lavoir. Adonc, continuât au ctor, print Nalael la passion du sainct 
prophette, et la leut en telle manière. Incipit liber : 11 advint au 
dixneufiesme an de l'empire de Tibère César de Romme et de 
Herode, roy de Galilée, consul Rufibellionis, procureur en Judée 
Ponce Pilate fut le prince , Provoyres des Juifs Joseph et 
Gayphas. La neufiesme calende d'april Anna et Gayphas, Some 
et Sathain, Cormalie et Judas, Nevy et Nepbtalin, Alexandre et 
Sirus et moult dautres des Juifs vindrent a Pylate alencontre 
esus, en laccusant en maintes manières, en disant : etc. > 



FIN DE L'APPENDICE 



28 



TABLE 



Prêfagb "^ . . . V 

INTRODUCTION 

I. La plupart des Évangiles apocryphes ont disparu. Il 

n*a survécu que ceux dont les légendes ont été, en 
quelque degré, adoptées par l'Église catholique. ... 4 

II. Ces Évangiles sont moins le produit de fraudes pieu- 
ses, dans le sens propre du mot, que d'illusions et 
d'imaginations résultant des croyances religieuses. 6 

III. Division des Évangiles apocryphes en trois classes. ... 47 

PREMIÈRE PARTIE 

ÉVANGILES APOCRYPHES lUDAlSANTS 

1. Âge et origine de l'Évangile selon les Hébreux 23 

II. Examen des fragments qui nous en restent 33 

m. L'Évangile de Justin Martyr 49 

lY. L'Évangile des Ébionites 60 



436 TABLE 

V. L'Évangile des Clémentines 69 

VL L'Évangile de Pierre 96 

VU. L*Évangile de» Elkësaltes 408 

Vin. L'Évangile selon les Égyptiens 115 

IX. Les Évangiles de Gërinthe, — de Basilide^ — des 

Encratites, — de Barthélémy, — de Barnabas. ... 1 32 



DEUXIÈME PARTIE 

ÉVANGILES APOCRYPHES ANTI JUDAISANTS 

I. L'Évangile de Marcion . — L'Évangile d'Apelle 1 47 

II. Les Évangiles des Valentiniens. — L'Évangile d'Eve. 

— L'Évangile de la Perfection. — L'Évangile de 
Philippe. — Les Grandes et les Petites Interroga- 
tions de Marie. — La Nativité de Marie 460 

III. L'Évangile de Judas des Garnîtes 173 

IV. Les Évangiles des Manichéens. — L'Évangile de Tho- 

mas. — L'Évangile de Philippe. — L'Évangile de 
la Nativité de la Vierge. — L'Évangile d'Ada. — 
L'Évangile de Scythianus. — L'Évangile de vie. ... 477 

TROISIÈME PARTIE 

ÉVANGILES APOCRYPHES ORTHODOXES 

I. Tableau général des légendes recueillies dans ces Évan- 
giles , 204 

§ 4 , Légendes du Protévangile 204 

2. — de l'Évangile de la Nativité de la Vierge. 207 

3. — de l'Évangile de Thomas 244 

4. — de l'Évangile du Pseudo-Matthieu 245 

5 . — de l'Évangile arabe de l'Enfance 24 9 



TABLE 437 

§6. — de rhistoire du charpentier Joseph 2S8 

7. — du livre arabe de la mort et de Tassomp- 

tion de la Vierge 233 

8. Légendes relatives à la Passion 245 

9. — de la descente de Jésus-Christ aux enfers 254 
11. Examen de ces légendes 261 

§ 1 . De leurs origines 262 

2. De leur mode de formation 274 

3. Elles sont nées dans l'Orient, dans les classes 

populaires 290 

4. De l'action qu'elles ont exercée sur les croyances 

el les pratiques de l'Église 299 

5. De leur influence sur l'art chrétien 3i 1 

ni . Examen critique des Évangiles apocryphes orthodoxes 31 7 

§ 1 . Ces Évangiles sont des recueils de légendes répan- 
dues parmi les chrétiens. — Ils ont été écrits, 
non dans des intentions dogmatiques ou polé- 
miques, mais uniquement dans un but d'édifica- 
tion 317 

2 . Le Prolévangil g . — L'Évangile de Thomas 326 

3. L'Évangile de la Nativité de Marie. —L'Évangile 

du Pseudo-Matthieu. — L'Évangile arabe de 
l'Enfance '. 336 

4. Le rapport de Pilate à Tibère. — L'Évangile de 

Nicodème 355 

5. L'histoire du charpentier Joseph. — Le livre arabe 

de la mort et de l'assomption de la Vierge 383 

IV. Popularité de ces Évangiles au moyen-âge.— Employés 
dans le culte en Orient. — Fréquemment cités 
par les écrivains ecclésiastiques en Occident.— 
Leurs traductions en langues vulgaires.— Leur 
influence sur la littérature 401 



W8 TABLK 

APPENDICE 

No 4 . Texte d'un fragment de l'Évangile selon les Hé- 
breux : 417 

i.. Texte d'un second fragment 41 7 

3. Texte d'un fragment de l'Évangile des Ébionites. . . 41 8 

4. Texte d'un fragment de l'Évangile des Clémentines. 419 

5. Analyse de la prédication de Pierre 419 

6. Du charpentier Joseph 420 

7. Passage de V Apologie pour Hérodote^ de Henri Es- 

tienne, sur le Protévangile 421 

8. Du Rapport de Pilate à Tibère 424 

9. Décret de Gélase Contre les apocryphes 425 

10. Extrait de la notice de Sylv. de Sacy sur deux ho- 

mélies de Cyriaque 430 

1 1 . Fragment du roman de Percefofest 432 



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